Chapitre 5

Me voilà en quête des appartements impériaux. Toute trace d'angoisse m'a quitté et je suis désormais prêt pour affronter mon maître.

Les gardes me laissent passer et je me retrouve à traverser la plus belle demeure que je n'ai jamais vue. Cela ressemble aux Falaises Sanglantes, bien sûr mais avec un côté un peu moins personnel, plus officiel. Cependant, on remarque rapidement que le moindre centimètre carré du palais est réalisé à la perfection. Une ambiance étrange, d'un autre monde, s'insinue en moi, comme si j'entrais dans un plan parallèle.

Et puis je pousse une porte finement ouvragée pour pénétrer dans la suite de l'Empereur. Une douce odeur embaume les pièces alors qu'une cascade de cristal chante non loin.

Je trottine jusqu'à la chambre où mon maître, debout, s'occupe à déplier des enveloppes et à les jeter les unes après les autres dans un feu bien nourri.

Sur son épaule, Alacamor grogne d'étonnement devant mon apparition. Ce dragon m'a toujours rendu perplexe, sûrement du fait qu'il parvienne à adopter une taille gigantesque de la même façon qu'actuellement il est aussi gros qu'un épervier. Ses ailes se déploient et il s'envole sur le faîte du lit à baldaquin.

— Que faîtes-vous, Majesté ?

— J'alimente mon feu, répond-il simplement.

Même étant empereur, son attitude demeure complètement absurde. Finalement, il envoie tout le tas de lettres dans les flammes, une ombre de satisfaction sur le visage.

— Je vois que vous gérez à merveilles votre courrier, Majesté !

Il se retourne lentement vers moi et me jette un de ces sourires carnassiers dont lui seul a le secret.

— Je gère mon empire comme je le sens, Binou.

Parfait, il est plutôt de bonne humeur. Je me précipite sur le lit et m'assois dans la quantité confortable de coussins.

— Je peux savoir ce que tu fais dans mes appartements ?

— Eh bien je suis venu pour écouter votre histoire.

Il hausse un sourcil tout en fronçant l'autre. Dommage qu'il n'ait pas perdu ce tic. Je l'attends avec mon grand sourire, étalé dans ses oreillers. Finalement, il me rejoint et s'assoit à son tour, étendant les jambes sur les draps.

— Pourquoi m'as-tu dénoncé, Binou ? demande-t-il d'une voix indiscernable.

— Vous avez failli tuer ma fille, répondis-je du tac au tac, mais je veux savoir ce qu'il s'est passé après que l'ange vous ait emmené.

Morgal s'adosse à la tête de son immense lit et soupire. Je sais qu'au fond de son âme pervertie il m'adore plus qu'il ne veut le reconnaitre. Je suis si incroyable ! C'est pourquoi, il décide de me raconter ses mésaventures.

— L'ange m'avait sacrément amoché, tu t'en souviens bien. Et c'est ainsi que j'ai été présenté aux dieux.

— Vous avez vu les dieux ?!

C'est une race si mystérieuse et si recluse que personne ne sait rien d'eux. En fait, ils forment une belle bande de salopards, toujours à se détourner de la cause de la dimension sauf quand il s'agit de nous abattre une pluie de météorites sur le coin de la figure.

— Oui. Je me suis retrouvé dans leur foutu royaume. J'ai retrouvé Arquen là-bas d'ailleurs, vu que son père est une divinité, il a pu assister à mon procès. Et il m'en voulait, le bougre. Qu'est-ce que tu lui as raconté pour qu'il soit dans cet état ?

— Que vous aviez violé la Reine Vierge.

— Tu n'es qu'une sale petite merde, Binou.

— Cela ne vous a pas empêché d'être empereur.

— J'ai passé cinq-cents maudites années dans ces prisons. Ma raison m'avait déserté bien avant que je ne m'échappe.

— Votre raison vous a quitté à la mort de Malgal.

Il me foudroie du regard mais contrairement à ce que je pensais, il ne se jette pas sur moi pour m'égorger.

— Malgal est vivant, murmure-t-il.

—Je croyais qu'il s'était fait éventrer par un démon ?

— Oui, mais lui comme moi sommes Réceptacles du pouvoir des dieux. Et dernièrement, j'ai eu quelques soucis avec le trône d'Arminassë. Avant que je ne devienne empereur, le roi Carnil a ressuscité mon frère pour mettre la main sur le Vala Interdit. Pour ma part, il avait trouvé un moyen de me retirer ma magie et de m'enfermer une nouvelle fois en prison.

— Ah bah c'est clair que vous en avez soupé des cachots ces derniers siècles ! Mais je comprends mieux pourquoi vous détestez l'époux de la Reine Vierge. Même si je devine sans mal qu'il y a une autre raison, mmh ? Vous êtes jaloux.

— Qu'est-ce que t'en sais ?

