Chapitre 7

Je profite de la nuit tombée pour inspecter le palais. Si Clark ronfle comme une machine de guerre, Poulpinet est parti de son côté. Je ne sais pas si je dois lui faire confiance : certes nous travaillons pour le même maître mais serait-il capable de m'égorger s'il en recevait l'ordre ? Je n'en doute même pas. Il est toujours aimable avec nous mais ce n'est que façade : il ne peut ressentir ce genre d'émotions ou de sentiments.

Je longe donc les couloirs animés par les courtisans, analysant les diverses réactions. Arminassë semble en liesse, nulle ombre de la guerre.

À vrai dire, j'espère bien croiser le roi Carnil. Il doit être bigrement charismatique pour que mon maître ait abandonné son ancienne maîtresse.

Je déplie une énième fois ma carte et inspecte les couloirs. Argh, je me suis encore perdu. Pourtant, les appartements royaux ne devraient pas être bien loin. Je vais demander mon chemin à un domestique, après tout, ce n'est pas ce qui manque ici.

Je traverse donc les vastes salles animées et discerne une gnome aux longs cheveux bleus. Parfait.

J'attends qu'elle se retire avec son plateau vide pour l'aborder.

— Excusez-moi, je l'interromps dans ses pensées, je suis nouveau ici et... un peu perdu. Vous pouvez m'indiquer la suite royale ?

Elle me regarde en papillonnant des cils comme si elle réfléchissait à ma demande. Je l'observe pendant quelques instants afin de déceler une quelconque menace mais elle me parait totalement inoffensive avec sa petite bouche rose aux lèvres pleines et ses grands yeux de biche noirs.

— Bien sûr, m'assure-t-elle d'une voix claire, suivez-moi.

Et voilà ça de fait ! Je vais en profiter pour l'interroger :

— Vous travaillez ici depuis longtemps ?

— Trois ans.

— Ah... Vous n'avez jamais rencontré de problèmes avec les astres ?

— Moins que les elfes. Avant, je travaillais pour le prince Falarön mais je préfère largement l'ambiance d'Arminassë ! Toujours la fête ! Et j'avoue que les humeurs de la reine rythment le quotidien de manière assez divertissante !

Bonne pioche, je suis tombé sur une gnome bavarde :

— Il faut préciser qu'elle ne voit pas d'un très bon œil la souveraineté de son époux. Elle aimait plutôt gouverner seule.

— Oh. Ils s'entendent mal ?

— Ils sont le jour et la nuit ! Je pense que Luinil le déteste, sincèrement.

Intéressant. Cette petite servante me parait fort utile pour glaner des informations ici et là. Elle n'a pas l'air bien intelligente mais elle a le mérite d'être gentille. Et le mérite d'être plutôt jolie, aussi ! En plus de cela, elle semble m'apprécier malgré mon uniforme horrible. Avouons que celui des servantes est bien plus esthétique. Comme nous, elles portent une chemise qui s'arrête sous la poitrine mais le pantalon est remplacé par une mini-jupe, l'ensemble est blanc, recouvert de voilages transparents qui donnent une impression éthérée.

— Je m'appelle Tiny et toi.

— Binarvivox.

— Binarquoi ?

— Appelle-moi Binou, souris-je.

Elle plisse les yeux puis hoche la tête d'un air guilleret et me fait signe de la suivre.

— Tu verras, au palais, tous les gnomes se serrent les coudes, c'est formidable ! En même temps, ce n'est pas le travail qui manque ! Regarde un peu tous ces astres qui se prélassent dans des orgies sans nom !

Je jette un regard sur la fête et comprends pourquoi Morgal parlait de bordel. Le connaissant, cela doit grandement le choquer, haha. Mais, voyons ! J'oubliais que nous étions à Arminassë !

D'ailleurs, à ce propos, je tiens bien mettre un terme à mon abstinence et la dénommée Tiny me parait un bon plan. À voir...

Nous contournons les convives à moitié ivres et grimpons les escaliers de marbre au son des orchestres endiablés. Arquen adorerait être présent ! Ce gros abruti me manque tellement ; j'aimerais tant qu'il se réconcilie avec le psychopathe et qu'ils redeviennent la paire improbable de jadis.

Tiny et moi continuons notre route dans les couloirs chaleureux jusqu'à ce que les invités se fassent plus rares puis disparaissent complètement.

— Et voilà l'entrée ! annonce-t-elle toute joyeuse, tu es chargé de la restauration de ces appartements ?

— Oui.

— Méfie-toi, glousse-t-elle, c'est un lieu à haut risque ! Et c'est pire quand l'Empereur s'en mêle.

— L'Empereur ? Il vient souvent ?

— Oh oui. Il sera même présent demain soir. Et d'après les rumeurs, il déteste Carnil autant que le roi Arnil.

