Chapitre 72
— Vous l'avez ?
Tiny s'élance à notre rencontre mais semble rassurée de me voir avec l'arme.
— Oui, c'est bon, nous l'avons trouvée, burps.
Un renvoi impromptu de ma part me rappelle que je n'ai pas récupéré seulement la faux. Y a un truc bizarre qui marine dans mes entrailles mais j'avoue que ce n'est pas le moment de s'en occuper.
— Pas de souci avec la garde ?
— Pour l'instant, non.
— Très bien, on y va.
Tous les quatre, nous nous élançons dans les interminables couloir du palais impérial. Comme je suis encombré avec cette faux démesurée, je charge aux filles de dégager la voix. Heureusement, nous sommes encore loin de l'hémicycle et les soldats se font rares. Ceci-dit, les deux furies n'hésitent pas à écharper les pauvres malheureux qui se trouvent sur notre chemin. On commence à tracer une route sanglante à mesure que nous nous avançons vers notre but.
Malheureusement, Clark sue déjà comme un bœuf et son surpoids ne lui permet pas de continuer avec nous.
De toute façon, il ne pourra jamais grimper jusqu'aux toits.
D'un signe de tête nous lui laissons l'opportunité de s'arrêter ici. Avec les deux gnomes, je prends une fenêtre et sorts sur les toits. Ainsi, nous nous engageons dans les coursières extérieures qui surplombent les arcs boutants. De cette hauteur, nous disposons d'une vue magnifique sur le Chœur, ses palais et surtout, sur la mer agitée qui l'entoure. Les vagues s'éclatent contre les brisants sur lesquels se dresse la forteresse titanesque. Même avec la tempête, assaillie de toutes les rafales et de toute la force marine, elle ne bougera pas d'un pouce.
Le vent cinglant de l'hiver nous plaque les cheveux, nous jetant une forte odeur de varech à la figure. Le froid est tel que nos nez rougissent sur le coup et nos respirations peinent dans nos poumons.
Le poids de cette maudite faux commence à me les briser. Et je parle bien de mes os. Je ne mentionnerai même pas le cliquetis incessant des chainettes accrochées sous la lame recourbée. Cela m'agace à un poids non descriptible.
Cependant, le dôme de l'hémicycle, perceptible derrière les principaux donjons du palais, est encore loin. Le temps nous manque.
On ne tarde pas à arriver à une terrasse, surplombée d'un vaste pavillon circulaire. Elle devait probablement accueillir certaines cultures botaniques l'été mais en raison du froid, l'emplacement est désert.
Enfin... Pas vraiment.
Yauly se tient debout, accompagné de Nanda et Pomparadi. Les trois chimères nous bloquent la route, toujours affublées de leurs ridicules costumes de bouffon. Bon... Je peux parler.
Bien que leur allure soit dépourvue d'hostilité, je devine sans mal que les armes dans leurs mains ne sont pas là pour jouer une nouvelle farce.
— On a pas le temps de s'occuper d'eux, grogne Püpe en refermant ses mains sur ses poignards.
— Vous nous accorderez bien quelques instants ! s'exclame le félin de son air le plus jovial, nous avons ordre de vous arrêter.
Eux ? Nous ? Qui a pris cette décision ridicule ? J'avais à peine formulé cette question dans mon esprit que la fée se saisit de son fléau, totalement disproportionnée pour sa taille, et balaie Püpe aussi facilement qu'elle l'eut fait pour une quille.
La gnome s'éclate contre un contrefort, complètement sonnée. Je vois le genre... Ce ne sont pas n'importe quelles chimères...
Mais il n'y pas le choix. Dommage, je commençais à apprécier Yauly. Je me jette sur lui, abattant la faux sur son visage. Encore plus agile que moi, il esquive sans mal et laisse la lame briser les dalles. Comme pour riposter, il se saisit de sa hache à double tranchant et se précipite sur moi sans se départir de son sourire. Ah tu veux jouer ? Pas de problème ! Je vais te réduire en pièces, mon petit chaton !
