Chapitre 44
Quelqu'un pose une main sur mon dos avec une douceur infinie et quand je lève les yeux, je reconnais Yoonsu, la jeune et jolie coiffeuse. Son regard révèle une grande tendresse et lorsqu'elle essaie de me rassurer en me promettant que tout se passera bien, je ne peux que soupirer : ça, tout le monde me l'a dit et répété, mais ce n'est pas pour ça que ça m'empêchera de paniquer.
Je m'apprête à lui poser une question, or elle s'éloigne de moi pour s'approcher de l'écran et l'allumer. Aussitôt, les images tournées par les caméras dans la salle nous sont retransmises... Parce qu'en plus on sera filmés ? On mon dieu je me sens mal. Respire Charlier, respire.
« Tu sais, reprend-t-elle en revenant, il faudrait que tu essaies de te laisser aller : les garçons semblaient un peu plus stressés que d'habitude, même s'ils essayaient de le cacher, et je crois que c'est toi qui les rendais comme ça.
- Ah bon ? demandé-je un peu embarrassée.
- Je ne te reproche rien, s'empresse-t-elle de dire avec douceur, je comprends complètement que tu sois morte de peur, à ta place j'aurais déjà fondu en larmes plusieurs fois, mais essaie d'être forte devant eux, car devant toi, les garçons ne voulaient pas montrer leur anxiété dans le but de ne pas t'effrayer davantage, et tout garder pour soi ça n'est pas forcément très bon.
- Je n'avais même pas remarqué que mon stress était contagieux, soupiré-je, je me sens un peu bête...
- Ce n'est rien, j'ai cru comprendre que ce serait la première fois que tu chanterais et danserais en public, alors bien sûr que ça va être dur à affronter. Mais tu sais, dans une salle comme celle-ci, tu ne verras qu'à peine le public, ce sera beaucoup moins effrayant que si tu étais devant une petite assemblée. Et puis, il y aura les garçons avec toi, alors il ne peut rien arriver. Tu vas voir : une fois que ça sera terminé, tu n'auras qu'une hâte : remonter une fois de plus sur scène. »
Elle sourit ; elle est très belle. Je reporte mon attention sur l'écran un peu plus loin, le show a commencé. J'ai l'impression que ma poitrine est compressée par l'angoisse, il faut que je pense à autre chose sinon je vais faire une nouvelle crise de panique.
« Tu travailles ici depuis longtemps ? lancé-je pour faire la conversation.
- J'ai commencé il y a huit mois.
- Et avant ça tu faisais quoi ?
- J'étudiais, tout simplement, c'est mon premier job. Je n'ai que vingt-trois ans tu sais.
- Sérieux ? Je t'aurais donné au moins deux ans de plus.
- Je dois bien le prendre ? s'amuse-t-elle.
- Oui, je veux dire que tu fais plutôt... femme.
- Oh, c'est gentil. Et toi alors, tu ne voudrais pas te lancer dans la musique ?
- Sûrement pas, grimacé-je, du moins pas avec un emploi du temps comme celui-ci, je suis tellement épuisée que je ne trouverais jamais le temps d'étudier. »
Elle rit et, tandis que la conversation se poursuit, j'arrive enfin à penser à autre chose, et puis sa voix mélodieuse ainsi que ses mots judicieusement choisis ont réussi à m'apaiser, le temps de quelques minutes.
J'essaie de regarder le moins possible l'écran, me mettant dos à lui pour parler avec Yoonsu qui, elle, n'arrête pas d'y jeter de rapides coups d'œil. En vérité, j'ai peur, si je vois une chorégraphie différente de celle que je connais, d'oublier complètement la mienne ou d'en confondre les pas avec d'autres. Je sais que c'est sûrement l'une des craintes les plus stupides que j'ai pu avoir aujourd'hui, mais quand j'ai peur, je deviens particulièrement irrationnelle.
Je répète, bois un coca pour me booster, répète encore, manque de m'effondrer en larmes à cause de la peur qui me tiraille, et le temps est complètement déformé, passant successivement bien trop vite puis bien trop lentement à mon goût.
