Chapitre 26
Nous sommes deux étages en-dessous de l'appartement et j'ai l'impression qu'ici, si les salles de danses sont moins nombreuses - à peine deux ou trois -, c'est au profit des plus gros studios d'enregistrements. Dans les couloirs, nous croisons plusieurs membres du personnel que les garçons semblent connaître parfaitement. Pour ma part, je me limite à trois personnes : un manager, le chorégraphe et Samna. Et la seule de ces trois personnes que nous croisons, c'est le chorégraphe, en sueur, qui sort d'une salle de danse et est en train de discuter avec une jeune femme d'une trentaine d'années qui se trouve dans le même état que lui. Nous les saluons lorsqu'ils passent à notre hauteur et la jeune femme m'adresse un chaleureux sourire en me toisant rapidement.
Le studio qui nous a été attribué est particulièrement grand - en même temps on est huit à s'y rendre, c'est pas comme si j'étais seule. Dernière à entrer, je ferme la porte derrière nous ; il y a déjà trois personnes à l'intérieur, dont le manager, venu assister à mon premier enregistrement. Ils discutent d'un sujet qui semble sérieux et j'entends sans le vouloir mon prénom. Forcément...
Je trouvais aussi que j'étais pas déjà assez stressée comme ça.
Je croise le regard bienveillant de Suga en relevant la tête. Je peux presque l'entendre essayer de me rassurer et d'un signe de tête, je le remercie. J'ai tellement peur de mal faire, ça fait du bien de sentir un minimum de soutien.
Après quelques minutes à chauffer ma voix avec l'aide des garçons, je suis invitée à aller dans la salle insonorisée dans laquelle se trouvent déjà plusieurs micros face à des tabourets, tout ce qu'il y a de plus simple. De l'autre côté de la vitre, les garçons et les trois hommes me lancent quelques regards, discutant entre eux. L'un des hommes se penche vers la console de son face à lui et après quelques secondes, il utilise un micro qui relie nos deux parties de la salle - puisqu'encore une fois, c'est insonorisé - pour s'adresser à moi :
« Ok Charlie, tu vas chanter ta partie, on t'a imprimé les paroles si besoin. »
C'est moi qui les ai écrites, je les connais par cœur, même en coréen. Malgré tout, par précaution, je prends la fiche devant moi et y jette un rapide coup d'œil. Je connais déjà l'air, les notes, ne reste plus qu'à chanter.
« Essaie une première fois par-dessus la chanson originale. Fais comme tu le sens, on avisera ensuite : d'après ton manager et ton chorégraphe, tu te débrouilles plutôt bien en chant, même quand tu danses, alors voyons un peu ce que ça donne en studio. »
Oula, ça risque pas de rendre très bien.
« Tu peux y aller. »
La chanson démarre à la fin du second refrain, juste avant une courte transition musicale pendant laquelle c'est Tae qui chante, puis c'est à moi d'enchaîner avec le troisième refrain, qui est une reprise - un peu modifiée cependant - du précédent. Les quatre premières lignes, en français, sont les mêmes, par la suite en revanche, ça change un peu, mais rien de particulièrement signifiant. C'est sûrement ce qui explique que la chorégraphie est un peu différente aussi de celle des deux premiers refrains.
Je reconnais le moment où je dois me lancer et commence à chanter, face au micro, par-dessus la voix de Jungkook puis de J-Hope. J'essaie de me concentrer et de donner le meilleur de moi-même, mais je suis tellement stressée que j'entends distinctement les trémolos de ma voix. Les notes partent complètement en live, c'est un véritable massacre.
Quand mes vingt-cinq secondes de torture sont passées, je lâche un soupir de déception et plonge mon visage dans mes mains. J'ai tellement envie de pleurer, je me sens si mauvaise ; comment ai-je pu espérer un seul instant être à la hauteur ? Ils travaillent tellement dur et moi, je ne suis là que depuis quelques jours. Je ne peux pas imaginer faire aussi bien qu'eux. Je me déçois horriblement et le poids formé par la pression que je me mets se fait plus lourd dans mon ventre. Je me donne à fond et ça me dégoûte d'être aussi mauvaise.
J'essaie de retenir ces larmes qui menacent de couler et renifle bruyamment, une boule de honte et de dépit s'étant formée dans ma gorge. Je n'ose même pas lever les yeux vers les garçons. Qu'est-ce que je vais leur dire quand ils vont se rendre compte que ça n'a servi à rien de m'apprendre la chorégraphie quand je ne suis pas fichue de chanter alors même qu'on est en studio ?
