Chapitre 4: Le Chemin de Traverse-1972


Regulus transpirait dans sa tenue noire, que ses parents avaient choisi pour lui. Il avait tenté de remonter les manches longues en lin, mais la chemise était trop bien ajustée, et, en plus de coller à sa peau, ces manches serraient ses poignets sans ménagement. Il grimaça légèrement en tirant sur le col de sa chemise, avec l'impression d'étouffer.

 
  A côté de lui, Sirius avait déjà déboutonné les deux premiers boutons de sa chemise, et Regulus était soulagé qu'il n'en ai pas fait davantage. Même si leurs parents n'étaient pas avec eux, a peine rentrer Walburga et Orion s'empresseraient de questionner Kreattur sur le comportement de leurs deux fils. Regulus ne comprenait toujours pas pourquoi ils ne venaient tout simplement pas avec eux ; afin de s'assurer en temps et en heure que les derniers nés Blacks honorent le nom qu'ils portaient.

 
  Lorsqu'il avait posé la question à Sirius avant de prendre la poudre de cheminette, son frère lui avait répondu que c'était pour leur donner une raison de les corriger, si jamais ils commettaient un faux pas. Et Regulus craignait que ce ne fut vraiment le cas.

 
  Le trajet en cheminée les avait amenés à l'écart du Chemin de Traverse. D'après Sirius c'était comme ça qu'ils avaient procédé l'année passée. Selon leurs parents, les Blacks ne devaient jamais se mêler aux autres, et cela comprenait aussi la manière d'arriver au Chemin de Traverse. C'était une organisation laborieuse, mais néanmoins nécessaire.

 
  Pourtant, malgré la chaleur et le soleil qui cognait au-dessus de sa tête, Regulus trépignait presque d'impatience à l'idée de découvrir le Chemin de Traverse. L'année dernière, malgré son insistance, ses parents s'étaient opposés à ce qu'il les accompagne avec son frère. Pour Sirius, ses parents avaient fait le déplacement pour ses achats. Sans nul doute car c'était la première année de leur héritier.

 
  Visiblement Regulus n'en valait pas la peine. Et si passer plusieurs heures en compagnie de ses parents, scrutant le moindre de ses faits et gestes, n'étaient pas ce qui manqua à Regulus, ce dernier n'aurait pas été triste d'apprendre que, lui aussi, méritait l'attention de ses parents. Et parfois il lui arrivait de détester Sirius pour ne pas se rendre compte de ça.

 
  Mais aujourd'hui Regulus ne voulait pas entrer en conflit avec son frère. Dans tous les cas ce serait lui qui gagnerait. Depuis le jour où les Rosiers avaient diné chez eux, il régnait entre eux une distance et une froideur que Regulus ne leur connaissait pas. Les deux frères faisaient de leur mieux pour que les choses redeviennent comme avant, le plus jeune le voyait, et ce dernier espérait que cette journée leur permettrait de recoller ce qui avait été brisé entre eux cette nuit-là.

 
  Alors lorsque le petit groupe, composé de Sirius, Kreattur et lui, entra enfin dans le Chemin de Traverse, le bruit, la foule et l'excitation environnante ne firent pas peur à Regulus. Lui, qui sortait peu de chez lui depuis son enfance, n'était pas habitué à être autant entouré, à être confronté à ce genre de situation. Cependant la perspective de se rapprocher de Sirius avant la rentrée lui fit momentanément oublier son malaise. Tant qu'il restait avec Sirius tout irait bien.

  -Mes maîtres ont déjà demandé à Kreattur de retirer l'argent pour mes jeunes Maîtres. Les jeunes maîtres peuvent tout de suite commencer leurs achats.

  Regulus se tourna vers leur elfe de maison, et lui sourit.

 
  -Merci Kreattur. Sirius, tu veux commencer par quelque chose en particulier ?

  Sirius, qui avait jusqu'alors ignoré l'elfe, se tourna vers son frère avec un splendide sourire. Un sourire qui lui avait permit de gagner l'amitié de bien des personnes, si Regulus en croyait ce qu'il lui disait. Un sourire resplendissant, emplit d'une confiance que Regulus ne connaissait pas, mais qui était le quotidien de son frère. Le genre de sourire qui cachait quelque chose, et il sentait que cela n'allait pas lui plaire.