« Charlie, vient annoncer un homme qui reste à l'entrée de la salle, c'est à toi dans un quart d'heure. »
Ma cage thoracique ne demande qu'une chose : exploser. J'acquiesce simplement et l'homme s'éloigne en refermant la porte, jetant un œil au bloc-notes qu'il tient dans la main en jetant de nouveaux ordres par-ci par-là. Mon nez commence à me piquer et ma gorge à se serrer tandis qu'une douleur lancinante me tord les boyaux. Je plaque mes mains sur mon visage et cette fois-ci, je n'arrive plus à retenir mes sanglots. Le stress me rend particulièrement sensible et si on ajoute à ça la fatigue accumulée ces derniers jours, ça n'est pas étonnant que je pleure pour un rien. Mais là je me sens vraiment mal, comme si j'étais absolument vulnérable.
Les quelques personnes présentes dans la salle n'esquissent pas le moindre mouvement quand j'ouvre des yeux rouges et embués, à part un maquilleur qui, catastrophé par mon état, vient essayer de me rassurer pour éviter que j'abîme son travail. Lui et Yoonsu m'accompagnent jusqu'à l'arrière de la scène ; je pose mon portable sur lequel était encore affiché le message de ma sœur et les suis.
Je n'avais jamais été derrière la scène, c'est impressionnant toute cette organisation. On se croirait dans une véritable fourmilière et rapidement, je ne sais plus où donner de la tête. Yoonsu s'écarte un peu pour vérifier que ma coiffure est en ordre, le maquilleur s'évertue à essayer de stopper mes larmes et les membres du staff n'arrêtent pas de se donner des ordres les uns aux autres. Ce job a l'air presque aussi stressant que celui de caissier au Mc Do à l'heure du coup de feu ; mais ici, tout est réglé, organisé au millimètre près, aucune faute n'est permise et toutes les équipes doivent travailler de concert. Il fait sombre, l'ambiance est électrique et les cris des fans me parviennent d'ici aussi distinctement que si j'étais dans le public. On me fixe un micro et on me donne une oreillette que j'ai quelques difficultés à mettre seule, sans prêter la moindre attention à mon visible état de stress intense que ces gadgets électroniques ne font que renforcer. J'ai l'impression que c'est normal pour eux de voir un artiste ainsi. Après quelques consignes supplémentaires auxquelles je prête une attention particulière (surtout quand on me dit de faire attention à ne pas glisser... la scène est glissante ? C'est sûr que je vais me péter la gueule, je suis une pro dans ce domaine), je vérifie que tout est bien installé et ne tombera pas quand je danserai. J'esquisse quelques mouvements pour m'en assurer tout en respirant lentement pour calmer mes larmes et ne pas être essoufflée avant même d'avoir commencé à chanter.
« Viens voir Charlie. »
Yoonsu n'attend pas mon accord pour attraper ma main et me tirer un peu plus près de la scène, juste devant l'escalier que j'emprunterai dans quelques minutes pour monter aux côtés de mes amis. Quelques marches de bois me séparent de ce qui a été mon rêve toutes ces années.
« Regarde. »
Elle m'indique la scène d'un mouvement de tête ; les garçons sont en plein milieu d'une performance, ils ont l'air de s'amuser. La chanson est légère, la chorégraphie est parfaite, comme toujours, mais laisse quelques brefs moments d'improvisation et de liberté qu'ils saisissent pour faire les idiots, comme à leur habitude.
« Une fois que tu seras sur scène, tu ne penseras plus à rien, une fois que tu commenceras à chanter, il n'y aura plus que toi et ce que tu as écrit pour faire rêver les autres. Cette chanson, c'est comme un bijou : il t'appartient, tu en fais ce que tu veux, mais si tu souhaites que les autres le remarquent, il faut que tu le mettes en valeur. Charlie, ta chanson est belle, je l'ai écoutée, et je suis sûre que ta chorégraphie est toute aussi incroyable. Tu ne danses pas aussi bien que les BTS ? Bah, peu importe ; si tu penses sincèrement que tu peux être fière de toi, alors personne ne pourra te faire croire le contraire. Aie un peu confiance en toi, éclate-toi, et tu verras que ça ne pourra que bien se passer. »
Elle passe son doigt au coin de mon œil pour écraser une petite larme et me sourit comme le fait ma tante quand je suis triste ou inquiète. Je comprends alors que personne ne pourra me rassurer, c'est définitivement mort de ce côté-là, mais ce n'est pas aux autres d'essayer de m'aider, c'est à moi. Je dois réussir à surmonter ça moi-même, à mettre ma peur de côté au lieu d'essayer vainement de la faire disparaître.