— Pas étonnant... Eh bien merci, Tiny, tu m'as été d'une grande aide !

— De rien. Tu me plais en fait.

Ah bah elle est directe la belle mais dans mon cas, ça m'arrange. Après tout, je peux bien sacrifier cinq minutes pour la bonne cause, non ?

Je pense que mon regard doit être assez éloquent car elle comprend immédiatement mes attentes. Elle laisse échapper un petit gloussement et me tire vers un coin retranché du couloir, caché par d'énormes pots de fleur d'airain. Sans tarder, je la soulève par les hanches pour la poser sur un gros coffre calé contre un mur. Nos lèvres se collent pendant que je la déculotte vite-fait et que je lui écarte davantage les cuisses. On bascule sur le couvercle du coffre sans relâcher notre étreinte et je plonge le nez dans sa chevelure bleuté, les yeux fermés, profitant du moment présent. Allez, maintenant, on fait comme d'habitude, on laisse place à l'imagination. Je baisse mon pantalon et commence mes coups de reins pour le plus grand plaisir de la servante.

— Comme ça, oui... continue Binou.

Sa voix me dérange alors je la bâillonne d'une main sans m'arrêter, ne laissant que filtrer des gémissements érotiques. Enfin, la sensation de plaisir s'empare de tout mon être et ma respiration se fait soudain plus saccadée.

— Nalpalyre... gémis-je dans ma jouissance.

Sous moi, la gnome se crispe brusquement et elle me donne une gifle magistrale. Quoi ? Qu'est-ce que j'ai dit ?! Je me retire en frottant ma joue endolorie.

— J'apprécie moyennement que mon partenaire lâche le nom d'une autre femme pendant le sexe ! s'écrie-t-elle avec des éclairs dans les yeux.

Oups, c'est le risque quand on est encore amoureux de sa femme et qu'on essaie de calquer son physique sur toutes les conquêtes qu'on enchaine. En plus ce n'est pas la première fois que je prononce le vrai nom de Püpe pendant l'acte. Ce n'est pas de ma faute, la plupart du temps, c'est avec elle que j'entretenais ce genre d'activité.

— Désolé Tiny, m'excusé-je sans paraitre le moins du monde contrit, j'ai eu une journée rude.

— Ouais, t'as de la chance que j'ai bon dos et que je t'aime bien ! Mais à l'avenir je connaitrai tes intentions.

— Oh ça va, fais pas l'offensée, ça t'arrangeais bien que je sois là pour te changer les idées.

Elle affiche une moue boudeuse tout en remettant de l'ordre dans sa tenue. C'est vrai, à la fin ! Qu'est-ce que ça peut lui faire ? Bon, à part blesser son égo.

— Heureusement que je suis quelqu'un de très peu susceptible, continue-t-elle, et que le reste m'ait plus.

— Te fais pas d'idées, ça ne se reproduira pas. C'est toujours qu'une seule fois avec moi. Mais si on peut rester en de bon termes...

— C'est moi où tu viens de me proposer ton amitié après-même ce qu'on a fait ?

— Je crois que c'est à peu près ça, ris-je devant son étonnement.

Elle se pince les lèvres comme pour réfléchir à mon offre dans son cerveau guère développé.

— Entendu, glousse-t-elle en tapant des mains, je me trouverai quelqu'un d'autre comme partenaire.

Elle a déjà le cerveau en vrac par l'idéologie astrale.

Mais en attendant, je viens de me faire un nouvel allié. Pas brillant, d'accord mais c'est toujours ça.

Je la quitte après un rapide salut et pénètre dans l'antre de la Reine Vierge.

Alors comme ça, elle ne peut pas calculer son cher et tendre ? Luinil a toujours été un monstre de pouvoir, insatiable et dominatrice. Le retour de son mari n'a pas dû lui plaire.

Ah, ces salles me rappellent ma dernière visite ; Püpe m'avait guidé jusqu'ici, dans ce boudoir. On s'était caché dans une pendule et l'avions laissée fracassée sur le tapis. Là c'est l'animal de compagnie qui la remplace. Stop ! C'est quoi cette bestiole !?

Je regarde, les yeux écarquillés, la monstrueuse créature qui se prélasse paresseusement sur le tapis moelleux. Je l'identifie comme un gros lézard croisé avec un dragon et qui aurait en plus de cela, plongé dans une cuve d'or. Sa carapace entière est dotée d'écailles dorées, aussi tranchantes que ses griffes. Il ouvre la gueule, laissant apparaitre une double rangée de crocs acérés sans se préoccuper de ma présence.

Je note que l'énorme collier qui lui enserre son cou puissant est relié à une chaine. Ouf ! Me voilà rassuré !

