Un Étrange Jour de Juillet - Partie 3/4
Tobias n'avait aucune idée de l'heure qu'il était quand ses parents assaillirent la chambre et prirent d'assaut le lit. Ils l'expulsèrent sans ménagement, laissant leur victime s'écrouler au sol, assassinant son sommeil. Les yeux humides de torpeur, de douleur et de haine, Tobias porta son premier regard sur le placard de cuisine. Il ne distingua aucun mouvement dans la pénombre du meuble, Lisa dormait toujours.
Tremblant de rage, il sortit de la pièce. Chaque détritus sur son chemin était congédié d'un furieux coup de pied. Aucune canette heurtant le mur ne parvenait cependant à couvrir le vacarme provenant de la chambre. Tobias voulait fuir, loin, le plus loin possible de cet endroit maudit, de ces parents méprisables, de cette vie de survie ! Mais il y avait Lisa. Alors pour le moment, le plus loin qu'il pouvait fuir, c'était dehors.
Tobias jeta un dernier coup d'œil au placard de la cuisine avant de passer la porte. Toujours aucun mouvement malgré le raffut dans la chambre à côté. Lisa ne risquait rien : il n'y avait que de l'eau à boire dans la cuisine, leurs parents ne s'en approcheraient pas.
Sous le ciel étoilé, le carnage gagna la plage. Tobias continua de déverser sa colère sur les caillasses à s'en faire mal aux bras, à s'en faire saigner les pieds. Les pierres tombaient en tous sens : se fracassant contre leurs congénères, disparaissant à jamais dans les hautes herbes, se noyant dans la rivière en une dernière gerbe d'eau. Toutes les victimes succombaient silencieusement au sort qu'elles n'avaient pas choisi. Tobias prenait cette soumission tacite pour de la lâcheté et sans savoir pourquoi, cela le rendait d'autant plus furieux.
Une des pierres alla se perdre dans les brumes de l'île Fantôme. Dans la seconde qui suivit, un galet jaillit hors du brouillard en ricochant jusqu'aux pieds de Tobias. Dans sa rage, il en avait complètement oublié leur mystérieux compagnon de cet après-midi. L'heure n'était cependant plus à l'amusement.
Tout en projetant aussi fort que possible tout ce qui lui passait sous la main en direction de l'île, Tobias hurlait toutes les insanités qu'il connaissait. Il ne cherchait plus à faire des ricochets. Si celui qui s'acharnait à lui rendre pierre pour pierre s'était tenu devant lui, Tobias l'aurait lapidé à mort. Il y serait même allé de ses poings.
Chacun de ses projectiles lui était renvoyé en un ricochet léger et innocent. Est-ce qu'on se moquait de lui ? De quel droit est-ce qu'on répondait à sa rage par un jeu d'enfant ? Était-ce pour le calmer ? Pour montrer qu'on le comprenait ? Qui aurait pu ? Comment pouvait-on même penser pouvoir le comprendre ?
Tobias pleurait. Il ne s'en était pas aperçu. À bout de force, il se laissa tomber à genoux. Dans l'obscurité, l'empreinte des larmes sur les galets ne se distinguait pas des éclaboussures. Seul le gémissement silencieux de Tobias transgressait la tranquillité nocturne. L'acharnement sur elle terminé, la rivière reprenait son cours. Comme si rien ne s'était produit, la nuit s'étendait. Tobias ne voulait plus que ça continue.
Dans un dernier effort, Tobias leva le bras, un caillou lisse et noir en main. Il était épuisé, il étouffait. C'était trop pour lui. Il lança la pierre avec le peu de force qui lui restait. Il souhaitait tant une autre vie, pour Lisa et lui. Son bras retomba mollement, vaincu. Un, deux, trois. Le galet disparu dans l'obscurité et la brume. Cinq, six, sept. Le son des rebonds s'évanouit dans la nuit. Puis rien.
Une minute passa. Rien. Puis deux minutes et bien plus. Toujours rien. Aucun caillou ne revint. Tobias leva la tête, les larmes encore fraiches sur les joues et au coin des yeux. Il ramassa une autre pierre et la lança devant lui. Six, sept, huit et rien. Qu'avait-il fait ?
Tobias scruta la noirceur du rideau de brume devant lui, mais comme en plein jour, il ne distinguait rien. Il appela à plusieurs reprises. Ne sachant trop quoi appeler, il se contentait d'interjections banales. Toutes restèrent sans réponse. Réalisant soudain à quel point il était seul dehors en cette nuit, Tobias sut qu'il aurait dû avoir peur. Pourtant, il ne sentait que de l'inquiétude. Pas une inquiétude effrayante, mais tendre, comme il en ressentait sans cesse pour Lisa.
Tobias jeta un coup d'œil derrière lui. De la lumière filtrait toujours à travers les fenêtres de la Cabane. L'intérieur semblait silencieux, apaisé. Se retournant en direction de l'Île aux Brumes, Tobias prit une bonne inspiration.
Il déboutonna sa chemise et retira son pantalon. L'eau n'était pas aussi froide qu'il l'aurait cru. Elle était délicieusement fraiche et vivifiante contre sa peau nue. Il eut une crampe au moment d'y plonger le ventre, mais se dit que ce devait être la faim. La fatigue quant à elle avait totalement disparu. Il se sentit même étonnamment bien, nageant dans les eaux noires en direction de l'île. Il jeta un dernier regard vers la Cabane. Alors qu'elle s'évanouissait dans la brume, Tobias se sentit soulagé, libéré même.
Rasséréné par une certitude inconsciente que tout irait désormais bien, Tobias reprit sa nage en souriant et s'enfonça dans le brouillard de l'île.
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