Chapitre 73
Je délivre Urufir en vitesse et me précipite vers Malgal qui semble plongée dans une transe inarrêtable.
Je dégaine ma dague et lance :
— Malgal ! Revenez parmi nous !
Mais il semble déjà loin dans son délire. Je me retourne dans les gradins pour m'apercevoir que tout n'est que carnage et bain de sang. Il ne compte pas réduire toute la population de Lombal à cet état, j'espère ?
Conscient du dérapage que peut engendrer la Mémoire, Sanar se saisit du drogué mais ce dernier se débat brutalement.
— Laissez-moi, laissez-moi ! hurle-t-il démentiellement.
D'un geste traitre, l'elfe enfonce un couteau dans la poitrine de l'ange qui recule, stupéfait. Bon, c'est officiel, Malgal a totalement perdu la boule. Avec rapidité, je lui entaille le bras afin qu'il lâche son arme.
Pris d'une colère sourde, il active immédiatement la puce et je ne tarde pas à finir à terre, la tête sur le point d'exploser. Aïe, j'avais oublié ce petit détail... Je n'arrête pas de tousser du sang, pris d'interminables tremblements. L'impression que mes yeux vont sortir de leur orbite et que mes veines vont éclater.
— C'est ici que se termine l'aventure ! déclare Malgal, j'ai désormais en ma possession non seulement le système de Lombal mais en plus, le sapior de mon frère me permettra de mettre la main sur les armées d'Onyx !
Anarrima s'est relevée auprès de Sanar, de sa sœur et Urufir :
— Nous n'avons pas le choix, murmure-t-elle, nous allons devoir l'éliminer avant qu'il n'abuse de ses capacités.
Déjà, l'ange est prêt à fondre sur la Mémoire et la transformer en charpie informe.
— Si vous vous débarrassez de moi, ricane le frère de mon maître, c'est un génocide que vous commettez. Et je compte bien finir le travail d'Arnil, en y mettant ma propre touche personnelle. J'imagine que vous n'avez rien contre cela, n'est-ce pas ?
Malgal est comme devenu le chantre de toute cette situation catastrophique. Emporté dans sa folie, il est assailli par des rires légèrement flippants qui lui donne l'allure d'un possédé. Il gravit quelques marches qui donnent sur un balcon dégagé. La lumière du crépuscule hivernal l'éclaire dans une teinte orangée alors que la tempête continue de plus belle.
— Et je suis certain que vous voulez assister à un magnifique feu d'artifice, non ? Ce sera le cas lorsque les canons de Lombal bombarderont les terres de tous ces sauvages.
— Vous êtes complètement fou ! s'écrie Anarrima.
— Oui, ma chère, après avoir été abandonné pendant quinze ans par celui qui devait m'être le plus proche, j'ai constaté que l'attachement ne donnait rien. Ça m'a détruit, alors je suis pris d'une envie pressante d'en faire de même pour la Dimension. Ce monde est à l'agonie, sans identité... Il est temps de rebâtir une nouvelle ère sur ses cendres !
Toujours affalé sur les dalles froides, je tente de me redresser un minimum bien que mon corps crie à l'agonie.
J'ignore comment il serait possible de raisonner Malgal ; je n'avais pas pensé qu'il se droguait probablement à cause de l'abandon de son frère jumeau. Si la déception et l'amertume l'ont rongé tout ce temps, je crains que nous payions le gros lot. Il ne fait aucun doute que les armes nucléaires de Lombal feraient un ravage sans nom sur la Dimension, à l'image de la pluie de météorites. D'une simple pensée, la Mémoire est capable de déverser cet enfer sur nous.
Mais en attendant, si on lui zigouille sa vieille bobine ravagée, tous les astres et autres créatures dépendantes d'un sapior clamsent par la même occasion, d'où le génocide.
Comment va-t-on sortir de ce merdier ? Même Morgal est dans un bien trop piteux état pour intervenir et donner une belle taloche. C'est limite s'il est toujours conscient, épuisé par le transfert qui a sauvé son petit-fils.
Alors que l'autre continue ces élucubrations dans des envolées lyriques qui ne semblent pas vraiment rassurer son auditoire restreint, Féathor et Narlera apparaissent sur le haut des machines, chargés de désintégrateurs.
— Navré de vous interrompre, mon oncle, lâche Tronche Parfaite, mais vous avez oublié un détail.
Malgal se tourne vers son neveu et blanchit, si possible qu'il puisse blanchir davantage, devant les armes pointées sur les machines annexes des réacteurs.
— Sans les régulateurs, la surcharge aura raison de vous... Je vous ai promis que je vous revaudrais votre geste, eh bien, c'est chose faite, je vous ramène à la raison !
— Féathor, ne...
L'elfe n'a pas le temps de finir sa phrase ; le demi-astre et sa compagne viennent d'appuyer sur la gâchette. La déflagration est immédiatement suivie d'un grésillement continu qui se fait de plus en plus aigu.
La Mémoire porte les mains à son crâne devant le flot d'informations et de contrôles qui s'accumulent brusquement dans sa tête.
Subitement, son œil électronique éclate comme si son esprit venait de disjoncter. Telle une machine qui perd toute énergie, Malgal recule mécaniquement, totalement vidé. Il trébuche contre la balustrade, le sang coulant de son œil invalide, et bascule dans le vide.
— Malgal !
Morgal s'est précipité au-devant de son frère comme pour empêcher la chute mortelle. Mais il est déjà trop tard. Son jumeau a disparu de l'autre côté du balcon. Sans hésiter, il enjambe la barrière et se jette à son tour dans le vide.
Ma souffrance ayant disparu avec la fin de la surcharge, je me précipite sur le balcon et me penche au garde-fou, à bout de souffle. A-t-il réellement sauté ?!
Surplombant la façade gigantesque du palais, je distingue mon maître rejoindre son jumeau dans la chute qui les rapproche toujours plus des vagues mugissantes. Avant qu'ils ne disparaissent dans le chaos d'une mer déchainée, Morgal enserre son frère, enfouissant son nez dans son épaule. Peut-être qu'à cet instant, le prince des Falaises Sanglantes a retrouvé un équilibre mental que des milliers d'années de séparation avaient détruit au profit d'une psychopathie dominatrice.
Peut-être qu'à cet instant, aussi proche de son frère que deux enfants dans le ventre de leur mère, il abandonne sa perversité pour recouvrer une innocence nouvelle.
Est-ce la fin d'un monde ? le commencement d'une nouvelle ère ou une continuité accablante d'événements qui se ressemblent dans leur médiocrité ?
Ce sont du moins les questions que je me suis posées lorsque les deux hommes disparurent dans le chaudron glacé de l'océan. En un clin d'œil, les lames d'écumes les recouvrirent sous leurs eaux voraces.
À mes côtés, les enfants de l'Empereur et leur conjoint ne pipent mot. À en juger la face de Féathor et de sa sœur Indil, la disparition soudaine du paternel ne parait pas les affecter.
Après tout, ils le connaissent bien. Ils savent qu'il repointera le bout de son nez pour continuer ses perfidies.
Va savoir quand...
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