Chapitre 7
Les quelques jours qui me séparent du décollage de mon avion – je pars le douze juin à six heures et demie du matin – me paraissent horriblement longs. Je prépare mes affaires, fais mes valises et réunis mes chansons déjà écrites pour peut-être m'en inspirer. Par chance, j'ai déjà quitté le pays deux ans plus tôt pour aller en Espagne avec ma famille, de fait Aly et moi avons toutes deux un passeport encore valide.
Je n'ai pas l'habitude d'être loin de ma famille et je sais sans en douter que la séparation va être difficile. Mais ce qui se trouve à l'autre bout du monde est si excitant ! J'ai tellement envie de découvrir Séoul !
« Tiens Charlie regarde, j'ai mis tous mes clips préférés des BTS sur ton téléphone, comme ça tu pourras les regarder dans l'avion.
- Quelle touchante attention... »
J'ouvre mon téléphone et vais regarder dans mes vidéos : une dizaine de clips s'y trouvent. Je n'arrive pas à croire qu'elle ait réellement fait ça, quoiqu'en vérité, ça ne m'étonne pas vraiment. Je crois qu'Aly voit mon air dépité puisqu'elle ajoute :
« Non mais sérieusement, tu ne peux pas prétendre travailler avec les BTS si tu ne connais même pas leur musique autrement qu'à travers ce que je chante. »
Elle marque un point, je dois être capable d'écrire une chanson qui corresponde à leur style, je ne peux pas débarquer en ignorant tout de leurs précédentes compositions. Et puis ça m'occupera dans l'avion au moins ; je comptais essayer de dormir – le décalage horaire va faire très mal le premier jour je pense – mais si je n'y parviens pas, je saurai quoi faire à la place.
Chaque soir, je peine à m'endormir, excitée et effrayée par ce qui m'attend à l'autre bout du continent. Toutes mes journées se ressemblent et j'ai l'impression d'être prisonnière d'une boucle qui se répète chaque jour, comme s'il était impossible que je puisse atteindre le jour fatidique. C'est une éternité qui semble s'écouler entre le deux et le douze juin, une éternité que mon impatience ne fait qu'étirer encore et encore. Je n'imagine même pas dans quel état doit se trouver Aly, qui va devoir passer son baccalauréat en sachant ce qui l'attend. Je l'admire : à sa place je serais bien incapable de réfléchir ou de me concentrer sur quoi que ce soit.
Aly a annoncé à trois de ses plus proches amies ce qui allait nous arriver, leur donnant bien sûr la version « officielle » de l'histoire, omettant notamment de mentionner que c'est avec les BTS que nous vivront et non dans un appartement séparé. Les filles ont eu besoin de plusieurs jours avant d'y croire et sont ravies pour nous. Elles lui ont même demandé de leur montré toutes les photos qu'elle ferait avec le groupe. Aly a donc dû leur expliquer que selon le contrat, les photos devront être approuvées par ceux qui gèrent la communication avant d'être postées, donc qu'il n'y en aura peut-être que très peu d'elle puisqu'elle n'est ni danseuse ni chanteuse (j'ai prétexté dans mon mail qu'Aly m'aidait parfois pour les paroles ou la musique de mes chansons, ce qui est exagéré mais pas totalement faux, et puis ça rend sa présence à mes côtés un peu plus légitime). Bien sûr, connaissant Aly, elle se fera des dizaines d'albums photos de ses idoles et elle qu'elle gardera précieusement pour elle seule. Je ne pense pas que le label aura quoi que ce soit contre ça, surtout si elle le fait sans leur en parler.
La veille de mon départ, je vérifie au moins une dizaine de fois que j'ai bien tout ce qu'il me faut, mes valises rangées dans un coin de ma chambre. Aly est avec moi, elle ne me lâche plus depuis qu'elle sait qu'elle va me rejoindre, je ne sais pas trop pourquoi, peut-être parce qu'elle se sent plus proche de moi : on écoute ensemble ses chansons préférées, elle me parle un peu du groupe, mais j'ai beaucoup de mal à associer les noms et les visages des membres du groupe, alors quand elle me dit qu'un tel a fait ci ou qu'un autre a fait ça, c'est impossible pour moi de le retenir. Et Aly, très pédagogue, qui voit que j'ai déjà du mal avec les noms de scène, essaie en plus de m'apprendre leur vrai nom.
