Chapitre 60
— Bon, je vous brosse le tableau : dans cette aile résideront toutes les personnalités importantes du royaume dont Arnil et la Mémoire. Faut s'adapter à l'agencement des quartiers : vous logerez sous les combles, juste au-dessus des maîtres.
— Oui, on connait le principe, soupiré-je.
— Il a toujours ce caractère de merde ? interroge l'arathor à mes compagnons.
— Cela dépend, répond laconiquement Clark.
— Bien ! On m'a transmis vos fonctions...
Il sort une tablette transparente de sa veste et commence à faire glisser son doigt dessus. Les informations fusent dans tous les sens sans que je n'y comprenne grand-chose.
— Suivez-moi...
On emboite le pas à notre cervidé préféré. Son caractère à moitié familier ne me plait guère mais faudra composer avec.
— Au fait, je m'appelle Huruk. Et bien sûr, vous devez m'obéir. Alors... Qui s'appelle Clark, ici ?
— Moi.
— Pourquoi tu manges ?
— Parce que j'ai faim.
On ira loin...
— Bon, il n'y a que trois repas par jour, pas plus ; tu t'occuperas des diners de la Mémoire donc évite de tout engloutir avant de le servir... Et Binou ? C'est toi, avec les cheveux décolorés et le caractère de merde ?
— Ouais.
— Bouffon du roi ? Sérieusement ? Bon... Pourquoi pas...
— J'ai des talents cachés.
Surtout pour la torture, d'ailleurs.
— Et les bonnes de chambres : Tiny et Püpe ?
— C'est nous.
— Parfait... Eh dis-donc, tu voudrais pas cumuler deux fonctions, toi ?
Püpe papillonne des cils et demande innocemment :
— Pourquoi ?
— Je t'entretiendrais bien : t'as l'air exquise au lit.
Non mais je rêve. Je me mords la langue pour éviter de flanquer mon pied dans le derrière de ce malotru : il n'y a que moi qui ait le droit de parler ainsi à Püpe.
— Pas intéressée, déclare-t-elle précieusement.
— Tu es vraiment sûre ? Je te paierai grassement.
— Non, je ne couche pas avec les animaux.
Quelle violence ! J'éclate de rire, aussitôt suivi de mes deux compagnons. L'arathor tire une de ces têtes, haha. Mais contrairement à ce que j'aurais pensé, il ne se fâche pas à l'égard de notre petite gourgandine.
— T'as du caractère, ma jolie, t'es sûre que tu ne désires pas t'amuser un peu avec moi ?
Mais quel forceur !
— Non.
— Allez, je te fais danseuse.
— Je ne danse pas pour les chèvres.
— Je te fais danseuse de cour.
— Ça me convient ! Mais que devant le roi et ses courtisans.
Elle n'est pas bête ma chérie : elle tient à grimper jusque devant les puissants pour d'autant mieux les espionner.
— Très bien, murmure l'arathor.
Lui, il semble apprécier se faire marcher dessus par les soubrettes. Bah, c'est tant pis pour lui.
Plongés dans un cadre toujours aussi grandiose, nous gravissons des escaliers en pleine effervescence. Des domestiques transportent du mobilier pendant que les soldats se placent à des postes stratégiques.
Après un crapahutage intensif, nous arrivons enfin aux appartements des domestiques. Pour mon plus grand bonheur, nous bénéficions tous d'une suite privée.
— La Mémoire a exigé que vous soyez bien traités, assure Huruk.
— Qu'il est gentil, le Malgal, grincé-je.
Püpe et Tiny nous laissent devant leur porte et je continue seul avec mon ami et le majordome.
— La blonde, fait remarquer ce dernier, c'est pas de la rigolade.
— C'est vrai qu'elle est terrible, soupire Clark.
Oui, et de taille plus adaptée pour l'arathor que les astres. C'est vrai qu'il est à peine plus grand que nous mais ce n'est pas rare pour une certaine catégorie de sa race.
