Chapitre 9
Je passe la porte, suis mon guide jusqu'à un ascenseur puis à travers de longs couloirs. Peu de mots sont échangés, je suis tendue comme je ne l'ai jamais été. J'ai hâte, j'ai peur, je veux entrer dans cet univers incroyable et le fuir aussi vite que possible à la fois. Nous franchissons les derniers couloirs qui nous séparent du bureau du producteur. L'immeuble est encore éclairé malgré l'heure tardive, j'apprends de mon accompagnateur que c'est parce que les BTS sont arrivés il y a à peine une demi heure : leur manager est venu pour les accueillir et quelques autres personnes l'ont accompagné pour mettre au point l'emploi du temps des prochaines semaines avec eux au plus vite.
L'homme me laisse dans une salle de réunion pour aller m'annoncer au producteur qui est peut-être encore en entretien dans la pièce d'à côté. Je n'attends pas longtemps son retour ; il m'informe qu'effectivement, son patron est encore occupé pour quelques minutes mais qu'il viendra lui-même me chercher puisque son bureau communique avec cette salle. Il me souhaite bonne chance et je le remercie avant qu'il ne s'en aille terminer sa nuit.
Mes yeux ne quittent pas le mur en face de moi : des photos d'artistes à des remises de prix, beaucoup montrent les BTS... enfin, je crois que ce sont eux. Heureusement qu'Aly n'est pas là pour me voir bêtement fixer une photo en me demandant si ce sont bien ses idoles adorés qui s'y trouvent... Je crois que je reconnais un ou deux visages... enfin, peut-être, je ne suis pas sûre.
Bah j'abandonne. Je mets mon casque et laisse ma tête basculer vers l'arrière, les paupières fermées, épuisée par le trajet. J'ai passé onze heures et demie assise, et alors ? Je suis fatiguée quand même. Je mets ma chanson, chanté par les BTS. Putain qu'est-ce que je suis douée quand même, elles déchirent mes paroles (c'est beau l'autosatisfaction). Je monte le son jusqu'à ce que mon casque hurle littéralement la musique. Je ne le fais pas souvent, pour protéger mes oreilles bien-aimées, mais parfois j'aime bien. Ma tête se met à bouger seule au rythme de la chanson et un sourire se dessine sur mes lèvres, après quoi la lecture enchaîne sur un morceau de Schubert. Un jour je jouerai une de ses compositions au piano. Qu'est-ce que j'aime la musique.
Une ombre passe devant mes yeux fermés. Je les ouvre pour découvrir un jeune garçon traverser la pièce. Son regard se pose sur moi alors qu'il est sur le point de sortir par là où je suis entrée. C'est sûrement lui qui était en train de s'entretenir avec le producteur. Ses cheveux platine me disent quelque chose. Il est grand, élancé, et son visage est magnifique, il a des traits doux et un air angélique. Il est habillé simplement : un sweat blanc, un jean bleu pâle déchiré au niveau des genoux, des chaussures blanches et une casquette de la même couleur qui ne parvient pas à dissimuler plusieurs mèches claires. Je suis presque sûre que... non, c'est quand même pas un des membres du groupe ? J'éteins mon MP3 tandis qu'il s'immobilise, me dévisage quelques instants et me pose une question, d'après l'expression que je peux lire sur son visage. Tout ce que j'ai compris, c'était « française ». J'ai bien fait d'accepter l'option cours de coréen moi, et dire que je croyais avoir un bon niveau... en expression peut-être mais en compréhension, c'est une catastrophe.
« Est-ce que tu peux répéter moins vite ?
- C'est toi la française qui a écrit pour nous ? »
Oh putain de merde, je savais qu'il faisait partie du groupe, je suis presque sûre que c'est l'un de ceux qu'Aly a l'habitude de me montrer. MAIS C'EST LEQUEL ? Jimin ? Non, c'est pas lui... Ah la cata ! Mon cerveau complètement en panique n'envoie plus aucun signal à ma bouche. Tout à coup, je me sens horriblement intimidée, je ne suis pas face à n'importe qui... bon, je ne sais pas qui il est, mais j'ai une vague idée, c'est déjà ça. Je reste muette, il lève un sourcil interrogateur. Réponds Charlie, sinon tu lui feras définitivement mauvaise impression !
« Oui. »
La tristesse de la réponse...
