Chapitre 6

Avec Poulpinet et Clark, nous avons voyagé seuls jusqu'à Arminassë. Fanyarë est un pays magnifique avec une flore unique et une douce chaleur qui vous emporte du matin jusqu'au soir. Par contre, la nuit, nous avons eu le droit aux contaminés. J'ai cru plus d'une fois y passer, dans leur estomac en putréfaction ! Un douloureux rappel de ma propre contamination, après la chute des météorites. Ceux-là n'ont pas eu ma chance et ils continuent d'errer comme une bande de zombies.

Heureusement que les contrées sont sécurisées, désormais.

Bref, après quelques tribulations en tous genre et quelques escales inutiles pour laisser Clark entretenir sa panse énorme, nous atteignons notre but.

Je ne cache pas non plus le fait que Poulpinet a failli me rendre fou avec sa musique réjouissante qui ne parle que de cadavres et de meurtres.

Donc, c'est avec un certain soulagement que je retrouve Arminassë, la cité aux mille miroirs. Avec le coucher, du soleil, les rayons se reflètent dans les vitres du palais royal, faisant flamboyer la capitale comme un joyau.

Je talonne Poney Obèse pour qu'on puisse loger au palais avant la nuit tombée. D'après notre cher gnome d'Onyx, nous serons chargés de la restauration, ce qui ne me change pas de mon ancien métier. En Fanyarë, c'est un luxe de se payer des gnomes car non seulement on en trouve qu'en Calca mais en plus, notre petite taille se révèle bien pratique : la discrétion est de mise dans ce genre de profession. Et cela donne une petite touche exotique aux festivités.

En fait, ça, c'est moins raconté, mais les astres adorent « jouer » avec les gnomes. Ouais, c'est pas flamboyant comme culture mais ça a toujours été le chaos niveau moralité. Chacun fait ce qu'il veut avec qui il veut ! Malheureusement, il arrive que certains accidents aient lieu. Je sais que la mère de Püpe est morte suite à une agression avec un astre ivre.

Et voilà ! Je repense à elle ! Toujours le souvenir de la petite gnome blonde et son caractère défectueux qui me suit où que j'aille. Je vais devoir m'en trouver une autre l'espace d'une nuit pour doucher un peu mes ardeurs et oublier le passé.

Et quoi de mieux qu'Arminassë pour renouer avec les amours ? Bon, pour Poulpinet c'est mort.

— Tu penses à quoi ? demande ce dernier alors que nous traversons les avenues bondées et bruyantes de la capitale.

— À me changer les idées comme on sait le faire à Arminassë.

Il fronce les sourcils sans comprendre et se tourne vers mon meilleur ami qui se contente de lui sourire sans lui fournir de réponse.

Ah ce brave Clark... Il n'a jamais eu de chance de ce point de vue-là contrairement à moi. Toujours à s'enticher de mauvaises filles qui prenaient un malin plaisir à le faire souffrir. Bon, c'est sûr qu'il ne peut rivaliser avec mon charisme de rêve ! À ce propos, j'ai bien envie de sonder Poulpinet au sujet de notre maître :

— Tu as déjà vu l'Empereur avec une femme ?

— Oui, même plein.

— Plein ? m'étranglé-je de surprise.

— Oui, il est fréquent qu'il rencontre des aristocrates ou des souveraines de différentes régions pour trouver des arrangements diplomatiques.

— J'évoquais plutôt en termes de relations intimes, si ton cerveau mal programmé peut saisir.

— C'est que je ne fais pas attention à ce genre de détails, moi.

Évidement. Moi c'est la première chose que je fais, comme la bonne commère que je suis !

— Il ne reçoit pas de maîtresse dans ses appartements ?

— Mmh... À part Indil, je ne vois pas...

J'avais vu juste.

— Et c'est lui qui a créé Indil ?

— Oui.

Étrange. Je pensais que sa création se limitait aux elfes et aux gnomes d'Onyx. Mais après tout, il aurait très bien pu insuffler la vie à une femme et la doter de ses propres critères esthétiques.

Finalement, je suis un peu déçu, j'aurais espéré qu'il continue sa quête jusqu'à Luinil, pas se contenter d'une godiche qui ne le respecte pas le moins du monde.

Bah, après tout ce n'est pas ma vie.

— On arrive ! s'exclame Poulpinet en me sortant de mes pensées.

En effet, nous gravissons la colline et entrons dans la cour principale du palais. Déjà, le soleil disparait à l'horizon et les oiseaux finissent leur chant mélancolique. Cependant, l'activité astrale ne fait que commencer. Nous nous hâtons de pénétrer dans l'aile des domestiques et descendons de nos montures fourbues.

Franchement, je ne sais pas trop quoi penser de ce retour à Arminassë. La dernière fois, j'étais chargé d'empoisonner la reine en personne et ça a lamentablement échoué. Faut dire qu'affublé en bouffon, j'ai fait forte impression !

Un astre s'approche de nous à grand pas. Je ne peux m'empêcher de sourire devant son air dégingandé qui lui donne l'apparence d'une sauterelle. Même sa démarche désarticulée ne lui accorde aucune crédibilité. Et maigre comme un phasme avec ça. Je passe aussi sur le fait que sa tenue framboise et criarde me provoque une répulsion visuelle.

— Vous devez être les gnomes du service restauration ? demande-t-il d'une voix maniérée.

