Quand chacun repart de son côté réviser une chorée, relire des paroles en chantonnant tout bas ou simplement se reposer, je sens que toute mon anxiété revient en moi. Quatre heures. Bon, respire Charlie, tout va bien. Tu vas gérer, tu t'es tellement entraînée que tu pourrais faire cette chorée même sans musique et les yeux fermés, alors tu vas réussir.

Et puis au bout de vingt secondes tu commenceras à te poser des questions, à réfléchir et à te demander si tu es assez douée. À la vingt-deuxième seconde, tu sentiras un boule prendre forme dans ton estomac, la peur, et elle te fera croire que tu ne vaux rien, alors trois secondes plus tard, tu rejoueras ton passage sur scène dans ta tête pour essayer de voir si tu as fait une faute, et c'est exactement à ce moment là, à la vingt-cinquième seconde, quand tu seras déconcentrée, que tu vas lamentablement te ridiculiser, attirant sur toi les regard, les rires et la honte.

Sans blague faudrait que ma conscience pense à fermer sa gueule parfois...

Pense à autre chose, Charlie, pense à autre chose, arrête de regarder cette foutue horloge. Pourquoi est-ce que j'ai l'impression qu'une minute passe horriblement lentement et qu'en même temps, on arrive beaucoup trop vite au moment fatidique du concert ? Pourquoi est-ce que cette boule qui grossit en moi me donne envie d'aller vomir ?

Merde, pourquoi est-ce que je ne peux pas avoir un peu plus confiance en moi ! Je tremble comme une vulgaire feuille morte maltraitée par le vent, c'est absolument ridicule !

Je sais ! Il faut que je répète pour me convaincre que je vais y arriver ! Aussitôt pensé, aussitôt fait : dans un coin de la pièce je fais ma chorée, encore et encore, pendant plus d'une demi-heure, soufflant entre mes lèvres mes paroles. Oui, voilà, pas une faute, pas un oubli, comme si c'était un réflexe ! Parfait !

Le manager me coupe dans mon élan quand il arrive avec plusieurs membres du staff et nous demande de venir nous habiller. Nous nous rendons dans une salle équipée de plusieurs paravents et d'un large choix de tenue. Ce soir en revanche, aucune chance qu'on accepte que je change les plans à la dernière minute : tout a été prévu et il n'y a aucun vêtement supplémentaire. Par chance, quand je découvre les tenues que nous porterons pour ma chanson, je suis soulagée : des vêtements sobres et tous accordés. Nous porterons tous la même tenue ou presque : un t-shirt très léger bleu pâle avec quelques motifs noirs assez discrets, par-dessus lequel les garçons auront une veste bleue foncée qui les mettra en valeur tandis que moi je n'en porterai pas, pour me distinguer du groupe. Nous serons aussi vêtus d'un slim noir fait d'une matière que le fait de danser n'abimera pas et pour finir, nous aurons tous des baskets de ville en cuir bleu foncé et noir. Pour ce qui est des accessoires, on me donne une lentille noire ainsi que la chaînette avec un cœur que Taehyung m'avait trouvée pour tourner le clip. Les garçons, eux, ont différents accessoires que je ne m'embêterai pas à lister : bagues, bracelets, colliers, boucles d'oreille et piercing, il y a un peu de tout.

Pour lors, il n'y a que moi qui suis habillée de cette façon : puisque ma chanson est la dernière, le groupe s'habille différemment pour l'instant. Ils sont beaucoup plus classes, c'est impressionnant.

Je me change rapidement et félicite l'équipe car ces vêtements me vont vraiment bien (je suspecte le manager d'avoir demandé de nous faire porter des t-shirt relativement longs pour cacher mes formes...). Je leur suis reconnaissante de ne pas avoir essayé de me transformer en ce que je ne suis pas, je ne sais pas si je l'aurais bien pris, d'autant plus que depuis quelques heures, je suis un peu sur les nerfs, et je pense que voir une tenue aussi ridicule que l'autre fois m'aurait fait craquer de nouveau.

En revenant dans notre salle commune, je me dirige vers un miroir pour mettre me lentille. C'est drôle de me voir avec des yeux vairon, ça donne un côté... je ne sais pas, mais j'aime bien. Je me regarde pendant quelques secondes : entre le maquillage, la coiffure, les lentilles et les habits, je me reconnais à peine. Charlie, où es-tu ? Cachée sous cette apparence d'idole, tout simplement. C'est dingue, je ne pensais pas qu'on pouvait artificiellement changer à ce point l'apparence d'une personne. Sans rire, si un garçon tombait amoureux de moi en me voyant comme ça, il faudrait que je le prévienne qu'il y a pub mensongère, je suis largement moins jolie au naturel.

