Chapitre 42
Un nain ! Vous vous rendez-compte ? Que fait cette ignoble créature à Arminassë ?! Tant pis, je suis prêt à m'infiltrer dans un vaisseau militaire plutôt que de me coltiner avec une créature si repoussante. Rien que son visage difforme me soulève l'estomac. Sans plus attendre, je tourne les talons, sous le regard médusé de Poulpinet.
— Binou ! Mais où vas-tu, bon sang ?
— C'était une erreur, on rentre !
— Mais on n'a pas fait tout ce chemin pour en arriver là !
— J'ai pas enduré toutes ces conneries pour me retrouver face à un nain !
Décidé, Poulpinet me rattrape et me stoppe dans ma retraite :
— S'il te plait, Binou, essayons. Nous n'avons pas d'autres choix !
Je baisse la tête, capitulant. Qu'est-ce que j'y perds, après tout ?
— D'accord, on essaie...
C'est vrai que m'infiltrer dans des vaisseaux militaires, ça relève du suicide mais je doute que monter à bord de cette chose avec un être pareil ne soit préférable. Nous retournons donc à la porte mais Pellecor a disparu.
— Viens, assure Poulpinet, on entre.
— Tu es sûr ?
— Mais oui ! Bouge tes fesses un peu !
Je m'exécute et pénètre dans le dirigeable. Une forte odeur de tabac règne en maître en plus d'un vrai bordel : paperasse, objets non-identifiables, boulons, meubles désossés, c'est un véritable cataclysme. Les murs de laiton forment une carapace intérieure au vaisseau, ne laissant que quelques hublots pour laisser passer la lumière. De longs câbles courent sur le plafond et les plinthes avant de disparaitre dans des trous poussiéreux. Mais le plus impressionnant restent sûrement les énormes rouages de cuivres qui tournent et s'enclenchent au ralenti.
— Où est-il ?
— Derrière vous, mes petits agneaux.
On se retourne pour voir le nain avec un gros pétoire dans les mains. Ni une ni deux, nous nous plaquons sur les côtés pour éviter le tir mortel. Un bruit de gâchette et une détonation après, le mur du fond est orné d'un beau trou noir !
Je saisis ma dague, prêt à riposter mais Poulpinet se met entre nous, les mains levées en signe de paix :
— Eh, eh, on se calme, hein. On est pas venu pour se battre, n'est-ce pas Binou ?
— Mmh...
— Qu'est-ce que vous foutez-là alors, hein ? demande-t-il de sa voix rocailleuse, j'aime pas que des inconnus entrent chez moi, encore moins quand il s'agit de sales gnomes.
Il m'énerve, il m'énerve !
— Eh bien, commence mon compagnon d'un air diplomate, il se trouve que nous avons fortement besoin de vos services.
Le nain fronce ses épais sourcils broussailleux et mâchonne sa lourde de pipe comme si ça l'aidait à réfléchir.
— Je ne rends pas de services à des gnomes, dégagez avant que je ne vous troue le visage de ma carabine.
— Je suis sûr que nous pouvons nous arranger...
— Qu'est-ce que vous voulez, hein ?
— Aller à Lombal. Je suis certain que nous pouvons trouver un accord...
— Ah ouais ? ça dépend : vous me donnez combien ?
— Cent écus.
— Deux cents.
— Cent cinquante.
— Deux cents ou rien.
— Bon, va pour deux cents.
Je soupire devant l'endettement qui m'arrive en pleine face.
— Très bien, je décolle dans quinze jours. Et c'est bien parce que je n'ai plus une pièce que j'accepte d'ignobles créatures comme vous à bord !
— Vous ne pouvez pas décoller plus tôt, tenté-je, demain, par exemple ?
— Demain ?! Non, le temps est trop mauvais ces jours-ci. Ce sera au plus tôt dans quinze jours, je dirais même vingt jours. Mais pas avant : faut que je retape mon petit bijou et ça, ça va prendre du temps... Déguerpissez, maintenant, j'en ai déjà ma claque de voir vos sales gueules.
Sales gueules ? Il peut parler, lui avec ses vieux cheveux jaunes filasses et sa barbes brossée à la mayonnaise.
Bon, notre hôte semble montrer des signes d'impatience. Nous sortons, guère rassurés.
Silencieusement, nous laissons le terrain vagues et les quartiers insalubres derrière nous. Je ne sais plus quoi faire... Je suis désespéré...
— Allons Binou, me console mon ami, je suis sûr que l'Empereur saura y remédier.
— Remédier ? m'énervé-je, qu'il me donne son sapior peut-être ? Poulpinet, il n'y a pas que ma vie qui est en jeu ! On a menacé tous mes amis ! Donc toi, Tiny, Püpe et Clark, vous êtes en première ligne !