  -Ils ont sortit une nouvelle collection de balais. Tu m'accompagnes ?

  -Les balais ?

 
  Si Regulus se souvenait bien, les balais n'étaient pas dans la liste de fournitures transmise par Poudlard, et encore moins sur la liste que Walburga avait modifié pour eux. De plus le Quidditch n'avait jamais eu une grande place dans leur vie.

 
  Ils n'avait jamais eu l'occasion de pratiquer ce sport en plein cœur du Londres Moldus, et Regulus se demande d'où lui venait cette soudaine passion. Sans doute de Poudlard. Il se demanda combien d'autres choses avait-il manqué pendant ces mois loin de son frère ?

  -Oui, je compte essayer de rentrer dans l'équipe en tant que batteur.

  -Mais... tu ne voles même pas.

Sirius lui sourit avec espièglerie, le type de sourire qui voulait dire qu'il avait fait quelque chose que leur mère désapprouverait.

  -J'ai rattrapé mon retard cette année. James m'a aidé à apprendre les bases.

  -Ah.

  Regulus n'allait pas se plaindre. Cela faisait longtemps que Sirius n'avait pas parlé de James, et il lui parlait enfin normalement. Ce n'était pas le moment de se crisper à la moindre évocation de l'ami de son frère. Mais le problème venait de là, lorsque Sirius parlait de James, la façon dont il avait de parler de lui évoquait davantage un frère qu'un ami. Et ça, ça le rendait malade.

 
  Sans qu'il ne s'y attende, Sirius attrapa la manche de la chemise de Regulus et l'entraîna entre les corps en mouvements jusqu'à arriver devant une boutique dédiée aux articles de sports magiques.

 
  Dans la devanture était exposé un balai d'une nouvelle génération, si Regulus en croyait les cris surexcités des enfants autour de lui et de son frère. Ce dernier lui chuchota le nom de la collection et Regulus fit semblant d'avoir entendu.

 
  Le jeune garçon voulait partir le plus vite possible de là. Si au début personne ne les avait remarqués, certains enfants commençaient à les regarder étrangement. C'était l'une des raisons pour lesquelles Regulus détestait porter les tenues que ses parents avaient choisis pour lui. Ils étaient trop voyants, et il savait que ses parents voulaient qu'ils le soient, mais il ne supportait pas d'être dévisagé de la sorte. Il aurait préféré se fondre dans la masse, comme les enfants de son âge, sans savoir que les gens le pointaient du doigt en se demandant qui était ce garçon bizarre en chemise et tailleur noirs.

 
  Évidemment, Sirius aimait être au centre de l'attention. Il avait été habitué à l'être dès son plus jeune âge, en raison de son statut d'héritier ; alors que Regulus était condamné à attendre en coulisse. Mais même dans ces moments où ils étaient tous deux dévisagés, le plus jeune arrivait à discerner la différente entre les regards lancés à Sirius et ceux qu'il recevait.

 
  Sirius attirait les regards par la confiance qu'il dégageait, il était à sa place, il le savait et les autres aussi. Il brillait, littéralement, et les papillons de nuit qui volaient dans l'obscurité étaient inexorablement attirés par la splendeur qu'il émettait.

 
  Regulus, quant à lui, ne dégageait rien de tout ça. Il était l'ombre de son frère, et les autres le savaient aussi. Il n'aimait pas briller comme son frère, il ne savait pas comment faire, ni comment être ce que ces autres enfants attendaient qu'il soit. Les regards qu'il recevait étaient donc empreint d'une curiosité malsaine et d'un jugement dont Regulus se serait bien passé.

 
  Les gens se faisaient déjà une idée de la personne qu'il était. Pire encore, Regulus savait qu'ils se demandaient s'il était comme son frère. Ils connaîtraient bien assez vite la réponse, et seraient déçus d'apprendre que personne ne pouvait être comme son frère. Aussi brillant. Aussi amical. Aussi admirable. Et ils ne seraient pas les premiers à être déçu de lui. Le seul réconfort que Regulus arrivait à trouver était le fait que ces gens n'iraient sans doute pas jusqu'à le lui dire en face. Du moins c'était ce qu'il espérait.

 
  Regulus essaya de se re concentrer sur ce que son frère lui montrait. Ils étaient entrés dans le magasin et Sirius pointait du doigt les différents produits dont il aurait besoin pour entrer dans l'équipe.

