Chapitre 65
Nous nous asseyons sur nos lits respectifs, face à face, et Aly me bombarde de questions qu'elle m'avait déjà posées, espérant peut-être de nouvelles réponses. La plupart tournent autour de Jimin, bien sûr, mais parfois elle s'égare avec des questions à propos des autres.
« Et J-Hope il est comment en vrai ?
- Sympa, on ne parle pas énormément mais j'ai l'impression que dès que je suis un peu fatiguée il est là pour me remettre d'aplomb.
- Sérieux ? Et tu m'avais dit que c'était Suga que t'avais rencontré en premier, c'est vrai ? Tu l'as ressenti comment cette première rencontre ? Tu crois qu'il sera sympa avec moi ? »
Je souris, attendrie par l'air enfantin que lui donne son excitation. Aly ne changera jamais, ça c'est certain, alors je réponds inlassablement. J'aime bien essayer de me rappeler de tout ce qu'il m'est arrivé jusque là, ça me permet en quelques sortes de faire le point.
« Par contre il est bientôt quatre heures et moi je crève la dalle ! »
Aly se lève brusquement et file à la cuisine, moi sur ses talons. Elle ouvre le frigo puis fouille les placards. Elle trouve finalement les croissants de ce matin et en prend un au chocolat avant de m'en tendre un, s'asseyant à la table pendant que je prends place en face d'elle.
« Non merci, j'ai tellement mangé à midi que je pourrais exploser, même si je mangeais une fraise Tagada...
- T'es sérieuse ?
- T'aurais vu ça : Suga a pris mon assiette et en a mis une tonne dedans.
- Bah pourquoi t'as mangé ?
- Je ne voulais pas vexer Jin et Tae, en plus c'était super bon. »
Je déteste lui mentir.
« C'est ridicule, se moque-t-elle tout en avalant une bouchée de son croissant. Tu me feras toujours autant rire.
- Tu me rappelles pourquoi tu me manquais déjà ? la taquiné-je avec un faux air dépité.
- Parce que je suis ta petite sœur adorée et que je suis la seule à savoir ça ! »
Elle essuie du revers de la manche de son t-shirt BTS (eh oui, elle a osé) les miettes autour de sa bouche et se relève. Elle vient s'asseoir sur mes genoux et pendant que je passe mes bras dans son dos, elle passe de nouveau les siens autour de ma nuque. Ses mains effectuent de lents mouvements dans ma chevelure et cela m'apaise immédiatement, si bien que je blottis ma tête dans son cou en soupirant d'aise. Quand nous étions petites, nos parents avaient rarement des gestes d'affection envers nous, tout simplement parce qu'ils étaient rarement avec nous, mais chaque soirs, que l'on dorme ou non, ils venaient nous voir dans nos lits, nous embrassaient doucement sur la joue et laissaient leur main se promener dans nos cheveux avec une douceur qui nous prouvait leur amour, pour nous réconforter, nous promettant qu'ils seraient toujours là pour nous. De là, mon cerveau a fini pas associer ce geste à la tendresse de mes parents et chaque fois que l'une de nous est dans un mauvais jour, l'autre, par ce simple contact, l'apaise.
Quand elle se relève, elle me fait remarquer que mes cheveux sont plus doux et ma couleur plus lumineuse qu'avant. Je suis touchée et la remercie sans savoir trop quoi dire de plus.
J'ai beau voir la jolie jeune femme qu'elle devient peu à peu, elle est toujours à mes yeux la fillette qu'elle était, celle que je câlinais pour la réconforter avant qu'on aille se coucher, quand on savait que nos parents rentreraient trop tard et que, plongées dans un profond sommeil, nous ne sentirions pas la marque d'affection qu'ils nous accorderaient en nous regardant dormir. Elle sera toujours celle que je dois protéger.
Nous retournons dans la chambre et Aly se retourne subitement vers moi, venant de se rendre compte de quelque chose :
« Eh mais attends, on va dormir dans la même chambre, comme avant !
- Ouais, effectivement, acquiescé-je amusée.
- Mais c'est trop cool !
- Par contre pas dans un lit superposé cette fois-ci.
- Ni dans le même lit, » fait-elle remarquer avec malice.
