Chapitre 47

La respiration me revient brusquement et me brûle les poumons. Je me retrouve sur un vaste lit, entouré de candélabres.

— C'est pas trop tôt ! lance une voix familière.

Je me redresse sur mon séant et distingue Morgal dans ses plus beaux atours. Complètement déstabilisé, j'observe alors la pièce : ses allures de caveau ne me rassurent pas vraiment...

— Où suis-je ?

— Dans une crypte du palais. Il me fallait bien un endroit tranquille pour exercer la nécromancie !

Il me parait un tantinet agacé.

— C'est vous qui m'avez ramené ?!

— Évidemment ! Qui veux-tu que ce soit d'autre ? Et je t'avoue que j'avais autre chose à faire que de te ressusciter ! J'ai dû convaincre Frère du Bon Conseil de t'arracher aux limbes et ce n'était pas gagné.

Oh Momo, épouse-moi. C'était donc lui la voix qui m'appelait... Je comprends mieux, à présent. Toujours en pleine réflexion, je n'entends pas Luinil ouvrir la porte.

— Binou ! Je suis heureuse de te trouver en bonne santé ! Tu nous as fait une belle frayeur !

Elle s'assied sur les couvertures et me serre dans ses bras. Son parfum fruité me convainc définitivement que je suis bien revenu chez les vivants. Avec sa magnifique robe noire qui tente de cacher sa grossesse et ses bijoux étincelants, elle est magnifique. Enfin, elle relâche son étreinte et s'adresse à mon maître.

— Morgal, la fête a commencé ; nous devrions rejoindre les invités.

Je sens l'Empereur se raidir :

— Pourquoi t'obstines-tu, Luinil ? Tu sais pourquoi je suis retourné à Arminassë ; c'est pour te raccompagner au Chœur.

— Ah non !

— L'insécurité croît toujours plus dans la capitale et tu es la première cible. S'il-te-plait, je ne veux pas qu'il t'arrive quoi que ce soit à toi et au bébé.

— Ne t'en fait pas pour moi : j'ai régné sur ces terres pendant des milliers d'années. Rien ne pourra m'atteindre sur mon propre territoire.

Morgal ne bronche pas, mal à l'aise. Il craint pour sa famille et il ne supporterait pas que la situation ne lui échappe.

— Tu n'as pas à me dicter quoi faire, souffle la reine pour conclure les tensions.

Je me racle la gorge pour leur signifier que je suis toujours là. Le couple reporte son attention sur moi.

— On va te laisser avec tes amis, assure Luinil en regagnant la sortie, aussitôt suivi de son amant.

Ce dernier reste muré dans son silence, cachant ses sentiments derrière son masque imperturbable. J'avoue ne pas savoir où me situer dans leur confrontation...

À peine disparaissent-ils que quatre gnomes débarquent en furie dans la crypte et se précipitent vers moi.

— Binou !

Poulpinet me saute dans les bras, surexcité comme à son habitude. Clark se joint à la fête et nous écrase sous son poids conséquent. Argh, le souffle me manque.

— Pousse-toi gros balourd ! couine Tiny, nous aussi on veut faire un câlin à Binou-chouchou.

— Respectez-moi, s'il-vous-plait !

La gnome aux cheveux bleus manque de m'étrangler tellement elle est heureuse de pouvoir continuer à me pomper l'air.

— Laissez-moi respirer.

Et surtout, laissez-moi prendre ma femme dans mes bras. Je pousse tous ces abrutis bruyants et attire Püpe contre moi pour l'embrasser. C'est formidable que je sois vivant, que je puisse encore la toucher, de l'avoir près de moi.

— Tu ne comptais tout de même pas te débarrasser ainsi de moi, sourit-elle avec une petite larme coulant sur sa joue tachetée.

— Promis, je reste.

Je la serre très fort contre moi, comme si elle pouvait brusquement s'évaporer et mettre fin à ce moment de bonheur. Ses petites lèvres si douces recouvrent mon visage de baisers et je pense que son maquillage me refait le portrait.

— Bon, ne nous faites pas un enfant maintenant, hein, grogne Clark.

Oui, monsieur a faim : il s'agit de ne pas rater une miette de tout ce qui nous attend pour la fête. Mais une ombre vient brusquement salir cette soirée idyllique :

— Et la puce ?

