Chapitre 49

Le souffle cours, je m'affale sur le parquet poussiéreux. Ce n'est plus qu'une question de minutes avant qu'ils ne me trouvent

J'en peux plus... Tout est si incertain... Tout est si... désespérant...

Poulpinet est mort ; il ne reste de lui qu'un étrange pendentif noir. J'ignore où sont mes amis, si Püpe est en vie, si elle se porte bien. Une invasion d'astres, ce n'est jamais souhaitable pour des gnomes, encore moins quand ce sont des filles... Pourvu qu'aucun soldat n'abuse de son pouvoir mais je ne suis guère optimiste.

Morgal est prisonnier, emmené probablement vers Lombal pour connaitre une triste fin. Quant à Luinil ; je n'arrive toujours pas à comprendre ce qu'il a bien pu se passer. Ce n'est pas possible, qu'elle se soit ainsi écrasée sous les yeux de l'Empereur. Mais elle aussi est décédée avec le pauvre enfant qu'elle portait.

Tout cela est terrible. Je suis au bout du rouleau.

Instinctivement, je sors le sapior de ma poche et l'observe : comment vais-je pouvoir le mettre en sureté ? J'inspecte l'objet sous toutes ses coutures : de forme rectangulaire, il est doté de plusieurs petits boutons qui clignotent. Des épaisseurs transparentes rendent son apparence assez étrange ; une lumière rouge s'y reflète et luit faiblement en fonction de sa position.

Sans faire exprès, mon doigt enfonce un interrupteur et une fumée s'échappe dans un geyser strident.

Éberlué, je distingue une petite silhouette apparaitre de ce nuage en toussant.

— Mais qu'est-ce que c'est que...

Un petit démon rouge avec de longues cornes recourbées ébroue ses ailes minuscules avant de poser son regard opaque sur moi :

— Tu as droit à trois vœux ! Non je blague, je ne suis pas un génie.

Je suis pas très à l'aise, c'est quoi ce truc ? Qu'est-ce qu'il faisait dans le boitier ?

— Où est l'Empereur ? continue-t-il, tu es muet ?

— Je...

— Bon, d'accord, je vois le genre. D'après les données tu t'appellerais Binou, et il n'y aucune raison que je sois en ta possession. Pourquoi je n'arrive pas à contacter la mémoire de Morgal ? Et...

— Stop ! T'es quoi ?

— Mais je suis l'entité virtuelle du sapior ! Je suis normalement en contact permanent avec mon maître.

D'accord, ça me dit quelque chose, maintenant, Morgal m'en avait parlé en effet, mais j'ignorais qu'un esprit technologique ressemblait à ça. Dénuée de tout vêtement, la créature asexuée est recouverte d'une peau cuivrée. Une longue queue au bout poilu gigote dans tous les sens, comme si elle chassait les mouches.

— Notre maître vient de se faire capturer, expliqué-je, il m'a donné l'ordre de te mettre en sécurité et de te donner au plus vite à Malgal.

Le démon garde le silence, se contentant de battre des ailes.

— Capturé ?

— Oui et je ne vais pas tarder à subir le même sort, à vrai dire...

— Mais il ne le faut surtout pas ! Ce serait la fin de l'Empire !

— Tu aurais une solution ? Après tout, tu as côtoyé les pensées de Morgal pendant un petit bout de temps, tu devrais avoir acquis une certaine intelligence.

— Une intelligence artificielle, oui ! Mais... J'ai peut-être une solution...

Je me suspends aux petites lèvres noires de l'esprit, impatient :

— La puce qui me relie aux pensées de l'Empereur a dû être désactivée depuis son incarcération. Mais je comporte une puce de secours dans le boitier. Tu n'as qu'à l'ouvrir et l'avaler : elle se greffera dans ton corps.

— Ah non ! Je viens à peine de me débarrasser d'une puce électronique !

— Celle-ci sera inoffensive. Enfin, sauf pour la Mémoire.

— Et en quoi ça va changer la situation ?

— Une fois que tu auras avalé la capsule, je serai alors lié à tes pensées, à tout ton être. Ton énergie me permettra d'enclencher le mode de limitation des données. Autrement dit, les astres ne pourront pas lire les informations que je détiens. S'ils te tuent, toutes mon savoir sera définitivement effacé, ils ont donc intérêt à ne pas agir de la sorte. En tout cas, si les sous-fifres d'Arnil veulent accéder aux données, ils seront forcés de nous rendre tous deux à la Mémoire, la seule créature à pouvoir transgresser les barrières de la limitation.

— Je rejoindrais donc Malgal...

— En effet.

— Et qu'est-ce que ces données ont de si spéciales ?