D'un bref regard, je perçois Tiny affronter la hallebarde de Pomparadi de son sabre recourbé. Le combat semble égal si j'en juge la vélocité des échanges. Püpe s'est relevée et s'attaque à Nanda avec fureur mais la fée s'envole par moment, ce qui énerve bien ma petite tigresse qui ne tarde pas à lancer un couteau dans l'articulation de l'aile. Son adversaire s'effondre blessée mais pas moins déterminée. Elle se relève aussitôt, prête à en découdre.
Je reporte mon attention sur mon ennemi et lui renvoie son sourire désobligeant. D'un seul homme, nous chargeons l'un contre l'autre. Ma faux barre sa masse d'arme dans un choc retentissant. Il ne manque pas de force, le bougre ! Mais il n'a pas eu Arquen comme précepteur !
Je le repousse du manche de mon arme et la fait tournoyer avant d'effectuer de larges demi-cercles de la lame, pour faire reculer la chimère. Devant la dangerosité du tranchant, Yauly ne tarde pas à répliquer, surtout lorsque je lui sectionne quelques poils de sa queue.
Ses oreilles se rabattent sur son cou et ses feulements n'annoncent rien de bon pour moi. Il se précipite contre moi, faisant fi des risques et parvient à me toucher grâce à sa vitesse de déplacement.
Mon sang gicle sur son visage alors que je perds pieds. Est-ce que je peux rester un moment en bonne santé dans cette histoire ? Une brûlure vive se fait sentir sur mon flanc gauche mais grâce à mes reflexes, je suis parvenue à reculer avant que sa hache ne touche un organe vital. Voilà que mon adversaire glousse comme une dinde, il va voir lorsque je l'aurai réduit en cancoillotte !
Car malheureusement pour notre chaton, il a laissé une brèche impardonnable après son coup et sans mal, je fais voler son arme à l'autre bout de la terrasse.
Péniblement, je me relève, la tunique en sang et toise le félin avec la même détermination. Sans s'avouer vaincu, il sort les griffes et saute sur moi pour me refaire le visage. Ah non, ça suffit ! Je bloque son attaque avec le manche de mon arme mais il persiste alors je décide de retourner sa propre force contre lui.
Me servant de ma faux comme balancier, je profite de son élan pour effectuer un brusque levier. Emporté, Yauly passe par-dessus mes épaules et au lieu de se manger le sol, il se retrouve face au vide.
Un miaulement strident se fait entendre alors qu'il chute de l'immensité architecturale du palais. Je jette un œil par-dessus la balustrade et le retrouve accroché à un pinacle, quelques mètres plus bas avec les griffes enfoncées dans la pierre.
Qu'il se débrouille ainsi ! Bonne chance pour descendre de son perchoir. Après tout, c'est connu, les chats retombent sur leurs pattes.
Je me retourne vers le champ de bataille pour aider mes compagnes.
— Vas-y Binou ! me crie Püpe, on s'occupe de ceux-là !
J'hésite un instant puis hoche la tête. Nous n'avons pas toute la journée. J'ignore encore où en sont nos politiciens de pacotille mais je me doute bien qu'il me reste que quelques minutes avant la passation.
Toujours muni de mon arme démesurée, je cours sur les toits, croisant myriades de cheminées biscornues et de gargouilles agressives. Ma blessure au ventre reste peu profonde, ce qui me permet d'accélérer.
Mais enfin, je parviens au dôme. Ce dernier est recouvert d'un plomb foncé comme s'il reflétait les sombres dessins qui se déroulent sous sa structure.
Immédiatement, je cherche une lucarne par laquelle je pourrai m'enfiler avec la faux. Je m'engage sur les balcons et m'arrête au niveau de fenêtre en chien-assis. Sans mal, je crochète la poignée et m'introduis. Je pénètre ainsi directement dans la charpente. Les différentes fenêtres qui ceinturent ainsi le dôme permettent d'éclairer, quand on le désire, l'intérieur de l'édifice par des effet de miroirs et de vantaux.
