Chapitre 4

Je lis en coréen, à voix haute ; éblouie par la lumière vive de mon portable, Aly ne peut pas en fixer plus de quelques secondes l'écran et, les yeux plissés, elle tente tant bien que mal de suivre ce que je lis. J'étouffe quelques éclats de rire nerveux et lorsque je termine ma lecture, ma sœur et moi échangeons un regard de pure incompréhension mêlée à une joie immense. En dépit de l'obscurité, je peux presque voir ses yeux briller.

« Putain Charlie ils sont d'accord ! hurle-t-elle.

- Oui mais ils ont posé de nouvelles conditions.

- Mais on s'en fout c'est rien ces conditions, tu te rends compte de ce que ça, ça veut dire ! »

Non, je crois que non, je ne m'en rends pas encore bien compte. Convaincue qu'on nous refuserait ce qu'on demanderait, Aly et moi avons posé des conditions, certes moins lourdes que des dizaines de milliers d'euros de dédommagement, mais...

« Réveille-toi un peu Charlie ! Je sais bien qu'on te propose désormais une toute petite somme d'argent, mais tu te rends compte que t'as obtenu un séjour d'un mois avec les BTS pour travailler sur deux chansons de plus avec eux ! Et puis tes droits d'auteur rétablis, tu te feras bien plus d'argent grâce à tes textes, tu vas même apparaître dans les trois clips, c'est incroyable !

- Tu ne veux pas que je signe ce contrat parce que j'ai ajouté la condition que tu me rejoignes à Séoul avec les BTS dès l'instant où les écrits du bac seront finis, par hasard ?

- Si, aussi, mais c'est toi qui l'as demandé, alors maintenant tu dois accepter.

- Je sais bien. Je signe tout de suite.

- Ah Charlie je peux pas y croire ! »

Aly me saute dans les bras en hurlant. On peut presque entendre nos cœurs bondir dans nos poitrines, sur un petit nuage. Tout va si vite, c'est comme si la vie que j'avais toujours vécue s'effondrait du jour au lendemain. Nos parents, furieux, nous aboient quelque chose depuis leur chambre.

« On devrait faire un peu moins de bruit, » rit Aly.

Je ne comprends pas très bien pourquoi la personne avec qui nous avons parlé a si facilement accepté nos conditions. Ce n'était même pas de la négociation à ce niveau-là. Enfin, après tout, ce que nous avons demandé avantage énormément la maison de disque : je vais recevoir très peu d'argent alors même que je vais participer à trois chansons qui, chantées en petite partie en français, si elles ne leur plaisent pas, vont en tous cas à coup sûr intéresser les ARMY francophones. Ce que j'y gagne, c'est un petit millier d'euros et l'assurance que je pourrai faire connaître mon nom grâce à mes chansons qui me rapporteront chacune un peu d'argent sur les bénéfices qu'elles engendreront. J'y gagne aussi un séjour d'un mois tous frais payés à Séoul avec les BTS, et la certitude que vu le cadeau que je viens de lui faire, Aly acceptera que je ne lui offre plus rien pour son anniversaire pendant des années. Voir les BTS aurait déjà été incroyable pour elle, mais pouvoir les côtoyer pendant plusieurs semaines, c'est un rêve qui se réalise.

Je n'arrête pas de me répéter qu'il s'agit certainement d'un canular, qu'il est impossible que je ne sois pas en train de rêver. Certes, j'ignore tout des BTS, mais pouvoir chanter à leurs côtés pourrait m'apporter tellement ! Je pourrais peut-être être reconnue en tant qu'auteure et travailler dans la musique, ce serait tellement génial ! Je relis le contrat plusieurs fois, le signe, le scanne et le renvoie, après quoi Aly s'en va de ma chambre. Ce document m'a l'air authentique, on va bien voir ce que ça donnera.

Incapable de dissimuler mon excitation, j'ai horriblement envie de bouger. Je saisis aussitôt ma corde à sauter et mon MP3 puis fais plusieurs dizaines de minutes de cordes, entrecoupées de quelques pauses. Pourvu que ça ne soit pas un rêve !

Quand ma corde vient frapper mes pieds seulement recouverts par des chaussettes, je grimace : au moins c'est sûr, je ne rêve pas. Ah putain ça fait mal la réalité parfois...

« Charlie, viens voir ça ! »

C'est un peu avant midi que ma sœur m'appelle depuis sa chambre. Son ton pressé me pousse à m'y rendre précipitamment. Elle est sur son téléphone, ses écouteurs toujours dans les oreilles. Comme chaque fois qu'elle sait qu'elle va passer la journée à la maison, elle s'est attaché les cheveux pour ne pas les avoir dans les yeux : elle est coiffée d'un chignon strict qui lui donne un air sérieux. Elle débranche ses écouteurs et tourne son smartphone vers moi, des étoiles semblent illuminer ses yeux azur.

