Chapitre 69
Toujours aussi écorché et insensible aux sons et aux images qui m'entourent, je devine être chassé de la pièce et emmené dans des escaliers. Mes ravisseurs fourrent un chiffon dans ma bouche pour éviter que mes hurlements n'attirent l'attention.
Pourquoi je ne perds pas connaissance, là ? Je suis le gnome qui a la plus petite capacité de résistance mais étrangement, la douleur effroyable qui accapare tout mon esprit a décidé de me garder éveillé. Ce n'est pas ça qui va apaiser la douleur...
Oh non, je crois que ma joue gauche est totalement percée, quel enfer ! Je suis en train de me vider de mon sang. Tout ce que je touche est poisseux ou part en lambeaux.
Enfin, on m'assoit brusquement sur une chaise métallique et bien que je ne voie rien, j'ai bien l'impression que la lumière est très forte dans mon nouvel habitacle. J'entends des pas autour de moi et on m'enfonce brusquement un casque sur la tête. La panique déjà présente s'accentue et mon cœur tambourine encore plus vite dans ma poitrine.
— Calme-toi, le gnome, on va réparer tout ça rapidement.
Je me serais passé de l'intervention de Laïdjha dans ce triste événement mais s'il peut récupérer ce qu'il me reste de visage... Je ne dis pas non. J'avoue que finir dans un cirque pour présenter ma nouvelle face et amuser le public, ça va vite me souler.
Je sens un produit m'atterrir sur le visage, sans doute éjecté du casque lui-même. Petit à petit, ma souffrance diminue en même temps que ma vue se stabilise. Je distingue tout d'abord des sortes de lasers traverser mon champ de vision. La visière transparente de mon casque me permet de me situer ; je suis enfermé dans une capsule. Immédiatement, je frappe sur la vitre pour en sortir. Pas question de connaitre le même sort que la dernière fois.
— Arrête de paniquer, ordonne un autre médecin, si tu bouges, la reconstitution cellulaire échouera.
La quoi ? Ils commencent à me fatiguer cette bande de gais lurons en tunique blanche. Pendant ce temps, je ne ressens plus la moindre douleur. Les rayons continuent de sillonner devant mes yeux et percer la peau de mon visage. C'est comme si mes nerfs étaient endormis. De toutes façons, le knout m'a déjà sectionné la plupart de mes muscles faciaux ainsi que les terminaisons nerveuses.
— On ne pourrait pas tout simplement le piquer ? interroge un autre scientifique, on a déjà assez de travail avec l'ange.
— Je suis d'accord, répond son supérieur de sa voix trainante, mais notre roi a été formel ; on le garde en vie. Le maître Silovan a été bien imprudent...
— Comme d'habitude...
— Arnil sera furieux qu'il ait joué avec l'ex-empereur... Enfin... La reconstitution est finie ?
L'astre se penche vers ma capsule et réajuste ses lunettes sur son nez :
— Il me semble.
— Bien procédons à la lobotomisation.
Pardon ?
Je ne suis pas vraiment d'accord, là ! Je tire sur mon casque pour m'en défaire mais des bras métalliques pénètrent dans ma prison de verre et des doigts robotiques se referment sur mes poignets. J'aime pas ça du tout. Je suis immobilisé avec un appareil inconnu à même plaqué contre mon cerveau. En plus de ça, je distingue les acolytes de la limace pianoter sur des écrans transparents où fusent des motifs et des images informatives.
Autour de moi, la luminosité augmente à un tel point que je suis forcé de fermer les yeux. Une douleur aigue se répand alors dans ma tête, provocant des tressaillements dans tout mon corps. C'est mauvais signe ! Je force désespérément sur mes liens mais rien n'y fait, je suis coincé comme un rat et je trouve que c'est une expérience récurrente, ces derniers temps !
Malgré tous mes efforts, je me sens partir, comme asphyxié.
Quel endroit maudit !
Je me réveille avec un mal de crâne terrible. Bon, premier point, j'ai l'impression d'être toujours maître de moi-même. Vérifions rapidement : je m'appelle Binou, je suis un gnome originaire de Calca et... et pourquoi suis-je à l'envers ?!
Qu'est-ce que c'est que cette farce ? Je suis immobilisé, les poignets cloués de chaque côté de ma tête et les jambes en l'air, adossées contre un mur de béton. Des sangles de cuir m'entravent de manière à ce que je ne puisse pas m'échapper.
La bonne nouvelle, c'est que je ne suis pas dans une capsule, enfin presque. On m'a retenu dans une cage de verre, cerné par d'autres prisons similaires remplies de créatures en phase de mutation. Mis à part la paroi contre laquelle je suis plaqué, tout est en verre incassable, je peux donc distinguer mes deux voisins de cellule. Le premier, sur ma droite, dans la même position que moi, est une créature des océans à l'apparence humanoïde. Des écailles recouvrent sa peau bleutée et des branchies prennent place derrière ses oreilles pointues.