— Je ne peux pas te le dire, le gnome.

— Et Arnil ne peux tout simplement pas fouiller dans la mémoire de Morgal ?

— Non. Leur technologie n'est pas encore assez développée.

Je soupire, le cœur battant.

D'un geste sec, j'ouvre le sapior et y découvre, au milieu d'une multitude de fils, une petite puce. D'une main tremblante, je la retire du boitier et la porte à mes lèvres avec une certaine appréhension. À la grâce de Dieu...

J'avale dans un sympathique bruit d'ingurgitation, m'attendant à ressentir une quelconque douleur mais rien...

— Tu m'excuseras, conclut l'esprit, mais je vais retourner dans ma boite.

— Tu t'appelles comment ?

— DW2000x !

Sur ces mots, il disparait dans le sapior dans une petite tornade. Bon, je l'appellerai Dédé, je crois, ce sera plus simple. Encore perturbé par cette apparition inattendue, je referme le boitier et le range dans ma poche.

Mes jambes sont flageolantes mais je décide tout de même de me lever. Les détecteurs ne vont pas tarder à me retrouver, de toutes façons... Pourvus que les astres de Lombal ne me torturent pas. De toute façon, je ne vois pas comment je pourrais les aider. La seule chose qu'ils pourront me faire, c'est de m'envoyer dans leur capitale et j'y compte bien. Là-bas, Malgal m'aidera. Enfin... Si l'overdose n'a pas eu raison de lui avant.

En attendant, je vais essayer de retrouver mes amis.

Je sors donc de ma retraite et dévale les escaliers vers les quartiers gnomiques. C'est un vrai bordel dans tous les étages ! Les soldats ennemis regroupent les domestiques, calmant les récalcitrants pas de violentes décharges. D'autres se mettent d'accord avec la milice d'Arminassë. C'était donc vrai ; Carnil s'est bel et bien allié à Arnil pour se débarrasser de Morgal.

En tout cas, aucun d'entre ces hommes ne me prête attention : Silovan n'a peut-être pas encore lancé un avis de recherche sur ma chère personne.

Je trottine donc dans les couloirs, échappant aux contrôles.

Enfin, j'arrive au dortoir et lorsque je pousse la porte, je retrouve mes amis, sains et saufs. Je lâche un soupir de soulagement et me précipite dans les bras de Püpe.

— Binou ! s'exclame Clark, nous t'avons cru mort.

— Non, pas encore, je réponds d'un rire forcé.

Ma petite femme me sert fort dans ses bras alors que les deux autres gnomes tentent de calmer leur angoisse.

— Où est Poulpinet ? demande Tiny, une boule dans la voix.

Je garde le silence. Une larme s'échappe malgré moi de mon œil droit. Je n'ose dévoiler la vérité à mon amie.

— Je suis désolé, Tiny.

— Non...

Elle fond en pleurs alors que Clark tente de la consoler par un câlin. Rien n'y fait, elle est dévastée. Püpe se détache de moi et la rejoint sur le banc :

— Ne t'en fais pas, Tiny, Poulpinet est un gnome d'Onyx : l'Empereur pourra sans doute le ramener à la vie.

— Pour cela, il faudrait le sortir de prison.

— De prison ?

Ah oui... Va falloir leur expliquer deux ou trois détails :

— Eh bien... Morgal est l'Empereur. C'est pour cela que je suis arrivé avec Poulpinet à Arminassë. Malheureusement pour nous, mon maître vient de se faire incarcérer. Autant préciser que le sort de l'Empire n'est pas très positif.

Les filles me regardent avec des soucoupes dans les yeux. Elles n'étaient pas au courant.

— Et si on veut régler la situation, je dois me rendre à Lombal pour retrouver le frère jumeau de Morgal...

— Quel bazar... murmure Clark en cherchant un sandwich dans une de ses poches.

— Oui...

Et encore, je dois leur expliquer tout le reste : le sapior, Dédé, et la puce qui séjourne paisiblement dans mon estomac.




Bon, j'ai peut-être un plan. Mais les risques ne m'ont jamais paru aussi élevés. Je ne cesse de me mordre les lèvres à cause de l'angoisse. L'ordre reprend petit à petit ses droits dans le palais et la ville mais probablement pas pour longtemps : je remarque bien que les astres de Lombal s'imposent dans la capitale et la milice d'Arminassë risque de ne pas le supporter longtemps. Après tout, c'est une alliance très bancale, absolument pas officielle.

Je me déplace furtivement, essayant de ne pas attirer l'attention dans tout cette nouvelle organisation et ce n'est pas aisé : des soldats équipés d'armures à haute-technologie gardent les entrées.

