Sixième Partie
« Lorsque vous avez éliminé l'impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la vérité. »
Arthur Conan Doyle
Ce fut dans un silence de mort qu'Izuku et Katsuki sortirent du hangar. À la porte, le brancardier remercia son amie qui s'inquiéta tout de même de l'état du blond. Celui-ci s'était avancé sur le parking et prenait la direction de l'orée de la forêt de l'autre côté de la route, les mains dans les poches de son pantalon et la tête basse. De dos, il avait l'impression que le serveur portait toute la misère du monde sur ses épaules.
- T'en fais pas Mei, je m'en occupe, la rassura Izuku, une main sur l'épaule. Il en avait besoin.
La jeune femme acquiesça et retourna à l'intérieur, laissant le brancardier souffler un bon coup et suivre son ami. L'heure des explications était arrivée et ça n'allait pas être facile, il le sentait. Son cœur tambourinait tellement fort d'appréhension dans sa poitrine qu'il avait l'impression qu'il allait en jaillir à tout moment.
Dans le ciel, les nuages avaient commencé à prendre des teintes colorées et la luminosité avait légèrement diminué, annonçant le début de la soirée, mais il ne faisait pas encore nuit. En zieutant sa montre, il constata qu'il était 18h30 passés. C'était l'avantage avec l'été, les journées étaient bien plus longues.
Quelques mètres devant lui, Katsuki dépassa les premiers arbres de la forêt pour finalement s'arrêter quelques instants plus tard près d'un tronc déraciné. Les mains toujours enfouies dans les poches de son jeans, il prit appuie d'un pied sur l'arbre mort et commença doucement à se balancer d'avant en arrière, visiblement perdu et nerveux quant à la suite des événements. Izuku ne pouvait l'en blâmer.
- Je...désolé pour ça Deku, s'excusa alors le blond. Tu dois t'poser pas mal de questions, j'suppose.
Il se massa la nuque, troublé. Izuku se pinça les lèvres, tout aussi mal à l'aise que lui. Il ne savait pas comment aborder la présence d'Eijiro à ses côtés. Devait-il lui balancer ça d'un coup, comme un pansement qu'on arrache ? Ou y allait progressivement et alors perdre le peu de courage qui vibrait dans ses veines à cet instant ? Il ne savait pas...lui aussi était perdu. Il ne voulait pas blesser son ami.
- Je...je t'ai pas dit, mais...y'a quelques mois, j'ai perdu quelqu'un...
- Dis-lui, intervint Eijiro, en le faisant sursauter. Faut que tu lui dises maintenant.
- ...quelqu'un que j'aimais, continua Katsuki, toujours de dos.
Sa voix tremblait légèrement et il avait même commencé à taper du pied sur l'arbre. Izuku avait conscience que parler de sa vie privée était quelque chose que le blond ne faisait jamais. Il avait bien compris que pour lui, se confier sur ses peurs, ses faiblesses et ses doutes, était comme se mettre à nu, mettre de côté son égo et sa fierté. Izuku jeta un regard au rouge à ses côtés. Alors, fallait-il le mettre sur le fait accompli ?
- Putain...je sais même pas pourquoi j'te raconte ça, reprit-il en se tournant enfin vers lui. Laisse tom...
- Je suis au courant.
Sa bouche avait parlé toute seule et le silence qui suivit sa phrase le glaça sur place. Il aurait presque pu entendre une mouche voler. Mais, seuls le vent dans le feuillage et les sons de la ville au loin se firent entendre quand Katsuki planta son regard dans le sien, le sondant de ses rubis incandescents.
- Quoi ?
Izuku déglutit. Face à lui, le blond avait l'air totalement perdu.
- Je...je suis au courant pour...Eijiro.
Son cœur rata un battement à l'annonce de ce nom. C'était la première fois qu'il le disait à voix haute devant Katsuki et il se sentait...triste. Sur les traits du serveur, la colère remplaça rapidement l'incompréhension. Sa mâchoire se crispa, ses sourcils se froncèrent, et l'atmosphère changea entre eux. Elle devint bien plus lourde.
- Attends...comment tu connais...c'est une blague ? C'est une putain de blague, c'est ça ?
- Non...je...
- Alors quoi ? le coupa Katsuki en élevant la voix. T'as checké la rubrique nécro et j'te faisais pitié donc t'as voulu faire ami-ami ?
- Quoi ?! Non ! C'est pas...