« C'est la chaîne Youtube de la Big Hit, je la suis depuis le début des BTS. Regarde. »

J'obéis. La vidéo est sous-titrée en anglais ; étant en plein écran, je n'en vois pas le titre. L'homme qui parle est présenté comme producteur de la Big Hit. Aly me confirme d'un hochement de tête que c'est bien lui, d'autant plus que derrière lui, les sept BTS sont assis et hochent régulièrement la tête à ce qu'il dit. La vidéo progresse et mes yeux s'ouvrent en grand, j'ai presque l'impression qu'ils vont quitter mes orbites : le label vient juste d'annoncer que les paroles de ma chanson n'avaient pas été écrites par les BTS mais envoyées par une fan qui espérait se faire connaître. La chanson aurait plu au groupe qui aurait alors décidé de la modifier suffisamment pour qu'elle corresponde à leur style, simplement pour s'amuser, pas dans l'optique de la sortir ensuite. Cependant, suite à un quiproquo, une version démo qui n'était pas censée paraître a été diffusée à la place d'une autre chanson écrite par le groupe. À la fin de la vidéo, le producteur assure s'être entretenu en personne avec l'auteure réelle de la chanson et avoir réussi à obtenir qu'elle écrive deux nouvelles chansons pour le groupe, ce qui composerait alors une petite suite de trois chansons qui raconteraient une histoire d'amour vécue de la rencontre à la séparation. L'auteure composera donc en collaboration avec les BTS pendant un mois entier afin de parfaire les textes et les mélodies.

Les faits ont été très largement déformés, conformément au contrat. Ouah... merde alors, c'est vrai. Je vais rencontrer les BTS. Eh mais attends...

« D'où je vais écrire une relation de trois chansons entre un garçon et une fille ? m'étonné-je. C'est précisé nulle part.

- Bah maintenant c'est annoncé, t'es obligée de faire ça, sourit Aly. Fais pas ta tête de mule, je suis sûre que sept garçons n'auront pas de mal à t'inspirer pour une histoire d'amour. Et puis de toute façon, c'est sur ce sujet que tu passes ton temps à écrire, je te rappelle.

- Ouais mais même, ça fait cliché la chanson d'amour...

- Ça va devenir célèbre et c'est même pas foutu de se réjouir, grommelle Aly.

- Et puis merde t'as raison, c'est un truc de fou qui va nous arriver, tu te rends compte ! Depuis le temps que tu me fais chier avec ce groupe je vais enfin pouvoir le voir autrement. »

Ma sœur rit à ma remarque. Une pulsion d'euphorie me prend. C'est absolument fou, je peine à y croire ! Je prends le contrat que j'ai signé et file voir ma mère pour tout lui expliquer. Convaincue que j'étais que je parlais avec quelqu'un qui se moquait de moi, je ne lui ai rien dit de tout ça avant.

Je la trouve dans la cuisine, affairée au-dessus du plan de travail en imitation marbre à découper des carottes (non mais parce qu'à part la purée de carottes et de pomme de terre, ma mère c'est une catastrophe ambulante derrière des fourneaux), l'air concentré sur sa tâche, ses cheveux ramenés en une queue de cheval derrière son crâne. Je la vois rarement avec cette coiffure, même si je trouve que ça lui va mieux que les cheveux détachés.

« Maman il m'arrive un truc de fou !

- T'as enfin décidé d'avoir des amis ?

- T'as vraiment un humour de merde le matin toi...

- Moi aussi je t'aime ma chérie. »

Ma famille n'est pas normale... qu'est-ce que je les aime.

« Je vais à Séoul la semaine prochaine et pour un mois !

- C'est bien ma chérie, ironise ma mère sans lever les yeux de ses légumes, t'amèneras ta sœur avec toi, d'accord ?

- C'est prévu, mais après ses écrits.

- Bien sûr, il y a des priorités dans la vie. »

Je lui mets alors le contrat sous le nez.

« Je vais composer des chansons, tous frais payés. »

L'air rieur de ma mère s'évapore quand elle commence à lire le document, ses doigts fins veillant à ne pas l'abîmer. Elle fronce les sourcils ; ce n'est pas bon signe, elle doit croire que c'est une arnaque.

« Tu te fous de ma gueule Charlie ? T'es vraiment sûre de toi ? C'est pas un piège pour t'attirer dans je ne sais quel pays et te kidnapper ?

