Quatrième Partie
« Un surnom est le plus irréfutable des arguments. »
William Hazlitt
Le lendemain, vers 19h, après sa journée de travail, Izuku se rendit de nouveau au Edgeshot. Quand il passa la porte, Eijiro, qui se tenait derrière le comptoir, lui adressa un sourire éclatant alors que son copain, près de lui, lui fit un signe de tête avant de poursuivre ce qu'il faisait. Le gérant l'installa à la même table - étonnement, elle était libre - et il commanda son futur repas. Cette fois, il se contenta d'une eau plate pour l'accompagner.
À peine assis et l'écouteur vissé dans son oreille, le rouge s'invita à sa table, tout sourire.
- Tu es revenu, souffla Eijiro, visiblement soulagé.
- Bien sûr, je te l'ai promis.
En face de lui, les yeux rouges pétillèrent de reconnaissance et cela le conforta dans son choix. Il ne pouvait décidément pas les ignorer. Il allait les aider, tous les deux. En aidant Katsuki à faire son deuil, il donnerait alors la possibilité à Eijiro de passer de l'autre côté.
Sa boisson et son plat lui furent servis presque au même moment et il entama son repas, toujours mû par cette nouvelle mission. Le rouge et lui continuèrent de discuter, faisant connaissance, ponctuant la conversation d'anecdotes et de souvenirs en tout genre. Encore une fois, l'écouteur avait l'air de tenir son rôle de diversion, car personne ne fit attention à lui. Il évitait évidemment de regarder Eijiro dans les yeux, mais son petit coin de table, proche du mur, lui facilitait tout de même l'exercice.
- Au fait, reprit le rouge, tu n'as pas répondu à mes questions d'hier.
Izuku lui jeta un regard interrogateur. Quelles questions ?
- Comment ça se fait que tu puisses me voir ? Tu vois les fantômes depuis longtemps ?
- Ah oui, effectivement, sourit Izuku. En fait, ce n'est seulement que depuis un peu plus d'un an. Depuis mon...accident.
Sa voix se fit hésitante sur le mot. Lancé dans son explication, il ne percuta qu'à la dernière seconde que cela pouvait ricocher en Eijiro comme son propre accident, en lui remontant en mémoire de mauvais souvenirs et le troubler émotionnellement. Face à la même tragédie, l'issue était cependant différente, lui avait survécu, pas le rouge.
- Oh merde ! Toi aussi t'as eu un accident ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
A ses côtés, Eijiro semblait sincèrement peiné pour lui, mais son regard était interrogateur. Izuku n'y décela pas la moindre pointe de tristesse vis-à-vis de lui-même et il en fut rassuré.
- Ouais, il y a un peu plus d'un an maintenant. C'était l'été et je revenais d'une soirée chez un ami. J'étais en moto et comme il faisait super chaud, même à 4h du mat', j'avais seulement mon T-Shirt et un jean.
Ses yeux rouges rivés sur lui, Eijiro l'écoutait avec attention.
- Pour rentrer chez moi, je devais passer à travers une forêt et donc, sur une petite route pas éclairée.
D'une main, il porta son verre à ses lèvres et but une gorgée. Même si tout ça était derrière lui à présent, il ne se sentait tout de même pas à l'aise quand il devait en parler. Maintenant que tous ses souvenirs lui étaient revenus, ils venaient régulièrement le torturer à la nuit tombée.
- D'un coup, y'a un cerf qui a déboulé de nulle part avant de traverser la route pour rejoindre l'autre côté de la forêt. J'ai tellement été surpris que j'ai donné un grand coup de guidon pour l'éviter...ce qui m'a fait sortir de la route. Ma moto a glissé sur le côté, m'envoyant valdinguer sur le bitume.
Un frisson le parcourut quand il pensa à la suite.
- Je...je me souviens de la sensation horrible de ma peau qui s'écorche sur le béton brûlant...ce qui m'a valu cette marque indélébile.
