Chapitre 40

Désespéré, je m'affale sur le premier banc de la cathédrale. Je n'aime pas vraiment ce genre d'endroit mais dans ma situation, il ne me reste plus que la prière. Malgré l'ambiance paisible et les sons étouffés, je ne parviens pas à me calmer. L'obscurité intérieure de l'édifice semble me happer dans des ténèbres où grouille une multitude de démons. Le vaisseau principal de la nef m'évoque désagréablement le ventre encore vivant d'un monstre apocalyptique.

Pas vraiment rassuré, je me lève et m'avance sous les croisées d'ogive. Le bâtiment parait beaucoup plus grand une fois qu'on s'y trouve dedans. La tête levée, j'observe les tribunes, reliées entre elles par des coursières étroites. Sur les voutes, d'étranges peintures attirent mon regard. Elles représentent probablement l'histoire du Cosmos à son commencement ou des conneries dans le genre. Faut préciser que je n'ai presque jamais mis les pieds dans un lieu de culte. Ça me met toujours très mal-à-l'aise, comme si une force occulte supérieure exerçait son emprise sur les pauvres visiteurs. Püpe ne partage pas vraiment mon avis puisqu'elle peut se trouver une véritable vocation de none. L'imaginer grenouille de bénitier peut paraitre étrange mais c'est bien le cas.

Au fond de la cathédrale, l'autel se dresse dans une nuée de feuilles dorées. Elles sont toutes soudées les unes aux autres, créant ainsi un véritable monument qui entoure la statue de Créateur. C'est magnifique... Le Dieu Suprême est représenté dans un long manteau blanc ; une capuche recouvre son visage, ne laissant qu'apparaitre un menton. Il écarte ses bras de marbre dans un signe de puissance infinie. Un tapis de fleurs jonche ses pieds, apportant un panel de couleurs dans l'obscurité. Seules les bougies éclairent le chœur d'une lueur tamisée. Je me demande pourquoi les fenêtres hautes ont été obstruées...

— Avez-vous besoin de quelque chose, mon enfant ?

Je sursaute avant d'apercevoir un moine, entièrement revêtu de blanc à l'instar de son dieu. Je l'ai pris pour un fantôme, cet imbécile.

— Je ne suis pas un enfant, m'insurgé-je.

— Non, bien sûr, c'est une expression... Vous me paraissez très tendu. Je peux vous aider, si vous voulez.

Je le regarde, les sourcils froncés. Je crois que c'est un humain. De toute façon, une fois rentrées dans le clergé, les races ont tendance à se confondre.

Je n'ai pas vraiment envie de m'attarder avec un moinillon ennuyeux mais la volonté de m'y opposer m'échappe.

— Si vous y tenez...

— Bien, venez, ce n'est pas un lieu pour discuter. Je suis Frère du Bon Conseil, pour vous servir.

Bien ! Enchanté ! Et moi Binou de la malchance perpétuelle !

Il m'emmène dans une petite chapelle attenante où un banc de pierre, incrusté dans le bas d'une colonne composée, nous attend.

— Je sens beaucoup de tourment dans votre cœur.

Les religieux doivent probablement acquérir une magie étrange après leur insertion dans l'ordre. D'ailleurs, cet humain ne montre aucun signe de vieillesse. Seuls ses yeux pétillants et son sourire sincère animent son visage d'une normalité effrayante.

— Ben normal, réponds-je, ma vie s'achève dans quatre semaines et des brouettes. Ma vie et celle de mes amis avant.

— Nous vivons un temps de guerre difficile mais je suis certain que vous trouverez une solution.

— Le temps me manque, à vrai dire. Je ne sais plus sur quel pied danser et c'est le bordel dans ma tête.

Frère du Bon Conseil me prend silencieusement la main pour regarder les plis de ma paume. Je ne pensais pas vraiment consulter un voyant mais bon...

En fait, je suis étonné de la manière avec laquelle il m'adresse la parole, comme si j'étais son égal.

— Ce que je vois est très intéressant, murmure-t-il, et guère rassurant...

— Comme c'est étonnant !

Il tire brusquement sur ma manche pour dévoiler la marque. Encore ! Mais il faudrait vraiment que je maquille mon poignet tous les jours, sans ça, tout Arminassë connaitra mon appartenance. Je me dégage et remets en place le vêtement, l'air de rien.

— Mais vous êtes un esclave de Morgal ?! s'exclame-t-il.

— Non, pas du tout...

— C'est un vieil ami, continue-t-il sans prendre en compte ma réponse.

— Ah oui ? Il n'est pas très pieux pourtant.

— Il a ses dévotions. Si vous le croisez, dites-lui que je l'attends. Mais retournons à votre cas.

Il reprend ma main pour finir son analyse.

— Tous les pores de votre peau crient la détresse, mon ami.

— Mais puisque je vous dis que je risque de clamser d'ici quelques jours !

