Chapitre 56

— Vous êtes plutôt gentil pour un elfe. C'est une caractéristique particulièrement rare chez les Fëalocen.

Püpe et son sens de la courtoisie.

— Je ne suis pas un elfe bien méchant, en vérité.

Mouais, tu tenais un discours plutôt prononcé la dernière fois, quand même.

— J'ai tenté de tuer votre frère dans le passé. Mais ça n'a pas marché.

— Vous êtes une très vilaine fille.

Je lève les yeux au ciel, pressé d'en finir avec cette histoire. Malgal nous a certifié qu'il allait pouvoir régler notre problème lors d'une soirée illégale à laquelle il est convié. Il dit qu'il a des connaissances à retrouver là-bas et que nous trouverons sans doute des capsules d'échange.

Comme il fallait passer inaperçu, nous avons dû renfiler des tenues adéquates et je pleure depuis le début du trajet.

Si nous ne trouvons pas l'objet de cette soirée, je décapite l'autre drogué sur le champ ! Parce que j'en ai sérieusement ma claque ! J'ai dû revêtir d'horribles fripes qui grattent et qui me serrent de partout. Le pire, c'est que Püpe donnerait cher pour être à ma place. Je ne comprends pas ; je pisse le sang en plus. De toute façon, dès que l'échange se fera, je ne peux pas vraiment compter sur ma femme pour une partie de galipettes. Avec tout ce qu'elle a enduré par ma faute, il faut que je m'attende à une vengeance très salée de sa part.

— Si ce n'est pas une honte de laisser une femme sortir dans le froid, accoutrée pareil, grommelé-je.

— Tu ne tenais pas ce genre de propos quand c'était mon cas, remarque Püpe.

— C'est un miracle que je n'ai pas attrapé une pneumonie ou un rhume carabiné !

— T'en fait pas, mon corps est habitué.

Je soupire et me cale dans le fauteuil de la navette, trop grand pour moi. Le paysage défile à toute allure sur ma droite, engloutissant les bâtiments qui illuminent la nuit. Je devine une quantité indénombrables d'autres vaisseaux accompagner le nôtre sur la vaste voie.

Tout ce dont je demande moi, c'est un gros manteau de fourrure et d'arrêter de porter des mini-jupes. En plus, je crois avoir ruiné mon maquillage en me frottant les yeux.

Heureusement, c'est bientôt la fin des tribulations. Enfin, avec moi, ce n'est jamais terminé.

— Bon, récapitule Malgal, toujours aux commandes, je vous conseille de faire attention là-bas. Vous serez les seuls gnomes donc... Certains pourraient être animés de mauvaises intentions.

— Ça serait chouette que tu ne laisses pas mon corps se faire violer, me lance Püpe.

— Malheureusement, intervient l'elfe, le genre n'est qu'un détail dans ces accidents. Vous devrez rester tous les deux sur vos gardes.

Bah, ça ne sera pas la première fois que je me prends une main au cul. J'ai toujours été un gnome qui attirait l'attention. Mais c'est sûr qu'avec la plastique de ma femme, j'aurais de la chance de ne pas me faire soulever par une dizaine d'illustres inconnus avant la fin de la nuit.

Avec ça, j'ai l'impression de ne plus tenir. Toutes ces préventions et contraintes me poussent à bout. Et la chaleur de la navette n'améliore en rien mon état. Je suffoque dans ce corset. Tant pis, je me lève et me dirige vers les latrines du vaisseau pour le retirer, au moins le temps que je reprenne mon souffle. Püpe m'interroge du regard mais je suis bien trop occupé à tanguer.