 
  Petit à petit, alors que l'aîné faisait déjà une lite de ce qu'il devait acheter, le plus jeune traîna dans la boutique, seul, jusqu'à arriver aux rayons qui présentait les différents joueurs de Quidditch des dernières années. Sur certains murs étaient affichés des photos de matchs et Regulus fut captiver par la hauteur où certains joueurs allaient. Le souvenir de sa dernière confrontation avec sa mère lui revint en mémoire et il ferma les yeux en comptant jusqu'à 10 avant de les rouvrir, afin de calmer les battements de son cœur.

  -Tu as vu, c'est super cool non ?

 

  Regulus sursauta en entendant son frère parler juste derrière lui. Il détestait être surprit de la sorte et de sentir la présence de quelqu'un derrière lui au dernier moment. Sirius rit légèrement face à la réaction de son frère avant de le laisser répondre.

  -Si ça te plaît, c'est le principal.

  -Je pense que ça pourrait te plaire à toi aussi.

  Regulus haussa les épaules. Il n'avait jamais eu l'occasion de voler et ne savait donc pas trop quelles sensations rendaient à ce point son frère euphorique. Mais il voyait de quelle manière Sirius parlait de ce sport, et il semblait vraiment avoir envie de partager ça avec lui. Alors Regulus pourrait y penser, à essayer. Il pourrait essayer de passer outre sa peur du vide et rendre son frère fier. Partager avec lui autre chose que la peur des coups.

  -Peut-être, mais il faudra m'apprendre à voler.

Le sourire que son frère lui offrit lui réchauffa le cœur. Il aurait voulu que Sirius lui sourit toujours de la sorte.

  -Je t'apprendrais, puis tu auras des cours en première année.

  Le pouls de Regulus augmenta à l'idée d'apprendre à voler entourer d'autres personnes. Ses parents appuyaient sur le fait que les Blacks devaient être irréprochables. Or, dans cette situation, il ne le serait pas.

  -Tu étais bon toi ?

  Pourquoi posait-Il cette question ? Évidemment qu'il l'était. Regulus n'était même pas en colère envers son frère pour ça, c'était au contraire bien plus censé que ce soit l'héritier qui soit capable de ce genre de choses. Être toujours parfait. Une autre raison pour laquelle Regulus jugeait bon que son frère soit l'aîné et non lui.

  -Ça allait, j'ai vite appris, mais James m'aidait pas mal.

  -Hmm...

Évidemment.

  -Je lui demanderais de t'apprendre, il est bien meilleur professeur que moi.

  -Pardon ?

  Le français était sorti naturellement. Cela lui arrivait lorsqu'il était surpris. Sirius ne nota ni le changement de langue, ni le ton sur lequel ce dernier avait parlé. Regulus était capable d'apprendre à voler, mais il voulait le faire avec son frère, c'était la raison pour laquelle il avait accepté. Il ne voulait apprendre avec personne d'autre, et surtout par James. Quand bien même Sirius le voyait comme son meilleur ami.

  -Qu'est ce qu'il y a ?

  Pas perturbé, Sirius continua en français sans s'en rendre compte, et Regulus ne pouvait pas lui répondre. Visiblement son frère ne prêtait pas tant d'importance à l'idée de passer du temps avec lui aux vues de la facilité avec laquelle il avait rejeté cette corvée à James.

 
  Néanmoins il ne voulait pas se faire passer pour un émotif aux yeux de son frère, il se contenta donc d'ignorer Sirius, conscient que ce dernier passerait à autre chose facilement.

 
  C'est ce qu'il se passa. L'attention de Sirius se porta sur un objet à vendre et il s'éloigna pour le regarder de plus près, laissant Regulus seul. Ce dernier ne le retint pas. Il était coincé entre l'envie que son frère reste avec lui, qu'il se rende compte de son erreur et s'en excuse en le prenant dans ses bras-Regulus se rendit compte qu'il ne se souvenait plus de la dernière fois qu'ils s'étaient pris dans les bras-et l'envie que Sirius s'éloigne le plus loin possible de lui.

 
  Il voulait être seul et ignoré. Il en avait assez d'espérer.

  -Eh ! Regulus, tu ne voudrais pas aller chercher ta baguette ?