- En fait, c'était qu'des mensonges depuis l'début ? Et dire que tu me...Putain...j'ai été bien naïf comme un con...
Il se passa une main sur le visage et inspira un bon coup, semblant essayer de reprendre contenance. Puis, il releva le regard, les yeux brillants, s'avança vers lui et le dépassa.
- Pas la peine de m'ramener, j'me démerderai.
Le cœur d'Izuku se serra. C'était pas comme ça qu'il avait prévu que ça se passe ! Il s'était attendu à ce que le blond lui hurle dessus, mais cette semi indifférence et ce mépris à son encontre, c'était limite pire.
- Attends Katchan ! s'écria-t-il en lui attrapant le bras.
Celui-ci se dégagea de sa poigne d'un mouvement d'épaule violent et le fusilla du regard.
- Ne...ne m'appelle pas comme ça ! J'suis déjà à deux doigts de t'exploser la gueule, alors n'en rajoute pas.
Sa voix habituellement rauque et chaude était devenue si froide qu'Izuku en frissonna. Les larmes lui vinrent qu'il n'empêcha pas de couler. Comment, alors qu'il voulait simplement l'aider à la base, cette journée avait-elle pu tourner ainsi ? Alors qu'il y a encore quelques instants, Katsuki l'étreignait avec force, laissant libre cours à toute sa peine ? La déception qu'il lisait dans ses yeux rouges lui faisait si mal...
Le blond lui lança un dernier regard plein de reproches et tourna les talons, reprenant la direction de la route et laissant le brancardier en proie à ses angoisses et ses regrets. Il n'aurait jamais dû lui en parler, il aurait dû laisser Katsuki vider son sac et faire comme s'il ne connaissait pas déjà l'histoire. Rien de tout ça ne se serait passé et ils seraient repartis tranquillement, l'esprit peut-être un peu plus léger.
- Rattrape-le ! le fit de nouveau sursauter Eijiro, les larmes aux yeux lui aussi. Si tu le laisses partir maintenant, tu pourras plus jamais lui parler. Il va complètement se fermer et refuser de t'adresser la parole.
- Mais...tu vois bien qu'il m'en veut à mort là ! Il a bien trop mal pour m'écouter.
- Izu, s'il te plait ! Fais quelque chose, je t'en prie ! Le laisse pas comme ça !
La détresse du rouge était telle qu'elle le fracassa complètement. Ces deux-là allaient avoir sa mort.
Il reporta son regard sur le dos du blond à quelques mètres de lui et se décida. Sa vue était trouble, son corps grelottait, sa voix allait trembler, c'était sûr, mais il s'en fichait à présent. Si Eijiro disait qu'il fallait le retenir, il le croyait. Et si Katsuki décidait de ne plus le voir après ça, et bien, soit. Cela lui crèverait le cœur, mais, au moins, il aurait accompli sa mission.
Il prit une grande inspiration et cria.
- JE SUIS AU COURANT PARCE QUE JE LE VOIS ! JE VOIS EIJIRO !
Son cri résonna entre les arbres, grimpa jusqu'à leurs cimes, faisant s'envoler les quelques oiseaux qui y nichaient. Il venait de larguer la bombe. Allait-elle faire des ravages sur son passage ? C'était certain... Un silence pesant s'ensuivit alors qu'Izuku voyait son ami s'arrêter subitement devant lui. Il prit ça comme une bonne chose et s'approcha doucement, prudemment.
- Je...je t'ai pas dit mais...y'a plus d'un an, j'ai eu un accident de moto et...je suis mort pendant une minute aux urgences. Quand je suis revenu à moi après plusieurs mois de coma, je...j'avais hérité d'une...capacité.
Katsuki ne s'était toujours pas retourné. Izuku fixait son dos, guettant la moindre réaction de sa part, le moindre frémissement de muscles. Son cœur n'avait pas cessé de faire des siennes dans son thorax et ses mains suaient tellement qu'il était obligé de les essuyer sur son pantalon.
- Ça va te sembler dingue, mais...je peux voir les fantômes. Et...c'est comme ça que je sais tout...Eijiro est là en ce moment, avec nous.