Enfin, je m'enferme et m'assois sur la lunette, la tête qui tourne. Je désagrafe mon dessous et masse mes seins douloureux. C'est peut-être la dernière fois que je les ai dans les mains d'ailleurs. Bon, on va bien profiter de tout ça car je sens que je gagnerai une formidable période d'abstinence après cette aventure. Je vérifie que j'ai bien verrouillé la porte et avec empressement, je retire ma culotte en vue de me caler sur un radiateur brûlant. De cette manière, je fais face à une glace qui renvoie la renversante plastique de mon nouveau corps ; mine de rien, je reste le même gnome dans ma tête avec les mêmes désirs et les mêmes travers. Voilà, maintenant, il n'y a plus qu'à espérer qu'il me reste plusieurs minutes avant qu'on atteigne la destination de notre voyage car niveau destination, moi j'en ai une toute autre à l'esprit en ce moment. Je me pince les lèvres pour éviter de me trahir par des gémissements et commence à me travailler. En espérant qu'il n'y ait pas de caméras dans l'habitacle parce que sinon, Malgal va avoir tout retranscrit en direct dans son cerveau. Mes seins commencent à se marquer de traces rouges suites à mes pelotages frénétiques et les pointes se durcissent douloureusement à force de les pincer. Si seulement Püpe me laissait avoir un accès libre à cette partie de son anatomie, en temps normal... Je crois que je serai le plus heureux des gnomes.

Après de longs instants de lubricité, je me relève et remets de l'ordre dans la petite pièce avant de me rafistoler.

Ni vu ni connu, je regagne mon siège après avoir difficilement reboutonné mon corsage. Heureusement, la lumière tamisée du vaisseau m'évite de justifier mon visage rouge et mes lèvres gonflées. Cependant, je doute que ma respiration encore laborieuse ne trompe Püpe qui se contente de m'écorcher une nouvelle fois du regard.

Comme pour briser le malaise, Malgal se racle la gorge, les mains toujours posées sur le volant et le regard fixé sur la longue voie lumineuse.

— C'est encore loin ? demandé-je impatient.

— Nous n'allons pas tarder à plonger dans les entrailles de la cité.

— Arnil sait que vous vous absentez là-bas ?

— Il s'en doute, bien évidemment. D'ailleurs, mes caméras de rétrovision m'indiquent que nous sommes suivis depuis notre départ. Ce n'est guère étonnant.

— Ah... Très rassurant.

— Nous les sèmerons sans mal dans les bas-fonds. Et au pire, une petite désactivation de leur moteur, et le problème est réglé.

— Vous pouvez le faire ?

— Une simple connexion neuronale et je fais sauter leur navette, haha. Tout le système technologique de Lombal est à ma merci, rappelle-toi.

Impressionnant. Je calme mes nerfs en me cramponnant aux plis de ma jupe ; au-dessus de ma tête, le plafond clignote dans tous les sens.

Brusquement, la navette plonge en piquée ; je suis éjecté de mon siège et je m'écrase douloureusement sur le parebrise.

— Attachez-vous, rigole Malgal, ça va secouer !

Il pouvait pas le dire plus tôt, ce connard ?!

On prend de la vitesse à mesure que nous descendons dans des tunnels obscurs. Je me rassois piteusement sur mon fauteuil et m'agrippe aux accoudoirs, le temps que cette dégringolade dans le vide cesse. Mais apparemment, Malgal peine à semer les agents d'Arnil. Qu'à cela ne tienne, à peine nous sommes nous engagés sous les consolidations d'un pont, que la Mémoire pirate leur vaisseau et ils s'encastrent violemment dans un mur. Ouch. Même de ma place, je distingue la lumière enflammée de l'accident ainsi que de nombreuses pièces métalliques voler autour de nous.

Le voyage continue plus calmement ; nous sommes presque les seuls sur ces routes désaffectées, plongeant toujours plus vers les profondeurs. L'éclairage se fait rare. L'angoisse augmente dans ma poitrine même si mes deux coéquipiers paraissent trouver la balade plaisante. Faut dire que l'explosion a fait rigoler Püpe. C'est à ce moment que je me suis rendu compte que mon rire était abominable ; on dirait une crécelle rouillée... À part ce détail, je n'ai pas eu de mauvaises surprises en ce qui concerne mon véritable physique. Même si ma femme se fatigue à coiffer tous les matins ma courte tignasse blanche. Peut-être que si je m'apprêtais de la sorte j'aurais plus de succès auprès d'elle ? À méditer...

La stabilisation du vaisseau m'arrache à mes pensées :

— Tout le monde descend ! s'écrie Malgal.