Cependant, l'entrée des appartements royaux est si encombrée que je parviens à me glisser parmi cette foule d'aristocrates et de guerriers. C'est une cacophonie sans nom : l'indignation et la colère se peignent sur les visages. On demande des explications sur ce qu'il se passe, évidemment. Les membres du Conseil exigent que Carnil prenne la parole mais ce dernier est aux abonnés absents.

Au fur et à mesure que je me fraie un chemin, les voix s'élèvent et les menaces fusent. Tout ce beau monde risque d'être calmé rapidement... Je parviens enfin à la porte et me faufile en catimini loin des regards. Là, l'atmosphère est beaucoup plus calme, presque religieuse. Je traverse le boudoir et pénètre dans la chambre de la reine.

Luinil est là, étendue dans son lit. À son chevet, Ambar emprisonne sa main dans la sienne, le visage déformé par la tristesse. Le pauvre, ce n'est qu'un gamin...

Derrière, le conseiller Handelë pose une main paternelle sur l'épaule du prince en guise de soutien.

Les larmes dévalent des joues du jeune garçon en même temps qu'il parle doucement à la défunte.

Je m'approche à mon tour, le cœur serré. Pour rien au monde je n'aurais souhaité assister à cette scène.

— Pourquoi ? sanglote Ambar.

— Telles sont les conséquences des jeux de pouvoirs, répond le vieux conseiller, les innocents finissent toujours par payer les torts des coupables.

— Handelë... va-t-elle s'en sortir ? Mon petit frère va-t-il vivre ?

— Je n'en sais rien mon garçon... Mais il reste de l'espoir.

Mon regard descend sur la main de la souveraine et je découvre la bague d'or blanc. Ma respiration se bloque : et si...

— Elle est vivante ?! m'exclamé-je en me précipitant vers elle.

Les deux hommes sursautent en me voyant rejoindre la couche. Luinil, tu es en vie ? Elle reste pourtant d'une inertie effrayante. Mais je remarque enfin que sa poitrine ensanglantée se soulève faiblement. Je n'ose y croire, je crois que je vais pleurer.

— Sa vie ne tient qu'à un fil, assure Handelë d'une voix morne.

— Et le bébé ?

— Chaque seconde est une victoire.

Si seulement elle et son enfant pouvaient survivre... Mais la chute a été si violente !

Ambar éponge le sang de son mouchoir ; heureusement, la plaie béante s'est refermée dans une horrible cicatrice.

Alors que je fixais le visage inexpressif de la souveraine, le roi entre dans la pièce, suivi de Silovan et de Nim. Mon sang ne fait qu'un tour devant le meurtrier. À part moi, personne ne connait son forfait.

Mais le premier à réagir est le prince :

— Vous ! éclate-t-il à l'égard de Carnil, regardez ce que vous avez fait !

Il se précipite vers le souverain mais deux gardes l'interceptent avant qu'il ne frappe sa cible.

— Calme-toi, mon fils, ordonne le roi d'une voix calme et froide, je n'ai jamais souhaité qu'il arrive quoique ce soit à ta mère.

— Et pourtant, c'est arrivé ! Vous avez laissé entrer les astres de Lombal dans votre propre palais !

— Je devais le faire ! s'énerve Carnil, c'étaient eux ou l'Empire ! Jamais je ne permettrais qu'Arminassë sombre aux mains de l'Empereur !

— Alors vous avez préféré vous faire envahir par nos ennemis ?! Vous me dégoutez ! Vous n'avez aucun honneur ! Maintenant, ma mère et mon frère sont sur le point de mourir !

— Cesse de geindre ! Tu ignores encore tout, mon fils !

— Je ne suis pas votre fils ! Je n'ai rien en commun avec vous ! Vous m'avez acheté comme un vulgaire objet ! Qu'avez-vous fait de mon père ? De mon vrai père !

La respiration se bloque dans la poitrine de Carnil : la colère commence à le submerger.

— Morgal sera exécuté à Lombal comme il le mérite ! Le monde ne se portera que mieux de son absence !

Plein de mépris et d'amertume, Ambar crache au visage du roi. Ce dernier écarquille des yeux, choqués.

— Emmenez-le. Qu'il ne sorte plus de ses appartements !

Le prince est trainé malgré lui en dehors de la pièce. Ses vitupérations ne tardent pas à disparaitre.

D'un pas décidé, Carnil rejoint le corps de sa femme et prend le pouls à sa gorge.

— Ses battements sont faibles, affirme Handelë, je crains le pire.

— Pauvre Luinil : elle ne s'est jamais rendue compte de l'emprise que son amant exerçait sur elle.