Discrètement, il souleva la manche gauche de son fin pull blanc, présentant ainsi à Eijiro les derniers stigmates de son accident. Habituellement, c'était quelque chose qu'il ne faisait pas. Lorsque c'était possible, il faisait tout pour le cacher. Pour lui, l'hiver lui convenait bien puisqu'il pouvait mettre des manches longues. L'arrivée des beaux jours était synonyme de bras dénudés et donc de regards insistants. Chose qui le mettait profondément mal à l'aise.
Le regard grenat de son invité dériva sur son bras et, à quelques millimètres de sa peau, ses doigts intangibles suivirent les sillons plus clairs de sa cicatrice. Même s'il ne pouvait sentir son toucher, la chair de poule recouvrit l'épiderme du brancardier. Contrairement à d'habitude, il n'y avait rien de malaisant dans ce geste, juste, une profonde empathie. Du moins, Izuku le ressentit ainsi.
- C'est moche, je sais, déclara Izuku en remettant son pull.
- Non, je trouve pas, le contredit le rouge d'une voix sincère. Au contraire, je la trouve très belle. Elle est le témoignage de ta survie, de ton courage et de ta persévérance. Sois en fier.
A part sa mère et le personnel de l'hôpital, c'était la première fois qu'on ne le prenait pas en pitié ou qu'on ne louchait pas sur son bras, le regard teinté de dégoût. Cela lui réchauffa le cœur. Vraiment, cet homme était l'incarnation de la bonté. Il comprenait parfaitement pourquoi Katsuki était tombé amoureux de lui. Outre son physique avantageux - il ne pouvait le nier - le rouge avait une personnalité en or.
- Merci, souffla Izuku.
Eijiro eut un simple sourire rassurant en guise de réponse avant qu'il ne lui demande de poursuivre.
- Ma tête a alors cogné violemment contre le bitume puis une deuxième fois contre un arbre. Entre les deux, j'ai perdu connaissance. De ce qu'on m'a dit, je suis mort pendant une minute sur le lit des urgences. D'après mon médecin, c'est ce qui aurait provoqué mon don. Il parle d'expérience de mort imminente. Quand je me suis réveillé six mois plus tard, je pouvais voir les âmes errantes.
- Ça a dû être effrayant.
Izuku rigola doucement avant d'avaler une bouchée de son plat.
- Ouais, c'était pas facile au début. Je comprenais pas ce que je voyais et ce que j'entendais. Pour moi, j'avais des hallucinations et ça me faisait peur, vraiment. Mais, encore une fois, mon médecin m'a rassuré, m'a donné cette explication et m'a aidé à avancer avec ce don. Sans lui, j'aurai sans doute fini en hôpital psychiatrique. Je lui dois beaucoup.
- Je me doute. Il est un peu comme un mentor pour toi, déclara Eijiro, dans un sourire.
- C'est exactement ça !
Ils se lancèrent un regard amusé. Étrangement, même si cela faisait à peine un jour qu'ils se connaissaient, Izuku se sentait bien ici, avec le rouge.
- Mais c'est quand même surprenant pour un médecin de croire aux fantômes, non ? s'amusa le rouge. C'est pas très conventionnel.
- Hum, répondit le brancardier en avalant une bouchée de son plat. Apparemment, il aurait une grande tante médium ou un truc dans le genre. Du coup, le surnaturel, il y croit et il a cherché à l'expliquer via la médecine.
- Ah oui, je comprends mieux. T'as eu beaucoup de chance de tomber sur lui.
- Oh oui, beaucoup.
Izuku lui lança un sourire, heureux de partager tout ça. À part Ochaco et Denki, en qui il avait une confiance absolue, personne n'était au courant. Même sa mère ne l'était pas. Elle retrouvait tout juste son fils après des mois d'angoisse, il n'avait pas voulu rajouter un stress en plus. Il était certain qu'elle aurait paniqué. Et même encore maintenant, après plus d'un an, il n'était pas sûr qu'elle accepterait cela comme un don.
Le reste du repas se fit plus léger. Ils se penchèrent de nouveau sur des anecdotes de leurs vies et discutèrent de tout et de rien, tels de vieux amis de longue date. Régulièrement, Izuku voyait Eijiro lancer des regards vers Katsuki et il ne pouvait s'empêcher de faire de même. De ce fait, il croisait souvent ce regard rubis de l'autre côté du bar. Et à chaque fois, il détournait le sien, gêné.