Je me précipite vers la porte qui coulisse déjà pour laisser l'accès à la passerelle. Je sautille à quelques mètres du vaisseau tout en observant mon entourage. C'est comme si nous avions atterri dans un immense hangar abandonné. D'énorme machines prennent la poussière un peu partout. Le plafond se perd dans des hauteurs vertigineuses et le froid court sur le béton glacé pour s'immiscer dans les moindres pores de ma peau. Je referme ma veste courte et m'avance vers une entrée obscure d'où s'échappent des échos. Sous le porche carré, je devine quelques pauvres lampions éclairer faiblement le passage. Pas très rassurant.

Malgal me dépasse et s'engage dans le tunnel sans l'once d'une hésitation, son long chapeau à large bord toujours enfoncé sur son crâne. Püpe lui emboite le pas, pressée d'en découdre.

Je tente tant bien que mal de les suivre mais mes satanées chaussures me brisent les chevilles. À mesure qu'on remonte le passage lugubre, on commence à croiser du monde. Qui aurait cru que dans le trou pommé du monde, des individus se réunissent pour se prendre une formidable murge ? Parce que de tous ceux que nous croisons, il n'y en a pas un de lucide ; soit bourrés, soit drogués, soit endormis. Certains baignent dans leur vomi ou leur pisse. Mon nez sensible se retrousse et je manque moi aussi, de régurgiter mon repas.

Si aucun ne semble repérer l'elfe, Püpe et moi, on écope des regards très insistants en plus de gestes obscènes. Malgal ? Où nous as-tu emmenés ?

Mais ce dernier continue sa route sans se retourner. Son long manteau de cuir caresse le sol sans paraitre souillé des immondices qui le recouvre.

Plus nous avançons, plus la musique et la lumière se fait forte. Les lampes électriques se multiplient avec la population. Bien évidemment, nous ne croisons que des astres et quelques humains dans les couloirs. Tous s'écartent craintivement de la Mémoire, craignant probablement qu'elle ne viole leur sapior. Aussi, lorsque Malgal passe les lourds battants d'entrée pour pénétrer dans l'immense salle de fête, la musique stoppe net. Tous les regards convergent vers lui, mêlés de frayeur et d'admiration. Sans prendre la peine de s'arrêter sur le phénomène, le frère de mon maître continue sa route avec assurance, se dirigeant droit vers un escalier qui mène à des loges privées. Comme un requin dans un banc de sardines, il se déplace en repoussant les fêtards de la seule force de sa prestance. Dans son sillon, Püpe et moi trottinons furtivement.

Dès que l'elfe s'engage sur les marches, la salle semble souffler de soulagement et la musique reprend avec les danses. Nous le suivons jusqu'à ce qu'il s'avance dans la première loge. Là, un homme à la peau noire d'un certain âge se vautre dans de confortables coussins.

Vêtu très excentriquement, il arbore un étrange piercing qui part de l'oreille droite pour rejoindre celle de gauche, en passant par le nez. Quelle horreur ! À la moindre altercation, tout ce bazar lui déchire les lobes et les narines !

Pendant que Malgal s'installe à son tour sur un large pouf, des domestiques leur servent une boisson chaude.

— Malgal ! s'exclame l'homme avec emphase, je ne vous espérais plus !

— Me revoilà Tornango ! J'espère que vous avez la marchandise en quantité suffisante, cette fois-ci !

Oh mon dieu, c'est son fournisseur de drogue. Et moi qui pensait qu'il allait rencontrer des personnes susceptibles de sortir l'Empire de ce mauvais pas...

— Tout comme vous voudrez, Malgal. Mes raffineries n'ont jamais été aussi qualitatives.

— Mmh... la vie est meilleure ici qu'à Atalantë, apparemment, monsieur le gouverneur.

— En effet... Je n'aime pas rendre des comptes aux autres. J'avais misé tout mon commerce sur les transferts d'âme mais les scientifiques de Lombal m'ont volé les plans.

Tous deux gardent le silence quelques instants avant que Tornango ne relance la conversation :

— Il parait que le Balgivox est arrivé à Lombal.

— En effet.

— Arnil le supprimera-t-il ?

— J'en doute : le roi hésite à se débarrasser ou non de son Vala. La mort du Balgivox éliminerait non seulement les Réceptacles mais en plus, toute la magie qui réside sur la dimension.

— Cela vous avantagerai bien !

— Peut-être...

