Chapitre 70

Il faut maintenant que je parvienne à sortir de cet enfer. L'alerte a été donnée avec ma fuite mais je doute mobiliser plus d'une dizaine d'astres. Ils ont clairement d'autres chats à fouetter et après tout, je ne suis qu'un gnome.

La seule chose qui me préoccupe vraiment, c'est l'ampleur de mes blessures et le moyen de sortir de ces prisons expérimentales. Je ne suis pas sot : je sais qu'ils ont verrouillé l'étage et les ascenseurs.

Me voilà dans un beau pétrin.

Sans soin, je ne risque pas de faire long feu. Mon épaule dégorge du sang inlassablement alors que ma cheville m'empêche de poser le pied à terre.

Comme seul camarade d'infortune, j'ai Bhaurisse qui sautille sérieusement à mes côtés. Épuisé, je m'effondre contre un mur, à l'abri des caméras et des regards.

— Pourquoi tu m'as sauvé, toi ?

Le lapin ne répond que par un frémissement accéléré de son museau. Comme pour m'imiter, il s'allonge contre mon genou, rentrant ses petites pattes sous sa fourrure.

C'est la première fois que j'éprouve un peu d'affection pour cet animal. J'hésite un instant puis pose ma paume sur son pelage pour le caresser. Immédiatement, le fauve gronde.

— Ça va, ça va, j'ai compris. Tu ne veux pas que je te touche.

— ...

— Tu sais comment sortir d'ici ?

— ...

— Tu m'as bien aidé mais j'apprécierais que tu continues sur ta lancée, figure-toi.

— ...

— Si t'as une idée de chemin, n'hésite pas, hein.

— ...

Me voilà à parler avec un lapin, je perds totalement la boule. Je profite de ma pause pour relever ma tunique et inspecter les dégâts provoqués par les tuyaux. Rien de bien alarmant mais l'idée que ces choses se soient plantées dans mon corps me révulse.

Les oreilles de Bhaurisse se redresse soudainement.

— Quoi ?

Sans plus tarder, le lapin se redresse et saute en direction d'un couloir un peu trop éclairé à mon goût.

— Je ne suis pas certain que ce soit une bonne décision...

Mais comme poussé par un pressentiment, j'emboite le pas au rongeur qui continue à s'avancer dans le passage étroit.

Les murs concaves laissent transparaitre une idée de boyau où des néons bleu clair apportent une lumière artificielle au lieu. Cet endroit ne me met pas vraiment à l'aise mais je n'ai pas le choix. Pourquoi fais-je confiance à un lapin qui me déteste ? Peut-être parce que ce n'est pas réellement un lapin ?

Comme le couloir débouche sur une salle, je me plaque contre le mur afin de vérifier que le terrain est sûr. C'est sans surprise que je découvre une patrouille, parlant à un astre en toge blanche :

— Ne vous inquiétez pas monsieur, nos détecteurs nous indiquent que la cible n'est pas loin. D'ici peu, elle sera de nouveau derrière les barreaux.

— Vous êtes conscients que c'est une zone extrêmement secrète ?! Même une mouche pourrait provoquer un accident !

— Ne vous en faites pas... Ce n'est qu'un gnome.

— Oui, une créature encore insensible à notre technologie de pointe. Vous mettrez beaucoup plus de temps à la retrouver !

— Rien de fâcheux n'arrivera à ce laboratoire, vous avez ma parole.

Sur ce, les astres disparaissent, munis de leurs armes de tir. Heureusement, ils partent dans la direction inverse. Me voilà en partie soulagé. Mais le scientifique me bloque toujours le passage. Tant pis pour lui.

Je sors de ma cachette et claudique silencieusement dans son dos. Il est bien trop absorbé par sa tablette pour m'entendre. Ceci dit j'aurais préféré avoir ma dague pour lui trancher la tête ; là, ça risque d'être compliqué de ne pas attirer l'attention.

Et puis bien sûr, Bhaurisse charge sans la moindre stratégie. D'un bond impitoyable, il attaque la cuisse de l'astre qui pousse un cri de douleur. Pas le choix, plus le temps de faire dans la dentelle ; j'attrape une bombonne similaire à celles de ma cage et l'ayant empoignée des deux mains, je brise le genou de l'homme qui se retrouve handicapé d'une jambe. Décidé à ne pas faire trainer l'affaire, je lui envoie la bouteille en fonte dans la mâchoire. Les dents volent avec le sang et ma victime ne tarde pas à finir à quatre pattes à cracher de l'hémoglobine sur les dalles. Sans attendre qu'il appelle à l'aide, je profite de sa nuque découverte pour la briser dans un dernier coup de bombonne. Un craquement sinistre et on n'en parle plus.

— Toi, là-bas !

Merde, j'ai attiré la patrouille avec tout ce raffut.

Je me carapate comme je peux dans un autre couloir mais avec ma cheville qui n'obéit plus, il sera aisé pour eux de ma rattraper. Et mine de rien, j'ai perdu un peu trop de sang.