— Quant à toi le gros, voici ta chambre : tu disposes même d'une cuisine pour préparer la nourriture de la Mémoire. Je préfère te prévenir tout de suite, il est végétarien.
— Ah bah nous aussi.
— Et toi le décoloré, suis-moi. Le fou du roi dispose d'appartements spéciaux.
— Palpitant...
Je lui emboite le pas dans le couloir et pénètre dans une vaste pièce basse de plafond, les murs couverts de drapés rouges. Une ambiance très chaleureuse y règne, accentuée par les bougies allumées et les tonalités dorées. Je me pince les lèvres devant le superbe lit à baldaquin qui trône au milieu de la chambre : ça me changera du vieux banc métallique du vaisseau. Je suis tellement pressé de me taper ma meilleure sieste ; j'en trépigne d'avance !
— Et voilà ton uniforme !
Je me tourne vers un fauteuil rembourré où ont été déposés mes nouveaux effets. Je grimace devant les couleurs vives et le chapeau mais on verra ça après. Je crois que j'ai surtout envie de prendre un bon bain.
— Bon, eh bien merci...
— Voici la liste de tes tâches, lis bien : un manquement sera sévèrement puni.
Je hoche docilement la tête. Inutile de paraitre rebelle, je n'y gagnerais rien.
L'arathor m'abandonne et je me retrouve seul dans ma nouvelle suite. Je saisis le parchemin et parcours les consignes du regard.
Mon prochain rendez-vous a lieu ce soir durant le repas du roi. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir inventer pour les distraire, ces abrutis ? Et si je leur balançais de la nourriture au visage ? Olalah je vois d'avance les séances d'humiliation. Ce ne sera pas la première fois mais je préfère sauvegarder ce qu'il me reste d'honneur.
D'un pas vif, je rejoins la petite salle de bain cosy et me déshabille avant de remplir la baignoire. De ce point de vue-là, c'est comme à Lombal : une tuyauterie apporte directement l'eau chaude dans la cuve. Je m'y installe et frotte ma peau sans cesser de réfléchir. Qu'est-ce qu'il me reste à faire mis à part survivre ? Morgal doit résider ici, puisqu'il est sensé être exécuté dans sa capitale. Mais comment contrer les plans d'Arnil ? Le tuer ? Il se ferait sûrement remplacé par Silovan ou un autre sous-fifre. En fait, le seul moyen de parvenir à nos fins, se serait de liquider Malgal : n'est-ce pas lui la clé de voute du système technologique ? Ou alors, on le convainc de retourner encore sa veste. En attendant, il ne nous reste qu'à prévoir les plans du roi et de les empêcher dans la mesure du possible.
Quelle vie ! Et si je pouvais retirer ce vieux truc, ça m'arrangerait. J'attrape la dague logée dans ma bottine et tente de scier la ceinture. Mais tout ce dont je réussis à faire, c'est de me faire une longue estafilade sur l'abdomen suite à un glissement inopportun. Rhaaa, va falloir que je fasse un compromis avec l'autre mégère.
Dépité, je sors de ma baignoire et attrape un peignoir avant de me diriger vers la chaise où m'attendent mes nouveaux vêtements. Mes yeux se posent sur des bottines noires avec un revers cisaillé au liseré doré. Bon, pour l'instant, rien de trop extravagant. Par contre, la chemise noire avec des rayures grises à l'horizontale ne me séduit pas vraiment. J'enfile par-dessus un plastron rouge avec un col blanc, lui aussi en dents de scie. Des bordures au fils d'or ainsi que des plissés immaculés viennent apporter une touche luxueuse au tout. Mais mon visage se décompose devant le chapeau à grelots. C'est comme un bonnet, taillé en pointe sur le front, mais avec cinq longues oreilles pointues qui me retombent sur les épaules. C'est... un chapeau de fou, tout simplement. Et bien sûr, on oublie pas le petit collier en chaine qui vient donner une crédibilité à toute épreuve.