Je la regarde, un peu étonnée qu'elle évoque ce moment difficile que je croyais qu'elle voulait oublier : adolescente, il est arrivé à ma sœur d'aller vraiment mal. Impuissante, je n'avais trouvé qu'une solution pour la consoler : dormir avec elle pour lui montrer que je serais toujours là et que moi, je ne l'abandonnerais jamais. Elle était et est encore ce que j'ai de plus précieux ; à cette époque, si j'avais dû choisir entre ce séjour d'un mois pour moi seule ou un sourire de ma sœur, je sais que j'aurais choisi de voir ma sœur sourire. Quand l'une de nous va mal, l'autre le sens, le sait, et va mal avec elle tant qu'elle n'a pas été en mesure de lui venir en aide. Nos parents absents ont fait que nous avons créé un lien vraiment spécial toutes les deux et je suis vraiment heureuse que malgré les années et le retour de nos parents, ce lien ait perduré.
C'est probablement avec le souvenir de cette période au fond de moi que j'ai accepté de dormir avec Jimin le jour où il allait mal. Je savais que c'était la meilleure chose à faire, ce qui pouvait le consoler au mieux.
J'ai alors l'idée de lui jouer ma deuxième chanson pour avoir son avis. Je vais chercher la guitare de Jin – que ma sœur perçoit immédiatement comme une véritable relique – et dans un sourire amusé, je commence à jouer avec une énergie plus importante encore que celle que j'y mets habituellement. La mélodie est puissante, joyeuse, et je vois les lèvres de ma sœur s'étirer en un joli sourire tandis qu'elle hoche a tête au rythme de la musique. Quand je termine elle applaudit chaleureusement et ne peut contenir son enthousiasme.
« C'est trop cool ! La première était sympa mais celle-là, je te prédis qu'elle va faire un malheur !
- Et ce sera un peu grâce à toi, la félicité-je.
- D'ailleurs, tu leur en as déjà parlé ?
- Euh...non pas encore, je voulais que tu sois là, je veux attendre le bon moment pour être sûre qu'ils acceptent tous et que l'on puisse faire pression sur ceux qui ont le dernier mot pour tous ces détails.
- D'accord, j'ai hâte d'assister à ça ! »
Je lève les yeux au ciel : son comportement ne m'aide pas.
« D'ailleurs maintenant que j'y pense, reprend Aly, l'assistant m'a dit que je devais aller voir le manager pour parler du contrat de confidentialité et tout ce bordel. Du coup j'assisterai pas à toute la répétition de ce soir, mais il m'a assuré que ça ne serait pas long.
- Cool, je veux que tu passes le plus de temps possible avec moi ! »
Je fais un grand geste avec les bras pour mimer mes mots et Aly part dans un rire trop mignon.
La discussion reprend, légère et joyeuse, pendant un certain temps. D'ici environ une heure et quart, les garçons reviendront. Je devrais peut-être parler un peu à Aly du genre de comportement qu'elle devrait adopter devant eux... En fait non, je lui fais confiance : quoi qu'elle fasse, elle saura s'attirer leur sympathie, j'en suis convaincue.
« On n'a pas beaucoup parlé hier et avant-hier, me fait alors remarquer ma sœur en passant du coq à l'âne, raconte-moi tout ce qu'il s'est passé. »
Je lui souris et lui raconte tout dans les moindres détails, mais je n'ai pas le courage de lui parler de l'obsession que j'ai si rapidement développée pour mon poids. Par chance elle ne m'a fait aucune remarque, elle doit mettre ma silhouette sur le compte du sport intensif. Elle ne me coupe que pour me dire qu'elle a vu sur internet que les coréens avaient adoré mon accent et que j'étais devenue la petite chouchoute de certains, même de personnes d'autres fandoms que l'ARMY.
« ...Et j'ai fait les cent pas jusqu'à ce que tu arrives, terminé-je en souriant.
- Tu... as... rencontré... Lisa ! Tu as son Skype ! Tu te fous de ma gueule !
- Calme-toi, t'as pas réagi comme ça quand je t'ai dit que j'avais le numéro de Jimin, Suga et V...
- Bah oui parce que c'est pas étonnant, il faut bien qu'ils puissent venir à ton secours le jour où tu seras en détresse.
- C'est à toi de te foutre de ma gueule, c'est ça ? ironisé-je. Même en détresse absolue je ne viendrais pas les faire chier avec mes problèmes.