.
Les heures devinrent des jours et les jours des semaines. Les fraîches soirées de juin laissèrent place aux chaudes soirées de juillet. Izuku se rendait le plus souvent possible au bar, soit pour dîner, soit pour seulement boire un verre après une journée éreintante. Il y avait même emmené Ochaco et Denki, après leur avoir expliqué la situation, et ils avaient beaucoup aimé l'endroit.
Au fur et à mesure qu'il passait le pas de la porte du Edgeshot, son amitié avec Eijiro se renforçait. Parler avec le rouge était sa bouffée d'oxygène. Cependant, il n'y avait pas que ça qui s'améliorait. Le serveur effacé s'ouvrait progressivement à lui, pour le plus grand plaisir d'Eijiro. Au début, ce n'était que de simples bonjours, puis ces bonjours furent accompagnés de micro sourires qu'Izuku arrivait tout de même à détecter. Ensuite vinrent les petites phrases bateau, à savoir comment s'était passée la journée, le temps qu'il faisait dehors, les dernières infos du pays. À chaque fois qu'Izuku posait une question, Katsuki y répondait. Et inversement. Ce n'était pas grand-chose, mais cela avait suffi à lui donner de l'espoir.
Puis, au bout de presque un mois, ils avaient commencé à se tutoyer et à s'appeler par leurs prénoms. Même si Izuku connaissait le nom du blond depuis le début, il avait feint de ne pas savoir et s'était présenté naturellement. À partir de ce moment-là, certains jours, leurs semblants de conversations se firent plus poussés, incorporant petit à petit des anecdotes, comme il l'avait fait avec Eijiro. Quelques souvenirs faisaient également surface, mais Katsuki évitait toujours sa vie privée. Izuku sentait bien que, parfois, le blond n'avait pas envie de parler alors, il se taisait et le laissait venir à lui s'il le désirait. Il ne voulait pas le brusquer et tout faire foirer par la même occasion.
Le mois de juin s'était passé ainsi, tout comme le mois de juillet et bientôt août leur succéda. Dehors, le temps était plutôt clément. Il faisait chaud sans pour autant être la pleine canicule. Les habitants avaient ressorti leurs fins vêtements afin de supporter correctement le soleil et les températures et certains profiter de la climatisation des bâtiments.
En ce vendredi après-midi, Izuku était installé sur la terrasse du Edgeshot et sirotait son thé glacé, lunettes de soleil posées sur le nez. Ses cheveux noirs aux doux reflets verts et bouclés étaient relevés en un petit chignon sur le haut de sa tête, laissant ainsi sa nuque dégagée. Ceux-ci avaient bien poussé lors de son coma et il n'avait pas encore pris le temps de passer chez le coiffeur. De plus, il avait reçu pas mal de compliments les concernant, les garder ainsi pour le moment ne le dérangeait pas. Ils étaient synonyme de son passé abimé, mais, comme l'avait dit Eijiro, il pouvait en être fier.
- Encore là Deku ?
A l'attente de ce surnom, Izuku sursauta, renversant presque sa boisson, et tourna la tête vers la voix qui venait de l'interpeller. Katsuki arrivait tranquillement dans sa direction, les mains dans les poches et un sac passait en bandoulière sur son torse vêtu d'un débardeur rouge. Au vu de l'heure, il allait débuter son service et terminer tard.
- Arrête de m'appeler comme ça, bouda Izuku, gonflant les joues, tout en enlevant ses lunettes. Sinon, je te trouve un surnom tout aussi chiant.
Deku, un surnom qui avait vu le jour il y a quelques jours suite à une énième boulette de sa part. Depuis qu'il fréquentait le Edgeshot, il avait cassé pas moins de 4 verres, s'était pris la porte des toilettes deux fois dans le nez, la même pour son pied dans la table, ce qui lui avait valu une belle chute devant pleins de clients...Bref, sa maladresse naturelle avait encore fait des siennes et le blond en avait profité. Néanmoins, il ne le prenait pas mal. Au contraire, c'était une preuve de plus qu'il réussissait progressivement à se rapprocher de lui, sa mission devenant de plus en plus à portée de main.