- Tu crois quoi ? Aly et moi on a la preuve en vidéo que ce ne sont pas des conneries. »

Ma mère, une grande brune aux yeux sombres (ma sœur et moi ressemblons à notre père, pas à elle), ne trouve rien à redire, se contentant de relire encore et encore le papier. Elle a travaillé dans l'administratif, je sais qu'elle est en train de chercher des preuves que c'est un faux contrat. Elle a l'air complètement abasourdie et je pense que comme moi, elle ne se rend pas vraiment compte de ce qu'il se passe.

« Mince alors... mais comment c'est arrivé ?

- C'est une longue histoire, mais disons que le label a bien aimé ma première chanson et voudrait que j'en écrive deux autres.

- Tu fais ce que tu veux chérie, t'es majeure. Mais tu es vraiment sûre de toi ?

- Oui. Je veux y aller. Chanter avec les BTS, ce n'est pas franchement mon rêve, mais ça pourrait me permettre de réaliser le mien. Tu sais que j'ai toujours voulu chanter. Et puis un mois, ça n'engage à rien, surtout un mois de grandes vacances. Je reprendrai mes études en septembre, comme si rien ne s'était jamais passé, tu sais que je compte aller au moins jusqu'au master, donc quand bien même je réussirais miraculeusement à percer dans ce milieu, je ne compte pas arrêter d'étudier pour autant. »

Avec ces arguments, elle ne peut pas me refuser ça... Et puis elle a toujours l'air de ne rien comprendre de ce qu'il se passe, elle reste muette pendant plusieurs secondes et je soupçonne son cerveau de s'être provisoirement déconnecté. Elle me pose mille et une questions à propos de ce contrat et demande même à voir la vidéo que je lui montre alors, et même si elle ne semble toujours pas y croire vraiment, au terme d'un temps fou elle finit par lâcher :

« Fais comme tu le sens Charlie, de toute façon si la Corée ne te plaît pas, tu sais que tu peux revenir quand tu veux, on n'a pas besoin de tout ça pour être fiers de toi.

- Je le sais déjà ça. »

Après un sourire sincère, je repars en trottinant dans ma chambre. Je vis un rêve éveillée !

Revenue sur mon lit, j'allume mon ordinateur ; un nouveau mail m'est adressé par le producteur, il ne traîne pas au moins. En pièce jointe, je trouve mon billet d'avion : je pars le 12 juin pour Séoul, il faut par ailleurs que je communique les dates d'examen de ma sœur pour qu'il puisse lui prendre un billet dès la fin des écrits. D'après la date qu'elle me donne quand je lui pose la question, elle devrait pouvoir me rejoindre dans la journée du 23 juin, ce qui lui laisserait très largement le temps de profiter de son séjour, puisque nous quitterons le groupe le 12 juillet.

Je réponds au mail et, toujours sur mon nuage, j'ai envie de hurler ce qui m'arrive sur tous les toits. Mais il y en a un particulièrement qui m'intéresse ; je n'hésite pas longtemps avant de m'habiller, d'enfourcher mon VTT et de m'élancer sur la route, ayant préalablement prévenu ma mère que j'allais chez tata Irène, la sœur de mon père, qui vit à une demi-douzaine de kilomètres de chez nous.

Le temps est plutôt sombre et la chaleur devient étouffante très rapidement. Qu'est-ce que je déteste l'été, il n'y a bien que les vacances qui sont plaisantes dans cette saison. Je supporte le froid rude de l'hiver sans mal, mais j'ai beaucoup plus de mal en ce qui concerne les températures au-delà de vingt-sept degrés Celsius. J'ai l'impression qu'une enclume de chaleur pèse sur mes épaules et à plus d'une reprise, ça m'a poussé à m'endormir en cours, sous les regards amusés de mes camarades qui n'avaient alors rien trouvé de mieux à faire que de me prendre en photo. Enfin, on s'aimait bien malgré tout, même si je n'ai plus de contact avec un seul d'entre eux aujourd'hui.

Par chance, une pluie fine vient me rafraichir alors que je ne suis plus qu'à quelques rues de chez ma tante, couverte d'une fine pellicule de sueur alors même que je roulais sur un terrain plat.

Je laisse mon vélo sous un petit abri de bois, dans le jardin de derrière, et reviens sonner.

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Oui je sais, quatrième chapitre et toujours pas de trace des BTS, mais je préfère prendre mon temps pour faire en sorte que ça soit plausible (à défaut de l'être vraiment), et donc que ça soit meilleur. Mais ça ne tardera plus trop, promis (juste encore quelques chapitres XD).

Merci aux rares personnes qui ont le courage d'avoir lu jusqu'ici, j'espère que la suite vous plaira. ;D

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