— On trouvera une solution, je te le promets.
C'est avec une mine d'enterrement que je m'affale dans mon lit, totalement lessivé par les événements. Je ne sais plus quoi faire... Poulpinet s'assied sur les draps et pose la main sur mon épaule pour me témoigner son soutien.
En plus de ça, mes paumes m'arrachent des gémissements à chaque fois que la peau se plisse. Foutues brûlures...
C'est à ce moment que Tiny et Püpe décident de pénétrer dans la chambre avec des rires suraigus. Mais qu'est-ce qu'elles foutent ici ?! Elles ont pourtant leur propre appartement.
— Dégagez, grogné-je.
— Mais quel ours ! se plaint Tiny, si nous sommes là c'est que l'intendant nous envoie te chercher.
— Qu'il aille se faire foutre !
— Mais quel langage !
La gnome aux cheveux bleus me rejoint et se couche sur mon dos pour me faire un câlin.
— Qu'est-ce que tu ne comprends pas dans le terme « dégagez » ?
— Dis-moi ce qui ne va pas, mon gros nounours ? En tout cas, tu sens le potage à plein nez !
Poulpinet décide de répondre à ma place :
— Binou a une puce explosive dans le crâne qui sautera dans moins de cinq semaines.
— Hein ?!
— Tu aurais pu me le dire, râle Püpe.
Ah oui ? Elle, elle tombe mal. Je me relève en repoussant Tiny et m'avance vers mon ex-femme.
— Et pourquoi, hein ? Il y a un moment où il faut être logique avec ses décisions, Püpe.
— De quoi tu parles ? s'énerve-t-elle, j'ai droit de m'inquiéter pour toi, non ?
S'inquiéter ? Si elle s'inquiétait pour moi, elle ne m'aurait pas abandonné et laissé sombrer dans l'alcool !
— Tu sais quoi, Püpe, j'en ai ma claque qu'on s'ignore comme si rien ne c'était passé. Parce que c'est faux. Alors tu vas arrêter de te taper d'autres gnomes, parce qu'on est toujours marié, je te rappelle !
— Non mais de quoi je me mêle ?! Tu ne vas pas m'obliger à revenir dans tes bras, non plus ?!
Les deux autres gnomes soupirent devant notre scène de ménage. Tant pis, cette fois-ci, j'applique les conseils de l'autre moinillon. J'arrête de laisser Püpe se balader à droite et à gauche.
— Tu n'étais pas sensée partir, je te rappelle !
— Mais c'est toi qui es invivable !
C'est trop, ma paume déjà arrachée claque sur sa joue. Il n'en faut pas plus pour qu'une furie se déchaine sur moi. Ses ongles acérés pénètrent dans ma peau et me griffent sans pitié. Ne me laissant pas abattre, je lui envoie mon coude dans la mâchoire, ce qui la propulse en arrière. J'en profite pour la maitriser avec un bras calé sur sa gorge.
— Mais arrête Binou ! s'affole Tiny, tu l'empêches de respirer !
Poulpinet et son amie tentent de nous séparer mais rien n'y fait. Püpe a déjà riposté d'un coup de genou dans le ventre qui me coupe le souffle. Cette fois-ci, ça suffit ! Je repousse Poulpinet qui me gênait dans mes mouvements et attrape la gnome par sa crinière blonde pour lui fracasser la tête contre la table de nuit.
Mais un choc violent m'arrête dans mon geste. Je m'effondre sur le parquet, le crâne sanglant, à moitié sonné.
— Püpe ! s'exclame une voix que je ne reconnais que trop bien, ma chérie...
Pendant que Fernéo prend mon ancienne femme dans ses bras, Poulpinet me remet sur pieds.
— Vous ! crache mon rival en me pointant d'un doigt accusateur, touchez à encore un cheveu de Püpe et je vous arrache les mains.
— Elles le sont déjà, rétorque Poulpinet.
— Je la vengerai, menace-t-il, et tu regretteras amèrement tes actes.
Sur ce, il emmène Püpe avec lui, cette dernière complètement déboussolée par le choc.
Mais quelle journée de merde ! Je n'en reviens toujours pas !
Assis contre mon oreiller, je laisse Tiny recouvrir mes mains d'un baume guérissant. Poulpinet a regagné son service, nous voilà donc seuls dans le dortoir.
— Comment t'es-tu brulé ?
— Avec une marmite...
— C'est pour ça que tu sens la carotte cuite ?
— En partie...
Elle recouvre mes paumes de bandages qu'elle serre douloureusement.