« Enchanté. »
Il s'incline poliment, je me lève et fais de même. Il ouvre la porte, s'apprête à la franchir, je me lève et lâche la question qui me tourmente depuis le début :
« Est-ce que ça vous dérange que je sois venue ? »
De nouveau, il se retourne et me considère quelques instants sans prononcer le moindre mot. Le cœur battant, la tête basse, j'attends, inquiète, sa réponse. Je me sens complètement perdue ici, je ne veux pas être seule, je veux qu'il reste avec moi. Et puis, il a l'air d'un tempérament posé, ça a quelque chose de rassurant.
« Ça dépend. Moi ça ne me dérange pas, je trouve que c'est juste que tu sois reconnue pour ce que tu as fait. D'autres sont un peu plus réticents à l'idée de t'avoir sur le dos pendant un mois aussi concentré que celui-ci.
- Je comprends... »
Un peu démoralisée à l'idée d'être perçue comme un poids, je me rassois et m'affale un peu plus sur ma chaise. Mon interlocuteur, dont j'ignore toujours l'identité, s'assoit en face de moi, sur une chaise à l'autre bout de la pièce, comme s'il voulait continuer de discuter.
« Confortable n'est-ce pas ? lancé-je avec un sourire, pour faire la conversation.
- Je suis tellement d'accord... »
Il m'imite, s'affalant un peu plus sur sa chaise, mimant un air dépité.
« Je fais pas cette tête, protesté-je tout bas.
- T'es pas loin pourtant. Fronce juste un peu plus les sourcils et c'est bon, tu l'as. »
Grillée, j'aurais dû le penser au lieu de le murmurer. Je baisse les yeux et essaie d'éviter à mon cœur de s'emballer tant je suis gênée. Je dois calmer ma répartie pathétique en sa présence, je ne vais quand même pas lui parler comme je parle à Aly... enfin, c'est étrange à dire, mais c'est simplement que... ah c'est trop intimidant d'être face à lui, je vais finir par rougir moi.
« Tu as déjà composé pour quelqu'un d'autre que pour toi ? continue-t-il.
- Non jamais. J'imaginais que mes chansons ne pouvaient plaire que dans mes rêves.
- J'espère que tu apprendras à avoir confiance en toi ici. Tes paroles ne sont pas géniales, mais on voit qu'elles viennent du cœur. Je pense que tu pourrais vraiment t'améliorer, immergée dans le monde de la musique.
- Merci. »
Je vais le prendre comme un compliment.
« Je peux te poser une question stupide ? demandé-je enfin.
- Essaie toujours.
- Pourquoi tu discutes avec moi ? Non pas que ça me dérange mais... »
Je n'arrive pas à finir ma phrase. Que dire ? Tu es une star et moi non ? Je m'incruste dans ta vie alors tu ne devrais pas être embarrassé de me voir ? T'es parfait et moi non ?
« Ton visage, répond-t-il simplement en voyant mon hésitation.
- Hein ?
- Quand je suis passé. Tu écoutais de la musique classique, et ton visage rayonnait, puis tu as éteint ta musique et ton visage s'est fermé, comme si tu revenais dans le monde réel que tu avais réussi à fuir. Je ne sais pas, tu m'as rappelé moi, plus jeune.
- Tu aimes la musique classique ? demandé-je en sentant mon sourire s'élargir.
- Assez, oui. Et puis quelqu'un qui est capable de voir à quel point le confort apporté par une simple chaise est grand, c'est quelqu'un de spécial, je respecte. »
J'esquisse un sourire. Je ne comprends pas tous les mots qu'il prononce, mais parce qu'il parle lentement et grâce au contexte, je peux reconstituer aisément ce qu'il me manque.
« Mon lit occupe la deuxième place de mon classement des objets les plus merveilleux jamais inventés par l'homme, dis-je en riant. C'est lui le premier (je désigne mon MP3).
- Je sens qu'on va bien s'entendre. »
Je ne peux empêcher mon sourire de s'agrandir encore : au moins, si certains garçons se montreront sûrement plus froids que d'autres, j'ai l'impression que je pourrai compter sur lui... enfin, peut-être bien.