— Tu parles de cette puce ? demande Poulpinet en me montrant l'objet en question dans ses mains.

— Que...

— Morgal t'a ouvert le crâne pour la récupérer de ton cadavre, explique Tiny, aucun risque qu'elle explose puisque tu étais déjà mort.

— Ho...

— Ah oui... Par contre, il est possible qu'il y ait des petits soucis pour toi, prévient Poulpinet.

— Des soucis ? Quels soucis ?

— Eh bien... Morgal t'a un peu bidouillé pour ranimer ta carcasse.

— Comment ça ?

Je commence à paniquer, là... Qu'est-ce qu'il m'a fait, ce sombre imbécile ?

— Ce n'est pas bien grave, assure Tiny, tu es toujours très mignon malgré ça.

— Malgré quoi ?

— Tes cheveux. Ils sont blancs.

— HEIN ?

J'attrape mes mèches du devant et les tire jusqu'à mes yeux : saperlotte mais c'est vrai ! Mes beaux cheveux noirs ! C'est trop triiiiiste ! Mais ma peau alors ? Elle va se griser comme celle de Poulpinet ?

— À priori, certifie le gnome d'Onyx, ce sont les seuls effets secondaires.

— J'espère ! Je ne vais pas me transformer en gnome comme toi, hein ?

— Malheureusement, non.

— Ouf, au moins, je ne deviendrai pas frigide.

Mon ami hausse un sourcil, sans comprendre. Je m'en remets pas : je suis horrible avec une tignasse blanche, non ? Je passe nostalgiquement mes mains dans ma chevelure immaculée.

— Ne t'inquiète pas, ajoute Püpe, ils vont repousser noirs. Tu auras juste un moment où tes mèches auront les deux couleurs.

— Wah, j'ai hâte !

— Moi j'aime bien quand c'est blanc, murmure Tiny avec un regard très insistant vers Poulpinet.

Pas la peine, ma jolie, il comprend pas. En plus, avec le sort de camouflage, il est châtain.

— Bon, mon gros, déclare Püpe, tu préfères rester ici ou t'amuser à la fête ?

— La question ne se pose pas ! m'exclamé-je en me levant d'un bon.

Si j'ai bien appris quelque chose, c'est qu'il ne faut jamais laisser passer un moment pour s'amuser.




Comme prévu, le réfectoire est bondé à craquer avec des banderoles et des guirlandes dans tous les sens. Une forte odeur de chaleur humaine se répand jusqu'à nous. C'est un détail que nous ne tarderons pas à oublier après quelques verres dans le nez. Déjà que la température dépasse le seuil de tolérance, je me demande comment ce sera dans quinze minutes. Heureusement, je ne porte plus mon horrible uniforme ; j'ai eu le temps de passer par le dortoir pour enfiler une chemise légère.

— Ce soir, on boit à la survie de Binou ! s'exclame Ventre-sur-Pattes en privatisant une table.

Ah ça oui ! Je desserre même ma ceinture de trois passants pour pouvoir avaler toutes ces bonnes choses. Sans plus attendre, je prends place sur le banc sous les chansons entrainantes des buveurs alentours. La course est ouverte pour engloutir les meilleurs plats le premier.

— Fais attention avec l'alcool, me sermonne Püpe alors que je me serre un verre.

— Va me chercher les plats de charcuterie au lieu de m'accabler.

— Bouge tes miches, j'suis pas ta bonne.

Mais quel caractère ! Je suis outré. Tant pis, je me consolerai sur le magret de canard et la tartiflette. En tout cas, je retiens que je mange bien mieux à Arminassë qu'aux Falaises Sanglantes : j'en toucherai deux mots à Morgal. Mais je doute que Poulpinet abonde en mon sens : ce vieux bougre me vilipende du regard en me faisant comprendre que Momo ne se bougera pas une seconde fois si je décède d'une indigestion. Et clairement, je suis bien parti pour ce résultat. Mais n'est-ce pas le but ? Même Tiny engouffre des plâtrées dans sa petite bouche ; je me demande comment son corps fluet peut ingurgiter une telle quantité. Bien sûr, Clark nous surpasse tous dans ce domaine mais inutile de préciser qu'il cache toujours une place dans son ventre démesuré. D'ailleurs au train auquel je mange, je risque fort de le concurrencer.

— Calme-toi un peu, me gronde le gnome d'Onyx, tu te rends malade.