Tant pis, faut que j'accélère ; je jette un regard au-dessus de mon épaule pour constater avec effroi que mes poursuivants mettent leur désintégrateur en joue. Eh ! Je croyais qu'Arnil me voulait viv...

Je me prends une vitre de plein fouet. Les bouts de verre volent en éclat et je m'effondre dans un escalier. La prochaine fois je regarderai devant moi en courant.

Je dévale douloureusement les marches et alors que l'escalier bifurquait, je continue la trajectoire avant de m'éclater une bonne fois pour toute sur un tableau de bord. Leviers, boutons et manettes, tout est chamboulé par ma chute.

Je rouvre les yeux avec peine pour distinguer les visages hébétés de toute une équipe de laboratoire.

— Je suis désolé... murmuré-je en tentant de me relever.

J'ai plus l'âge pour ces conneries, vraiment.

— Docteur, marmonne un astre en se mordant le col de sa toge, je crois que les flux viennent d'être inversé...

Je suis innocent ! Ou pas...

J'ai dû modifier le déroulement de leurs expériences... Je lève la tête et distingue cet énorme bocal où marinait l'ange. Bah, il y est toujours. Sauf que le liquide bleuté dans lequel il baignait se remplace par un autre liquide.

Oups, j'espère que je ne suis pas en train de tuer le beau-fils de mon maître.

Un scientifique me vire brusquement du tableau de bord et tente de reprendre le contrôle pendant que je me mange le sol.

— Il faut renverser les réacteurs ou bien nous perdrons le sujet !

— Que fait la patrouille ?

— Elle n'a pas l'autorisation de se rendre ici...

— Cette ignoble créature va tout faire foirer.

Eh, commencez pas à rabattre la faute sur moi. Je ne faisais que passer !

Je jette à nouveau un regard sur l'ange qui semble réagir au contact du nouveau liquide.

— Rallumez le système !

— Les électrodes sont grillées !

Je n'y suis pour rien ! Dans tous ce beau bordel où je les vois s'activer autour de leur écran, je choisis de me cacher gentiment derrière une grosse machine, le temps que ça se calme. Mais avec mon manque d'agilité dû à mes blessures, je débranche trois fils ce qui provoque des geysers de vapeur dans toute la pièce. Je n'y peux rien si leur installation est foireuse, moi.

Bref, c'est le chaos.

Dans sa grosse bulle, Sanar se débarrasse des nombreux fils qui l'entravent et commence à briser sa prison.

— Envoyez le courant ! crie un astre.

— Plus rien ne répond !

Oupsi.

Une nouvelle fois, l'ange frappe de son poing contre le verre mais les fissures semblent encore trop fines à son goût. Il déploie alors ses ailes dans son dos et faisant fi de la force des flux, il les projette contre la paroi. C'est alors comme des centaines de poignards acérés qui font éclater les vitres de son bocal.

En quelques battements, il surplombe la salle avant de fondre sur ses premières cibles qu'il écharpe sans pitié. Oulah, mais moi je pensais que des plumes c'était un petit duvet tout doux. Mais pour lui, ce sont des lames de rasoir qui constituent les rémiges de ses ailes.

C'est un véritable massacre, une bouillie sans nom. Les astres, privés de leur Vala naturel ne font absolument pas le poids contre lui et tombent les uns après les autres.

Je vais sagement rester derrière ma machine et attendre que les choses s'apaisent.

Mais apparemment, les choses se sont déjà calmées. Une main me tire par l'arrière du col et mes pieds ne tardent pas à battre dans l'air.

Je lève timidement les yeux et croisent le regard perçant de Sanar. Il m'est inutile de jeter un œil sur ses ailes pour m'apercevoir que ça dégouline de partout.

— Qu'est-ce que tu es toi ? une chimère ?

— Heu...

— T'as pas intérêt à me dire que t'es un elfe, je déteste ça.

Je déglutis : je sens que je vais sortir la mauvaise phrase.

— Sans vous décevoir, votre femme l'est à moitié.

Son regard s'enflamme :

— Où est Ana ? Et où est mon fils ?!

— Dou... Doucement...

Il me plaque brusquement contre une table, ses plumes mortelles pointées vers moi.

— Je vous en prie... articulé-je avec difficulté, je... je ne suis pas à la botte d'Arnil...

— Prouve-le moi.

— Je suis le gnome de Morgal...

— Morgal nous a tous roulé. Il a envahi mon royaume en le mettant à feu et à sang.

— Mais je n'y peux rien, moi...

— C'est bien ça le problème, tu ne peux rien pour personne !

Son aile droite se relève comme pour prendre l'élan avant de me réduire le corps en confettis.

— Non, pitié, pitié, je sais où se trouve Anarrima...

Il s'arrête et fronce les sourcils, me laissant continuer :

— Elle est retenue dans ses appartements... pitié, ne me tuez pas, Votre Formidable Grandeur, faîtes preuve d'un peu de bonté à l'égard d'un pauvre gnome comme moi... Même si j'avoue que je ne suis pas du tout convaincant, hum.

— Oui, tu es ridicule.

Enfin, l'ange me lâche et je tombe comme un déchet sur le sol.

— Tu es blessé...