Je me sépare enfin de mon reflet, je n'arrivais plus à m'en détacher, j'avais vraiment l'impression de voir une autre personne et ça me perturbait complètement... Les garçons arrivent enfin, ils ont été plus longs à se changer à cause de leur tenue plus complète que celle que je porte.

« Qu'est-ce que vous êtes élégants, les complimenté-je, ces tenues sont faites pour vous ! »

Jungkook me dit, tout content, que c'est parce qu'ils vont commencer par Blood Sweat And Tears... mais je ne sais pas de quelle chanson ils parlent alors j'acquiesce avec un sourire idiot. Je crois que je vois un peu le refrain... enfin je crois. Alors quand de nouveau nous repartons tous à nos occupations, la première chose que je fais c'est de m'asseoir paisiblement et d'aller regarder sur Youtube de quoi ils parlent. Effectivement, c'est exactement ce genre d'habits qu'ils portent ; bon sang, je ne savais pas que des garçons pouvaient aussi aisément mêler élégance et sensualité.

Ok je suis hypnotisée, je dois avoir l'air con, mieux vaut que j'arrête de regarder ça. Je mets en pause et laisse mon portable s'échouer à côté de moi.

« Oh c'est con, je voulais voir la suite moi... »

Je manque de faire un arrêt cardiaque en entendant la voix de Jin soupirer ça pas très loin de mon oreille. Je fais brusquement volte-face et sur le coup, je ne sais pas quoi dire.

« Quoique non en fait, c'est un peu gênant pour moi la suite, j'aime pas trop. T'as bien fait d'arrêter là. »

Je continue de le dévisager sans savoir quoi dire : je m'en fous que le clip soit gênant pour lui, est-ce qu'il sait au moins à quel point il m'a fait flipper ? Enfin bon, je sais que ça ne se voit pas vraiment quand je sursaute, mais mon visage choqué devrait quand même lui indiquer que je ne m'attendais pas à le voir.

« Je... je voulais simplement revoir le clip, balbutié-je un peu honteuse.

- T'inquiète, tu ne savais même pas nos noms au début, alors on ne peut pas t'en vouloir de ne pas maîtriser toutes nos chansons.

- Oh mais tu sais, je les ai presque toutes écoutées, m'empressé-je de dire, Aly me les a envoyées et quand j'ai le temps, j'en écoute.

- Je crois que je vais bien aimer ta sœur.

- Vous allez tous l'adorer, je peux te le garantir. »

Il s'apprête à répondre quand Yoonsu, la coiffeuse, vient timidement lui faire remarquer que le fait de s'être changé a dérangé quelques mèches. Jin se laisse faire pendant qu'elle soigne sa coiffure et elle passe rapidement à moi ensuite, pour corriger quelques petites mèches folles, avant de s'en aller vers d'autres membres.

D'accord, donc vu son regard, c'est obligé elle est dingue de lui. Et vu son regard, c'est obligé il est dingue d'elle.

Ah c'est trop chou !

Je ne lui fais aucune remarque et la discussion reprend entre nous deux. Jin avoue qu'il a bien vu que j'étais terrifiée à l'idée de monter sur scène – ça n'a échappé à aucun des membres, pas même à Suga qui pourtant semble avoir dormi tout l'après-midi – mais d'après lui, le seul moyen de dépasser ça, c'est d'accepter le risque et de se dire que pour réussir, il faut tout donner. Il me fait promette de me donner à cent pourcents ; je le lui promets.

Quand il s'en va, j'en profite pour me reposer un peu sur le canapé que Suga a enfin déserté. Contrairement à lui, je ne m'étends pas de tout mon long comme une énorme masse informe et sans consistance, je me cale confortablement, assise contre le dossier et l'accoudoir. Ciel ce que ça fait du bien...

« Je vais aux toilettes deux minutes et on me pique ma place, ronchonne Yoongi alors que je commençais à somnoler.

- T'avais qu'à ne pas partir, ça t'apprendra à vouloir aller pisser. »

Je ferme les yeux après lui avoir offert un clin d'œil moqueur et au bout de quelques secondes, je sens un poids s'abattre brutalement sur mes jambes. J'ouvre brusquement les paupières

« Non mais ça va pas, bouge tes pieds d'ici !

