Chapitre 89

Nous faisons quelques pas jusqu'à arriver devant une des portes ; l'assistant m'invite à entrer et j'obéis, la main légèrement tremblante. Ne stresse pas Charlie, tu as vingt ans, tu es grande, tu peux affronter ça. Après tout, tu vas seulement répondre à des questions.

Oui, mais une mauvaise réponse et c'est le Game Over. Je n'ai qu'une vie à ce jeu-là.

J'abaisse la poignée et entre timidement pour découvrir le manager en pleine discussion, en anglais, avec un homme et une femme d'environ trente-cinq ans équipés de tout le matériel nécessaire pour une interview qui sera ensuite retransmise à la télévision. À mon entrée, chacun se retourne. Le manager et le journaliste conservent un air neutre, me saluant simplement d'une façon polie, tandis que la femme me gratifie d'un sourire chaleureux que je lui rends.

« Charlie, me dit le manager en coréen, je compte sur toi, je suis vraiment fier que tu puisses réaliser ça alors ne déçois personne.

- Merci beaucoup. »

Il salue les journalistes qui ont préalablement insisté pour être seuls avec moi ; c'est particulièrement intimidant je dois dire. L'homme, d'environ un mètre quatre-vingt, se présente brièvement. Il a une carrure assez imposante, des cheveux roux et des yeux sombres, quant à sa collègue, elle se présente à son tour. C'est une jolie brune aux yeux d'un marron clair, un peu plus en chaire que moi mais néanmoins très jolie dans son tailleur qui lui donne un air sérieux malgré son visage doux.

« Bonjour Charlie, me salue-t-elle de nouveau. On a prévu de t'installer ici pour que tu répondes à nos questions, ça te convient ? »

Elle me désigne du doigt une chaise posée devant un mur recouvert de quelques photos dont une de moi et des BTS lors de notre concert. Ouah, je suis sur les murs de la BigHit, c'est absolument dingue...

« Oui ça me va parfaitement, acquiescé-je les yeux brillants.

- Super, sourit son collègue, on veut que tu sois le plus à l'aise possible. Réponds honnêtement à nos questions, d'accord.

- Oui d'accord. »

Comment vous dire que si je vous racontais vraiment tout, ça serait la fin du rêve ?

« On doit encore installer la caméra, tu veux voir les questions qu'on va te poser ou pas ? propose la jeune femme.

- Non, pas besoin. Mais ne vous étonnez pas si je cherche mes mots.

- Ne t'inquiète pas, on se doute que ça ne doit pas être facile pour toi. »

Je confirme d'un hochement de tête timide accompagné d'un petit sourire qui l'est tout autant. J'ai peur que ce que je dise soit déformé par la suite, mais je me rassure en me disant que finalement, il y aura probablement peu de gens qui s'intéresseront à mon histoire, alors autant ne pas m'inquiéter à ce point.

Les deux s'affairent à tout terminer de préparer pendant que je regarde les photos du mur. Je suis attendrie de voir les garçons avec quelques années de moins, certains ont plus changé que d'autres, ils ont perdu leur air enfantin (déjà qu'aujourd'hui ils ont l'air de gamin mais alors à l'époque... ils étaient carrément à croquer).

On installe un micro sur mon t-shirt afin d'entendre plus distinctement ma voix et je remarque que la journaliste a le même. Elle lit silencieusement la feuille de questions qu'elle compte me poser ; il doit y en avoir une petite dizaine, pas plus je dirais. Ça tombe bien, je suis un peu mal à l'aise ici et je préfèrerais que ça ne prenne pas trop de temps. De toute façon, je crois que l'interview doit être assez courte, quelques minutes pas plus.

« C'est bon Charlie, prête ? lance la jeune femme.

- Oui. »

Elle se place à côté de la caméra elle-même installée sur un trépied. Sa chaise est en face de la mienne et elle m'informe que je peux la regarder elle ou bien fixer la caméra, ce n'est pas très important, le tout c'est que je ne change pas trop régulièrement et qu'on ne voie pas ma gêne à travers le fait que mon regard se balade partout. Son collègue dépose rapidement une fine poudre sur mes joues afin que mon visage rende mieux devant l'objectif, et il démarre la caméra.