Subrepticement, je me glisse entre les poutres jusqu'à atteindre le triforium où je pourrais sans mal jeter un œil dans l'hémicycle, à condition qu'il n'y ait pas de caméras.
L'avancée jusqu'aux arcatures qui donnent sur la salle, quinze mètres plus bas, se fait sans encombre. Je parviens jusqu'à la balustrade sculptée et jette un œil sur la scène.
Comme je m'y attendais, Arnil préside l'espace, point de mire de tous les abrutis qui siègent dans les gradins et qui boivent ses paroles comme des moutons à une fontaine souillée.
Sur l'estrade, le roi harangue ses sujets alors que la princesse Indil et Urufir sont enchainés à une épaisse colonne, sur le côté. La fille de mon maître ne semble pas vraiment traumatisée de la situation, juste lassée par le discours de l'autre. Son fiancé garde ses lèvres sévèrement pincées comme pour mieux soutenir la colère qui transparait par son regard.
Mes yeux reviennent au centre de la scène où Malgal seconde silencieusement le roi, toujours coiffé de son large chapeau et paré d'un sourire figé, plaqué sur son visage de drogué déchiré. Une fumée malodorante s'échappe de son large cigare. Je crains qu'il n'ait été totalement lobotomisé ; il ne parait pas avoir plus de réactions qu'une machine rouillée.
À ses côtés, Silovan et Laïdjha se tiennent fièrement avec une mine arrogante. Au premier rang des gradins, Anarrima, tenue fermement par l'ange Asax, ne détache pas son regard de son fils, agenouillée non loin de la Gemme de Domination, les mains attachées dans le dos. Le pauvre adolescent ne parvient à cacher la crainte qui l'habite. Il est totalement terrifié bien qu'il se retienne de pleurer devant toute cette foule.
Comme pour finir une disposition murement réfléchie, Morgal prend place à quelques pas de son petit-fils, dans la même position, le visage penché vers le sol. Sa chevelure épaisse qui tombe de chaque côté de ses joues m'empêche de discerner ses émotions. Au moins, on lui a épargné le chapeau de bouffon pour cette représentation de mauvais goût.
Mon coup d'œil expert repère immédiatement les cyborgs qui sécurisent les lieux.
Bon, les probabilités que j'y passe sont très élevées mais ce qui m'ennuie le plus, c'est la hauteur qui me sépare de l'arme. À cette distance, je me briserai tous les os si je saute sans corde...
Je remarque d'ailleurs que la Gemme de Domination est reliée directement aux machines monumentales qui prennent place à l'arrière de la scène. Les scientifiques de Lombal seraient-ils parvenus à allier magie valique et technologique ?
Mes oreilles se tendent pour écouter la suite du discours d'Arnil :
— Ainsi, mes chers frères, notre Dimension bien-aimée connaitra enfin la paix. Les blessures causées par nos guerres incessantes finiront ; notre règne pansera les plaies de tous ces conflits et apportera une pérennité nouvelle.
Ben voyons !
— Voici derrière moi la Mémoire, ancien hors-la-loi de Lombal. Voilà l'ex-Empereur, notre ancien ennemi qui a inondé les sillons de notre terre du sang de nos frères. Sans doute pensez-vous qu'ils méritent la pire des sentences. Mais qui serions-nous si nous nous montrions pire que l'adversaire et ses pratiques barbares ? J'ai décidé de leur accorder mon pardon à condition qu'ils participent à l'instauration de notre nouveau royaume.
Dans l'assemblée, tout le monde acquiesce avec un air aussi débonnaire que patibulaire. Des paires de claques se perdent, je vous dis.
— Nos hommes ont su mettre au point des technologies de pointes à qui nous devons la victoire. De cette gemme, nous transférerons le Vala du Balgivox que voici dans le corps de l'ancien Empereur. La passation devrait fonctionner puisqu'il s'agit d'un Réceptacle à l'instar de la Mémoire. Le lien surnaturel qui unit les deux elfes rendra l'exploitation optimale.
Comme pour accompagner les paroles de son maître, Laïdjha s'approche de la Gemme et relève tous les leviers qui s'échelonnaient sur son piédestal.