Je suis tirée de mes pensées par la porte qui s'ouvre. Je ravale ma peine et garde les yeux au sol. Je sens que si je prononce le moindre mot je vais vraiment pleurer. La personne en face de moi se met accroupi, constatant que je ne relèverai pas la tête, et le visage de Tae apparaît dans mon champ de vision. Il penche légèrement la tête sur le côté et ses lèvres s'étirent en un petit sourire réconfortant. J'ai envie de lui rendre son sourire tout à coup.
« C'était moche. »
C'est dit avec une telle innocence... C'est bon j'ai de nouveau envie de pleurer. J'ouvre la bouche pour protester mais me ravise : il a raison, c'était moche, très moche.
« Eh, sois pas triste, reprend-t-il avec un air amusé, on a tous entendu que c'était parce que t'étais stressée, alors tu te détends, et tu déchires tout, ça marche ? »
Je ne réponds rien, encore convaincue que le simple fait de prononcer un mot me fera fondre en larmes. Je me mets une pression beaucoup trop importante pour la petite place que j'ai, mais je souhaiterais tellement être parfaite : je n'ai même pas une demie minute d'apparition, je veux vraiment que ces quelques secondes soient irréprochables.
« Tu as une belle voix, tu danses bien, tu as le rythme dans la peau, mais il te manque quelque chose si tu veux vraiment gérer. Tu sais ce que c'est ? »
Je fais « non » de la tête.
« Un peu plus de confiance en toi. »
Il se relève, posant brièvement sa main sur mon épaule, puis sort calmement. Je reste immobile quelques secondes, interloquée. Est-ce qu'il a vraiment dit ce que je l'ai entendu dire ? La tête toujours plantée dans mes mains, je me repasse chacun de ses mots qui baignent mon cœur de fierté. Ils m'ont déjà dit que j'avais du talent, mais c'était différent... Je veux dire, à ce moment je n'avais pas besoin de l'entendre comme j'en ai besoin maintenant, ça a un impacte tout autre.
Je reste silencieuse quelques instants, écoutant seulement le son aigu d'un acouphène, les yeux plantés sur le micro sans pour autant le regarder, plongée dans mes pensées. Oui, je peux le faire, ils en sont convaincus, alors pourquoi pas moi ?
L'homme aux commandes de la console de son se lève de son siège de cuir noir et m'interroge du regard. J'acquiesce, signe que je suis prête à reprendre. Pas de soucis Charlie, tu peux le faire, tu vas y arriver, il suffit d'oublier tout ce qui t'entoure, tout ce qui t'effraie, et d'y aller le cœur léger. Pense à Aly, à tata Irène, à tes parents, à tous ceux qui croient en toi.
La chanson est lancée, mon cœur s'emballe à cause du simple fait de voir tous ceux qui se tiennent de l'autre côté de la pièce. Ça recommence...
Je ferme les paupières le plus fort possible et ne me concentre que sur la chanson. Fais comme si tu étais à la maison, comme quand tu chantais, assise sur le sol de ta chambre. C'est pareil : la musique et ta voix, une seule entité. Je soupire silencieusement et mon cœur s'apaise peu à peu tandis que ma partie approche.
Je commence à chanter, imaginant le scénario que mon cerveau a longtemps fabriqué sur cette chanson. Les paroles ont toujours pris vie sous forme d'histoire dans ma tête, ça m'aide quand j'écris, et ce sont toujours les mêmes images qui défilent ; jamais un seul changement.
Je ne me concentre pas sur ce que je chante ni sur ma façon de l'interpréter, je me contente de vivre les mots, de les ressentir jusqu'au plus profond de moi pour les rendre de la façon la plus juste possible, celle que j'ai toujours imaginée.
La chanson prend fin et j'hésite à ouvrir de nouveau les yeux avant de me décider enfin ; je ne vais pas rester pendant dix minutes les paupières closes quand même.
De l'autre côté de la vitre, je vois les garçons discuter avec un large sourire et les trois hommes échanger quelques mots sans quitter la console du regard, l'air concentré. Mes yeux rencontrent ceux de Tae qui lève son pouce en signe de félicitations. C'était bien ? C'est vrai ? J'ai géré ?
La voix d'un des hommes se fait entendre dans la pièce.
« Ok, elle était plutôt bien celle-là, c'est déjà mieux quand ta voix décide de rester en place. Tu as tout ce qu'il faut pour faire un truc vraiment sympa, et ta voix ira bien avec celle des garçons avec lesquels tu chantes. En revanche, si tu pouvais chanter un peu plus aigu au début au lieu d'essayer de calquer ta hauteur sur celle de Jungkook, ça serait mieux. Pour ta partie avec Hope, ta voix est un peu trop rauque, on dirait presque qu'elle est cassée, alors fais quelqu'un chose d'un tout petit peu plus doux. »
J'essaie de retenir tout ce qui m'a été conseillée et la chanson part de nouveau. C'est inédit pour moi, et si il y a cinq minutes ça m'intimidait, maintenant ça m'émerveille. Je chante dans un vrai studio, c'est tellement fou ! Comment je n'ai pas pu m'en rendre compte dès que je suis entrée ici ? C'est un rêve de gosse qui se réalise ! Me rendre compte de ça me met du baume au cœur et je me sens immédiatement plus légère. Oui, mon rêve, finalement...