— Binou... soupire-t-elle, j'ignore ce qu'il t'arrive en ce moment mais je n'approuve pas vraiment ta manière de te comporter.
— Ben voyons.
C'est reparti pour le sermon moralisateur !
— Pourquoi tourmentes-tu Püpe, à la fin ? Tu as failli la tuer !
Je baisse honteusement la tête : il est vrai que j'ai peut-être manqué un peu de galanterie. Ce n'était clairement pas la bonne attitude à adopter que de l'agresser et de lui ravaler la façade.
— Je ne supporte plus son indifférence, Tiny, je l'aime toujours.
La gnome pose sèchement son pot de lotion et croise les bras sur sa poitrine :
— Des hommes qui voulaient récupérer leur femme, j'en ai déjà vu un paquet. Mais qu'il essaie d'y parvenir en s'attaquant physiquement à la personne en question, c'est une grande première !
— J'ai un peu merdé, en effet.
— Crois-moi, Püpe va encore t'en vouloir pendant une dizaine d'années et je ne parle même pas de Fernéo qui fomente déjà des complots pour te dépecer.
Mes oreilles se baissent de dépit :
— À ton avis, comment je vais rattraper ça ?
— N'y pense même plus, t'es qu'un imbécile, Binou et tu mérites son mépris.
— Mais je... Enfin, Tiny, tu ne peux pas me laisser ! Mes jours sont comptés !
— Ah oui ? Tu m'en diras tant...
— Mes jours et les vôtres !
Cette fois-ci, mon amie tire une tête et m'incite à continuer mon propos.
— Si je ne remplis pas une certaine mission, mon entourage connaitra progressivement le même sort que Myrabellia.
Tiny demeure immobile, déconcertée par une telle annonce.
— Mais comment faire ?
— Je n'ai pas de solution, gémis-je, mais si aux Equinoxes, je n'ai pas l'objet convoité, tout sera perdu... Et je n'ai plus le temps de retirer ce qu'ils m'ont mis dans la tête.
La mine de la gnome se fait soudain plus conciliante :
— Mais, c'est terrible ! Tu ne peux donc pas trouver cet objet en question ?
— Non, ce serait un véritable cataclysme, et en plus, je doute qu'ils me laissent la paix par la suite. Je suis coincé comme un rat.
Je crains désormais que tout ne soit foutu : voler le sapior de Momo ? Non seulement je n'y arriverai jamais et si tenté que ça arrive, Laïdjha fera exploser la puce, j'en suis certain. Je ne peux pas m'enfuir car sinon, « boum ». De plus, si je ne remets pas le sapior dans dix jours, mes amis seront l'un après l'autre dévorés... Je suis au pied du mur...
Je crois que cette fois-ci, c'en est trop et j'éclate en sanglots.
— Oh, non Binou, t'es trop mignon quand tu pleures, assure Tiny en me prenant dans ses bras.
— Je n'ai pas envie de mourir... ni que vous mourriez tous à cause de moi...
— Mais ça n'arrivera pas.
Une idée germe dans ma tête : que se passerait-il si je me suicide ? Cela règlerait tous les problèmes mis à part ma survie... J'imagine alors mon enterrement avec mes proches louer mon courage et je ne sais si je dois en rire ou en pleurer.
Mais étrangement, cette solution me soulage d'un poids immense : celui de chercher une solution. Et finalement, le concept me plait ; je ne sais pas si c'est malsain mais si on vous disait qu'il ne vous restait qu'une dizaine de jours, ne voudriez-vous pas les finir en beauté ? Un dénouement en apothéose où je triomphe de mes ennemis par un sacrifice magnifique. Je crois que j'ai assisté à beaucoup trop de tragédies...
Et je crois surtout que je n'aurai jamais la force de mettre fin à ma vie... Quoique... Avec une telle pression, on est parfois content de s'en séparer définitivement. Mais clairement, je me concocterai un poison plutôt que de me charcuter les veines.
— Binou ? Tout va bien ?
— Absolument pas ! Mais je suis déterminé plus que jamais à mettre fin à cette histoire !
— Formidable !
Moins pour moi mais bon...
— Je vais aller parler à Püpe.
— Hein ?! Tu es fou !
— Il ne me reste que dix jours à vivre alors clairement, les menaces de Fernéo je m'en tartine.
— Mais c'est elle qui ne voudra pas te voir !
— Je viens m'excuser. Qu'est-ce qu'elle veut d'autre ? Que j'aille lécher les rambardes des escaliers en punition ?
Pourtant sceptique, Tiny ne m'empêche pas de me rendre à la salle de bain pour me rendre plus présentable. Mais c'est vrai que je pue le potage rassi.
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