— Non, je peux vous assurer qu'il n'y a pas que ça : je lis de la détresse affective, une détresse de reconnaissance et d'identité. Vous ne savez plus où vous en êtes, ni qui vous êtes. Pendant trop longtemps, vous avez scindé votre vie, séparant une simple profession de serviteur avec une fonction de bourreau. Cela a créé un déséquilibre total en vous, entrainant la perte de votre famille et la chute dans l'alcoolisme et le crime.

— Vous avez vraiment vu tout ça dans ma main ? m'étonné-je en regardant ma paume avec désappointement.

— Oui. Vous ne parviendrez pas à avancer avec toutes ces chaines qui vous entravent. Déjà, reprenons les bases : qui sont vos parents ?

— Aucune idée et je m'en fous.

Le moine soupire devant ma participation efficace.

— Vous vous moquez de vos parents comme vous vous moquez de vos enfants.

— Ah non, commencez pas, vous aussi !

Les gens adorent se mêler de ce qui ne les regarde pas, c'est incroyable ! Qu'est-ce que ça peut faire que je veuille vivre ma vie librement sans me soucier de mes géniteurs et de ma progéniture ?

— Si vous voulez en conseil, et je suis bien placé pour en donner, vous devriez mettre les choses au clair. Avec vous-même d'abord. Surtout si vous devez mourir bientôt...

— Et vous n'aurez pas plutôt une poudre de perlimpinpin à me donner ?

— Vous seul pouvez vous aider. Remettez de l'ordre dans votre vie, mon ami. Cessez de vivre comme un débauché, vous ne gagnerez rien si vos passions vous dominent. Ce dont vous avez besoin c'est de liberté.

— Compliqué quand on est esclave...

— Il vous reste toujours votre volonté. À vous de ne pas l'oublier.

— Mais vous ne pouvez pas me demander d'arrêter de boire ou de m'envoyer en l'air, à la fin !

— En êtes-vous plus heureux de vivre ainsi ?

— Mais évidemment, sinon je ne le ferais pas, c'est justement par ça que je me sens vivant.

— Vous vous sentez vivant l'espace d'un temps mais après, la culpabilité et le mépris de vous-même vous rongent.

Ce moinillon me fatigue ! De toute façon, il est évident que lui, ne rencontrera jamais de telles tentations dans une cathédrale.

— Je vais vous raccompagner, déclare-t-il en se relevant.

Je lui emboite le pas jusqu'à la sortie, la tête lourde de pensées moroses.

— Ah ! Et encore une chose : arrêtez de laisser votre femme partir dans d'autres bras, ce n'est pas sa place.

J'écarquille les yeux, choqué qu'il me donne ce genre de conseil.

— Faudrait déjà que la femme en question accepte...

Il range ses mains sous son scapulaire, comme s'il s'apprêtait à conclure notre rencontre :

— Je vous souhaite bonne chance pour votre quête, mon ami. J'espère que vous trouverez une solution. Que le Créateur vous guide !

À ce moment, je débouche sur le parvis et la lumière m'éblouit brusquement, moi qui m'étais habitué à l'obscurité. Je remarque alors que le moine ne se tient plus à mes côtés. Je me retourne pour l'apercevoir mais rien n'y fait : il s'est volatilisé.

— Binou ! Te voilà enfin !

Poulpinet se jette dans mes bras et je manque de m'écrouler sur les marches de la cathédrale. Je me disais qu'il ne s'était pas montré attentionné depuis longtemps.

— Depuis combien de temps suis-je parti ?

— Des heures ! Je ne t'ai vu disparaitre après l'incident.

— Des heures ? Mais j'ai l'impression d'être rentré il y a cinq minutes. Ce moine m'a fait perdre la notion du temps.

Mon compagnon hausse les sourcils :

— Binou... Il n'y a plus de moines ici depuis des centaines d'années.

Ma respiration se bloque : qui était cet homme ? Je n'ai pas rêvé, pourtant...

— Mais qui garde la cathédrale ?

— La milice de la ville. Des prêtres passent de temps en temps pour les cérémonies officielles mais c'est tout.

Nom d'une coquillette d'escargot mais c'était bien un moine.

— Frère du Bon Conseil, ça ne te dit rien ? Un ami de notre maître, parait-il.

— Rien du tout. Allez, ne tardons plus : j'ai entendu les menaces de Silovan. C'est terrible Binou : c'est lui qui t'a mis la puce dans la tête ?! Nous avons désormais moins de dix jours pour nous rendre à Lombal !

— Dix jours ? Comment ça, dix jours ?

— Les Equinoxes ! Après cela Silovan exigera le sapior de l'Empereur. Il est évident qu'un tel artefact ne doit tomber dans de mauvaises mains.

— Mais même si je parviens à retirer la puce, nous ne serons pas à l'abri d'une vengeance. Il pourrait très bien décider de tous nous tuer.

— Peut-être mais notre maître acceptera de régler la situation, je te le promets.

Mouais... Pas très convaincu. Comme pour calmer mon angoisse, Poulpinet me fait un câlin en manquant de me briser trois côtes.

— Bon... Il ne nous reste plus qu'à nous mettre en route pour le Sud de la capitale, soupiré-je, espérons que Pellecor accepte de nous prendre sur son vaisseau.

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