Immédiatement, la gemme s'illumine et une fumée blanche s'en échappe pour s'insinuer directement dans la poitrine de l'adolescent. Farondar, déjà angoissé, ne peut retenir un cri de douleur devant la souffrance qui semble l'assaillir. De son siège, la mère éplorée se relève pour venir en aide à sa progéniture mais Asax la rassoit aussitôt avec violence. De ma cachette, je peux distinguer les larmes couler sur les joues d'Anarrima, impuissante face à ce qui se passe.
Je devrais intervenir avant que le transfert ne se fasse mais je n'ai aucun moyen pour rejoindre la salle. Tiny avait raison : mon plan est bien trop bancal. Des yeux, je cherche une quelconque corde accrochée à une poutre afin de mettre fin à cette comédie.
Mais en attendant, les choses se gâtent. Toujours devant la Gemme de Domination, la limace transpirante attend un signe de son roi.
— Nous allons désormais rentrer les codes du sapior propre à la Mémoire dans la gemme afin qu'elle aussi, nous obéisse.
Doctement, le scientifique s'exécute mais cette fois-ci, Malgal ne bronche pas lorsque l'opération s'enclenche.
Je dois vraiment intervenir ; Farondar se tord de douleur sur l'estrade. Les pleurs et les menaces d'Anarrima redoublent mais personne ne bouge le petit doigt dans les gradins.
Brusquement, le corps du gamin se fige comme frappé de tétanie. La fumée blanche ressort de son cœur et se dirige dangereusement vers mon maître. Depuis le début, il reste immobile mais cette fois-ci, j'ai l'impression que ses muscles se contractent, comme pour recevoir la puissance fulgurante qui lui arrive de plein fouet. Anarrima l'avait dit : il y a des chances que son esprit ne supporte pas la charge, car non adapté.
Aussi, lorsque le nuage mortel s'engage dans son cœur, le prince des Falaises Sanglantes est pris de convulsions violentes. Sa tête finit par se relever et les larmes de sang dévalent déjà sur ses joues.
Merde, il est probablement trop tard pour le transfert. Mais dans tous les cas, il ne faut pas laisser Arnil avoir la main sur deux créatures aussi puissantes.
L'elfe serre les dents, comme pour contenir la douleur, alors que son frère le regarde agoniser.
— Laïdjha, ordonne Arnil, essayez de maîtriser les flux.
— Oui, Majesté.
Le scientifique repoussant manipule la Gemme de Domination et Morgal semble se calmer bien que je devine sa respiration anormalement rapide. Il semble épuisé.
De son côté, Farondar demeure inerte, comme mort. J'espère de tout cœur que ce n'est pas le cas.
— Maintenant que les deux frères sont sous notre contrôle, déclare Arnil triomphant, nous allons enfin pouvoir accorder tout notre système à cette puissance inédite, encore jamais conçue depuis l'avènement de notre ère !
Laïdjha s'exécute et après avoir enfoncé trois larges boutons, les réacteurs dans le fond s'allument en même temps que l'œil électronique de Malgal.
C'est foutu, je ne vais jamais pouvoir...
— Eh, Binou, c'est de ça dont tu as besoin ?
Je me tourne pour trouver Frère du Bon Conseil dans le triforium, à quelques pas de moi. Le moine me lance un grappin muni d'une longue corde. Je ne prends pas le temps de l'interroger ; sans hésiter, j'envoie le grappin s'accrocher sur une poutre de la charpente qui surplombe la scène. Par chance, je n'ai pas à réitérer mon geste ; les crocs sont bien plantés. Sans réfléchir, j'empoigne d'une main la corde rappeuse et de l'autre, l'immense faux. Pourvu que ça marche... Ne pas réfléchir, ne pas réfléchir... Juste se jeter dans le vide et franchir la barrière des quinze mètres qui me sépare de ma cible.
Le souffle bloqué dans ma poitrine, je m'élance en chute libre. La corde ne tarde pas à se tendre alors que je commence un arc de voltige. Malheureusement, j'aurais dû vérifier sa longueur : elle est beaucoup trop courte !