La porte du bureau du manager s'ouvre et il me fait signe d'entrer. Je salue le jeune garçon avec qui j'ai eu le privilège de discuter puis je suis l'homme dans l'autre pièce, traînant toujours mes affaires derrière moi. L'homme se présente et me rappelle notre accord. Je lui certifie que personne ne saura jamais les réelles circonstances de ma venue ici ni ne sera au courant de ma présence dans l'appartement même du groupe. Je sais ce que je risque si je brise ce contrat.
Nous faisons un bref point sur le calendrier : dates limites auxquelles les chansons doivent être écrites, jours de tournage des clips dans lesquels j'ai obtenu une présence, heures de mes cours de coréen, etc. J'aurai plus de temps libre que ce que j'avais imaginé, du moins en principe, car je compte bien me consacrer entièrement à ma musique. Il faut que je me surpasse pour qu'on remarque mon travail. Je vais bosser à fond mes paroles.
Pour finir, il m'accompagne jusqu'à l'appartement des garçons. Je suis horriblement stressée à l'idée de les rencontrer : certes, je ne suis pas une fan absolue, comme Aly, mais c'est si impressionnant de rencontrer des stars de leur envergure. J'ai énormément de respect pour leur travail et je me sens ridicule par rapport à eux. En fait, nous mettre ensemble, c'est un peu comme essayer d'associer une limace et un lion, il y en a clairement un des deux qui fait tache. Et c'est pas eux, la tache. Si ma venue posait des problèmes au groupe ? Je serais bien capable de causer des catastrophes ; je ne sais pas comment, mais je suis convaincue que j'en suis capable. La malchance et moi, c'est une grande histoire d'amour, ça n'a jamais fait aucun doute aux yeux de quiconque. Aly, ce n'est pas spécialement mieux : elle n'est pas malchanceuse, mais elle est horriblement maladroite. Elle prétexte que c'est parce qu'elle est gauchère, mais je sais bien que c'est juste parce qu'elle est pas douée.
Les étages défilent et nous arrivons au dernier qui donne directement sur un palier tout simple. L'homme m'adresse une question silencieuse, un sourcil levé.
« Allons-y, » murmuré-je.
Il ouvre la porte et appelle les Bangtan. Les voix qui s'élevaient se taisent et des pas se font entendre. Je reste en retrait, horriblement gênée à l'idée de m'incruster. Venir ici est à la fois la meilleure et la pire idée que je n'ai jamais eue. Je n'arrive même pas à lever les yeux, heureusement que leur producteur est devant moi. Je fais exprès de me décaler un peu pour qu'il me cache complètement.
« Votre collaboratrice est arrivée, leur annonce-t-il. J'espère que cette rencontre sera fructueuse. Je vais vous laisser faire vous-mêmes les présentations, passez une bonne nuit, demain on commencera un peu plus tard pour que vous ayez le temps de vous reposer un peu. Au revoir. »
Les garçons le saluent et quelques secondes plus tard, je me retrouve seule face à une bande de sept garçons alignés devant moi. Incapable de les regarder dans les yeux, je contemple l'appartement : la décoration est sobre mais moderne, ça me rappelle un peu chez tata Irène. Le couloir qui débouche sur ce qui me semble être un large salon est plutôt sombre, éclairé par quelques lampes accrochées sur les murs ; celle au plafond est éteinte, sûrement parce qu'on ne va pas s'éterniser dans l'entrée.
Quand je trouve enfin le courage de lever mon visage vers eux, je constate qu'ils ont l'air presque aussi gênés que moi, même celui que j'ai déjà rencontré. Ça risque d'être compliqué de collaborer si on hésite même à se parler... Mon dieu qu'est-ce qu'ils sont mignons, Aly ne va pas tenir une seule seconde sans devenir folle... moi je devrais pouvoir tenir une petite heure avant de péter un câble.
« Je m'appelle Charlène Vannier, mais vous pouvez m'appeler Charlie, bafouillé-je finalement. Je suis désolée de m'inviter comme ça chez vous, je vous promets que je ferai tout pour ne pas vous décevoir et vous prouver que j'ai ma place ici. »
Je m'incline légèrement en signe de respect. Je ne voudrais surtout pas faire mauvaise impression dès les premières secondes. Quand je me redresse, l'un des garçons se décide à prendre la parole, celui avec qui j'ai discuté un peu plus tôt. Il m'adresse un sourire timide et se présente à son tour.
« Moi c'est Min Yoongi, ou Suga, c'est comme tu veux. »
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