- Toi et ta fierté à la con...
- Répète un peu ?
- Toi et ta... »
Elle n'a pas le temps de finir que je me suis déjà jetée sur elle pour la noyer sous les chatouilles. Elle se tient les côtes, se tortille et se débat comme elle peut – c'est-à-dire faiblement –, alternant entre les cris et les rires.
« Le jour où tu me feras ça devant lui, Jimin viendra à mon secours ! »
Je souris en imaginant que si cela se produisait vraiment devant lui, Jimin serait plutôt du genre à venir m'aider à la torturer un peu plus plutôt que de l'aider elle. Mais on va la laisser rêver, pour l'instant elle est dans sa petite bulle... qu'elle a décorée avec des tonnes de posters de Jimin (c'est obligé).
Je décide d'aller me changer pour revêtir ma tenue de sport, laissant Aly dans le salon devant la télé qui diffuse un drama – Aly n'en a jamais vu, mais j'ai réussi à la convaincre que ça pourrait lui être utile pour la compréhension du coréen.
« Charlie ! lance-t-elle depuis le salon. Je comprends rien à l'intrigue !
- Continue de regarder, tu recolleras les morceaux peu à peu !
- Mais il y a un mec bizarre qui s'époumone à courir à l'hôpital, sous la pluie, avec une fille blessée sur son dos... C'est pour les riches les ambulances en Corée ? »
Sa remarque me fait brusquement exploser de rire et je passe mon t-shirt avant de ressortir pour aller voir quel genre de connerie je l'ai poussée à regarder. Aly a l'air hypnotisée par l'écran lumineux et quand j'arrive, elle se décale pour me laisser un peu de place et tapote le coussin à côté d'elle, m'invitant silencieusement à prendre place. Je m'exécute sans discuter, trop curieuse, et regarde le drama avec elle.
On aurait pu tomber sur un bon nombre de dramas différents, allant du drama historique à un truc un peu plus thriller, mais nous on est tombées sur une romance à l'eau de rose. Ça pue l'amour à plein nez, c'est gerbant. Le gars est agenouillé face au lit d'hôpital de sa dulcinée, lui prenant la main et s'excusant pour je ne sais quel comportement.
« Et comment elle s'est retrouvée dans cet état ? soufflé-je à ma sœur.
- Elle marchait depuis quelques heures sous la pluie ; j'imagine qu'ici un rhume c'est un peu plus agressif qu'en France. »
Je souris de nouveau à sa blague : Aly déteste tout ce qui est cliché, et visiblement ce truc en déborde. Je n'aime pas non plus ce qui est banal, déjà vu et revu, et qui ne correspond en rien à la réalité.
« Ah c'est dégueu ! »
Quand le baiser entre les deux protagonistes se produit, l'innocente Aly détourne les yeux, très visiblement écœurée par ce qu'il se passe. J'avoue c'est pas mon délire, et je préfère observer la réaction exagérée de ma sœur plutôt que de regarder ce qu'il se passe à l'écran. Elle est trop mignonne à cacher ses petits yeux en amande, comme si elle voyait des obscénités à la télévision. Si elle n'avait pas une bouille aussi souvent enfantine, je ne le verrais peut-être pas comme mon tout petit bébé Aly à moi. Ses deux mains sur ses yeux, je vois ses doigts s'écarter progressivement puis libérer complètement sa vue quand elle constate que la scène est terminée.
Ce n'est que lorsque la porte s'ouvre, à six heures moins dix que j'éteins la télé et me lève. Aly reste bloquée au fond du canapé, le visage tout à coup figé sur une expression d'angoisse intense. Je pense qu'elle est en train de réaliser que ses sept stars favorites sont à moins de cinq mètres d'elle, qu'elle va les rencontrer et qu'ils vont la voir pour la première fois. J'étais sûre qu'elle allait avoir un bug, j'aurais dû parier avec les autres.
Je vais voir les garçons ; Jimin a l'air étonné de me voir seule.
« Tu n'étais pas supposée être avec ta sœur ?
- En théorie, si ; dans les faits, elle est restée clouée au canapé quand on vous a entendu rentrer.
- Oh, alors Aly est ici ! se réjouit Taehyung.
- Ouais. »
Une petite voix s'élève alors derrière moi :
« B... bonjour. »
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