« Bonjour Charlie, sourit la journaliste.

- Bonjour, » je réponds en mordillant ma lèvre alors que je remarque que ma voix est faible.

Derrière la caméra, le journaliste me fait signe de parler plus fort.

« Alors présente-toi d'abord un peu à nous : ton nom, ton âge, ce que tu fais et rêves de faire dans la vie.

- Je m'appelle Charlène Vannier, j'ai vingt ans et je suis actuellement étudiante dans l'optique de devenir professeur d'histoire. Mais mon véritable rêve était de pouvoir un jour faire entendre mes compositions aux autres et pour cela, de vaincre ma timidité.

- C'est chose faite, sourit la journaliste. Tu peux nous raconter comment tu es arrivée ici ? »

Bon, là il va falloir gérer Charlie.

« Ma sœur est une des plus grande fan du groupe BTS et depuis quelques mois, je le suis aussi. Nous avons appris il y a plusieurs années de cela à parler coréen, ma sœur espérait pouvoir les rencontrer et c'est de cette façon que j'ai commencé à m'intéresser à cette musique. J'aime beaucoup écrire des poèmes que souvent je change en chanson et un jour, je me suis dit : pourquoi pas, pourquoi ne pas envoyer une de mes compositions au groupe, peut-être qu'ils pourraient me donner leur avis.

- Et finalement que c'est-il passé ?

- Ils m'ont donné bien plus qu'un avis : ils m'ont donné une chance.

- Tu peux développer ?

- La chanson que j'ai envoyée s'est trouvée sur le bureau du manager des garçons qui a cru qu'il s'agissait là d'une de leurs dernières compositions, et, probablement à cause d'un manque de communication, les garçons quant à eux ont cru que c'était une chanson qu'on avait écrite pour eux. Ils y ont apporté des arrangements, notamment au niveau de l'air ou du tempo de la chanson, et ce n'est qu'à la diffusion de l'audio sur internet, afin de promouvoir l'album qui sortira mi-juillet, que ma sœur et moi avons remarqué qu'il s'agissait de mon œuvre. Nous avons tout de suite contacté l'agence qui s'est montrée très étonnée de ce que j'avançais – par chance j'en avais les preuves – et de ce fait, afin de s'excuser, ils ont proposé que je vienne écrire deux nouvelles chansons pour les garçons. J'ai accepté sans hésiter.

- C'est alors une superbe histoire qui a débuté, n'est-ce pas ?

- Oui : l'agence s'est rendu compte que je pouvais chanter et danser sans être essoufflée, de même ma voix correspond à ce qui est attendu dans de telles chansons – des chansons d'amour j'entends – et se marie bien aux autres voix du groupe, alors ils m'ont immédiatement proposé de me joindre aux BTS sur scène. Malgré ma peur viscérale de me retrouver face à un public, j'ai préféré sauter sur la chance qui m'était offerte.

- Avec les garçons justement, comment ça se passe ?

- Vous savez, on ne se côtoie pas autant que je l'aurais espéré : l'agence m'a confié un appartement dans Séoul, je n'enregistre pas toujours en même temps qu'eux car ma voix est rajoutée ensuite par-dessus les leurs et, jusqu'au dernier moment, je révise les chorégraphies seule avec une professionnelle. C'est seulement une fois que je les connais que je peux m'entraîner avec les garçons. Bien sûr je les ai rencontrés pour les tournages, de même que lors de mon premier enregistrement dont on a mis les photos sur les réseaux sociaux, et bien sûr on se voit les jours de concert. Je n'ai pas pu me faire une vraie opinion d'eux donc, mais malgré tout, en tant que fan, je ne suis pas déçue : ils se sont montrés très encourageants et très bienveillants, on s'entend bien. Je ne pourrai jamais assez les remercier de m'avoir si rapidement intégrée à leur groupe en dépit du fait qu'ils ignoraient alors tout de moi. »

Je n'avais jamais autant menti en si peu de temps... Enfin bon, je ne mens pas sur toute la ligne non plus.

« Et avec les membres du groupe, pas de relation en perspective ? demande-t-elle d'un ton malicieux.