Ah ben c'est la cata, elle m'a complètement paumée...
Enfin, je me dis que de toute façon, j'apprendrai sur le tas, ce sera sûrement plus simple quand je les aurai en face de moi.
« Charlie, on va rencontrer les BTS ! »
Je suis athée, mais mon dieu, pourquoi moi ? Aly passe son temps libre dans ma chambre (enfin, son temps libre, c'est vite dit, puisqu'elle vient aussi y faire ses révisions), et ça me plaît de me sentir plus complice avec elle, mais pourquoi elle est obligée, toutes les cinq minutes, de hurler à l'idée de les rencontrer. C'est un peu extrême comme comportement. Même moi mon attitude se limite à un sourire stupide plaqué sur mon visage, de toute façon je n'aurais pas la force d'hurler comme elle le fait.
Elle étudie devant des vidéos des BTS en répétant qu'elle va bientôt les rejoindre, qu'elle a horriblement hâte de les rencontrer et qu'en même temps, elle sait que son euphorie la plongera dans le coma avant même qu'elle leur adresse le moindre mot. Franchement, je suis pressée qu'elle me rejoigne à Séoul juste pour la voir en mode ARMY fangirl, pétant complètement un câble à cause d'un simple contact visuel.
Mais plus elle me parle d'eux, plus elle me fait écouter leurs chansons, plus j'ai l'impression de devenir accro moi aussi. La différence, c'est que c'est à leur voix et leur style que je suis accro, pas à leur personne, du moins pas spécialement. Oui ils sont beaux et talentueux, mais je ne les connais pas, je vais quand même pas m'imaginer mariée à l'un d'eux...
« Mais Charlie, regarde comme il est beau Jimin ! »
Je la regarde d'un air qui se veut à la fois amusé et profondément désespéré tandis qu'elle me montre une photo du groupe. C'est lequel Jimin déjà ? Je n'ose même pas poser la question, elle va me tuer si je m'y risque : ça fait des années qu'elle a accroché ses premiers posters de ses idoles dans sa chambre, mis leur photo en fond d'écran de tous ses appareils, et moi je reste incapable de savoir qui est qui, et je ne suis même pas foutue de reconnaître son chouchou alors qu'elle me le montre au moins trois fois par semaine en essayant de faire entrer son visage dans ma mémoire.
Je parle à peu près correctement le coréen, faut pas trop m'en demander non plus.
« Je préfère l'autre moi... tu sais, le sucre. »
Aly lève lentement deux billes rondes aux iris clairs vers moi. Je sais que quand je veux l'emmerder, il me suffit de trucider le nom d'un des membres du groupe. Son air sérieux est franchement effrayant, si je ne savais pas qu'elle plaisantait, j'aurais une frousse horrible.
« Tu.vas.mourir. »
Je lui tire la langue, bondis de mon lit et fuis le plus loin possible de ma chambre, étouffant un éclat de rire. J'entends ma chaise de bureau rouler et les pas d'Aly retentissent derrière moi dans le couloir. Dans la tentative d'une souple course d'obstacle, j'esquive avec le plus d'agilité possible les décorations qui parent le couloir avant e m'aventurer dans les escaliers. Les pas d'Aly se font moins assurés avant de reprendre, plus rapides, quand elle s'élance à son tour dans les escaliers. Je négocie un virage approximatif et passe devant le salon et la cuisine ouverte, lançant un « Salut m'man » au passage.
« Bonjour Charlie. »
Elle ne lève même pas les yeux de son magazine, consciente que de toute façon, je ne fais que passer. Je termine ma course dans le jardin. Il est à peine dix heures du matin et il fait déjà chaud dehors, un grand soleil baignant de ses rayons brûlants le paysage matinal. Alors que j'avais oublié la raison de ma présence ici, « la réalité » me rattrape, me ceinturant brutalement avant de me plaquer au sol.