- T'avais qu'à ne pas venir, ça t'apprendra à vouloir me voler mon canapé. »

Sale con, il a de la chance que je l'aime bien.

Je repousse ses pieds. Eh sans rire, en entrant dans l'appartement il retire toujours ses chaussures mais quand c'est pour les poser sur mes genoux, tout de suite il s'en fout, il les garde. S'il salit mon pantalon, je le dérouille. Mais ce n'est pas pour ça que je vais me lever, il peut rêver : je ferme de nouveau les yeux et replonge rapidement dans une légère torpeur qui me permet de récupérer quelques minutes de sommeil sur toutes les heures que j'ai perdues cette nuit. Mes huit heures de sommeil me manquent un peu plus chaque jour, ce n'est pas humain de nous faire ça...

Je suis réveillée en sursaut quand la porte s'ouvre pour laisser entrer toute l'équipe. Je jette un coup d'œil à l'horloge avant de reporter mon attention sur ceux qui viennent d'entrer et... WHAT ! Oh la merde il est sept heures moins vingt !

Ok Charlie, ne panique pas, ne panique pas, ne panique pas...

Mais pourquoi je panique autant moi !

Quelle idée aussi de m'endormir ! J'aurais dû réviser ma chorée et ma chanson, je ne suis pas prête, c'est impossible que je monte sur scène dans à peine trois heures, je n'y arriverai jamais ! Non mais il faut que mon cœur se calme sinon il va vraiment finir par exploser... en plus il bat si fort que c'est sûr que Suga peut l'entendre... et comment il fait pour continuer de dormir alors que tout le monde s'agite autour de nous !

Je pousse ses jambes sans faire preuve de délicatesse, ce qui le réveille enfin. Tous s'équipent de micros et d'oreillettes, ils ont l'air de commencer à stresser un peu, je sens l'ambiance plus tendue. Ça leur donne un air pro, un air de star, ils ont trop la classe putain je suis carrément jalouse. Des ordres fusent de toutes parts, mêlés aux voix de certains garçons qui s'échauffent rapidement. C'est comme si toute la fourmilière s'était retrouvée ici. Pourquoi les voir anxieux ça me rend encore plus mal qu'avant ? Pourquoi je trouve cette question stupide ?

Mon cœur va me lâcher, je suis sûre qu'après à peine un pas sur scène je vais m'écrouler... La tristesse, je vais me taper la honte de ma vie. Je veux mourir tout de suite !

Mon portable vibre alors que j'étais en train de supplier une entité supérieure de m'emporter loin d'ici. Un sourire attendri prend place sur mes lèvres et je me sens finalement un peu plus légère. Je relis plusieurs fois le message silencieusement : « Salut Charlie ! Je sais que ton concert va bientôt commencer, je suis sûre que tu vas tout déchirer, d'ailleurs t'as intérêt à tout déchirer, sinon je te jure que je rate mes dernières épreuves pour venir te tuer de mes propres mains, hihi. ^^ Mais à part ça je t'aime, et en passant, je sais que ça ne t'intéresse pas trop parce que je te connais, tu es en train de mourir de peur, mais de mon côté je tiens à te rassurer : le bac se passe bien, en plus on nous donne tellement de brouillons que quand j'ai un peu de temps devant moi, je dessine des logos BTS partout dessus, c'est drôle. XD Gros bisous, déchire tout ! Eh t'as vu ça rime, trop la fierté. :P »

Si Aly croit en moi, si les garçons aussi croient en moi, si tous ceux qui m'entourent me répètent que je peux le faire, alors peut-être que oui, je peux y arriver. Inlassablement, je relis chacun de ses mots, essayant d'apaiser les battements fous de mon cœur tant bien que mal.

« Les garçons, c'est à vous dans cinq minutes, allez-y. »

Je regarde les sept amis sortir de la salle pour se rapprocher de la scène, suivis par des coiffeurs et des maquilleurs inquiets de l'état de leurs petits protégés. Sans rire, avec le nombre de retouches qu'on a subies, je comprends qu'on nous maquille le matin, ça ne serait pas possible sinon de faire tout ça avant le concert.

« Bonne chance, lancé-je.

- On se retrouve sur scène, » lance Namjoon avec un sourire à la fois sincère et rassurant.

J'acquiesce et, quand je me retrouve seule avec quelques personnes dont j'ignore jusqu'à la fonction ici, je plonge ma tête dans mes mains ; j'ai beau tenter de me rassurer depuis ce matin, mon cerveau n'arrête pas de me répéter « mais qu'est-ce que je fais ici moi... ? »