Chapitre 34
Mes oreilles se plaquent vers ma nuque tellement la musique m'abasourdit. Je ne comprends pas comment les domestiques peuvent supporter un tel vacarme. En fait, lorsque l'alcool a gagné le cerveau, ce n'est plus un problème.
Je suis passé par ma chambre afin d'enfiler une chemise et un pantalon plus présentable. Honnêtement je ne suis pas très emballé à l'idée de commencer une nouvelle relation. L'envie ne se présente pas. Ça va partir sur un coup d'un soir et on n'en reparlera plus.
Allons, du nerf, cessons d'alimenter le mauvais esprit !
Je grimpe l'escalier qui mène sous les arcades. Là, Tiny me tombe dessus, accompagnée d'une ribambelle de gonzesses toutes aussi excitées les unes que les autres. On se croirait plongé dans un poulailler.
— Binou ! te voilà, je t'attendais !
Je ne réponds pas, paniqué par l'effervescence chaotique de ses amies. Elles ne veulent pas me laisser respirer. Je déteste être le centre de l'attention, dans ce genre de cas.
— Il est trop mignoooon, lance l'une d'entre elle.
Ouais, le gnome trop mignon sait aussi très bien écorcher ses victimes !
— Viens-là, continue Tiny en me tirant par le poignet, je vais te présenter à Myrabellia.
Elle m'arrache à cette bande de furies qui n'arrêtent pas de me poser des questions et de rire comme des dindes. Je suis donc docilement mon amie jusqu'à une table où plusieurs gnomes chantent à tue-tête. Tous ont un coup dans le nez et ne me remarquent pas, pour la plupart. Cependant, une gnome, plutôt grande en taille, se lève et nous rejoint.
— Myrabellia, voici Binou, nous présente Tiny, et Myrabellia, Binou.
Enchanté ! Je crois que mon sourire est beaucoup trop crispé mais tant pis. En face, la gnome se mord la joue et me déshabille silencieusement du regard. Ah bah super. J'ai vraiment l'impression d'être un produit mais puisqu'elle ne se cache pas pour me détailler, je ne vais pas me gêner non plus.
Ce que je remarque en premier, c'est sa longue chevelure bouclée qui dévale jusque dans le creux des reins. Des reflets verts ressortent sur ses mèches pailletées, rappelant ainsi la dose de maquillage qui recouvre son visage blanc et allongé. Sur ce point, elle n'a pas lésiné et sa robe ultracourte, intéressement ouverte, me pose des questions sur sa réelle profession.
— Tiny, lui chuchoté-je à l'oreille, c'est vraiment une de te amies, ou une fille que t'as ramenée du premier lupanar qui passait ?
— Mmh, un peu des deux, glousse-t-elle, il fallait bien que j'en trouve une qui puisse rivaliser avec le physique de Püpe.
— C'est trop aimable...
C'est vrai que sur cet autre plan, y a de quoi s'amuser. Sa tenue noire qui rappelle les contes vampiriques, a l'avantage de la transformer en sorcière sexy et sûrement très expérimentée.
J'abandonne donc la gnome aux cheveux bleus et emmène ma nouvelle amie avec moi, un bras autour de sa taille.
— Y a une table pour nous, là-haut, assure-t-elle en me montrant la tribune du menton.
— Bien, nous y serons plus tranquilles.
— Je te croyais moins réservé, ricane-t-elle.
— Pourquoi dis-tu ça ?
— Je me rappelle de toi lors de la Grande Tournée du début de l'été.
— Ho. J'avais plus qu'un verre dans le nez...
Elle acquiesce avec un sourire amusé et pénètre dans la loge qui nous est réservée. Là, une petite table ronde entourée d'une banquette confortable s'offre à nous dans un luxe « spécial Grande Tournée ». Des paravents levantains nous séparent des autres loges afin de créer une certaine intimité dans ce lieu tamisé. Cependant, un côté du carré est fermé par une balustrade donnant directement dans la salle où s'enjaillent les fêtards. Malgré cette ouverture, j'ai l'impression que les échos de la musique s'estompent.
Absorbé par la douceur rougeoyante de ce petit cocon, je m'assois contre la rambarde, parmi les confortables coussins. Myrabellia se pose sensuellement contre moi et fait basculer ses longues jambes sur mes genoux.
— Tu veux du vin ? propose-t-elle, ça te décoincera sûrement un peu.
Je fronce les sourcils avant de comprendre qu'il faudrait peut-être que je m'intéresse davantage à elle.
— Avec plaisir... Et dis-moi, tu es depuis longtemps à Arminassë ?
— Mmh mmh, acquiesce-t-elle en me servant, depuis quelques décennies. Mais je travaille aussi chez Malikh.
— Ah...
Je vide mon verre d'une traite : j'espère qu'après une demi-dizaine de shots, je parviendrais à cesser toutes les pensées parasites qui me turlupinent. Après tout, ne suis-je pas là pour m'envoyer en l'air ?
— Toi, assure Myrabellia en me donnant une pichenette dans le nez, tu penses à une femme.
— Non... Pas du tout.
— Tu culpabilises en ma compagnie ? Il n'y aucune honte à passer du bon temps avec une autre fille.
— Et bien, j'avoue que cette même femme m'a conseillé de l'oublier et de me trouver quelqu'un d'autre.
— Tu n'as pas l'air de réussir à passer à autre chose...
— Non, c'est compliqué... Mais c'est pour ça que je suis avec toi, ce soir.