— Heu... Ouais, c'est nous.

— Fantastique, j'avais peur que vous ayez rencontré des empêchements !

— Heu... Non.

— Si vous voulez bien me suivre, mes petits amis !

Encore un qui voit la vie en rose... Et je ne parle pas de la couleur de son affreuse tunique.

C'est exactement le genre de personnes que Morgal n'encadre pas. Bon, c'est vrai qu'il n'aime pas grand monde mais il n'a jamais hésité à cracher sur les hommes efféminés. Ouais, la tolérance ce n'était pas son truc, il répétait souvent que c'était de la « séquestration de conscience » et qu'il préférait haïr les gens comme il le voulait.

Du coup c'est vrai que j'en ai vu pas mal se faire raccourcir par le célèbre Faucheur des Falaises Sanglantes.

L'intendant nous emmène jusqu'à des vestiaires où nous découvrons - avec joie ! - nos uniformes. Et moi qui critiquais les fripes de l'astre... Bon, est-ce que je vous brosse un tableau de nos futures dégaines ou je vous laisse dans une saine ignorance ?

Nous enfilons des pantalons blancs amples, resserrés au mollet, avec de fines bottines confortables. Pour l'instant, nous ressemblons encore à quelque chose mais mes yeux pleurent devant l'abomination vestimentaire qui suit.

— Prenez ceci ! ajoute l'intendant, tout guilleret.

— Pitié.

— Ne faites pas cette tête, vous serez mignons comme tout !

Je ronchonne et attrape le haut. C'est une chemise violette très près du corps qui épouse parfaitement la silhouette et qui s'arrête sous la poitrine, exposant le ventre. C'est terriblement laid !

Et encore ! J'ai la chance d'avoir la peau mate et des abdominaux bien dessinés. Mais je ne vous parle même pas de l'horreur visuelle que renvoie Clark. Même Poulpinet grimace devant son allure terrible.

L'intendant se tapote le menton de son index, réfléchissant à un moyen de rattraper ce désastre.

— Finalement, tu resteras dans les cuisines, déclare-t-il.

Je me retiens de pouffer de rire : la moitié même des plats n'arriveront pas aux convives, déjà engloutis dans le puit sans fond qu'est mon ami. Mais c'est sûr qu'il ne sera pas forcé de porter cette chemise trop étroite pour lui.

Je jette un œil à Poulpinet : son accoutrement ne semble pas le gêner, juste l'intriguer. Son cerveau doit être en train de découvrir la merveilleuse notion de honte !

Je remercie Morgal de m'avoir assigné un tel rôle ! Il va me payer très, très cher, ce salaud.

La seule chose positive dans cette histoire tragique : nous ne mourrons pas de froid avec la chaleur de l'été. Et on va pas se cacher, il est fort possible que je me serve allégrement dans les plats que je distribuerai aux invités.

— Si vous voulez bien me suivre jusqu'aux quartiers des gnomes, nous enjoint l'autre hurluberlu.

— Avec plaisir ! répond Poulpinet dans un grand sourire.

Clark grogne en enfilant sa combinaison de cuisinier et nous emboite le pas. Satisfait, l'astre remet de l'ordre dans sa coiffure déjà reluisante de gel et nous conduit jusqu'à un bâtiment rectangulaire surplombé d'une coupole de verre.

On nous présente ainsi nos chambres ainsi que la nature de nos services. Si Clark passera ses journées en cuisine, Poulpinet et moi devrons parcourir tout le palais pour apporter les repas à ces messieurs trop paresseux. Et comme l'avait précisé Morgal, notre secteur se limitera essentiellement aux appartements du couple royal et de leurs invités.

Heureusement qu'une carte du palais nous est distribuée, je ne vois pas comment j'aurais pu m'orienter dans un château plus grand que les Falaises Sanglantes. Surtout que notre mission exige une maîtrise parfaite du terrain.

J'attends que l'astre et ses manières nous laissent pour faire l'inventaire de nos bagages sur le tapis de l'appartement.

C'est fou comme Ventre-sur-Pattes est capable de transporter autant de kilos de nourriture. L'inconvénient, c'est qu'il ne partagera pas, je le connais bien. Bref, aucun de ses biens ne peuvent nous servir pour la mission.

Ce qui n'est pas le cas de Poulpinet : un vrai arsenal son sac !

Deux épées, une dague, un poignard, une arbalète ? Oui, c'en est une vue qu'il y a les carreaux qui vont avec. Une lance repliable, un couteau à lame amovible, une hache, un marteau, des trucs bizarres, un luth, un carnet et un sachet fermé.

— C'est quoi ? demandé-je en désignant le petit sac.

— Heu... C'est personnel.

— Bon, au moins, on ne manque pas d'arme.

— Et toi ?

Je déroule mes affaires emballées dans des chiffons et expose mes petites merveilles.

À savoir, un kit de torture et une armada de bouteilles en rang serré.

— Tu veux vraiment écarteler des gens ? interroge Clark.

— Je n'ai pas accepté cette mission pour m'ennuyer !

Mon ami grimace, me laissant comprendre qu'il ne se joindra pas à moi au moment fatidique.

— Et voici notre emploi du temps ! déclare Poulpinet en déroulant le parchemin.

Je soupire en découvrant la journée surchargée qui nous attend et décide d'entamer ma première bouteille sous l'œil récalcitrant de Clark.

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