Chapitre 34
Quand enfin je peux venir tourner, je m'empresse de rejoindre le groupe. Pour l'un des seuls plan où je serai avant que ne début le dernier refrain, je marcherai, dos à la caméra, et les garçons se tourneront vers moi comme s'ils se demandaient qui j'étais. Ce sera le premier plan du clip, en théorie. S'ensuivent tous les plans où je n'apparais pas, puis un nouveau plan de moi et l'un d'eux seulement : je serai de dos, appuyée contre un arbre, les yeux levés vers le ciel comme si je rêvassais. Tae devra ensuite s'approcher de moi et poser sa main sur mon épaule, suite à quoi je me retournerai et le regarderai dans les yeux ; ces images seront utilisées pour le moment où il chante juste avant que je n'arrive.
Nous commençons par le plan qui servira d'introduction au clip. Les sept amis sont face caméra et font semblant de discuter et de se taquiner pendant que moi, j'essaie de marcher le plus normalement possible. Mais c'est nul.
« Charlie, tu es plus tendue que la corde d'un arc, sois plus naturelle, lance le metteur en scène.
- Plus facile à dire qu'à faire, » grommelé-je.
Après quelques prises, c'est finalement bon et quand je vois les images, je constate qu'effectivement, j'avais une démarche ridicule au début. Quelle honte, je ne suis même pas capable de marcher correctement, heureusement que je n'avais pas pour ambition d'embrasser la carrière d'actrice...
Vient le tour de la scène suivante. J'appuie mon bras contre un arbre et lève les yeux sur l'étendue bleue du ciel. J'entends V arriver derrière moi et quand je sens sa main se poser sur mon épaule, je ne suis même pas retournée que je laisse échapper un éclat de rire.
« Ok coupé, soupire le metteur en scène. Charlie, qu'est-ce qu'il t'arrive ?
- Désolée, bafouillé-je, c'est rien.
- D'accord, on recommence. »
J'y peux rien, j'étais en train de m'imaginer me retourner comme dans un mauvais film, mes cheveux courts se ondulant légèrement à cause du vent, avec sur le visage une expression ridiculement niaise et exagérée. J'essaie de reprendre mon sérieux, ce serait quand même dommage qu'on passe un temps fou sur cette prise par ma faute.
Je me remets en place et de nouveau, les pas de V se font entendre. Je mords ma lèvre pour ne pas rire et quand il pose sa main sur mon épaule, je me retourne et tente de le fixer dans les yeux, mais l'autre débile me fait une grimace !
« C'est pas du jeu ! lancé-je en éclatant de rire.
- Un problème bébé Charlie ? demande Tae innocemment.
- À peine, tout va bien. »
Les trois essais qui suivent, je n'arrive pas à regarder V dans les yeux sans rire en me remémorant sa grimace, en plus de quoi lui aussi il commence à rire quand on essaie de se fixer, c'est n'importe quoi. Après une dizaine de minutes à essayer de retenir nos fous rires, le metteur en scène nous accorde une pause. Je donne un coup sur l'épaule de Tae.
« T'es vraiment stupide, je vais jamais réussir à te regarder dans les yeux moi !
- Mon regard est si déstabilisant ? me taquine-t-il en souriant.
- Mais je ne parlais pas de ça idiot !
- Ah bon ? »
Il attrape mon menton entre son pouce et son indexe et me force à lever les yeux vers lui. Quand je croise son regard, j'ai juste envie de pouffer.
« Arrête, je réussirai jamais à m'empêcher de rire.
- Tu crois... ? »
Sa voix grave et son air posé me font aussitôt redevenir sérieuse et je me sens rougir brutalement. Je baisse les yeux et m'écarte brusquement de lui, le repoussant en plaquant mes mains sur le t-shirt qu'il porte sous sa chemise ouverte.
« Arrête, me renfrogné-je, j'aime pas quand tu fais ça.
- Ah, dit-il tout satisfait avec un air enfantin, je savais que j'avais un regard de braise.
- Tu te fous de ma gueule ?
- Bah non, et tu peux pas nier que c'était pas déstabilisant. T'es toute rouge.
- Mais c'est pas ton regard qui m'a « déstabilisée », assuré-je en mimant des guillemets avec mes mains.
