La Bibliothèque de M. Linden - Partie 2/3

Son grand-père avait une certaine réticence à en parler, sûrement parce que la grand-mère de Léa le grondait dès qu'elle le surprenait à en discuter. Léa était tout de même parvenue, au fil du temps et des récits, à récolter suffisamment de détails pour en recomposer l'histoire complète.

La légende voulait que le livre ait été acheté à l'origine par un des ancêtres de la famille auprès d'un marchand turc à Naples autour de 1850. Le marchand avait déclaré que le livre était empreint d'un pouvoir unique, mystique même.

On disait que quiconque lisait ce livre, s'endormait inévitablement. Non pas parce que le livre était d'un ennui mortel, mais parce que l'histoire était tellement incroyable, que personne ne pouvait l'imaginer les yeux ouverts. Au bout de quelques pages seulement, le lecteur s'endormait, et ne se réveillait jamais. On retrouvait le corps inerte, le livre entrouvert dans les mains, et un sourire figé sur les lèvres. Jamais avait-on vu mort plus sereine. Comme si les lecteurs abandonnaient avec un réel plaisir leur corps pour laisser leur âme plonger toute entière dans l'univers du livre. Le meilleur moyen de partir... après une vie pieuse bien sûr, aurait dit le marchand, le sourire en coin.

Bien que sceptique, l'ancêtre de Léa était surtout un triste homme âgé, ou un homme triste d'être âgé. Sur ce détail, Léa ne parvenait toujours pas à saisir la différence. Toujours est-il que cet ancêtre ne mit pas longtemps à mettre la main au portefeuille.

C'est son fils qui retrouva le vieil homme le lendemain matin, un livre au cuir usé ouvert sur le visage. En retirant l'ouvrage, le fils constata que son père avait trépassé pendant la nuit. Il éclata en sanglot. Le défunt, lui, souriait.

Evidemment, ce qui fascinait le plus Léa, c'était le contenu de ce mystérieux livre. Quelle était donc cette histoire si incroyable qu'elle ne laissait même pas la vie indifférente ? Bien que cela lui fasse un peu peur, la curiosité de Léa était plus grande. Elle avait interrogé plus d'une fois son grand-père à ce sujet, mais il avait toujours affirmé en rigolant qu'étant toujours là pour lui narrer la légende, c'est qu'il n'avait pas encore lu le livre. Maligne, Léa prit ces déclarations comme des aveux. S'il ne l'avait pas encore lu, c'est qu'il pourrait un jour le lire, et donc qu'il l'avait en sa possession.

Léa avait depuis passé la majeure partie de ses longs temps libres à explorer de fond en comble la maison. Elle avait parcouru les étagères, les commodes, les dessous de lits et même les fonds de tiroirs de la cuisine, mais nulle trace du fameux livre.

Dans sa quête, Léa trouva toutes sortes de livres : des petits épais, aux grands effeuillés en passant par les vieux écornés et des tout neufs jamais ouverts. Certains puaient davantage que Filou, le vieux basset boiteux de ses grands-parents, alors que dans d'autres, on pouvait presque encore sentir l'encre fraichement séchée. Il y en avait écrit si petit, qu'elle dû utiliser la loupe à journal de son grand-père pour déchiffrer leur contenu. Il lui arrivait aussi parfois de s'attarder sur les belles illustrations de certains livres ou de rigoler en imaginant la tête que pouvait avoir un écrivain comme Anouilh ou Renard. Mais malgré toutes ces trouvailles, Léa n'en trouva aucun doté d'une vieille couverture de cuir rouge. Les jours passaient, ne laissant place qu'à la déception.

Alors que ses parents venaient la chercher dans quelques jours, Léa abandonna ses recherches. Elle se permit enfin de détourner son regard des vieux meubles qui s'affaissaient dans tous les recoins de la demeure. Elle reprit ses jeux imaginaires et le soir elle regagnait sa chambre à l'étage, tandis que ces grands-parents dormaient au rez-de-chaussée, leurs articulations ankylosées leur condamnant l'accès à l'étage. C'est alors qu'elle remarqua un soir, une trappe au plafond du couloir qui menait à sa petite chambre.

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