Sauf que toi aussi, Malgal, tu es un Réceptacle.

— Et quelles sont ces créatures, là ? Des enfants ?

Püpe et moi toisons l'humain du regard, outrés par ses propos.

— Les gnomes ? Non, ils m'accompagnent ; ce sont mes esclaves.

Le gouverneur glousse en nous regardant :

— Je pourrais te les acheter ?

— Non.

— Allez ! Contre une livraison entière de ma meilleure drogue !

Malgal semble hésiter. Non mais !

— Je ne peux pas, je tiens à eux.

— Oh ça va, tu n'imagines même pas l'argent que je pourrais rapporter en les prostituant !

— Les gnomes sont une source d'ennuis, Tornango.

— Peut-être mais de tout le royaume, ce sont les seuls gnomes qu'on croise. Mes hommes veulent baiser de l'elfe, qu'est-ce que tu veux ?

Bon, très bien. Je rejoins notre hôte et avant que ses gardes n'aient pu effectuer le moindre geste, je lui enfonce mon poing dans la figure, déformant sa tige de fer par la même occasion.

Tornango me regarde, sidéré, le nez en sang, alors que Malgal éclate de rire.

— Tu l'as bien cherché, Tornango. Mes esclaves sont susceptibles. Et non, je ne te les vendrai pas ! Encore moins si tu parles ainsi de ma race.

Il essuie le sang et se redresse dans ses coussins pour se redonner une certaine contenance. De mon côté, je crois que je me suis déplacé les os de la main. Aïe...

— Saleté de créatures, maugrée-t-il en se retenant de m'étrangler.

Je pense qu'il a tout de suite moins envie de coucher avec nous, désormais, héhé.

— Aurais-tu des capsules d'échange ? demande Malgal en finissant son thé.

— Ouais, quelques-unes près dans les dortoirs. Pourquoi ?

— Pour rien.

Il nous fait signe de déguerpir. Sans attendre, je descends les escaliers en courant, suivi de Püpe. On s'élance alors dans la mêlée de danseurs sous le feu de projecteurs puissants et multicolores. La musique nous assourdit mais ma femme et moi sommes décidés à retrouver les machines qui nous rendrons nos corps respectifs.

Mon regard se pose vers le fond de l'immense salle où commence un énième couloir, cette fois-ci très lumineux. Beaucoup d'individus s'y pressent dans les deux sens, la mine joyeuse.

J'attrape Püpe par le bras et la tire avec moi jusqu'au large conduis.

— Ce sont des commerces, rétorque-t-elle, on est pas au bon endroit.

— Nous allons demander aux commerçants.

Elle soupire et accepte mon idée. Nous nous engageons donc dans le couloir et ne tardons pas à déboucher sur des vastes halles intérieures où déambulent des passants en habits très excentriques. D'ailleurs, je remarque que sur les étalages, les marchandises s'échangent contre une monnaie. C'est donc un marché noir.

Pour une fois, c'est Püpe qui m'attrape le poignet :

— Et si on se remplissait les poches ?

— Mais tu vas pas bien ! On est en mission je te rappelle !

— Oh alleeeeez. Y a plein de bijoux et de trucs sympas.

La voir me supplier dans mon corps me fait grimacer de gêne.

— Non ! On a pas le temps !

— Très bien, t'as qu'à chercher les capsules si tu es si pressé. Retrouve-moi après.

Non mais... Elle tourne les talons et disparait dans la foule. Quelle peste !

S'il faut que je fasse tout par moi-même... Je sens que Püpe va se faire attraper et qu'on sera bon pour de nouveaux problèmes.

Pourquoi les choses doivent-elles toujours tourner au vinaigre ? Je suis si las...

En plus de ça, me trouver enterrer dans ces rues commerçantes m'angoisse ; au-dessus de ma tête une voute bardée de fer et de dispositifs électroniques remplace le ciel.

Je m'arrête devant une échoppe de pierres médicinales. C'est une boutique plutôt atypique pour le pays de la technologie.

Comme la plupart des personnes que j'ai croisées, je peine à identifier de quel sexe est le vendeur. C'est quoi leur délire à être androgyne ?

— Je peux faire quelque chose pour vous ? demande-t-il d'une voix aigre.