- Alors c'est quoi ? »
J'entends son ton joueur dans sa voix mais ne réponds rien et repars me placer vers mon arbre sans manquer de lui donner un coup d'épaule en passant près de lui. Quel idiot ! Sans rire, il croyait que ça me ferait quoi qu'il approche comme ça mon visage du sien. Rien que d'y repenser, un frisson me parcourt tout le corps et mon cœur s'emballe de gêne.
Quand j'entends ses pas arriver, je fais tout pour ne pas me crisper et quand il arrive à ma hauteur et pose sa main sur mon épaule, je me retourne lentement avant de lever progressivement mon regard jusqu'au sien. Sa main toujours sur mon épaule glisse jusqu'à ma nuque puis sur ma joue. Je pose délicatement ma main sur son bras, soutenant son regard profond.
Ah putain j'ai envie de rire.
Je ne tiens que quelques secondes de plus avant qu'un large sourire ne prenne place sur mes lèvres et que je baisse les yeux en laissant échapper quelques gloussements.
« Pitié, dis-je sans pouvoir retirer mon sourire, dites-moi qu'elle était bonne, je sais pas si je pourrai la refaire.
- Je pense, allons voir ça. »
Le caméraman vient nous montrer ce qui a été tourné et les plans sont franchement sympas, je ne m'attendais pas à ce rendu. Je suis satisfaite et échange un regard complice avec Taehyung. On l'a bien gérée cette prise, faut l'avouer. Mon œil bleu, grâce au soleil, semble vraiment clair et ça donne quelque chose d'envoûtant à mon regard.
« On dirait deux petits amoureux, rit Jungkook. Vous trouvez pas ?
- Bah c'était un peu l'idée en même temps, réplique le leader.
- Quel bon jeu d'acteur dans ce cas... »
Le maknae nous lance un regard plein de sous-entendus et je soupire en haussant les épaules. Quel idiot... J'aurais pas éclaté de rire si ce n'était pas un jeu d'acteur. Oui j'ai eu un coup de chaud quand il a pris mon menton juste avant de tourner cette scène, mais c'était rien du tout, et je l'ai compris quand je me suis rendue compte que notre proximité sous l'œil de la caméra ne me faisait strictement rien... enfin si, ça me faisait rire, mais il n'avait qu'à pas me faire de grimaces aussi !
Il est donc convenu que c'est ce plan que nous garderons et nous enchaînons avec trois autres scènes très courtes qui prendront place pendant le moment où je chante. Cette fois-ci, je suis avec tout le groupe. D'abord, nous devons discuter avec enthousiasme à l'ombre des arbres. Certains sont assis dans l'herbe, d'autres adossés à un arbre, moi je suis assise sur une branche, mes jambes s'agitant seules tandis que je dois baisser la tête vers le sol avec un sourire pour faire semblant d'être gênée. Par la suite, nous retournons vers la cascade au bord de laquelle nous nous installons. Je dois m'installer à côté d'un des garçons et poser ma tête contre son épaule pour regarder la surface lisse de l'eau. Je viens naturellement m'asseoir vers Jimin, que je considère de plus en plus comme un grand frère. Je ferme les yeux à plusieurs reprises, le metteur en scène trouve que ça fait « plus reposant, plus doux ». Pour la dernière scène, alors que le soleil a déjà commencé à disparaître, nous nous allongeons tous sur l'herbe sèche et nous contemplons le ciel aux tons pastel en discutant et en riant.
Heureusement que nous devions mimer la bonne humeur, parce qu'à chaque fois que Tae et moi échangions un regard, on ne pouvait pas s'empêcher de rire, même lui il pouffait bêtement... bon, ça a sûrement un rapport avec le fait que le tournage du MV avait laissé place à un véritable concours de grimaces entre nous. Même Jimin avait fini par nous rejoindre, sous les regards amusés des autres membres. J'ai bien cru que le metteur en scène allait s'arracher les cheveux : on essayait d'être discrets, mais c'était à croire qu'à chaque fois que l'un de nous essayait de faire l'idiot, la caméra était sur lui dans la seconde qui suivait. On a dû tourner ces scènes des dizaines de fois avant d'avoir quelque chose qui correspondait aux attentes de l'équipe, ça nous a pris un temps fou et maintenant, il est neuf heures et le soleil s'apprête à abandonner sa place au profit de la lune. Jimin n'a pas arrêté de rire et ça m'a fait du bien de le voir de si bonne humeur, si bien qu'à la fin de cette troisième scène, je lui saute dans les bras.
« Chimchim ! m'écrié-je avec un air désespéré. Pourquoi même quand tu fais des grimaces t'es trop chou !