Quand c'est à moi de chanter, j'y mets toute mon âme, et on recommence, plusieurs fois, encore et encore, pendant plusieurs dizaines de minutes, et tout ça pour à peine trente secondes de chanson. Je finis par prendre un réel plaisir malgré la difficulté. Il y a toujours quelque chose qui ne va pas, et en même temps que j'enregistre, ce moment revêt des airs de cours de chant. D'ailleurs, de l'autre côté de la vitre, les garçons semblent être en train de répéter, ou du moins de chauffer leur voix, un peu à l'écart. Je surprends quelques fois Jimin froncer les sourcils, l'air visiblement gêné par quelque chose, mais le sourire réconfortant que lui lance Hoseok semble l'apaiser rapidement. Je les regarde quelques secondes, attendrie. J'ai bien vue qu'il y en avait qui étaient plus proches que d'autres, mais les sept sont si soudés que je trouve que c'en est touchant.
« On en fait une dernière Charlie, annonce la voix de l'un des deux hommes, prête ? »
J'acquiesce et me lève du tabouret, les jambes un peu engourdies. La chanson est lancée, j'attends quelques secondes avant de commencer. La voix de Taehyung est vraiment sympa sur la partie qui précède la mienne, il a une voix profonde et un timbre qui est vraiment particulier. À force de l'écouter, je finis par l'avoir en tête...
Je commence à chanter, mais j'ai l'impression que cette fois est différente, comme si le fait d'être debout me donnait plus d'énergie. Ma voix gagne en puissance et les aigus que j'atteins sont, je trouve, mieux que les précédents. Quant à la partie avec J-Hope, qui mêle chant et rap, ma voix est là aussi différente, plus forte, presque plus expressive même, j'ai vraiment la sensation de me donner à fond cette fois, de donner tout ce que j'ai. Je pousse ma voix sans difficulté et plus je force, plus mes paupières se ferment. Quand la chanson se termine et que j'ouvre de nouveau les yeux, assez satisfaite de ce que j'ai réussi à donner grâce à tous les conseils qui m'ont été fournis jusque là, je découvre avec étonnement qu'à travers la vitre, tout le monde me fixe, l'air éberlué.
C'est bon signe, non ? Ils me font peur... j'en ai trop fait c'est ça ?
Le premier qui bouge est l'homme qui prend la parole à travers le micro qui relie nos parties de la salle.
« La prochaine fois je t'interdis de t'asseoir Charlie, c'est compris ? »
Soudainement débarrassée de toutes mes inquiétudes, je ris de bon cœur à cette remarque.
La porte de la salle s'ouvre brusquement et Jimin vient me féliciter chaleureusement et avec un grand sourire, ce même sourire qui souligne ses yeux fins. Il est trop chou comme ça !
« C'est super Charlie, on savait que tu allais y arriver ! C'est dingue comme ça rend bien !
- C'est vrai ? Quel enthousiasme, dis-je amusée.
- Mais c'est vrai, réplique Tae qui entre à son tour, notre bébé Charlie grandit trop vite !
- Quoi ? Bébé Charlie ? répété-je un peu désorientée par ce surnom.
- T'es devenue leur peluche, rit Jungkook en nous rejoignant. C'est ça d'être la plus jeune. Ils te verront toujours comme une petite fille.
- Ça explique pourquoi ils sont si collants avec moi...
- Eh ouais. Mais t'inquiète pas, on s'y fait à la longue.
- Bébé Charlie ! »
Fier du petit surnom qu'il m'a trouvé, Taehyung enroule ses bras autour du mien et vient poser sa tête sur mon épaule. D'une humeur particulièrement bonne, j'ai juste envie d'éclater de rire. Je me sens tellement heureuse tout à coup !
« T'es vraiment sûr que de nous deux c'est moi le bébé ?
- Oui ! »
Ah c'est trop mignon je peux pas lutter ! Je tourne la tête vers les autres garçons, entrés à leur tour, et qui semblent tous satisfait de ce que j'ai donné. Je surprends même Suga me faire un clin d'œil complice.
« Eh, j'ai une idée ! »
Comme s'il avait été éclairé par la lumière de la connaissance, Tae relève la tête vers nous et se détache enfin de moi. Je fronce les sourcils : qu'est-ce qu'il a bien pu trouver encore ? Si c'est un autre surnom débile, moi j'en veux pas...
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