  Il se tourna vers son frère. Ce dernier portait certains produits qu'il lui avait montré plus tôt, et il Regulus se rendit compte que le temps était passé sans qu'il ne s'en rende compte. Une absence qu'il s'était habitué à subir à certains moments.

  Il haussa les épaules et suivit son frère pour sortir. Sirius saluait certaines personnes de temps à autre, mais eu la présence d'esprit de ne pas s'arrêter à chacune d'elles pour discuter. Regulus serait alors partit, et tant pis si Kreattur se retrouvait embêter à ne pas savoir lequel des garçons il était supposé suivre. Le plus jeune n'avait plus la patience de constater à quel point Sirius était incroyable et aimé de tous. Il le savait déjà.

 
  De nouveau dehors, Regulus se sentit capable de respirer. Son pouls reprit un rythme normal après toute cette agitation. Et alors qu'il pensait réussir à calmer son agacement, Sirius ouvrit la bouche.

  -Tu verras, je suis sûr que tout le monde va t'adorer. Moi aussi avant les gens ne m'appréciaient pas vraiment.

  Regulus adorait son frère. Il avait toujours été là pour lui, lorsqu'il le pouvait. Il était son meilleur ami, et savait tout de lui. Alors pourquoi ne comprenait-il pas que, tous les deux, ils tournaient en orbite dans des directions différentes ? Ils n'étaient pas les mêmes. Sirius ne voyait pas que Regulus ne serait jamais la personne que les gens trouveraient intéressante dans une pièce.

  Il n'avait pas cette aura lumineuse et ce sourire espiègle et joyeux qui donnerait envie aux autres de le connaitre. Sirius avait une vie à raconter. Celle de Regulus n'était même pas tracée.

 
  Et c'était comme ça que les choses fonctionnaient.

 
  Regulus le savait.

 
  Sirius préférait l'ignorer.

  -C'est toi qui attires les gens. Tu sais bien que j'en suis incapable.

  -Allons ! Tu te sous-estimes ! Tu es bien comme tu es, pas besoin de briller pour se faire aimer. S'ils le ne voient pas, c'est leur problème. Moi, en tout cas, je le vois.

  Regulus sourit sans regarder son frère. L'agacement et la colère avait disparu. Son frère ne comprendrait pas s'il lui disait qu'être aimé par tout le monde ne l'intéressait pas, tant que lui le voyait comme ça. Comme quelqu'un qui n'était pas seulement le fils de. Le frère de. Dans les yeux de Sirius, il était Regulus, son petit frère, celui qu'il protégeait. Et ça, c'était quelque chose qui ne pourrait pas changer.

 
  Ils arrivèrent vite à la boutique d'Ollivander. Evan lui avait raconté qu'elle était tenue par un très vieux sorcier, un peu excentrique, qui parlait des baguettes comme si elles étaient de réelles personnes. Regulus s'impatientait de le rencontrer, enfin une personne intéressante !

 
  La première chose qui lui passa à l'esprit lorsqu'il poussa la porte de la boutique fut « est-elle vraiment entretenue ? ». La réponse fut non. Des toiles d'araignées à chaque coin de pièce, et la poussière s'envolait dès que les deux frères Blacks posaient un pied au sol. Le magasin paraissait vide et Regulus eu l'impression qu'il n'était pas invité à rester. Il appuya tout de même sur la petite sonnette.

 
  Cette fois, il ne sursauta pas lorsque le vendeur apparut dans un bruit de coulissement. Le vieil homme faillit basculer lorsque l'escalier coulissant arriva à la fin de la rangée, mais il se rattrapa comme s'il était habitué à ce genre de situation. Le sorcier se tourna vers lui, et ses courtes boucles grises ricochèrent sur ses joues pâles. Son regard se fit surpris dès qu'il reconnu ses clients, et sa bouche s'élargit pour former un sourire ravi. Instinctivement Regulus le lui rendit, mais ne pu s'empêcher de reculer lorsque l'homme s'approcha de lui.

  -Regulus Arcturus Black.

Ce n'était pas une question, mais Regulus se sentit obliger de rajouter :

  -Oui.

  -Je me souviens encore des baguettes que j'ai vendu à vos parents.

 

  Regulus n'en montra rien, mais il avait du mal à croire le vieil homme. Personne n'était capable de se souvenir de ça. Ses parents avaient dû se trouver à Poudlard plus de vingt ans auparavant.