- Non, dis-je en riant, aucun de nous n'aurait le temps pour ce genre de choses, d'autant plus que je rentre en France le treize juillet.

- Justement, tu appréhendes le retour à la réalité ?

- Je ne sais pas, on verra bien.

- Tu peux nous parler un peu de tes impressions jusque là ? Comment ça s'est passé avec toutes ces choses qui te sont tombées dessus ? Ton concert notamment.

- C'est dingue, affirmé-je avec un large sourire. Ça ne fait que deux semaines que je suis ici et pourtant ça m'a paru si long alors que c'est passé si vite, je peux à peine y croire. Séoul est un endroit magnifique, tous les gens que j'ai rencontrés sont adorables et vivre ça c'est... ouah, je ne sais pas comment le décrire : jamais de ma vie je n'avais senti mes yeux étinceler à ce point. Performer sur scène avec le groupe le plus populaire du moment, c'était fabuleux et j'ai vraiment hâte de découvrir la suite.

- À propos de la suite : tu ne voudrais pas continuer dans la Kpop ?

- C'est un univers plein de paillettes et de magie, mais je tiens à poursuivre mes études et les entraînements ainsi que tout ce qui fait l'emploi du temps des idoles ne me permettrait pas de les continuer. Je veux m'assurer un avenir plutôt que de me brûler les ailes, et puis comme ça, ce mois ici n'en sera que plus unique et merveilleux, je veux à tout jamais garder de cette expérience des souvenirs magiques.

- Oui bien sûr, et puis la Kpop n'est pas réputée comme étant un univers tendre avec ses stars. Qu'est-ce que tu en penses ? »

Dois-je être honnête sur ce point ? Je pense oui, de toute façon ça paraîtrait suspect si je disais avoir des nuits de douze heure et du temps libre à foison.

« Par chance, dis-je, mon emploi du temps reste assez léger par rapport à ce qu'on pourrait craindre : je ne fais que danser et chanter, je n'ai pas de pubs à tourner et vous êtes les premiers à m'interviewer. Je peux ainsi me concentrer sur ce que j'ai vraiment à faire ici et j'ai le temps qu'il me faut pour composer mes prochaines chansons. Alors oui, il y a eu certains moments difficiles, des répétitions pendant lesquelles je me sentais physiquement épuisée, mais je tenais à aller au bout des choses, c'était en fait moi qui me mettais le plus de pression car, comme je n'ai qu'un mois à passer ici, j'en ai finalement assez peu de la part de l'agence et du groupe lui-même.

- Et les ARMY, comment t'ont-ils accueillie ?

- En majorité, très bien. J'ai entendu des mots vraiment gentils de la part de certains et à chaque fois ça me touche énormément. Mais une poignée d'autres...

- Oui ? demande-t-elle alors que j'hésite à poursuivre.

- J'ai été jugée, sans raison : des gens qui critiquaient juste pour le plaisir de savoir qu'on descend quelqu'un, rien de plus. Ça m'a fait mal, clairement, mais on ne m'a pas laissé baisser les bras, on ne m'a pas laissé les écouter, alors aujourd'hui, je me sens au-dessus de tout ça. Bien sûr, j'écoute ce qu'on me dit et je prends en compte chaque remarque constructive, mais je ferme les yeux sur les autres au lieu de me sentir vexée.

- Quelles critiques ? Qui t'a aidé ?

- On me trouvait trop corpulente pour apparaître aux côtés des BTS, et ce sont justement eux qui, quand ils ont vu que ça m'affectait, m'ont convaincu que ce n'était que des sottises.

- On a pu voir nous aussi ce genre de critiques sur les réseaux sociaux en faisant quelques recherches pour préparer notre reportage, chaque jour de nombreuses personnes se plaignent de voir quelqu'un de votre gabarit – pourtant tout à fait normal voire mince – sur scène. Qu'est-ce que vous voulez dire à ces gens qui jugent votre musique en se basant sur votre apparence ? »

Je me sens bouillir depuis qu'on a commencé à évoquer ce sujet et j'ai l'impression qu'une flamme de haine brûle en moi et me ronge. Mes poings se serrent, ma mâchoire se crispe. Qu'est-ce que je veux leur dire, hein ?

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