Chapitre 8
J'ai passé la pire nuit de ma vie ! Entre la claque de Tiny, l'attaque de Fimou, et les interventions chirurgicales sur mon épaule, j'ai tout eu.
Et le pire, c'est que je n'ai même pas une journée de repos. Je commence le service dès ce matin et monsieur l'Intendant Efféminé n'a rien voulu entendre.
Je grogne comme un phacochère, mon plat sur les bras. Je n'ai pas recroisé Poulpinet depuis hier, il faut croire qu'il est aussi bien occupé.
À l'heure actuelle, je suis sensé apporter le petit-déjeuner dans la chambre 115. Aucune idée de qui il s'agit, j'ai juste le chiffre donné par mon plan que je laisse déplié sur le plateau.
Je trottine donc dans des appartements déserts et puants de richesses. Une végétation luxuriante orne les coins et les longues fenêtres apportent chaleureusement les premiers rayons de ce soleil d'été.
Le point positif dans tout ça, c'est qu'il n'y a pas de couloirs parallèles de domestiques dans ce palais contrairement aux Falaises Sanglantes. Je peux donc visiter en toute quiétude.
Je pousse la dernière porte et m'avance dans une chambre obscure où les rideaux sont encore tirés. Je pose mon service au coin du lit et les ouvre brutalement :
— Debout là-dedans ! crié-je.
Je me retourne pour voir le dormeur se réveiller en sursaut.
— Non mais ça ne va pas ! couine-t-il en se frottant la joue.
— Voilà votre petit-déjeuner, claironné-je en déposant le plateau sur ses genoux.
Il me regarde, les yeux encore bouffi par le sommeil. La marque de l'oreiller orne magnifiquement sa pommette saillante, lui retirant toute crédibilité.
Étrange : que fait-il dans les appartements royaux ? À le regarder, il ressemble à un adolescent avec des cheveux aussi blancs que ceux de Poulpinet.
Je m'assis à côté de lui sans le lâcher de mes prunelles noisette.
— Vous êtes qui ? demandé-je.
Il me scrute pendant de longues secondes, interloqué par ma question.
— Je suis le prince Ambar, t'es pas là depuis longtemps, toi.
Le prince ?! Luinil a un deuxième fils ? Pas croyable ! Mais du coup, le père, c'est Carnil ? En tous cas, maintenant qu'il l'a dit, il ressemble pas mal à Féathor.
— Mmh, non, je suis nouveau.
— Tu viens de Calca ? me demande-t-il avec un soudain intérêt tout en trempant son pain dans sa boisson chaude.
— En effet.
— C'est comment là-bas ?
— Pourquoi, vous voudriez y aller ?
— Peut-être bien... Enfin, ne le dis pas à maman, elle en serait folle.
— Ben, c'est plus beau que Fanyarë mais le climat est moins clément. Je ne parle pas des habitants : les elfes sont exaspérants à toujours péter plus haut que leur cul et à exercer leur racisme dans toutes leurs lois.
Il sourit la bouche pleine et ajoute :
— Tu t'es enfui ?
— Exact. Et votre père, il serait d'accord pour que vous partiez ?
Sous-entendu : qui est ton paternel ?
— Lequel ?
— Lequel quoi ?
— Lequel père ?
Ah d'accord.
— Bah heu... Votre premier père.
— Carnil déteste les elfes encore plus que ma mère. Mais moi je ne rêve que de voyages.
Bien ! Me voilà fixé.
— Et toi, tu n'as pas de famille, n'est-ce pas ?
Mon regard se voile : je n'ai pas envie d'en parler.
— Si. J'ai eu une femme et des enfants mais ils sont partis, maintenant.
Ma gorge se serre douloureusement.
— T'en fais pas, t'auras jamais la situation familiale qu'est la mienne. Je t'assure qu'elle est haute en couleur !
— Ah oui ?
— Eh ! T'es beaucoup trop curieux !
— Et vous, trop bavard.
Il secoue la tête en riant et conclut :
— Tu m'amuses mais je dois me rendre au Conseil. J'ai un devoir de prince à remplir, moi !
— Vous semblez si enthousiaste !
— Je ne te le fais pas dire, soupire-t-il en s'habillant, mais la soirée sera animée avec la venue des cours étrangères et de l'Empereur.