  -Walburga Black, une sorcière très talentueuse. Bois de cèdre, cœur en crin de licorne. 23,4 centimètres. Très flexible. Loin de ressembler à sa personnalité cette dernière information, me trompe-je ? La baguette l'avait choisie, mais pas elle. Malheureusement, les sorciers ont rarement le choix dans cette décision.

  Sans quitter Ollivander des yeux, Regulus sentit Sirius se tendre à l'évocation de leur mère. Ils voulaient tous les deux profiter d'une journée loin de chez eux sans avoir à se prostrer à la surveillance de leurs parents. Regulus s'était fait à l'idée qu'ils n'échapperaient pas à ce type de discussion. Pour les autres, ceux qui n'étaient pas des Blacks, cela devait être normal d'être le sujet de leurs discussions. Ils étaient l'une des familles les plus influentes de Grande-Bretagne, ses parents lui avaient apprit qu'il était normal que l'on parle d'eux.

 
  Le vendeur jeta un coup d'œil à l'ainé des frères avant de continuer.

  -Orion Black, un sorcier très réputé et demandé dans son domaine. Bois de frêne, cœur en ventricule de dragon, 30,5 centimètres. Rigide. Parfaite pour un sorcier aussi ambitieux que lui, du moins c'était ce que pensait sa baguette.

  Regulus grimaça au moment où Ollivander parla de son père. Il en connaissait peu sur le travail de son père, mais cela faisait des années qu'il n'avait plus utilisé le mot ambitieux pour le décrire. La description appropriée aurait plus été « instabilité ». Regulus savait son père malade, d'une maladie incurable dû à la consanguinité qui rythmait les croisements entre membres d'une même famille chez les 28 Sacrés. Toujours Purs. Malgré les risques, cette phrase restait la devise familiale.

 
  Depuis petit Regulus avait appris à se méfier de son père. Personne ne pouvait prédire de quelle façon il allait réagir. Le garçon l'évitait avec le plus grand soin, ce qui n'avait jamais été compliqué. Orion passait ses journées dans son bureau, à boire pour oublier la douleur qui le rongeait petit à petit, ou à gérer les finances de toute la famille, rôle qui reviendrait un jour à Sirius. Regulus, quant à lui, se terrait dans sa chambre, ou bien dans la bibliothèque, des étages bien au-dessus de là où se trouvait son bureau, de telle sorte qu'il pourrait fuir si jamais il l'entendait monter. Ou du moins se préparer. Se préparer à endurer.

 
  Endurer quoi ?

 
  Il n'avait malheureusement pas le luxe de le savoir en avance.

  -Et l'année dernière c'était au tour de votre frère. Il a mis du temps à être choisis. Sacré sorcier lui aussi, n'est-ce pas ?

Sirius s'approcha de Regulus et lui chuchota à l'oreille.

  -Ca prenait tellement de temps qu'il y avait la queue derrière moi.

  -La queue c'était des gens qui voulaient acheter une baguette, ou une queue de gens venus voir l'héritier Black obtenir sa baguette ? répondit Regulus avec une pointe de sarcasme.

  Sirius recula avec un sourire en haussant les épaules. Regulus retourna son attention vers Ollivander qui s'était tu pour laisser les deux frères finir leur discussion, et le sourire qu'il lui offrit rendit le jeune garçon mal à l'aise.

  -Mais aujourd'hui nous sommes ici pour vous M.Black.

  Regulus osa enfin s'avancer vers le sorcier. Ils restèrent silencieux quelques instants, assez pour le mettre mal à l'aise, puis, sans prévenir, Ollivander fit un demi-tour pour aller chercher une baguette, comme si la lumière s'était allumée dans sa tête et qu'une idée avait brusquement surgit.

 
  Le jeune garçon le perdit de vu mais l'entendit faire une dizaine de pas, sans doute jusqu'au bout de la rangée et patienta jusqu'au retour du vieil homme. Ce dernier sortit de sa boite une baguette brune et droite, élégante et raffinée. Une baguette parfaite pour un Black.

  -Bois d'acacia et en ventricule de dragon. 25 centimètres. Assez flexible. Prenez-la et agitez-la un peu.

  Regulus eu à peine le temps de tenir la baguette entre ses mains qu'une brise légère souffla dans ses oreilles et que Ollivander ne lui reprenne l'objet en maugréant. Il retourna dans ses rangées et lui en présenta une deuxième.