Si j'en juge son état complètement léthargique, je devine que son cerveau est déjà atrophié. J'ignore depuis combien de temps elle pend dans cette cage mais personnellement je ne tiens pas à la rejoindre dans son inertie.
Quant à mon autre voisin, sur la gauche, il ne subit pas le même traitement. Pour cause, il s'agit d'un contaminé qui déambule dans sa parcelle réduite, poussant des cris plus ou moins rauques de temps à autre. Lorsque ses yeux vitreux se pose sur moi, il se positionne contre la paroi de verre et me fixe ainsi, sans bouger.
Franchement.
Sa peau purulente et ses vêtements cartonnés par la crasse me donnent envie de dégueuler. Mais je me rappelle alors que ma tête est renversée et que tout ce joyeux mélange risque de me repeindre le visage.
C'est en gesticulant dans tous les sens que je me rends alors compte des deux grosses bombonnes qui sont fixées de chaque côté de ma pauvre personne. Dans l'une, un liquide verdâtre et visqueux semble bouillir. Un tuyau le relie à mon corps et pénètre dans mon côté. Nom d'une gargoulette de chiotte, pour quoi ont-ils pris mon corps ? Non parce qu'après, il y a un deuxième tuyau qui draine mon sang jusqu'à une autre bouteille.
Pour l'instant je n'ai pas perdu grand-chose mais à ce train-là, je serai exsangue d'ici trois heures. Et mon liquide vital sera remplacé par cet étrange substance qui me débecte. Aïe Aïe Aïe ! Tout ça s'annonce très mal pour moi !
Et j'avoue que ma position à l'envers ne me plait pas vraiment. J'ai l'impression que ma tête va exploser.
Et si ce zombie cessait un peu de me regarder aussi !
— Tu apprécies l'activité ? lance une voix de l'autre côté de ma cage.
Mon majordome me scrute avec un sourire triomphal. Mais quelle sale petite enflure !
— Laïdjha m'a certifié que ton transfert d'âme se passait à merveille.
— Oh, m'en voilà ravi !
Maintenant que j'y pense, je crois que c'est ce procédé qu'Arnil veut appliquer sur Malgal. Mais qu'importe, pour l'instant, je dois me sortir de là et l'arathor est peut-être ma seule chance.
— Et sinon, pourquoi me sortiriez-vous pas d'ici ?
— C'est justement ce que je me demande, le bouffon. Il y a peut-être moyen de s'arranger, tu vois ?
Oh oh, un marché ? Il s'agit de ne pas se tromper car c'est lui qui est en position de force, là.
Huruk entre un code sur le boitier fixé à même la vitre et fait coulisse le pan de verre. Une fois à mon niveau, il s'accroupit et déclare :
— Je suis sûre que tu pourrais me filer quelques tuyaux pour attraper la gnome.
— Püpe ?
— Exact.
Bon, Huruk est officiellement un con mais on ne peut plus rien faire pour lui. Tant pis, je vais profiter de sa stupidité pour m'échapper d'ici.
— Elle ne vous apprécie pas vraiment, vous savez ?
— Je suis sûr qu'elle changera d'avis après une nuit avec moi.
Je me retiens de soupirer de lassitude ; cette chèvre ne semble pas vraiment avoir compris le fonctionnement féminin mais après tout, il n'est pas le premier débile à venir me demander comment serrer ma femme.
Désolé Püpe, je vais sûrement passez pour un salaud à tes yeux mais il faut que je me sorte de là.
— Je vois, elle me fait confiance, vous savez ?
— Il y aurait alors une occasion pour que tu la conduises jusqu'à moi...
— Ce ne sera pas un problème, en effet.
— C'est que je n'accepte pas qu'elle m'ait échappé, cette nuit.
Il me dégoûte à se pourlécher ainsi les babines. Mais je dissimule mon hostilité et lui renvoie un sourire complice.
— Faut dire, continue-t-il, que voir une telle plastique à nue, ça a de quoi retourner...
J'aurais vraiment pas dû me venger de la sorte sur Püpe, voilà que l'autre pervers fantasme comme un gros vicieux en manque. Mais ne t'en fais pas, Huruk, ça se passera bien pour toi lorsque je vais t'énucléer !
— Il faudrait déjà que vous me libéreriez si vous voulez que je vous amène la gnome.
— Je la veux attachée dans mes appartements.
— Bah, il faut d'abord me détacher, hein.
Huruk s'approche des sangles qu'il commence à déboucler mais s'arrête soudain :
— Ou bien...
Oulah, ce virement de regard n'annonce rien de bon.