« Aly on avait dit pas de rugby à la maison ! m'écrié-je en riant.
- Et moi je t'avais dit de ne jamais écorcher le nom de mes bébés. »
Elle m'aide à me relever et plaque son portable devant mes yeux. Il y a la photo d'un des membres.
« Lui, c'est Suga ! Pas Sugar, et encore moins « le sucre » ! Compris ?
- Compris, du calme. »
Elle me tire la langue et fronce les sourcils, son nez adorable remonte légèrement, et quand enfin elle m'adresse un sourire, son unique fossette, sur sa joue droite, se montre. J'aime bien cette seule fossette qui la rend si spéciale. Le jour où elle s'est rendue compte qu'elle n'en avait qu'une, elle a passé un bon quart d'heure devant la glace à faire les plus grands sourires possibles pour voir si elle n'en avait pas sur l'autre joue.
Mais non, elle n'en a qu'une, je trouve que ça la rend mignonne.
« Je vais faire quoi sans toi, moi, pendant dix jours ? »
Je pose mes yeux sur elle tandis que nous remontons les escaliers. Est-ce qu'elle vient sérieusement de me demander ça ? Son regard sur le sol, je comprends rapidement qu'elle ne plaisantait pas. C'est vrai que nous n'avons pas l'habitude d'être séparées très longtemps et, même quand nous passons notre journée sans trop se voir, on sait que l'autre est là, à moins de dix mètres de nous. Ça, c'est parce que nous étions dans la même chambre, nous sommes restées très fusionnelles. Je souris avec tendresse et, alors que sa taille égale presque la mienne, je passe un bras autour de son épaule et pose ma joue contre son front.
« Moi aussi, je vais trouver ça bizarre de ne pas te supporter toute la journée, plaisanté-je.
- Par contre, si quand je te retrouve, je ne te parle pas trop, j'imagine que tu me comprendras.
- Sans problème, ris-je, tu passeras tout le temps que tu veux avec eux... après tout, c'est quelque chose qui n'arrive qu'une fois dans une vie.
- Et encore, une fois, c'était déjà inespéré. J'ai tellement bien fait d'apprendre le coréen. »
Dans un haussement d'épaules, je lève les yeux au plafond et referme la porte de ma chambre derrière nous.
« Ça avance les révisions ? lancé-je pour changer de sujet.
- Y a intérêt, ça commence le 18 juin. »
C'est vrai, Aly n'est pas en vacances mais en pleine semaine de révisions désormais : nous sommes le lundi 11 juin, ses épreuves commencent la semaine prochaine. J'essaierai de penser à l'encourager depuis l'autre bout du monde.
Quand le soir arrive, alors que nous avons passé l'après-midi dans ma chambre à travailler, Aly sur ses révisions (en chantant bien sûr), et moi sur l'apprentissage du piano. J'y ai plus de mal qu'à la guitare et ça me rend folle d'essayer certains accords sans réussir à les jouer correctement. Ma main droite répond parfaitement à chacun des ordres que mon cerveau lui envoie, mais ma main gauche passe son temps à essayer de se rebeller, elle est beaucoup moins habile.
Même Aly se fout de ma gueule...
« Comment est-ce que je suis censée trouver le sommeil, » grogné-je pour moi-même.
Mon avion part à 6h30 demain matin, ce qui signifie que je devrais arriver vers 18h, ce qui correspondra là-bas à une heure du matin à cause du décalage horaire. Au moins, contrairement à Aly, je ne ferai pas le voyage de nuit. Il faudra que je me souvienne du décalage, et notamment du fait qu'essayer d'appeler Aly à huit heures du matin ne servira à rien puisqu'il sera une heure (du matin toujours) en France.
Je tourne pendant plusieurs minutes dans mon lit, dans des positions de plus en plus étranges, espérant vainement trouver le sommeil. D'habitude, une dizaine de minutes me suffisent très largement (le sommeil, après la musique, c'est ma vie) mais je suis beaucoup trop impatiente à l'idée de m'envoler pour Séoul ! Après plus d'une heure, je m'endors enfin, mes rêves tournés vers l'est et toutes les merveilles que j'espère y trouver.
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