Elle sourit et s'assoit à califourchon sur mes cuisses pour m'encercler le cou de ses bras laiteux.
— T'es un gnome romantique, en fait. Je trouve ça mignon. Mais tu sais, c'est mon métier de soigner ce genre de douleur, de faire renaitre la flamme dans les cœurs éteints.
Avec sensualité, elle glisse sa main de mon épaule à ma poitrine. Je me redresse légèrement et cueille ses lèvres, désireux de gouter à ses promesses. Aussitôt, mes mains placées sur sa taille remontent sur le haut du corset et dénouent le lacet avec empressement. Je crois que Tiny ne s'est pas trompée dans son choix : Myrabellia sait ce qu'elle fait. Ses doigts et ses chuchotements me caressent comme une brise du soir sur la peau.
Sans arrêter notre échange, j'attrape la bouteille et la vide directement dans ma gorge. La chaleur me monte directement à la tête mais ça ne sera que mieux pour apprécier la suite. Les rires de la gnome sonnent déjà étrangement à mes oreilles, comme si je plongeais dans un rêve plein de voluptés. Sa langue contre la mienne, ses mains sur mon corps, je crois qu'elle m'a convaincu. Ça fait depuis trop longtemps que je n'ai pas assouvi ce genre de désirs...
Je l'attrape par les hanches et nous fait basculer sur la banquette. Je m'installe alors au-dessus d'elle sans cesser de l'embrasser.
— Tu vois quand tu veux, glousse-t-elle.
Je grogne pour toute réponse, plus intéressé par ce que cachent ses dessous. Lorsque je relève la tête pour reprendre ma respiration, mon regard se pose au-delà de la balustrade, là où la foule s'agglutine. Malgré moi, j'aperçois Püpe danser et ça a le don de me rendre fou. La voir ainsi, si désirable, si belle et si souriante, me provoque une remontée d'amertume. C'est avec elle que je voudrais passer ma soirée, pas avec l'autre verdâsse. Mon imagination, mêlée à mes souvenirs me fait voir la gnome blonde avec moi, ou plutôt sous moi, à gémir sous mes assauts. Ces simples pensées provoquent une excitation un peu trop soudaine dans mon bas ventre, ce qui a le mérite de faire rire Myrabellia qui s'empresse de fourrer la main dans mon pantalon.
Le retour à la réalité me refroidit brusquement. Je me redresse et me retiens à la balustrade, le souffle court.
— Désolé, Myrabellia, mais je n'y arrive pas.
— Ce n'était pas le cas il y a trois secondes, rétorque-t-elle à moitié amusée et à moitié déçue.
Je me rassois lamentablement et saisis une autre bouteille pour me changer les idées.
La gnome soupire et récupère un flacon qui était coincé dans sa jarretelle.
— Tu vas boire ça et ça règlera ton problème, assure-t-elle en me servant un nouveau verre.
— Je ne suis pas un adepte des aphrodisiaques.
— Dans ton cas, ça te permettra de passer agréablement le reste de la nuit, bois.
Je repose donc ma bouteille et accepte sa mixture. Sans ça, je risque de me morfondre encore longtemps. Le liquide râpeux descend dans ma gorge et m'arrache une grimace : c'est dégueulasse, ce truc !
Étrangement, ça ne fait aucun effet. Enfin si. Une atroce douleur à l'estomac me plie en deux dans un cri de surprise.
— C'est normal, ça ? gémis-je.
— Heu... Non, pas vraiment...
Elle semble désemparée.
La douleur se répand dans mes entrailles comme si un feu me dévastait de l'intérieur. Pourquoi à chaque Grande Tournée une nana m'empoisonne ?! Mon ventre prend cher à chaque fois !
Je m'effondre sur le sol dans des hoquètements de douleur.
— Je sais, Binou ! C'est à cause de l'alcool. Il ne faut jamais mélanger les deux.
— ET TU NE POUVAIS PAS ME LE DIRE AVANT ?!
— Du calme, j'avais oublié, moi !
— Je crois que je vais...
— Oh mon dieu...
Elle s'écarte de moi lorsqu'elle comprend que je vais rendre mes derniers repas. Est-ce que j'ai le temps de courir jusqu'aux toilettes ? Je crois que je n'ai plus vraiment le choix.
Je me relève en catastrophe et m'extirpe de la loge, paniqué, les mains plaquées contre ma bouche. Heureusement, je retrouve sans mal l'emplacement convoité. Je pousse tous les imbéciles qui croisent mon chemin et débouche dans le premier cabinet pour vomir mes tripes. Franchement, comme dîner romantique, on aurait pu rêver mieux ! Non mais franchement !
Je finis de recracher les restes et m'essuie sommairement le coin de la bouche avant de regagner ma chambre. Inutile de rejoindre Myrabellia ou de la prévenir. Je suis désolé de n'avoir pas répondu à ses avances mais mine de rien, c'est elle la fautive !
J'espère juste qu'elle acceptera de reporter notre rendez-vous, ce que je doute, honnêtement. À part elle, je ne vois pas d'autres gnomes avec qui je pourrais m'amuser à ce genre de choses, même si ça ne vaudra jamais la proximité de mon ex-femme.
Las, je pousse la porte du dortoir et me traine comme une limace jusqu'à mon lit. Je suis harassé par toutes ces bêtises et tout ce qui m'importe désormais est la douceur de mon oreiller. Et peut-être le parfum fruité d'une petite gnome blonde.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top