Bien vu l'artiste !

Il se penche au-dessus de moi et pose la main sur ma cheville :

— Je ne suis pas certain que ça fonctionne, c'est la première fois que j'utilise ma magie d'ange.

— Ah bon ?

— J'avais plutôt l'habitude d'être un humain...

— Oui bah va falloir changer parce que dans la famille, les humains c'est pas monnaie courante, vous savez ?

— Par contre, tu vas arrêter de parler autant, tu me donnes un mal de tête épouvantable.

Je décide donc de la fermer et le laisse me réparer. C'est encore mieux que la magie d'Indil. Cette fois-ci, ma cheville et mon épaule cicatrisent définitivement. Même mon visage semble se remodeler comme de l'argile.

Sanar remonte dans mon estime !

Il se sépare de moi, une fois le sortilège fini et part en quête de vêtements dans les armoires du personnel. Sinon il peut se balader en caleçon dans le palais ça serait marrant. En attendant, je dois admettre qu'il est drôlement bien gaulé avec ses cheveux et sa barbe noire. Par contre je vais pas non plus commencer à baver, je m'appelle pas Tiny.

— Sortons d'ici, déclare-t-il une fois habillé.

— Comment avez-vous fait pour rentrer vos ailes ?

— Je t'en pose des questions ?

— Oui, ça c'est une question.

Il roule des yeux en soupirant et secoue la tête pour changer les idées de meurtres qui accaparent son esprit.

Je lui emboite donc le pas en silence à travers les couloirs des laboratoires. Des petits bruits de patounes m'indiquent que Bhaurisse me rejoint. Je le prends dans mes bras et continue ma route.

Lorsque des patrouilles de gardes se présentent, je me colle gentiment contre le mur et laisse Sanar leur trancher les membres avec ses ailes. J'ai vu beaucoup trop de sang, ces derniers temps, je commence à sentir l'overdose...

Et voilà le dernier homme qui tombe éventré, bon appétit !

— Vous avez l'air puissant. Comment ont-ils fait pour vous coffrer ?

— Ils ont menacé Farondar.

— Votre fils est toujours entre leurs mains.

— Arnil ne le tuera jamais : il se mettrait définitivement Ana à dos.

— Si vous le dites...

Nous parvenons à l'ascenseur après avoir apporté une nouvelle peinture à l'étage. Sanar est sur les nerfs : il a bouzillé tout le monde mis à part le lapin et moi.

— Ils ont verrouillé, assuré-je.

Mon compagnon hausse les sourcils dans ma direction et déboite la porte de la seule force de ses bras.

— Bon, surtout, évite de crier.

— Quoi ?...

Il m'attrape par les épaules et s'élance dans la cage d'ascenseur, perforant les rails de ses ailes puissantes, telles les grosses pattes d'une araignée destructrice. Non, je ne vais pas hurler, je vais me vomir dessus !

Jamais je n'aurai deviné qu'un homme puisse escalader aussi rapidement un conduit aussi lisse. Après, il est littéralement en train d'enfoncer ses ailes dans la pierre. Et ça continue ainsi jusqu'à ce qu'une fenêtre étroite nous signale que nous arrivons enfin à la surface. Sans hésiter une seconde, l'ange fait voler le pan de mur et s'engouffre dans la brèche. Cette fois-ci, je ne peux m'empêcher de pousser un cri aigu lorsqu'il s'envole dans les airs. Heureusement que les nombreux vols en dragon m'ont habitué à cette sensation. Par contre, Bhaurisse, je ne sais pas.

Je pose mes yeux sur l'horizon et remarque que le soleil est déjà haut dans le ciel.

Mes aïeux ! Mais c'est aujourd'hui que Morgal va recevoir la charge de Balgivox ! Indil et son fiancé seront exécutés et Arnil deviendra le maître incontesté sur la dimension.

Mais j'ai l'impression que Sanar connait la suite des événements car il ne s'éloigne pas du palais. Au contraire, il se pose sur les plus hauts toits afin d'avoir une vision d'ensemble sur le Chœur.

— On se demandait comment vous sortiriez de votre prison, Sanar.

Nous nous retournons vers Féathor, seul sur la crête de toit. Son long manteau claque dans le vent à l'instar de ses mèches folles, ce qui lui confère une classe irréprochable.

— Le gnome y a bien aidé.

Pris d'un excès de maturité, je tire la langue à Tronche Parfaite pour lui faire comprendre que c'était débile de sa part de vouloir m'étrangler la dernière fois. Il se pince les lèvres mais ne se donne pas la peine de renchérir à ma pique.

— Comment cela se passe en bas ? demande Sanar froidement.

— Ce n'est pas reluisant : Arnil a convoqué l'élite de Lombal pour exhiber la passation de charge. Il compte aussi procéder à l'exécution de toutes les personnes qui le gêneraient : Indil, Urufir et Nethar, ils vont y passer sans parler de ceux d'Arminassë.

— Quand faut-il intervenir ?

— Narlera me tient au courant de la marche à suivre. Mais nous sommes seuls.

Seuls ? Ils oublient qu'il y a moi !

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