— En attendant, interviens-je, c'est grâce à la bague de son amant qu'elle est toujours en vie. Et le seigneur Silovan pourrait d'ailleurs s'expliquer sur l'état actuel de votre épouse, Majesté.

Le roi me foudroie du regard :

— Maintenant que ton maître est hors d'état de nuire, je vais me faire un plaisir de te donner en pâture aux aratayas !

— Mais allez-y, ricané-je, sacrifiez encore un innocent pendant que le meurtrier est disculpé !

— Jamais Silovan n'aurait fait du mal à la reine !

— C'est exact, affirme ce dernier dans un air hypocrite, mais je crois que Binou n'est pas si innocent qu'il ne le prétend... Je voudrais en faire mon affaire, si vous le permettez, Majesté.

— Tant que je ne croise plus son chemin, accepte Carnil.

Silovan me rejoint et m'attrape par la nuque pour m'emmener avec lui.

Nim nous regarde, les yeux plissés ; je crois qu'il soupçonne son comparse.

— Mes hommes et moi-même tiendrons la garde dans la chambre de la reine, déclare-t-il, nous ne sommes pas à l'abri d'un assassinat.

Sur ces mots, il rejoint Luinil d'un pas lent, comme s'il pouvait la gêner dans son sommeil. La tristesse et la crainte se peignent sur son visage soucieux alors que ses yeux ne se détachent pas de la blessure peu ragoutante.

— Nim, intervient le roi, j'ai besoin de vous ailleurs.

L'astre se tourne vers son suzerain et déclare :

— Ma loyauté va à Luinil avant d'aller à vous, Majesté. Je suis désolé mais personne ne m'empêchera de protéger ma reine.

Je crois que Carnil apprécie moyen que monsieur-chevalier-servant ne lui fasse pas confiance mais après tout, comment peut-il lui en vouloir après s'être allié à Lombal ?

Je crains que le roi n'ait fait une très grosse erreur...

— Viens avec moi, le gnome, crache Silovan, je t'ai préparé un sympathique accueil dans mes appartements.

— Trop aimable.

Il me tire hors des appartements royaux et me traine dans les couloirs bondés sans le moindre ménagement. Après m'être pris plusieurs pains dans la figure et le reste du corps à force d'être utilisé comme serpillère, j'atterris brutalement contre le tapis d'une chambre.

— Aïe !

Je me relève sur les coudes et découvre mon comité d'accueil : une dizaine d'astres en combinaison me toise sous leurs casques lisses. Hum, il s'agit de jouer serrer si je ne veux pas que leurs matraques électriques me carbonisent.

— Alors, Binou, as-tu ce que je t'ai demandé ? ricane Silovan en croisant les bras sur son torse.

Je me relève maladroitement et sors le sapior de ma poche.

— Bien ! Ce n'était pas compliqué !

Il attrape le boitier et le retourne plusieurs fois dans ses mains comme s'il doutait de son authenticité. Ça lui parait trop simple.

— Qu'est-ce que tu me caches, Binou ?

— Rien, Monsieur.

— Bon, vérifions l'appartenance.

Un soldat casqué s'avance et entre le sapior dans une machine à l'apparence d'une soucoupe fluorescente. Immédiatement, des informations apparaissent dans les airs, juste au-dessus.

— C'est bien le sapior du prince Morgal, déclare-t-il.

La voix de cet homme me glace d'effroi. En fait, il s'agit d'une femme. Et je crois l'avoir reconnue.

— Alors c'est parfait, non ?

— Il y a un problème, rétorque-t-elle, les données sont en mode limitées. Nous ne pouvons pas y avoir accès.

— Impossible que nous rencontrions un obstacle : la puce de l'elfe a été désactivée !

— Exact. Mais le sapior est relié à une puce de secours. Et c'est le gnome qui la détient.

Le visage de Silovan vire au rouge alors que ses yeux me transpercent :

— Tu te crois malin, hein ? On va t'emmener à Lombal mon joli, et tu découvriras ce que les puissances technologiques sont capables de faire.

Je déglutis mais n'ajoute rien. Je suis réellement en train de m'enfoncer dans un bourbier sans nom. Là-bas, tout me sera étranger, aucun point de chute ni possibilité d'adaptation rapide.

Je cours sur une corde mais je n'ai pas le choix... La sueur commence à perler dans mon dos et ma nuque. Pourvu qu'il m'emmène à Malgal, sinon, je finirai désintégré sous peu.

La femme retire enfin son casque, laissant sa longue chevelure châtaine dévaler dans son dos. Je ne m'étais pas trompé. Son visage inexpressif et son regard vide me rappelle les dires de Morgal.

Narlera a bien été lobotomisée.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top