Reflet Perdu - Partie 2/6
Je me sens nauséeuse, un mal de mer caractéristique d'une nuit en eaux troubles. Les ténèbres ont été balayées sans sommation par Fūjin, mais le dieu du vent n'y est pas allé de main morte : je me réveille le corps courbaturé comme si j'avais bourlingué dans mon sommeil.
Sur mes jambes, je découvre trois nouveaux hématomes et quelques traces de griffures. Rien de neuf sous le soleil matinal : je suis bien connue dans la famille pour avoir une peau de banane, très délicate, qui se couvre de blessures sans aucune raison apparente. J'ai dû me cogner et m'égratigner les mollets lors de notre retour des bois hier soir. Cela m'importe peu. Là, maintenant, j'ai faim.
L'aube s'étire paisiblement au travers des fenêtres. Je vois Hiko et Fuko déjà en train de jouer dans le jardin alors que je m'attable pour un rapide petit-déjeuner. À peine agenouillée, mon appétit s'évapore, comblé par ce malaise lancinant qui me revient en force.
J'observe mes sœurs en mastiquant distraitement un umeboshi. Le goût âpre de la prune confite n'arrange en rien le remous que je sens ancré au fond de moi. Je n'arrive pas à me défaire de cette impression que quelque chose cloche avec mes sœurs depuis hier. Depuis ce réveil dans cette inquiétante clairière. Il faudra certainement que nous y retournions tout à l'heure, mais en attendant, je veux des réponses. Je les veux tout de suite.
Hiko tient un journal intime et pendant qu'elle joue dehors avec Fuko, je décide de le débusquer. Ce n'est vraiment pas bien, je le sais, mais c'est le seul moyen immédiat d'en avoir le cœur net.
Le dénicher est un jeu d'enfant. Nous avions amené peu d'affaires pour ces vacances et mes sœurs sont très ordonnées. Dans la petite poche de son sac Hello Kitty, je mets la main sur le précieux carnet rose. Le code du loquet à quatre chiffres n'est pas difficile à deviner lui non plus : la date de naissance de mes sœurs. J'ouvre le journal couvert de paillettes et en parcours les pages goulûment.
Je ne sais pas ce que je cherche. Je ne sais même pas à quoi je m'attends. Peut-être à rien ?
Rien. C'est exactement ce que je trouve. Aucune mention de Fuko jusqu'à ce matin. Pas un seul mot. Comment ma petite sœur avait-elle pu omettre sa propre jumelle ?
Ma découverte me préoccupe tant, que je n'entends pas la porte coulisser derrière moi. Un cri strident me tire de ma torpeur. Furieuse de m'avoir surprise la main dans ses affaires, Hiko se rue sur moi. Plaquée au sol par la force de sa charge, le souffle coupé, je parviens néanmoins à lui indiquer le journal et à articuler silencieusement « Fuko ».
La furie d'Hiko est endiguée par mon imploration. Sa rancœur ne fait pas le poids face à sa curiosité. Me jetant un dernier regard noir, elle s'empare de son carnet et fait déferler les pages sous ses doigts. Quand elle arrive au bout, elle revient en arrière. Les feuilles sont prises dans une houle frénétique de va-et-vient. Elle finit par relever les yeux, incrédule.
D'abord cette amnésie qui nous a frappées toutes les trois. Maintenant notre propre sœur qui disparait du journal comme si elle n'avait jamais existé. Quelque chose ne tourne décidément pas rond, et ce depuis hier soir.
C'est à ce moment que nous tournons à l'unisson nos têtes vers un bruit de friction dans l'entrée de la chambre. Nous découvrons Fuko, souriante, dans l'encadrement de la porte.
Sans un mot, je saisis la main de Fuko tandis qu'Hiko attrape son sac à dos et une lampe torche. Nous récupérons quelques friandises et briquettes de jus dans la cuisine puis une petite pelle de plage dans le jardin, seul outil à portée de main. Fuko n'a pas le temps de poser la moindre question. Peut-être a-t-elle déjà deviné notre intention ? Malgré son air impassible, peut-être qu'elle aussi a soif de réponses ?
Discrètement, nous vérifions que nos parents somnolent bien derrière leurs lunettes de soleil sur les chaises de jardin. Je sens déjà le savon qu'ils me passeront à notre retour, mais tant pis ! Mon besoin de comprendre est plus important que la peur d'une punition.
Nous nous élançons sans plus attendre vers la petite crique au nord. C'est sur cette plage sauvage que nous nous amusions hier, avant de nous réveiller au milieu de la forêt. C'est là-bas que ce mystère a débuté et nous sommes déterminées à l'élucider !
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