Avant qu'elle ne m'amène au-dessus de la gemme, je décide de lâcher la corde.
Propulsé par mon élan, je suis projeté vers la pierre qui brille toujours de sa faible pâleur. Mes deux mains se referment sur le manche de mon arme et les deux bras levés au-dessus de ma tête, je m'apprête à abattre la faux.
Tout cela s'est passé trop vite. Je n'ai pas eu le temps de sonder la réaction de la cour ni des cyborgs ; ils sont aussi frappés que moi par la soudaineté de l'acte.
Et pourtant, la gemme se rapproche de moi dans une gravité implacable. Je n'ai pas le droit à l'erreur.
Alors, à la fraction de seconde qui me semble opportune, j'abaisse brutalement mes deux bras. Dans leur continuité, la lame recourbée fracasse la gemme dans des milliers d'éclats translucides.
Je me réceptionne agilement par une roulade sur le côté et me relève, la faux tendue dans ma main droite.
Et puis mon regard se pose sur Arnil qui me regarde bouchée bée, les yeux écarquillés de stupeur. Je ne peux que lui répondre par mon sourire effronté.
Cet imbécile vient de perdre deux créatures ultra puissantes par ma faute. Désolé !
Cependant, Morgal est toujours en piteux état pour constater sa délivrance. Ce n'est pas le cas de Malgal ! Le drogué se tourne vers le souverain, son visage toujours marqué par ce rictus menteur.
— J'ai l'impression qu'il y a un petit souci dans votre plan, Majesté !
Arnil se tourne vers son scientifique, stupéfait de la réaction de la Mémoire :
— Laïdjha que signifie ceci ?
Encore bouleversé par la perte de sa gemme, le gastéropode transpirant ne se rend compte qu'après coup du nouveau danger qui plane :
— C'est... C'est impossible ! Nous lui avons fait un transfert d'âme !
— Transfert qui s'est arrêté dès que le gnome ici m'a donné l'antidote ! ricane le concerné en mordant son barreau de chaise.
Oh je vois à présent quel genre de drogue je lui ai administré sous les bons conseils de notre moine.
— Maudite créature ! marmonne Silovan en dégainant théâtralement sa rapière.
— Abattez ce bouffon ! ordonne le roi.
Toujours armé de ma faux, je sens mes épaules se redresser ; je suis fait comme un rat. Les cyborgs arment leurs désintégrateurs en vue de me réduire en une bouillie informe.
— Eh ! Vous m'oubliez !
Malgal semble peu apprécier cette négligence. Son œil scintille brusquement alors que tous les soldats s'effondrent sur le sol, frappés par la surpuissance de la Mémoire qui n'a eu besoin d'effectuer le moindre mouvement.
Sans se départir de son assurance, l'elfe s'approche du roi et déclare :
— Vous avez oublié, oui, que j'avais piraté tous vos serveurs et que je ne porte pas le nom de Mémoire pour rien ! Je contrôle désormais l'entièreté de votre système, de la moindre petite machine quotidienne aux sapiors de vos plus hauts généraux !
Arnil déglutit mais ne recule pas devant Malgal.
— D'ailleurs, continue ce dernier, maintenant que je n'ai plus aucune limite dans votre petit monde d'hypocrisie, je vais m'empresser de retirer tout le chiendent qui gangrène votre si admirable société.
Se tournant alors vers les gradins où les astres sont pétrifiés par la scène, la Mémoire commence à s'insinuer dans leurs sapiors puis dans leurs puces jusqu'à faire éclater leurs cervelles.
— Asax ! ordonne Arnil, débarrasse-toi de lui !
Sans hésiter, l'ange gris déploie ses ailes tranchantes et fond sur sa proie en vue de la déchiqueter de ses plumes aiguisées. Mais avant qu'il n'ait atteint sa cible, un obstacle se téléporte devant lui, à savoir Frère du Bon Conseil. À son tour, il a déployé ses ailes, aussi rouges que le sang, que sa chevelure qui vient d'apparaitre sous sa capuche rabaissée.