— Faites pas cette tête, Majesté, je suis certain que vous complotez pour reconquérir le cœur froid de la reine.

Il se pince les lèvres puis ricane sans pouvoir s'arrêter et moi, contaminé, je le suis dans son hilarité. Ça pourrait paraitre bizarre de nous voir ainsi, à moitié allongé sur un lit alors qu'il est empereur et moi un pauvre gnome esclave. Mais faut croire qu'on a retrouvé notre complicité tordue d'antan.

— Honnêtement, ajouté-je, vous y pensez.

— Tu me fais rire, Binou. Toujours à sortir des jugements hâtifs ; tu sais que c'est dangereux dans ton métier ?

— Excusez-moi, mais je doute que vous ayez abandonné une si belle pouliche. Elle est magnifique à s'en damner votre jolie reine, aussi gracieuse qu'une biche, féroce qu'une lionne. Un corps ciselé dans le marbre par le meilleur sculpteur. Les lèvres reflets de sa passion et ses yeux verts telles deux émeraudes étincelantes.

— Quelle verve poétique...

— Ouais, ça doit vous faire bander, tout ça.

— Je retire ce que j'ai dit. Tu es irrécupérable, Binou.

— Il faut bien que quelqu'un se charge de vous rabaisser un peu de temps en temps.

— Ce n'est pas le rôle des bouffons d'ailleurs ?

— À ce propos ! Ne me dîtes pas que je vais devoir me redéguiser comme mon dernier séjour à Arminassë.

— Non, c'était une catastrophe !

— C'était vous qui avez tout fait capoter ! C'était vraiment le moment de se disputer avec Arquen !

Il écarquille les yeux, mécontent de mon accusation. Il empoigne un coussin et l'aplatit sur mon visage avec un rire cynique, ne se préoccupant pas de mes cris étouffés. Je gesticule et lui envoie tout ce qui me tombe sous la main, à savoir des oreillers. Mais bien sûr, cela ne lui extorque que quelques ricanements dédaigneux. Connard !

— Toujours à penser si fort, le gnome !

Il retire enfin son arme imparable pour me laisser reprendre ma respiration. Je lui envoie un regard noir avant de remettre en place mes vêtements. Comme si ça ne suffisait pas, Morgal m'ébouriffe les cheveux et ajoute :

— Tu m'as manqué, Binou, tu sais ?

J'allais répondre que je m'étais très bien passé de ses meurtres ignobles mais je n'en eus pas le temps : une femme apparait dans le cadre de la porte et interrompt cette petite conversation si inédite.

— Sa Majesté, appelle-t-elle d'une voie pompeuse totalement irrespectueuse, pourrions-nous quémander votre présence au Conseil ou êtes-vous trop occupé à faire des papouilles à votre gnome ?

— J'arrive Indil, répond-il sans paraitre le moins du monde offusqué.

Il se lève du lit et sort de ses appartements d'un bon pas.

Mon regard se pose sur l'inconnue. Une elfe de Calca, à en juger sa peau rosée et sa longue robe fluide. Qui est-ce ? La secrétaire personnelle de mon maître ? En tout cas, elle est bigrement jolie avec ses longs cheveux blonds et ondulés, sa taille marquée et ses formes avantageuses. Ce n'est tout de même pas sa maîtresse, si ?

Vu la manière avec laquelle elle lui a adressé la parole, je pourrais avoir des doutes...

— Alors c'est toi Binou ? demande-t-elle avec un charmant sourire.

— Oui. L'Empereur vous a parlé de moi à ce que je vois.

— Bien sûr, il a très peu de secrets pour moi.

— Vous êtes sa... ?

— Conseillère.

— Rien de plus ?

Elle plisse les yeux sans se départir de son petit sourire. Je pense que je ne suis pas loin de la vérité.

Je saute du lit et la rejoins :

— Ce n'est pas lui qui vous a créée au moins ?!

— Je ne suis pas une elfe d'Onyx mais si en quelques sortes...

Je pâlis devant l'étrangeté de la situation : il aurait façonné une femme juste pour... se la mettre dans son lit ? C'est hyper glauque mais il en serait capable, ce petit pervers, surtout que la dénommée Indil est bien roulée comme il faut. Je dirais presqu'elle peut rivaliser avec la Reine Vierge.

— Tu as fini de me scruter, petit coquin ?

Je m'empourpre et sors de la chambre plus que gêné. Cette histoire ne ressemble pas du tout à Morgal. Normalement, il ne cherche pas à se coltiner des gonzesses, au contraire, il est toujours resté frigide. Après tout, il n'a montré aucun signe d'affection direct pour la belle...

En tout cas, de manière générale, je trouve qu'il a changé. Je serais presque capable de dire que son déséquilibre s'est atténué.

Mais ça, c'était avant que je découvre la sombre vérité.


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