Mon cœur rate un battement : les derniers maillons sont brisés suite à une forte pression. Tout mon corps se fige et la sueur coule dans mon dos, tel un long filet glacé.

Et puis ma mémoire me renvoie une horrible image : celle de mon maître, entièrement dévoré par les aratayas. Nom d'une chenille épileptique, j'en ai un sous les yeux !

Tant pis pour mon enquête, je bats en retraite.

Mais j'avais à peine tourné les talons que j'entends les pattes du reptile se mouvoir et s'approcher de moi. Je me statufie de peur, le souffle coupé.

L'énorme bête me contourne et pointe son museau suintant vers ma tempe, sa longue langue caressant ma joue. Je crois que je vais hurler comme une gonzesse. Surtout que les deux poignards dans mes bottes ne m'aideront pas beaucoup face à cette abomination.

Cette dernière claque brusquement sa gueule et dans un grondement sourd se jette sur moi. Cette fois-ci je crie à m'en décrocher la mâchoire, me retrouvant coincé entre les pattes du prédateur. Sa langue commence à repeindre mon visage d'une bave gourmande. Une haleine fétide s'échappe de son gosier alors qu'il s'apprête à m'arracher la face.

Maintenant, je n'ai plus rien à perdre ; je glisse sous son ventre et tente de m'extirper mais sa mâchoire se referme sur mon bras dans un affreux bruit d'os brisé. Sans plus attendre, il m'envoie valser dans le boudoir avant de me sauter dessus pour m'achever. Dans un sursaut de survie, je me relève en faisant fi de mon épaule béante et de mon bras droit inerte. Je m'élance dans la chambre et échappe à une nouvelle morsure après m'être précipité sous le lit. L'aratayas est si gros qu'il ne peut me rejoindre mais je le vois s'énerver autour du rectangle salvateur. Il renverse tout le mobilier dans des cris effrayants.

Et puis, sans que je ne m'y attende, il saute sur la couche et dévore les draps puis le matelas, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que le bois du lit entre nous. Les planches volent en éclat et la tête monstrueuse apparait dans l'ouverture. Mais pourquoi personne n'a entendu tout ce boucan ?

Je roule sur le côté pour éviter une fracture crânienne et réapparait de l'autre côté du lit. Aussitôt, le carnassier se jette maladroitement sur moi, enivré par l'odeur du sang. J'évite de justesse ses dents meurtrières et me relève pendant qu'il s'encastre dans le mur. Mais sa longue queue me fauche les jambes et par un heureux hasard, j'atterris à califourchon sur son dos. Heureusement qu'il n'y avait pas de piques sur cette superficie de la carapace parce que sinon je me serais fait appeler Binette.

Surpris de me sentir sur ses épaules, le reptile bondit dans les airs pour me mettre à terre. Je m'agrippe au reste de la chaine et encaisse les turbulences. Je le vois se diriger dangereusement vers la fenêtre. Noooon, nous somme à l'équivalent d'une trentaine d'étages !

Il se précipite sur le balcon et sans que je n'aie rien demandé, il s'écrase contre la ferronnerie et se coince la tête.

Je tombe de son dos, le souffle rapide et l'épaule en sang. Le monstre continue à se débattre pour se libérer. Je profite donc de son immobilisation partielle pour saisir la chaine et le rattacher fermement à un solide barreau : on n'est jamais assez prudent.

Je m'effondre ensuite sur le parquet de la chambre sans oser jeter un regard à mon épaule broyée. Des larmes de souffrance dévalent sur mes joues et mes gémissements emplissent la pièce. Je vais me vider de mon sang.

C'est le moment que choisit une astre pour rentrer dans la chambre. Elle pousse un cri en découvrant l'état lamentable de l'espace.

— Majesté ! hure-t-elle en secouant ses deux couettes blondes, venez vite.

Je n'ai pas la force de rougir devant la bêtise que j'ai provoquée : ma blessure m'arrache toujours des plaintes. Mais c'est vrai que j'aurais pu retrouver la reine dans de meilleures circonstances.

Je la vois d'ailleurs apparaitre, toujours juchée sur ses talons hauts. Ses yeux maquillés à outrance s'écarquillent devant la vision apocalyptique de ses appartements.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé, murmure-t-elle de sa voix profonde, Hyola ?

La femme de chambre la rejoint et parcourt le carnage d'un regard désespéré.

— Mon dieu ! gémit-elle, il y a du sang partout !

Luinil me remarque et se précipite vers moi :

— Hyola, viens m'aider, le gnome est blessé.

— C'est lui qui a provoqué ça ?

Les grognements de l'aratayas répondent à leur question.

— Fimou ! s'exclame la reine ! tu t'es encore échappé !

Oui ! Plutôt deux fois qu'une ! Et quel est ce surnom ridicule !?