— Laisse ça, tu veux ?
— Quel genre d'ange es-tu, Ravénor ?! s'écrie Asax en colère.
— Le genre qui ne se laisse pas dominé par un astre perverti !
Décidés à clore cette conversation dans le sang, les deux anges s'élèvent dans des battements d'ailes jusqu'à la charpente où ils commencent à se battre violemment.
Dans tout ce chaos où les nobles de Lombal agonisent sans rien pouvoir faire, mes yeux se portent sur Anarrima qui s'est précipitée pour rejoindre son enfant. Ayant passé son bras sous les épaules du garçon, elle tente vainement de le réveiller alors que sa magie ne fonctionne toujours pas.
De son côté, Malgal semble en parfait délire, comme un enfant à qui un génie venait d'exaucer tous ses souhaits.
— Je vais réduire tes armées en pâtée pour dragon, ricane-t-il à l'égard d'Arnil.
— C'est ce qu'on va voir...
L'astre rejoint l'elfe et lui envoie une magnifique droite au visage. Magal s'effondre sur les fesses, perdant son chapeau par la même occasion. Ce détail a plus l'air de le chagriner qu'autre chose.
Sur leur siège, les astres semblent soudain respirer à nouveau.
— Je vais t'expliquer, Malgal, siffle Arnil, avec les expériences faites sur l'ange, j'ai réussi à me concocter un fameux élixir d'immunité, autant face à la magie qu'aux dérives technologiques. Tu ne peux peut-être t'en prendre à mes légions mais pas à moi ! Tu n'es pas plus dangereux qu'un autre homme sans tes piratages. T'es qu'un elfe drogué que je vais m'empresser d'éradiquer.
Sur ce, le roi dégaine son épée.
— C'est vrai, admet la Mémoire en se recoiffant de son chapeau, je ne suis guère habile dans le maniement des armes.
— C'est bien dommage pour toi ! crache Arnil prêt à pourfendre le prince.
Je ne suis pas intervenu dans cet échange conflictuel ; je voyais déjà ce qui se tramait. Le bras royal fut brutalement retenu par l'arrière.
Fulminant d'avoir été arrêté dans son élan, le souverain se retourne vers l'auteur de l'affront qui n'est autre que Morgal.
— Ce qui est dommage, reprend Malgal sans prendre la peine de se relever, c'est que ce n'est pas le cas de mon frère.
Voyant que ça dégénère sérieusement, Laïdjha et Silovan filent par une issue, pensant échapper à la vengeance de l'Empereur.
En tous cas, les choses se gâtent sur l'estrade.
Malgal balance gaiement sa tête pendant que celle d'Arnil se prend un violent coup de coude de la part de son jumeau. Le roi s'effondre à son tour mais Morgal s'empresse de le relever par sa belle chemise de brocard.
— Crois-moi, Arnil, je peux très bien te torturer et faire de toi la dernière des charognes sans utiliser ma magie ou les effets de la technologie !
— Tu te trompes...
— Ah oui ?! Je vais te faire regretter d'avoir martyrisé ma femme pendant toutes ses années, d'avoir retourné ma fille contre moi et de t'être ainsi pris à mon empire !
— Puisque l'on parle de Luinil... Je peux d'une simple pensée ordonner sa mort. Mes hommes sont toujours maîtres à Arminassë. Ce serait fâcheux qu'il n'advienne malheur à elle et tes fils alors que tu es sur le point de gagner.
Morgal plisse ses longs yeux bleus, sceptique.
— Vos agents sont morts, Majesté.
La voix de Sanar a tranché la scène comme le couperet d'une guillotine.
Arnil tourne la tête vers l'ange, dégoulinant de sang. Dans sa main, la tête d'Asax. Je serre les dents en imaginants la décollation peu charmante qui a précédé ce retour impromptu. Malgré mes regards attentifs à la charpente, je ne discerne pas Frère du Bon Conseil. Il s'est volatilisé.