Püpe et mes amis vont se fendre la poire devant mon air terrible. Je soupire face à mon reflet et essaie d'ajuster ma coiffe de manière la moins ridicule.
Bon bon bon, Binou ! Tu dois jouer le rôle, que diable ! Tu vas faire le pitre et essayer de glaner des renseignements tranquillement. Je jette un œil à la fenêtre ogivée : le soir tombe. Nom d'une cervoise en rillette, je ne dois pas être en retard.
C'est parti pour de nouvelles aventures !!
Comme la salle à manger était vide, je me suis rendu à la salle du trône. Première fois de ma vie que je pénètre dans le sein de la plus importante pièce du Cosmos. Déjà, je note la splendeur de l'immense nef qui se jette sur plusieurs centaines de mètres. Je suis époustouflé par la finesse architecturale qui ressort dans tout ce magnifique complexe où la lumière se diffuse dans une note mystérieuse. Quelques candélabres ornant les colonnes sculptées accentuent le côté assez surnaturel du lieu. Et au fond, sur un piédestal magnifiquement orné, le fauteuil impérial se dresse avec une prestance et une puissance incontestable. Aux pieds des marches, parmi sa cour, le roi Arnil observe le trône. Un faisceau de lumière traverse les vitraux de la rosace et éclaire ainsi le siège impérial, ce qui lui accorde une nature d'autant plus mystique.
D'un pas décidé, l'astre entame l'escalier et rejoint le trône de marbre noir. Mon cœur se serre devant cette scène : c'est Morgal qui devrait poser ses miches ici, pas cet enfoiré. Pour rester dans le thème, le frère jumeau atteint à son tour le sommet des marches et se place derrière son suzerain comme s'il s'agissait de son propre conseiller.
À ce moment-là, tous les courtisans fléchissent le genou pour reconnaitre l'unique maître de la Dimension. Ils sont pathétiques. Ou pas fous : ils n'ont guère envie d'être transformés en boules de chairs informes.
Avec toutes ces bêtises, je n'ai toujours pas croisé d'elfes d'Onyx. Je commence à me demander s'ils n'ont pas tous été exécutés... D'ailleurs, où est Indil ? Elle aussi devrait se trouver dans les parages.
Mystère...
Cette fois-ci, l'heure du souper a sonné ! Je trottine jusque dans la vaste salle où une table de privilégiés a été dressée. Les courtisans les plus influents du royaume attendent leur roi, plongés dans une conversation intense. Je remarque trois sièges encore de vide : celui d'Arnil, celui de Malgal et entre les deux, un pouf. Ça c'est pour moi, à mon avis, héhé.
Enfin, les deux retardataires se joignent aux repas après avoir reçus les compliments des autres lèche-culs.
— Et bah ! On se fait attendre !
Tous les regards se posent sur moi, choqués. Je vais jouer la carte de l'insolence, ça a toujours à peu près marché avec Momo...
— Non mais c'est pas parce que sa Majesté est devenu le roi suprême qu'il peut se permettre de prendre la grosse tête.
— Je peux aussi très bien te donner en pâture à mes chimistes, déclare le roi sans vraiment me punir de mon affront.
— Ce serait du gros gâchis, Majesté.
Sur ce, je m'assois sur mon siège rembourré et pioche dans l'assiette de l'elfe tout en agitant les grelots, exprès pour l'exaspérer. À bout de patience, Malgal m'attrape le crâne et me fracasse la tête contre la table.
Le choc est si violent que mon nez pisse le sang.
— Connard !
Apparemment, la vue du liquide vital amuse la cour de l'autre crétin. S'il faut que je me fasse martyriser pour jouer mon rôle, ça va vite me fatiguer.
— J'imagine que c'est le rôle du fou du roi, conclut Arnil, atténuer mon orgueil et mon amour-propre. Bien, qu'il en soit ainsi.
Je l'assassine du regard avant de lui rendre un sourire puant d'hypocrisie. Je sens que l'on va se marrer, tiens...
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