— Pourquoi tu n'embêtes pas Clark ou Tiny, plutôt ? Tu les laisses s'empiffrer pour les dévorer après ?

— Figure-toi que je n'ai plus envie de de manger Clark.

Formid able !

— Heureux d'apprendre la nouvelle ! baragouine Grosse-Branche la bouche pleine.

— Tu finis par évoluer, remarque Püpe à l'égard de son voisin cannibale.

— Oui... Mais ça me manque de ne pas croquer quelqu'un...

— Tu éviteras de me mordre une nouvelle fois, grince Tiny en passant instinctivement la main sur sa cicatrice.

— Dans ce cas précisément, c'était de la légitime défense.

Je n'écoute plus vraiment leur conversation ; je commence déjà à sombrer dans les vapes. Si Frère du Bon Conseil me voit depuis les limbes, il doit s'arracher les cheveux sous sa capuche. Clairement, je ne mène pas la vie d'ascète qu'il voudrait. J'ignore combien de plat j'ai englouti et combien de bouteilles j'ai avalé. Devant un tel désastre, Poulpinet s'est levé, désapprouvant mon comportement et est parti égorger un pauvre ivrogne dans je ne sais quel coin. Enfin... j'espère pas... Fait trop chaud ici... Mon visage doit être rouge comme le tiramisu aux fraises qui tente de se frayer une place dans mon estomac.

— Je vais... Je vais prendre l'air, ahané-je en me levant maladroitement de mon siège.

Alala, je suis rond comme une queue de pelle. Ma tête tourne atrocement alors que mes jambes me portent tant bien que mal jusqu'à une vaste terrasse. Je tangue jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'imbéciles autour de moi et finis par m'agripper au garde-fou, la respiration pénible. Heureusement qu'il n'y a pas de fêtes comme ça tous les soirs.

Encore sous le coup de la chaleur, j'ouvre le haut de ma chemise et déboutonne le bas pour laisser ma panse rebondie respirer. Je crois que j'ai un peu abusé, cette fois. Mon ventre trop lourd crie à l'agonie alors que mon crâne me joue des tours. Je m'étais pourtant juré de tenir un peu plus ; il reste encore toute la nuit devant nous...

— Binou, quelle surprise de vous voir.

Je me retourne maladroitement sans lâcher la rambarde. Fernéo me regarde avec un sourire dédaigneux. Instinctivement, je vérifie qu'il ne porte pas d'armes sur lui. Ça va deux secondes de mourir mais là, je n'ai guère envie. Bon, de toute façon, il ne saurait pas se servir d'un simple couteau de cuisine...

— C'est pas une agréable surprise, soupiré-je en tentant de refermer ma chemise.

Rien à faire, ma bedaine a déjà pris ses aises.

— Il y a bien une chose peu étonnante, c'est votre état.

— Qu'est-ce que vous voulez ? grogné en croisant les bras.

— Que vous cessiez de tourner autour de Püpe ; vous ne lui faîtes que du mal.

Par pitié, ma soirée commençait si bien...

— Je suis navré de vous le rappeler, mais Püpe est ma femme...

— Elle ne l'est plus depuis longtemps.

— Ah Bon ? Je me demande ce qu'elle était cette nuit, dans mon lit.

Il tire une telle tête que je ne peux m'empêcher de ricaner vicieusement. Je suis terrible mais j'adore briser ainsi les espoirs des autres comme ça, surtout que je n'encadre pas cet abruti avec sa vieille mèche rose.

— Ne faites pas l'étonné, souris-je, je vous avais prévenu.

Pas démonté pour autant, Fernéo s'approche davantage de moi et me transperce de son regard le plus noir :

— Je ne m'attarderai pas plus longtemps avec, vous : vous n'êtes qu'une ordure de la pire espèce.

D'un mouvement brusque, il me pousse en arrière. Au lieu d'atterrir sur les dalles de la terrasse, je m'effondre dans un escalier que je n'avais même pas remarqué. Je dévale les marches dans des couinements de douleurs, mêlés à des vociférations à l'égard de l'autre gnome. Profiter ainsi de la faiblesse d'un pauvre ivrogne ! Enfin, l'escalier s'achève et je roule sur le sol avant de me cogner violemment la tête contre une plinthe.

Ma vue se trouble, des étoiles dansent autour de moi et je sombre dans un sommeil comateux.

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