Je lui explique ma requête.

— Je vais demander à mon acolyte de vous y mener.

— Trop aimable.

Un robot à la démarche laborieuse apparait derrière le dos de son maître et me rejoint. Je frissonne devant son absence de visage. Il ne dispose que d'une face plate et d'un corps de ferraille rouillée.

Je lui emboite aussitôt le pas à travers le marché bruyant. Avec toutes ces conneries, je dois m'éloigner de Püpe. Et de Malgal par la même occasion. Je doute que dans les bas-fonds de la ville il y ait un quelconque réseau à pirater.

Espérons que je sache retrouver mon chemin ; je tente de retenir des points clés comme une devanture fracassée, une enseigne en forme de citrouille, une affiche animée avec une femme nue qui danse ou même l'inclinaison de la rue.

Enfin, mon guide peu bavard s'arrête devant la façade d'une énorme bâtisse. Je me mords la lèvre, pas vraiment rassuré. Certes, ça ressemble à un dortoir aux allures de bordels mais sans le faste et les filles aux fenêtres. Je dirais plutôt que la maison a subi une sérieuse averse de pluie acide mais bon... Si je peux trouver des capsules ici.

Je déglutis et m'aventure sur l'escalier. Le seul point qui me conforte est le va-et-vient incessant qui prouve que l'endroit est bien habité.

Comme quoi, les bas-fonds de Lombal représentent une seconde ville. Je jurerais que tous ici ne remontent jamais à la surface bien qu'ils aient probablement des sapiors. Par contre, ils ne jouissent pas du même luxe. Je dirai même qu'ils nagent dans la précarité d'un fonctionnement social très bancale mais après tout, je m'en moque pas mal.

— J'espère que tu ne tiens pas à entrer dans ce coupe-gorge.

— Heureux de te revoir à mes côtés, chérie.

— Mmh.

— Tu as pu faire tes emplettes ?

— Faut croire... T'es au courant que si les capsules sont dans le même état que son édifice, on ressortira d'ici à l'état de poissons.

— Mais nooon.

— Je le sens mal, Binou.

— Tu veux retrouver ta jolie chevelure blonde, oui ou non ?!

— Mmh.

Bon, très bien, on y va.

Nous passons le vestibule bondé et clairement, c'est un tel bazar à l'intérieur que je me demande comment on réussira à trouver nos machines. Si l'on considère les colonnes de marbre et les plafonds à coupoles, j'en déduis que ce bâtiment est ultérieur à l'apparition de la technologie. Malheureusement, il n'en reste plus grand-chose : les murs sont dégradés par des graffitis informes, les dalles du sol demeurent explosées, les tableaux décrochés et éventrés. Les nobles propriétaires de cette demeure ont été remplacés par une masse informe de gens, incapables d'être identifiés à une quelconque ethnie, genre ou classe sociale.

Püpe me fait signe de rejoindre l'étage. Immédiatement, nous plongeons dans des couloirs moisis, empestant d'effluves corporelles et alimentaires. Pour tout dire, les chambres s'entassent comme des clapiers et les occupants s'adonnent à leurs fantasmes les plus sordides si on en juge la partouze générale. Je préfère ne pas attarder mon regard parce que même si je suis assez ouvert d'esprit, je risque fortement d'être choqué par ces pratiques. En ce qui concerne Püpe, ça n'a pas l'air de la retourner plus que ça ; après tout, elle a travaillé sur l'Île des Sirènes...

— Là-bas ! s'écrie-t-elle.

En effet, dans un salon miteux, deux capsules patientent silencieusement contre un mur. Avec ma femme nous échangeons un regard lourd d'espoir et gagnons le salon. Je crains cependant que les machines ne soient obsolètes.

— Si vous voulez utiliser les capsules, c'est trente écus.

Je me retourne vers une vieille bigote avec des lunettes en laiton sur le nez. Püpe allait l'insulter de tous les noms mais je la retiens ; inutile de vexer notre interlocutrice. Elle est bien la seule à pouvoir nous sortir de là car j'ignore bien comment tout ça fonctionne.

— Très bien.

La mécanicienne resserre son tablier de cuir et nous fait signe de monter dan nos prisons de verre. À la grâce de dieu !

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