Katsuki leva un sourcil interrogateur, un sourire narquois sur les lèvres.
- J'aimerais bien voir ça, tiens.
- Ouais tu vas voir, je vais te trouver un truc bien nul ! Hum...
Le blond leva les yeux au ciel, plus amusé qu'autre chose et se détourna de lui, prêt à rentrer dans l'établissement.
- Katsuki...kats...kat...KATCHAN !
Le serveur se stoppa net et Izuku le vit se retourner vers lui, les yeux plissés, une ride déformant son front. Le brancardier déglutit. Ça n'avait pas l'air de lui plaire.
- Un surnom d'gamin ?! Retire ça tout...
- Hin hin hin, s'exclama Izuku, l'index levé. Tu m'appelles Deku, qui est franchement péjoratif, alors on est quitte.
Il ponctua sa phrase d'un grand sourire dévoilant ses petites fossettes. Le blond lui jeta un regard indéfinissable qui lui fit pencher la tête sur le côté.
- Ouais, si tu veux. T'as d'la chance d'être...hum, bref, j'vais bosser.
Et il l'abandonna là, dans l'incompréhension. Qu'est-ce qu'avait voulu dire ce regard ? Et la fin de la phrase ? Parfois, il avait du mal à comprendre les réactions de Katsuki.
Ne s'en formalisant pas plus que ça, il hocha des épaules et remit ses lunettes en place. Il attrapa également un écouteur. Maintenant que le blond était arrivé, Eijiro n'allait plus tarder. C'était comme ça avec les âmes. Certaines s'accrochaient à l'endroit où elles étaient mortes et d'autres aux personnes qui leur étaient le plus chères.
Et cela ne manqua pas. Le rouge se matérialisa près de lui quelques secondes après.
- Tu sais..., commença Eijiro à sa droite, un rire au bord des lèvres.
- Hum ?
Écouteur dans l'oreille gauche, il tourna légèrement la tête et le regarda, suçotant sa paille. L'avantage des beaux jours, c'était que derrière ses lunettes, il pouvait se permettre de vraiment regarder le rouge.
- Tu lui a tapé dans l'œil. Et ça, depuis le premier jour.
- Pa-pardon ? béguya Izuku en s'étouffant presque avec sa boisson. Nan nan, tu dois faire erreur.
- Izu, je le connais depuis longtemps maintenant, je sais quand il est intéressé par quelqu'un, répondit Eijiro en rigolant.
- Je...Il peut pas...je peux pas...enfin Eiji...t'es là...
Le rouge lui lança un regard compatissant.
- Izuku, je ne suis plus là depuis dix mois maintenant. Je te l'ai déjà dit, je suis mort et ça ne changera pas.
- Ne me demande pas ça..., s'attrista Izuku. Je ne pourrais jamais te faire ça.
- Je te demande juste de l'envisager comme une possibilité.
Eijiro se pencha un peu plus vers lui et planta son regard dans le sien.
- Il te plait et tu lui plais, je le sais. Pour le moment, il s'interdit d'aimer qui que ce soit d'autre à cause de moi. Mais tu peux changer tout ça. Il ne doit pas passer à côté d'un bonheur, surtout si ce bonheur est quelqu'un d'aussi adorable.
À ces mots, Izuku se sentit rougir. C'était vrai que physiquement, le blond lui plaisait beaucoup. Mais pouvait-il se laisser aller à un possible amour avec Katsuki alors qu'Eijiro était encore présent et était quelqu'un qu'Izuku aimait beaucoup ? Il avait l'impression d'être la copine qui pique le mec d'une autre sans aucun scrupule. Il aurait l'impression de les tromper. Ça le mettait profondément mal à l'aise.
Mais, le regard qu'Eijiro lui lança, plein d'espoir, lui fit pincer les lèvres.
- Je...je vais y réfléchir...
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