— Ou bien je te laisse ici et je marchande avec la gnome pour ta survie mentale.
— Heu... Non... Elle n'acceptera pas.
— Je sais qu'elle tient à toi.
Sur ce, il se relève et tourne les talons. C'est pas possible, je ne vais jamais sortir de ce trou à rat ! À ce moment, la sangle de mon poignet droit cède. Je jette un regard vers l'origine de cette délivrance qui n'est d'autre que le lapin maléfique. Qu'est-ce... J'éluciderai ça plus tard. Il me reste quelques secondes pour me défaire des autres liens, pendant que Huruk entre le code pour rouvrir la porte.
Subrepticement, je libère mon deuxième bras et fait travailler mes abdos pour défaire toutes les sangles qui ceinturent mon buste et mes jambes. Mes muscles commencent à chauffer douloureusement mais il ne me reste que les chevilles.
Prévenu par mes grognements, Huruk se retourne vers moi au même moment où je m'écrase par terre. Sans plus attendre, j'extirpe les tuyaux de mon corps et me relève chancelant. Je suis aussitôt plaqué de nouveau au sol par l'arathor :
— Tu vas rester ici, sale bouffon !
— C'est ce qu'on va voir, le bouc !
À même le béton froid, nous échangeons des coups violents, les dents serrées de hargne. Si j'ai sans doute plus de technique combattive qu'Huruk, ce dernier est en bien meilleur santé et surtout n'a pas passé sa nuit à faire le poirier comme moi. Immédiatement, mon épaule se rouvre dans une douleur brûlante. Je ne parle même pas de ma cheville ; pour l'instant, ma priorité est d'éviter de finir étranglé par le majordome. Sauvagement, je lui enserre sa boite crânienne et lui enfonce mes pouces dans les yeux sans cesser de lui envoyer mes genoux dans le ventre. Malgré ses cris de souffrance, il réitère ses coups de poings dans mon visage déjà si mal en point.
— Idiot de gnome, tu crois que tu vas échapper ainsi à la surveillance des caméras ?
Il se dégage d'un coup de mon emprise mais je crois que je lui ai bien crevé un œil. Fou de rage, il parvient à me sonner d'un violent choc provoqué par ses cornes. Des étoiles dansent dans mon champ de vision mais je n'abandonne pas : pas question de trépasser dans ce bouge immonde.
Encore aveuglé par la colère d'avoir perdu un œil, l'arathor me plaque contre le mur de béton et s'apprête à me donner un nouveau coup de boule.
Mais cette fois-ci, je décale ma tête et c'est lui qui prend le choc. La force de frappe était si forte qu'en plus de s'ouvrir le front, il s'est enfoncé les cornes dans le crâne.
Il s'effondre, sur le sol, évanoui.
Je pousse un long soupir de soulagement mais ne prends pas le temps de procrastiner. Ce gai luron a laissé la porte ouverte. Ça tombe bien ! Je vais pouvoir m'enfuir avant que les gardes ne rappliquent.
Je me relève avec peine et me traine vers la sortie lorsqu'une idée me vient. Je retourne vers le corps inerte de mon majordome et lui attache les bras aux sangles. Pas question d'avoir cette chèvre dans les pattes.
Déterminé, je rejoins le pan de verre et le referme de force avant de m'approcher de l'écran de confirmation. Instinctivement, je trouve le moyen de verrouiller la cage. Et avec un sourire mauvais en coin, j'ordonne à tout ce système électronique de faire glisser la vitre incassable qui sépare notre nouveau captif du contaminé.
Le bruit crissant du verre qui coulisse dans son rail réveille Huruk qui ne tarde pas à comprendre ce qu'il l'attend :
— Binou ! hurle-t-il, arrête tes conneries, fais-moi sortir d'ici !
Sans me départir de mon sourire coupable, je secoue la tête de gauche à droite, avec Bhaurisse campé fièrement à mes pieds.
— Je suis sûr qu'on peut s'arranger... Je... Je te laisserai la gnome et...
— J'espère bien, ricané-je.
Ces mots étant dits, le zombie pénètre dans le nouvel espace qui s'offre à lui. D'abord étonné de trouver l'arathor accroché, il s'approche en reniflant même si je doute qu'il puisse sentir grand-chose avec les effluves qu'il transporte lui-même.
Et puis sans crier gare, il fond vers sa victime pour la dévorer vivante. Les hurlements d'Huruk résonnent dans toutes les cages mais moi je reste planté là à regarder le spectacle, à m'amuser du sang qui gicle de partout, à discerner les os sous la chair déchiquetée et à me délecter du désespoir qui se perçoit encore dans ce corps bientôt réduit en lambeaux.
Finalement, je tourne les talons.
— Désolé Huruk, mais je ne te fais pas l'honneur d'assister à ton dernier souffle.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top