Reflet Perdu - Partie 5/6
Je veux argumenter mon cas, mais à l'instar de Miko, aucun son ne sort de ma gorge.
— Kagami... chuchote lentement Hiko. Je n'ai plus entendu ta voix depuis ce jour d'été, il y a trois ans... Quand tu es rentrée, la tête en sang de cette même forêt. Les docteurs avaient dit que ton mutisme était dû à ta blessure, mais...
La doyenne et sa canne se rapprochent de moi. Je tremble de tout mon corps, mais refuse de pleurer.
— Allons, allons petite. Je sais que c'est dur. Crois-moi, je le sais.
En déclarant cela, elle sort une photo de sa poche. Sur le cliché en noir et blanc, deux vieilles dames posent dans une bambouseraie : la mairesse et... la mairesse.
— Dis-moi : as-tu cette impression tenace d'être incomplète, comme s'il te manquait la pièce d'un puzzle ? As-tu de temps à autre des blessures ou des envies qui surgissent de nulle part, pour aucune raison apparente ?
Je hoche deux fois la tête, sans même le vouloir. La mairesse ne semble pas étonnée de mon approbation.
— Te souviens-tu être rentrée dans la grotte cet été-là, il y a trois ans ?
Je ferme les yeux. Mon cerveau pulse au rythme des battements emballés de mon cœur. Tout est flou et douloureux. Il m'est cependant impossible de le nier. Les souvenirs sont éparpillés, mais bien là. Une ombre sur le plafond bleuté d'une caverne. Mon corps remonte à la surface. De l'air remplit mes poumons. Je suis extirpé de l'eau par... ma jumelle.
Ma main se porte à la cicatrice sous mon cuir chevelu. La forme protubérante en croissant de lune se dessine sous mes doigts. Ce stigmate est l'unique vestige de ma blessure d'il y a trois ans, quand je suis rentrée sur Fukūra en sang et amnésique. En rouvrant mes yeux, je ne peux contenir davantage mes larmes.
— Tu t'en souviens. Bien, dit la vieille dame solennellement. Ta jumelle a dû sortir de la grotte comme vous toutes à l'instant. Vous avez cependant été séparées. Tu as retrouvé le chemin de la maison, mais pas ta jumelle pour une raison ou une autre.
Je sens ma poitrine serrée comme un étau autour de mon cœur. J'ai le souffle comprimé. Je tremble à l'idée de n'être qu'un reflet, d'être une usurpatrice. Je panique en constatant que ce que je tenais pour acquis toute ma vie durant vient de s'écrouler en un instant. J'ai peur. Peur pour celle que je n'ai connue que brièvement, ma sœur jumelle, mon « originale ». Je suis terrifiée de la même manière que j'aurais pu craindre pour ma propre vie. Que lui est-il arrivé ? Où est-elle ?
La mairesse lit en moi comme dans un livre, et me répond juste avant que je ne me noie dans ma torpeur :
— N'aie pas peur. Si ta jumelle était morte, tu ne serais pas là. Si tu as des traces de coupures et de bleus inexpliqués, c'est qu'elle les reçoit la première. C'est bon signe. Ça signifie qu'elle est là, quelque part...
Au-dessus du visage de la mairesse, deux papillons azurés virevoltent dans une chorégraphie aérienne. L'un vient se poser sur le chapeau de la vieille dame, le temps de reprendre son souffle. L'autre est emporté par une soudaine bourrasque.
Fébrile, je me tourne vers celles que j'appelais jusqu'à maintenant, mes « sœurs ». Elles sont toutes les trois clairement encore sous le choc. Au travers de l'effarement qui voile leurs yeux, je perçois tout de même de la compassion, de l'amour et même une étincelle de résolution.
— Tu es notre sœur Kagami, dit Hiko. Tu le seras toujours.
Fuko et Miko hochent la tête en unisson.
— On va retrouver ta jumelle, ensemble.
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