Les Archives Oubliées - Partie 2/4
Le visiteur ne savait toujours pas ce qu'il cherchait. En revanche, il savait ce qu'il ne souhaitait pas : rester là, en proie au regard inquisiteur du Conservateur. Il n'hésita qu'un instant. Le condescendant, l'affligeant, l'insolent. Il n'en demeurait qu'un : l'innocent.
Le garçon n'attendit même pas la réponse et entraina aussitôt le visiteur vers l'aile la plus colorée de la bibliothèque, en riant. Emporté de vive force par l'enfant, il manqua de chuter.
- Tu t'appelles comment ? Tu veux quoi ? T'aimes les contes ? Moi j'adore les contes ! Tu m'en liras un hein ? J'aime bien quand on me raconte des histoires !
Un flot ininterrompu de questions et d'exclamations jaillissait de la bouche de l'enfant, dont les yeux restaient rivés sur leur destination. À peine le visiteur amorçait-il une réponse, qu'une nouvelle interrogation fusait. Alors qu'ils approchaient des premières étagères, un bruissement interpella l'homme. Tournant le regard, il nota un petit bout de papier rose qui tombait telle une feuille morte. De sa main libre, il s'en empara prestement.
Le garçon s'était arrêté, sentant le visiteur stagner derrière lui. Il observa l'homme qui tenait un pétale froissé.
— Qu'est-ce que c'est ? demanda le garçon.
-— Rien, rien... répondit le visiteur rapidement, dissimulant la note où était inscrit en belles lettres arrondies :
Ne me laisse pas.
Ne s'en souciant pas davantage, le garçon reprit sa course et guida le visiteur dans ses rayons d'étagères aussi hautes en taille qu'en couleurs. Il n'y avait pas que des livres dans cette aile de la grande bibliothèque, mais également des carnets de dessins, des albums photos, des tableaux et autres bibelots d'arts. Fier de sa collection, le garçon déblatérait sans arrêt, exposant tous ses trésors au visiteur qui écoutait d'une oreille distraite.
Ils s'enfonçaient dans ce dédale depuis un moment déjà. Les couleurs blêmissaient derrière un fard épais de poussière. La lumière du vitrail central peinait à attendre les entrailles de ce labyrinthe. Dans les tréfonds du couloir, une profonde pénombre se dressait telle une paroi implacable.
— Je n'aime pas le noir, déclara le garçon qui s'était arrêté en fixant l'obscurité. Les autres non plus d'ailleurs. C'est là où tout se perd. En plus ça avance. Petit à petit. Tu sais, la bibliothèque était bien plus grande avant.
Il hésite un moment et se tourne vers le visiteur.
— Nous étions cinq autrefois en fait. Il y avait un plus jeune que moi, un bébé.
— Un bébé travaillait ici ? s'alarma le visiteur.
— On lui avait bien dit de rester dans sa section éclairée, continua le garçon sans relever l'étonnement du visiteur. Mais il n'écoutait jamais rien. Le Conservateur l'a vu s'aventurer dans l'ombre, sans lanterne bien sûr. C'était trop lourd pour lui. On l'a cherché longtemps, mais on ne l'a jamais retrouvé.
Le visiteur ne sut que répondre face à l'émoi du garçon. Il partageait pleinement son appréhension de cette noirceur insondable. Il ressentait cette peur primitive de l'Homme, accroupi devant les fourrés, s'attendant à voir les yeux d'un fauve s'animer dans l'obscurité. Le prédateur prêt à surgir, prêt à dévorer.
— La section du bébé était toute petite, reprit le garçon. La partie du Conservateur prenant de plus en plus de place, les affaires du bébé furent jetées une à une dans le noir. J'ai quand même réussi à en sauver quelques-unes, chuchota-t-il en désignant une boîte avec des feuilles en pagaille.
Le visiteur s'en approcha. Les feuillets étaient si fins qu'ils auraient pu se désagréger à tout moment. Il n'y avait aucun texte. Que des gribouillis et taches de couleurs.
— Maintenant, c'est les autres qui prennent beaucoup de place et moi, j'en ai de moins en moins. Du coup de temps en temps, je lance quelques-uns des livres que je n'aime pas dans le noir. Comme ça, regarde !
Il s'empara d'un petit livre intitulé La terrible chute à vélo sur une étagère et le lança de toutes ses forces dans la pénombre. Il disparut aussitôt. Aucun bruit d'impact. Le monstre noir engloutissait même les sons.
Frissonnant de fascination, le visiteur s'approcha, tendant une main tremblante qu'il distinguait déjà à peine. Pour une raison qu'il ne s'expliquait pas, cette noirceur le magnétisait. Ces ténèbres lui procuraient un profond sentiment d'inquiétude, mais lui soufflaient également la promesse inaudible d'un réconfort tant attendu. Derrière, le garçon ne put que retenir sa respiration alors que le visiteur fit un pas en avant. Son pied s'évanouit en un instant, happé dans l'obscurité silencieuse. Une dernière hésitation et l'homme plongea intégralement dans l'ombre. Il disparut aussitôt. Le garçon se mordit la lèvre, tétanisé.
Soudain un bruit humide. Un son liquide qui transperça le silence de part en part.
— Tiens. Une flaque, vint la voix lointaine du visiteur.
— Une flaque ? répéta le garçon alerté.
— Oui, c'est visqueux. Collant même. J'ai l'impression que ça coule.
Le garçon tremblait nerveusement.
— Viens, reviens ! Il faut qu'on parte ! Vite !
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