Je le regarde refermer sa veste de velours bleu et remettre de l'ordre dans sa tignasse immaculée. C'est à ce moment qu'une cicatrice apparait près de l'arcade sourcilière, une brûlure, je dirais. Il ne remarque pas mon regard insistant et chausse ses bottes grises.
— Que pensez-vous de l'Empereur ? m'enquis-je soudain.
Il tourne la tête vers moi, étonné de la question.
— Tout le monde ici te dira qu'il est un peu spécial mais personne ne connait sa véritable identité, vu qu'il apparait toujours le visage caché. Fanyarë préfèrerait garder son indépendance vis-à-vis de l'Empire mais je dois bien admettre que son intervention est indispensable désormais. Le royaume de mes parents ne peut plus se passer de lui.
Alors comme ça, Morgal veut garder l'incognito ? ça ne m'étonne même pas : il n'a jamais aimé prendre la grosse tête même s'il adore dominer.
— Ah et le gnome, tu peux m'apporter le médicament, sur mon secrétaire ?
— Pas de soucis, mon prince. Mais moi c'est Binou.
— Binou... Intéressant...
Je fronce les sourcils tout en attrapant la petite fiole de verre : me connaitrait-il ? Impossible.
— De quel mal êtes-vous atteint ? demandé-je pour changer de sujet.
— Rien. Juste une mesure... de... de sécurité.
Il ment si mal, c'en est affligeant ! Mais ça ne me donne pas une réponse. Je lui tends son médicament qu'il attrape mais avant que je n'aie pu retirer ma main, il saisit mon poignet et tire brusquement sur ma manche.
— La marque de l'Empereur. Encore plus intéressant...
Je me fige, comme un piquet, honteux d'avoir brûlé ma couverture. Je replace ma manche et tente de me soustraire au regard inquisiteur du prince :
— Vous vous trompez, c'est un simple tatouage, hasardé-je en tournant les talons.
Je suis soudain happé vers l'arrière :
— Venant du gnome personnel de l'Empereur, ça m'étonne !
Je suis coincé ! J'ai été découvert par le prince-même ! Comment sait-il que je suis le gnome de Morgal !?
— Si ton maître l'apprend, il te tuera, Binou, sourit-il sadiquement.
Je déglutis.
— Cependant, je suis prêt à garder le silence si tu acceptes de me rendre un petit service.
— Ah oui ? Je n'en ai pas trop envie, en fait.
Parce que les services des astres, on m'a déjà briefé sur le sujet !
— Dans ce cas, mon père se fera un plaisir de te donner en pâture aux aratayas. Ou alors, l'Empereur se chargera de régler ton cas.
Hors de moi, je lève les yeux au ciel : les chantages commencent !
— Je vous écoute.
— L'Empereur se rend ce soir à Arminassë. S'il décide d'accompagner la cour, il sera présent à l'opéra. Je veux que tu voles une bague.
— La bague verte ?
— Non, celle-ci, ça fait depuis longtemps qu'il l'a cachée. Il faut dérober la bague d'argent.
— Bonté divine, soupiré-je, et comment suis-je sensé lui arracher un tel objet ?!
— Attendez qu'il dorme, je ne sais pas moi ! Mais il me la faut.
Morgal, dormir ? Cela arrive une fois toutes les décades.
— Et pourquoi avez-vous besoin de la bague ?
— Cela me regarde.
Par pitié ! Non seulement il y a Luinil et Nim qui complotent de leur côté, mais en plus, le prince s'y met !
Faisons un petit tour de la chambre de Carnil, je trouverais bien une autre conjuration !
— Très bien, accepté-je, vous aurez cette maudite bague.
— Trop aimable, continue-t-il dans son sourire éclatant, j'ai hâte de te retrouver ce soir !
Sur ce, il disparait par la porte à grandes enjambées. Rhaaa ! Pourquoi diable veut-il un bijou de mon maître ? Pour empoisonner quelqu'un ? Il a d'autres moyens plus simples que de voler la bague de l'Empereur !
Bon, j'aviserai ce soir. Pour l'instant, il me tarde de regagner les cuisines : j'ai une faim de loup.
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