  -Bois de houx, crin de licorne. 21,5 centimètres. Très rigide. Tenez.

  Cette fois-ci il l'effleura seulement et déjà un grondement sourd émana de la baguette. Le vendeur la retira des mains du garçon avec empressement. Les minutes défilèrent et chaque essai ressemblait au précédent. Un monticule de boites s'était formé à partir du moment où Ollivander avait cessé de les ranger, et manquait de s'effondrer à tout moment.

 
  Sirius s'était assis sur une chaise au bout de la huitième baguette, avait commencé à sortir des affaires de Quidditch pour les regarder au bout de la quinzième et avait commencé à fredonner depuis la vingtième. Ensuite, Regulus avait arrêté de compter.

 
  Chaque nouvelle baguette posée sur la pile, déjà trop imposante pour sa propre conscience, lui tordait un peu plus le ventre. Regulus avait l'impression qu'une enclume pesait sur lui, et l'espoir de réussir à trouver la baguette qui lui correspondait s'amenuisait. Cela le terrifiait.

 
  Regulus ne cherchait même plus la baguette qui ferait honneur à sa famille et au nom qu'il portait, il voulait simplement en trouve une. Et alors que le vendeur lui tendait celle qui lui paraissait être la millième, la peur s'intensifia. Plus le temps passait moins il pensait ressortir de la boutique avec une de ces boîtes rectangulaires. Peut-être une, vide, une sorte de cadeau de dédommagement de la part du vieillard à qui il faisait vraisemblablement perdre son temps.

 
  Lorsque le vendeur lui arracha une fois de plus une baguette des mains, Regulus entendit Sirius soupirer. Sa panique s'accentua. Il commençait à avoir des sueurs froides et la chaleur qui s'était installée dans la boutique le fit transpirer davantage. Sa chemise lui collait la peau et la pression que son col exerçait sur son cou lui donnait l'impression d'étouffer. Et au moment où une énième baguette fut de nouveau arrachée de ses mains, devenues rouges, il sut qu'il décevrait sa mère.

 
  Regulus ne savait pas encore ce qu'il recevrait comme correction pour avoir manqué au devoir de famille d'atteindre toujours la perfection, mais il préférait ne pas y penser. Sa mère avait été très claire la dernière fois, elle ne permettrait ni écart ni désobéissance, que cela soit de sa volonté ou non. Si Regulus le pouvait, il endurerait l'utilisation d'une baguette qui ne lui convenait pas, si cela pouvait contenter Walburga Black.

 
  Mais au-delà de la menace permanente que l'existence de sa mère représentait, il y avait pire. Pire que de souffrir. Pire que la terreur.

  S'il ne revenait pas avec une baguette, il n'irait jamais à Poudlard. Il resterait enfermé dans ce manoir pour toujours. Car ses parents ne le laisseraient pas retenter d'en trouver une, dans tous les cas, Regulus échouerait une nouvelle fois. Les Blacks n'avaient pas le droit à une seconde chance. Il errerait dans les couloirs de cette maison froide, sombre et morne, entouré des tableaux de ses ancêtres qui cracheraient leur venin à son approche. Sans aucun doute son visage serait brûlé de la tapisserie, considéré comme un Cracmol, un nom vite oublié, un secret de famille piégé entre ces murs, et dont la seule évasion se trouverait sur le toit de ce manoir. Et un jour, son rebord.

 
  Et il perdrait son frère. Son meilleur ami. Il avait presque failli devenir fou sans lui cette année. Sirius l'avait presque oublié. Une année de plus et Regulus deviendrait un simple souvenir brumeux. Il le perdrait. Et jamais Regulus ne tiendrait sans son frère. Le rebord l'appellerait, il le savait. Lui n'avait pas le courage d'affronter ses démons, de se battre pour ce qu'il était. Il n'était pas assez fort. Il se laisserait engloutir par les ténèbres que représentait son nom de famille.

 
  Il sauterait.

 
  Malgré sa peur du vide.

 
  Malgré la promesse qu'il avait faite à son frère.

 
  Car Regulus savait que Sirius ne la tiendrait jamais.

  -Je ne pensais pas avoir à dire ça un jour, mais j'avoue ne pas savoir comment sortir de cette situation. Vous avez une âme assez particulière pour qu'aucune baguette n'ait assez confiance en elle pour vous épauler.

