Les Archives Oubliées - Partie 3/4
Comme s'il venait de reprendre conscience après une longue apnée, le visiteur tomba en arrière, dans la lumière. Le garçon tira de toutes ses forces pour l'aider à s'extraire de la noirceur qui dégoulinait autour d'eux.
Libérés de la mélasse, ils prirent la fuite, traqués de près par les sons du déluge visqueux. Le garçon s'était emparé d'un chariot et y jetait quelques livres et dessins piochés au hasard de sa course. C'est affolé et haletant que les deux déboulèrent dans la grande salle centrale.
Le rire aliéné du Conservateur y résonnait contre les bibliothèques. Il se ruait contre les étagères, précipitant les meubles et leurs livres dans la pénombre qui débordait désormais de chaque allée.
– On y est ! La fin est là !
L'adolescent tentait de contenir son ainé, en vain. Non loin, le quarantenaire essayait d'endiguer les flots envahisseurs au moyen de bibliothèques et chariots renversés. L'enfant se précipita vers la tribune, jetant les livres rescapés dans la sûreté provisoire de son sommet.
Des morceaux de feuilles roses tombaient du dôme comme un arbre d'automne se dénudant à l'approche du toucher mortel de l'hiver. Un de ces pétales virevolta devant le visage abasourdi du visiteur. Réveille-toi, s'il te plaît, y était écrit en lettres arrondies.
Ce fut le cri de l'adolescent qui le réveilla de sa stupeur. Le Conservateur dans sa démence l'avait poussé. Le jeune s'enfonçait rapidement dans le bouillon de mélasse obscure. Le visiteur se précipita, mais la main du jeune homme fut engloutie avant qu'il ne puisse la saisir.
La marée noire gagnait du terrain. Le visiteur se retira jusqu'au pied de la tour où le quadragénaire se débattait avec un lourd coffre en acajou, décoré d'une large rosace. Le hisser au sommet ne serait pas aisé et le temps manquait. Le visiteur attrapa l'homme cherchant à le faire lâcher prise du coffre, mais ce dernier se libéra d'un geste sec.
— Quoiqu'il arrive, il faut sauver ce coffre. C'est compris ? lâcha l'homme avec une hargne qui tranchait avec son indifférence précédente.
Le visiteur n'eut pas le temps de répondre. Le Conservateur hystérique surgit de nulle part et se jeta sur eux. La lutte s'engagea aussitôt entre l'ancien et le quarantenaire qui faisait barrage de son corps. Bien que le doyen fût plus âgé, sa folie lui décuplait tant les forces, que le quadragénaire ne put s'en défaire. L'homme lança un dernier regard au visiteur et s'élança de tout son poids sur le vieil homme, l'emportant dans sa chute. Ils disparurent en un instant dans le ressac obscur. Seul le rire fou du vieillard continua de résonner un instant.
Le garçon vint prêter main-forte au visiteur et ensemble ils hissèrent le coffre jusqu'en haut du belvédère. Les deux survivants regardèrent en contrebas l'océan noir venir s'écraser contre la tour. La pluie de papiers roses se noyait dans la masse abyssale.
— C'est vraiment la fin ? demanda le garçon. Il serrait fort contre lui quelques livres rescapés. Charles et les parties de billes lisait l'un d'eux.
Les yeux exorbités, dépassé par les événements, le visiteur se tut. Il observait impuissant la lente montée des ténèbres. Cela semblait enfin ralentir.
À ce moment, un son sourd résonna derrière eux. L'extrémité d'une fine liane provenant du dôme de vitrail venait de choir sur le coffre en acajou. Un miracle.
Le visiteur indiqua au garçon de grimper le premier. Ce dernier hésita puis secoua la tête.
— Non, ma place est ici. Je ne peux pas partir.
Le visiteur voulut contester, mais le garçon leva une petite main pour le faire taire.
— Non ! Toi t'es le visiteur. Il faut que tu rentres chez toi. Moi, c'est ici mon chez-moi. Et ça, dit-il en désignant les livres qu'il avait sauvés et le coffre, c'est tout ce qu'il me reste.
Il passa derrière le visiteur et s'empara d'une énorme lanterne qui gisait sous le bureau. Elle s'alluma dès qu'il la toucha.
— Avec ça, ça ira. T'en fais pas. Je pourrais peut-être même repêcher quelques livres flottant à la surface.
Le visiteur hésita.
— Va-t'en je te dis ! Tu prends trop de place, si je veux sauver les livres il me faut ta place. Allez, monte !
Le visiteur ne sut que répondre. Il s'empara de la liane et grimpa. Il se hissait à contre-goutte des pétales de papier roses. Arrivé aux abords du dôme, il jeta un regard en dessous. L'inondation s'était arrêtée. Des étagères flottaient ici et là au milieu des livres naufragés. L'obscurité sereine était totale. Seule la grosse lanterne en bas irradiait un peu de lumière. Vallée d'espoir au cœur de la nuit. Le garçon levait les yeux vers lui, tout sourire.
— Je ne t'ai pas lu ton histoire ! cria le visiteur.
Le rire de l'enfant résonna à travers les ténèbres.
— C'est moi qui te la raconterais alors ! répondit l'enfant de sa voix chantante.
A ce moment, le visiteur sut que tout irait bien.
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