Luinil s'avance sur le balcon et libère Fimou qui s'empresse d'accueillir sa maîtresse par des grands coups de langues qu'elle évite pour ne pas gâcher sa tenue. Elle le tire par le reste de sa chaine et la tend à Hyola tout en ignorant le frétillement de joie de sa bestiole de compagnie :

— Ramène-le à son parc et appelle un mage pour le gnome.

Elle obéit et disparait derrière le cadre arrondi de la porte. La reine reporte son attention sur moi.

— Fimou ne t'a pas épargné ! Ne t'inquiète pas, tu guériras vite.

Elle me relève de mon bras valide et me pose sur la partie intacte du lit.

— Quel désastre, ajoute-t-elle en replaçant une mèche noire derrière son oreille.

Elle pose sa main délicate sur ma blessure et stoppe l'hémorragie en même temps que la douleur grâce à un sort. Cependant, mon bras droit reste toujours inanimé. Luinil s'assit à mes côtés et me redresse :

— Regarde un peu dans quel état tu as rendu ma chambre ! rit-elle.

— Ce n'est pas moi mais votre Fimou.

— Il déteste tout ce qui a des oreilles pointues, explique-t-elle en versant une lotion sur sa main couverte d'hémoglobine, un peu comme moi d'ailleurs. Enfin je ne parle pas des gnomes, bien sûr.

Je la regarde avec surprise : elle déteste autant Morgal, à ce que je vois ! J'attarde mes yeux sur sa magnifique chevelure de jais, sertie de perles précieuses. Ça me donne envie de passer la main dedans pour vérifier si elle est aussi soyeuse qu'elle y parait.

— Que fais-tu dans mes appartements ? Ce n'est pas la place d'un gnome !

— Je suis assigné que récemment à votre suite, Majesté.

— Ah oui, c'est toi qui as un nom imprononçable ?

— Oui... Mais on me surnomme Binou.

— C'est mignon, conclut-elle en caressant mes cheveux comme si j'étais un gamin.

— Plus que votre aratayas.

Ses lèvres carmin s'ouvrent dans un léger rire et je ne peux m'empêcher de détailler son visage d'albâtre parfait. Son cou de cygne est cerné d'un ruban noir dont les perles glissent dans son décolleté aguicheur. Je me permets une œillade déplacée sur les rondeurs de ses seins opulents, outrageusement pressés dans son corset de dentelles. Elle ne s'est pas départie de son côté séducteur avec le temps, la belle. Je me demande comment réagirait Momo en la voyant dans cette tenue...

— Tu as de la chance d'être en vie ! dit-elle en m'arrachant à mes pensées perverses, mais j'avoue être ennuyée pour tous mes amants avec l'état du lit.

Je la regarde, totalement hébété. Comment ça des amants ?

— Je plaisante, sourit-elle devant mon air de carpe échouée, je reste la Reine Vierge.

Ouais bah ma jolie, tu n'as de vierge que ton nom ! Mon maître est passé par là, depuis.

C'est à ce moment précis qu'entre un astre, revêtu très élégamment et dont la coiffure et la barbe parfaitement taillées ne font que refléter son caractère strict.

— Nim ! s'exclame-t-elle joyeusement sans se lever, je ne t'attendais pas si tôt !

— Heu... Que s'est-il passé ici ?

— Fimou a voulu croquer le gnome.

Nim me perce de son regard comme s'il me jaugeait. Si je me souviens bien, Morgal m'a parlé de lui, le chef d'espionnage, je crois.

— L'Empereur arrive demain à Arminassë, annonce-t-il le visage soucieux.

— Je sais, il faudra jouer serré si nous voulons atteindre nos objectifs.

Un assassinat ? Ils n'oseraient comploter devant moi.

— Je ne me range pas de ton avis, Luinil. Tu n'es pas obligée de faire ça.

— Mon sort ne sera pas si terrible, Nim.

Il secoue la tête, sceptique. Je ferais bien de prévenir le psychopathe de leurs petits plans même si j'en ignore la teneur.

— Tu ferais bien de ne pas laisser les gnomes pénétrer dans tes appartements, continue-t-il, tu ignores d'où ils viennent.

Luinil lève les yeux au ciel :

— Ils échappent simplement à l'esclavage des elfes, Nim. Et celui-ci me parait totalement inoffensif, n'est-ce pas Binou ?

Elle me serre contre elle et je me retrouve écrasé contre ses seins volumineux, totalement déstabilisé. Le chef d'espionnage écarquille les yeux devant ma position très discutable auprès de sa souveraine.

— Ce n'est pas un enfant, Luinil, lâche-le.

La concernée le fustige de son regard perçant, peu ravie de s'écoper des ordres.

Finalement, elle se relève pendant que trois mages viennent m'assaillir avec leurs potions et leurs scalpels. Heu... Je préférais la proximité de la reine !

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