Je pousse un long soupir et hoche la tête, signe que je vais mieux. Yoonsu et moi retournons auprès du maquilleur qui fait tout pour cacher que j'ai pleuré quelques secondes plus tôt ; il a l'air assez satisfait de son travail et remercie la jeune coiffeuse de m'avoir aidée avant de m'encourager et de me confier qu'il est certain que tout se passera bien.
« Charlie, cinq minutes, » avertit le même homme que tout à l'heure.
Respire, mets ton angoisse de côté, fais en sorte qu'elle te rende forte, qu'elle te porte au lieu de t'écraser. Transforme-la en une énergie positive et tout se passera bien.
Mes sept amis descendent rapidement de scène pour se changer ; leurs vêtements leur vont vraiment trop bien, je suis jalouse. On leur apporte plusieurs bouteilles d'eau tandis qu'ils sont sur le point de remonter pour commencer notre chanson. Les voir prêts à performer cette chanson que j'ai écrite il y a des mois de ça, étrangement, ça me touche, ça me fait quelque chose. Je ne m'en étais pas rendu compte mais quand Yoonsu a dit que ma chanson était un bijou, je me dis qu'en vérité, elle était simplement une pierre brute que les BTS ont polie pour la sublimer.
« Prête Charlie ? lance Namjoon avec un sourire encourageant en ajustant sa veste bleu foncé.
- Oui, on va dire ça comme ça. »
En entendant ma réponse, il laisse son regard croiser le mien et, tandis que mes yeux sombrent jusqu'au sol, il vient se poster plus près de moi ; ses bras croisés contre son torse lui donnent un air déterminé. Je reste gênée quelques courts instants avant d'oser relever la tête.
« Avec un peu plus de confiance cette fois-ci : prête Charlie ?
- Oui, prête, affirmé-je avec toute l'assurance dont je suis capable de faire preuve.
- J'aime mieux ça. »
Il m'offre un sourire qui se veut réconfortant et un hochement de tête approbateur. Oui, il faut que j'essaie d'avoir confiance en moi, et personne ne peut m'aider, c'est à moi de faire des efforts et de prendre sur moi-même.
Tous les sept remontent sur scène en se motivant mutuellement. J'aime les voir aussi soudés, ça me donne l'impression de faire parti d'un groupe qui ne me laissera pas tomber si ça ne va pas et ça me rassure d'un côté. Et dire qu'après une semaine passée avec eux seulement, je me retrouve là, au pied de la scène, prête à les rejoindre ; c'est totalement fou, complètement absurde. Comment une semaine peut-elle passer si rapidement alors qu'elle est si chargée ? Oui, il y a une semaine, à cette heure, j'étais dans l'avion pour Séoul, mon rongeant les ongles, impatiente à l'idée de changer de vie. Et voilà, ma vie a changée.
« Charlie, une minute. »
Et tout a commencé avec une chanson, cette chanson. Tout a commencé avec ces paroles que j'ai écrites, cet air que j'ai composé.
Je monte lentement l'escalier face à moi avant de me placer sur le côté de la scène, d'où je peux voir les garçons sans que le public ne m'aperçoive encore. Je me risque à jeter un coup d'œil dans la salle ; effectivement, elle est grande. Bon, il n'y a pas non plus des dizaines de milliers de places comme dans les plus grandes salles de concert, mais on peut bien y faire tenir au moins cinq mille personnes je dirais. La salle est plongée dans la pénombre, on peut à peine y distinguer un visage. L'ambiance est au beau fixe, et je me surprends à sourire bêtement quand les fans entonnent en chœur avec les BTS le second refrain, même la partie en français. Je vais pleurer encore si ça continue, mais pour une toute autre raison que les fois précédentes. Les battements fous de mon cœur demeurent mais se taisent, remplacés dans mes oreilles par le brouhaha de la salle.
La voix grave de V s'élève et de nouveau, je prends une profonde respiration, dans environ sept secondes je vais devoir y aller. Au pied des escaliers, quelques personnes attendent mon entrée en scène avant de pouvoir se détendre ; notre manager semble serein mais je commence à le connaître un peu, et son pied qui s'agite sur le sol m'indique qu'il est tout sauf calme.
« À toi. »
Je m'élance sur la scène, abandonnant derrière moi l'ombre des coulisses pour me laisser absorber par la lumière des projecteurs.
Tu peux le faire...
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