Cette fois, il vit clairement les épaules de Katsuki se crisper quand le nom de son défunt copain fut prononcé. Lentement, celui-ci se tourna dans sa direction et braqua son regard sur lui. Dans ses pupilles rubis brûlait une colère sourde et destructrice. Ses traits étaient déformés par cette rage qui suppurait par tous ses pores. Il n'avait jamais vu son ami comme ça. Il se rendait compte que la colère qu'il avait exprimée quelques minutes plus tôt dans le hangar n'avait rien à voir avec celle de maintenant. Katsuki lui faisait peur.
Soudain, le blond se mouva et s'élança vers lui à grandes enjambées, les poings serrés.
- TU T'FOUS D'MA GUEULE ?! POUR QUI TU T'PRENDS ?
Plus Katsuki avançait vers lui, plus Izuku reculait, effrayé. Ses pieds s'emmêlaient presque sur le sol jonché de feuilles et de branches, manquant de le faire tomber.
- KAT'S, ARRÊTE ! FAIS PAS CA !
À ses côtés, Eijiro hurlait aussi dans ses oreilles, paniqué, essayant de se faire entendre de son copain. La situation dérapait complètement et devenait même dangereuse. Katsuki irait-il vraiment jusqu'à lui faire du mal, le cœur contrôlé par la peine ?
- CA T'A PAS SUFFIT T'À L'HEURE ? T'AS BESOIN D'M'ACHEVER ENCORE PLUS AVEC UNE HISTOIRE DE MERDE, TIREE PAR LES CHEVEUX ?
En cet instant, Izuku en était certain, Katsuki pourrait parfaitement être violent envers lui.
- UTILISER L'NOM D'UN MORT ! DE MON MEC MORT !! J'TE PENSAIS PAS COMME CA PUTAIN ! T'AS JOUÉ AU BON SAMARITAIN, MAIS EN FAIT, T'ES QU'UN PUTAIN D'ENFOIRÉ SANS COEUR ! J'TE FAISAIS CONFIANCE MERDE !
Izuku accusa le coup, les larmes dévalant ses joues en torrents intarissables. Le rouge lui répétait en continu de ne pas l'écouter, que ce n'était pas vrai, mais tout ce qu'il entendait, c'étaient les propos cinglants du blond. Tout ce qu'il voyait, c'était Katsuki, presque à portée de bras, le poing levé, prêt à le frapper.
- J'vais t'fumer, annonça-t-il d'une voix glaciale.
- NON !
Tout se passa alors très vite. À travers l'eau qui imbibait ses yeux, Izuku vit le poing de Katsuki filer droit sur son visage, qu'il protégea, tant bien que mal, de ses bras. Au même moment, Eijiro se plaça devant lui, faisant barrage de son corps pourtant intangible, et une chose indescriptible se produisit alors.
Quand le blond frappa Eijiro, et que son poing aurait dû passer à travers, celui-ci fut éjecté quelques mètres plus loin, retombant lourdement sur le sol dans un gémissement de douleur. Baissant doucement les bras, Izuku écarquilla les yeux.
Qu'est-ce qu'il venait de se passer exactement là ? C'était comme si un mur invisible s'était dressé entre eux ! Eijiro avait-il vraiment repoussé Katsuki ? Comment c'était simplement possible ? Une âme errante n'était pas palpable, depuis le temps, il le savait bien ! Il n'avait jamais pu les toucher, pas une seule fois ! Et là, non seulement, Eijiro serait devenu tangible, mais il aurait également pu toucher une autre personne que lui ? Il devait y avoir une explication !
Le souffle court et chancelant, Izuku tomba à genoux. Tout son corps tremblait, son organe vital palpitait si fort qu'il en avait mal et des petits points blancs venaient brouiller sa vue. C'était trop d'émotion pour lui, là.
- Je ne sais pas ce qu'il vient de se passer, dit Eijiro en se tournant vers lui, mais je vais te dire une chose qu'il était seul à savoir, il ne pourra pas ne pas te croire.
Un peu plus loin, Katsuki se remettait difficilement de ses émotions, la respiration saccadée par le choc. Comme lui, il se mit à quatre pattes et toussa, crachant des injures à tout va.
- Tu...tu allais le demander en mariage, déclara Izuku, une main sur le cœur.
Non mais vraiment, il allait faire une crise cardiaque avec leur histoire. La vie avait été si cruelle avec eux... Le blond se figea, littéralement. Puis, comme si ce qui venait d'arriver à ses oreilles était quelque chose d'impossible, il tourna la tête vers lui, le regard totalement perdu et blessé.
- Il...il avait trouvé la bague. Cachée dans le deuxième tiroir de votre commode.
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