  C'était donc comme cela que tout se terminait ? Il était encore le problème ? Du coin de l'œil il vit Sirius se lever de sa chaise, une expression aussi incrédule que la sienne sur le visage.

  -Que voulez-vous dire ?

Ollivander ne prit pas la peine de répondre à son client. Regulus n'était même pas sûr qu'il l'eut entendu.

  -Nous avons déjà trouvé le bon bois, mais depuis je bloque.

Regulus commença à s'inquiéter, ne devait-il pas tout simplement abandonner ?

  -Le cœur ne va pas, c'est le cœur qui pèche. Mais j'ai tout essayé.

Il s'approcha du vendeur lorsque celui-ci se redressa, les yeux lumineux.

  -Ah moins que...

  Ollivander repartit dans ses rayonnages, en continuant de marmonner, jusqu'à ce que Regulus le perde de vue. Il se tourna vers son frère en quête de réponses. Sirius se contenta d'hausser les épaules et il abandonna en entendant le vendeur revenir. Il tenait dans ses mains une boite semblable à toutes celles empilées sur le comptoir. Seulement, celle-ci dégageait quelque chose qui donnait à la fois envie à Regulus de l'ouvrir sur le champ et de tenir son contenant entre ses mains, et de l'autre la mettre sous scellée et de la cacher de la vue de tous.

  Ollivander sortit la baguette et la lui tendit.

  -Bois de cyprès, cœur en crin de Sombral. Souple. 17,8 centimètres. Essayez-la. Je pense que nous tenons quelque chose.

  Peu assuré, Regulus tendit quand même la main pour attraper la baguette. Cette fois il eut le temps de la sentir entre ses doigts. Le bois était totalement noir et lisse. Il sentit ses paumes se réchauffer au contact de l'objet.

  -Eh bien nous voilà fixé.

  Regulus leva les yeux de la baguette, surpris. Après tout ce temps passé dans le magasin, ils avaient enfin trouvé la bonne. Il avait du mal à y croire. Toutes ses sombres pensées n'appartinrent alors qu'au passé, et le garçon en fut rassuré.

  -C'est bon ? C'est vraiment fini ? Par Merlin que c'était long, s'exclama Sirius.

  Sirius paya et commença à ramasser les paquets qu'il avait laissé trainer. Regulus patientait et continuait à regarder Ollivander pendant que ce dernier rangeait. Les boites volaient une à une en direction de leur emplacement et le jeune sorcier s'approcha du vendeur.

  -Savez-vous pourquoi cela a-t-il pris autant de temps ?

Ollivander se tourna vers lui et un fin sourire éclaira son visage.

  -Cela arrive parfois. Les baguettes sont des êtres mystérieux. Certaines, la plupart enfait, choisissent des sorciers aux âmes tranquilles, apaisées. Il n'existe que très peu de baguettes destinées aux plus tourmentés. Votre âme est complexe M.Black. C'est pour cela que c'est à la fois évident qu'une baguette en cœur de crin de Sombral vous aie choisis, et qui est tout aussi étonnant.

  Regulus ouvrit la bouche pour répondre mais Sirius l'appela pour sortir et il fut bien obligé de le suivre. Sortir à l'air libre après tout ce temps lui fit un bien fou. L'horloge avait bien avancé et il y avait davantage de familles de sorciers. Tous se précipitaient ici et là, certains erraient sans but. Regulus baissa les yeux vers la boîte qui contenait sa baguette.

  -C'est drôle, je ne connais personne qui possède une baguette en cœur de Sombral.

  -Ah oui ?

  -Hmm.

  -Pourquoi ?

  -Aucune idée.

  Regulus aurait voulu en parler davantage, mais alors qu'il ouvrait la bouche, Sirius leva les yeux et ceux-ci s'illuminèrent. Un sourire se forma sur ses lèvres et il commença à marcher plus vite, forçant Regulus à suivre sa cadence de plus en plus frénétique. Trop petit, ce dernier n'arrivait pas à voir ce qui excitait ainsi son frère. Le monde autour d'eux l'empêchait d'apercevoir aussi loin. Mais il sentait que les choses allaient prendre une tournure qu'il n'aimerait pas.

  -James !

  Et son cœur se brisa.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top