Cette fois-ci, Arnil blanchit ; il a totalement perdu pied. Ces hommes sont soit morts, soit ils l'ont abandonné, soit ils sont pétrifiés sur place.
Morgal referme sa poigne sur la gorge de son ennemi juré.
— Tu vas me tuer, c'est ça ? postillonne le roi.
— Pas sans son accord.
L'elfe soulève alors l'astre du haut de son bras et se tourne vers Anarrima, toujours serrée contre son fils.
— Que veux-tu Ana ? Veux-tu l'épargner ?
La jeune femme, les joues toujours baignées de larmes secoue la tête de gauche à droite.
— Qu'il disparaisse, lâche-t-elle dans une voix déchirante.
— Ana ! s'exclame Arnil, je suis ton père ! Souviens-toi...
Mais déjà, sa fille adoptive a reporté son attention sur son enfant inerte et ne prête plus aucune attention au roi, comme s'il avait déjà trépassé.
Le visage de l'Empereur s'anime d'une joie terrifiante. Il va enfin pouvoir s'acharner sur son ennemi, son tortionnaire.
Le roi de Lombal a désormais perdu toute sa superbe, il ne ressemble plus qu'à un petit lapin effrayé qui cherche un trou pour échapper au loup.
D'un geste violent, Morgal le jette en bas de l'estrade où il s'écrase comme une poupée de chiffon. L'astre tend un bras vers son bourreau comme pour le supplier :
— Morgal, je vous en prie, je vous expliquerai quelles...
— Vous me donnez envie de vomir, Arnil, tentez au moins d'être digne au moment de votre fin, ça me donnera l'impression de m'être battu contre un homme et non un poltron de la pire espèce.
Mais il est terrifié : la Mort est là. Elle a pris le visage de Morgal. Ce dernier m'arrache la faux des mains et dans un moulinet expert, se réapproprie sa magie :
— Tu vas expérimenter quelle mort un Balgivox peut infliger !
D'un pas rapide, il rejoint la future victime et plante la lame ensorcelée dans sa poitrine. Aussitôt, tout le corps du mourant se tord et comme si son sang se mettait à bouillir, sa peau et ses muscles commencent à fondre sur ses os.
Je me détourne de ce spectacle, décrétant avoir eu ma dose, ces derniers temps. Mes oreilles se baissent alors qu'elles perçoivent les gargarismes sanglants qui se répètent jusqu'à s'affaiblir et se taire.
Lorsque je reporte mon attention sur le roi de Lombal, il n'en demeure plus qu'une charpie immonde, sanglante et fumante. Les restes finissent d'ailleurs par être aspirés et finissent dans la lame vorace de mort. Bon appétit, burps.
Satisfait, Morgal adosse le manche de son arme contre son épaule et rejoint sa fille.
La pauvre mère est accompagnée de Sanar dans sa douleur. Elle lève un visage dévasté vers son père :
— Je vous en prie, sanglote-t-elle, rendez-moi mon fils.
Morgal hausse un sourcil avant de s'agenouiller auprès de Farondar. Lui prenant la main, il libère ses flux magiques ; comme quelques instants auparavant, la fumée blanche s'échappe de son corps pour reprendre place dans son réceptacle originel.
Le visage du garçon reprend immédiatement quelques couleurs alors que mon maître décide de s'adosser contre une machine, pris d'une soudaine fatigue.
Les parents retiennent de respirer, de peur de briser le souffle faible qui s'échappe des lèvres de Farondar.
Voilà une chose de faite ! Je m'en vais délivrer Indil sur le champ ! Pas dit que je fasse pareil pour Urufir, je ne l'aime pas.
— Je commençais à désespérer, soupire la princesse.
Lorsque je m'approche du fiancé, je fais face à un visage dérouté. Qu'est-ce qu'il lui prend à cet imbécile ? Je suis son regard avant de tomber sur Malgal, complètement arraché. Les ennuis ne sont pas finis, j'ai l'impression. Si le sort de Lombal semble fixé, la Mémoire n'a pas dit son dernier mot.
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