- Bébé Charlie ! réplique-t-il avec le même ton. Pourquoi tu me sautes dessus !
- Parce que je t'aime ! »
Je crie ça en fermant les yeux et en levant mon visage vers le ciel, comme un loup hurlant à la lune, fermement accrochée à son sweat.
« Mais moi aussi je t'aime ! répond-t-il sans le moindre embarras. Marions-nous !
- Quelle idée brillante Chim !
- Par contre c'est toi qui feras le ménage à la maison.
- Et si on divorçait ?
- Ouais je suis d'accord, tu devenais un peu chiante à la longue. »
Cette conversation est absolument absurde... j'adore.
« Non ! s'exclame Tae en s'ajoutant au câlin. Vous formiez un si beau couple !
- Pleure pas Tae, je suis sûre que je trouverai quelqu'un qui me correspond !
- Mais il te faudra quelqu'un de fou et de stupide alors, sinon tu risques d'avoir l'air bête face à lui ! ironise-t-il avec un ton dramatique.
- Dans ce cas Tae, je crois bien que j'ai trouvé l'homme de ma vie ! Épouse-moi ! »
Il me donne une tape derrière la tête en retroussant son petit nez tout choupi et je réplique en lui tirant la langue avant de plonger mon visage dans le cou de Jimin qui me serre un peu plus fort contre lui tandis que mes mains caressent affectueusement son dos. Je me sens brusquement tirée en arrière et lâche un petit cri à peine audible avant de regarder avec incompréhension le leader à l'air froid.
« Fini de jouer, les gamins, il nous reste à tourner les plans de la chorée dans le hangar. »
J'échange un rapide regard avec mes deux amis qui semblent aussi circonspects que moi. Je me sens subitement un peu gênée mais les airs amusés qu'affichent les autres garçons finissent de me convaincre que je n'ai rien fait de mal et que tous ont bien compris que tout ça, ce n'est qu'un jeu entre Jimin, Tae et moi. Je fais quelques pas vers RM et prend avec douceur sa manche.
« Je peux te parler ? »
Il hésite quelques secondes avant d'acquiescer. Nous nous écartons un peu du groupe et du staff. Je m'assois sur la branche d'un arbre et il prend place à côté de moi.
« T'as pas peur qu'elle cède, celle-là aussi ? demandé-je avec humour.
- Je croise les doigts. »
Quand je vois son petit sourire, je me sens plus en confiance.
« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Pourquoi t'a été si... froid ? »
Il soupire et commence par s'excuser avant de poursuivre :
« Ce n'est pas contre toi, crois-le bien, mais je préfèrerais que tu évites de trop te rapprocher des garçons.
- Mais je n'ai rien fait de mal...
- Écoute. Plus le temps passe, plus j'apprends à te connaître et plus je vois que tes intentions ne sont pas celles que je croyais au début, admet-il sans oser croiser mon regard. Mais s'il y a la moindre rumeur qui se met à circuler à propos d'une quelconque relation entre toi et un des garçons, ça pourrait affecter notre réputation. Tu n'as même pas idée de ce que peux engendrer ce genre de ragots, même s'ils sont absolument infondés. Mon rôle, c'est de veiller à éviter ce genre de problèmes, alors s'il te plaît, ne fais rien qui pourrait nous faire regretter de t'avoir fait confiance.
- Moi ? Avec... »
Je ris en comprenant que j'avais raison : il croit vraiment qu'il pourrait y avoir quelque chose entre un des garçons et moi ? Alors que même au moment de mon départ on se connaîtrait depuis moins d'un mois ? C'est trop mignon, et en bon leader qu'il est je peux comprendre qu'il s'inquiète, mais cette discussion est presque aussi absurde que celle que j'ai eue avec Jimin et Tae.
« Écoute Namjoon, dis-je en voyant que je l'ai un peu froissé. Si ça peut te rassurer, je peux te promettre que tant que je serai parmi vous, il ne se passera rien, rien du tout, entre eux et moi. Et je tiens toujours mes promesses. »
J'ai l'impression de l'avoir convaincu ; il hoche lentement la tête et nous allons retrouver le petit groupe.
Non mais sans rire pourquoi tout le monde semble convaincu qu'à la fin du mois, limite je vais avoir un époux, un enfant et avoir fondé un foyer... ? Faut arrêter de systématiquement croire qu'il n'y a que l'amour qui compte dans la vie, genre j'ai un radar à mecs à la place des yeux...
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