Chapitre 32
Lorsque la lumière daigne enfin réapparaitre à mes yeux, je me retrouve le nez dans le gazon et le cul en l'air. La douce mélodie des oiseaux contraste fortement avec les déflagrations précédentes et ce n'est pas plus mal.
Je me redresse et observe les lieux. À en juger le palais somptueux et le jardin très entretenu, nous sommes dans un parc privé du château d'Arminassë.
Mais où sont les autres ? Des astres en uniforme palatial débarquent soudain et me montrent du doigt :
— Il y en a un ici ! Apportez une civière.
Non mais ça va, je me porte plutôt bien en fin de compte : aucune balle ne m'a touché par miracle. Ce n'est sûrement pas le cas des autres, cependant.
Je suis soulevé contre mon gré et emmené dans les murs du palais. On me dépose dans un salon fastueux où je retrouve les autres membres du groupe pour mon plus grand soulagement.
Poulpinet me saute une énième fois dans les bras et ne me lâche plus.
— Tu m'as sauvé la vie, Binou ! Je ne sais comment te remercier !
— En... Cessant de... m'étouffer...
Il desserre son emprise pour laisser Tiny et Clark me féliciter sur ma dernière prouesse. Eh oui, mine de rien, j'ai sauvé les miches de l'Empereur et du prince, héhé.
— Binou !
Püpe débarque à son tour et se précipite vers moi... pour me mettre une claque dans la figure.
— Mais qu'est-ce que j'ai fait, cette fois-ci ? gémis-je en frottant ma joue rougie.
— Tu as failli mourir, imbécile ! Tu allais te tuer ! Je t'interdis de faire ça !
J'écarquille les yeux ; mais je mène ma vie comme je veux, moi ! Encore sur les nerfs, elle m'attrape les oreilles et m'embrasse brutalement. Ça y est, je ne comprends plus rien. Mais je ne refuse pas son contact, après tout, ce n'est pas tous les jours que je goûte ainsi à sa langue et à ses lèvres fruitées.
— Binou, ce n'est pas le moment de se becqueter, nous interrompt Clark.
Il n'est pas drôle, celui-là. Püpe recule maladroitement, très gênée par ce dérapage émotionnel. Elle regarde si son chef ne l'a pas remarquée mais heureusement, personne ne fait attention à nous.
Les lèvres pincées, je me retiens de sourire : ça l'énerverait plus que tout. Ceci-dit, si elle cherche à se trouver de la compagnie pour ce soir, je peux toujours faire un peu de place dans mon emploi du temps surchargé, hum.
L'arrivée de Morgal me tire de mes pensées et heureusement parce que ça commençait à s'égarer.
— Majesté, comment allez-vous ?
— Mieux sans un gnome qui me parle.
— Rhooo vous avez retrouvé votre sale caractère...
Il m'ignore et rejoint les astres, assis dans les fauteuils.
— Que s'est-il passé ? demande Jenar, comment nous sommes-nous téléportés ?
— Peu importe, coupe Nim, l'important est que nous sommes tous saufs.
— Et comment se porte le prince Ambar ? continue Silovan.
— Mieux, assure Laïdjha, comme le seigneur Morgal, il s'est pris beaucoup de balles mais il guérit bien moins vite à ce que je vois. Son ami reste à son chevet avec les meilleurs médecins.
En effet l'Empereur semble en pleine forme malgré son état précédent. La magie, c'est fort pratique.
— Tu ne devrais pas te tenir ici, grogne Arquen à l'égard de son ancien meilleur ami.
Tout le monde lui lance un regard orageux pour le faire taire. Heureusement, un valet annonce l'arrivée du couple royal pour briser le malaise.
Carnil apparait dans un de ses habituels costumes luxueux. Luinil tarde de son côté...
— Je ne sais comment vous remercier, commence le roi, vous nous avez rendu un service inestimable et j'espère pouvoir témoigner d'une gratitude à la hauteur de votre courage. La reine... elle arrive mais je tenais à vous prévenir qu'elle est un peu perturbée ces dernières semaines...
L'écho des talons aiguilles l'interrompt comme s'il s'agissait des pas d'un monstre abominable.
— Carnil ! hurle-t-elle, pourquoi n'ai-je pas été prévenue du retour de mon fils ?!
— Mais si, je t'ai prévenue, Luinil, tu n'as juste pas écouté.
— Ah bon ?
La reine se montre à nous, échevelée et débraillée. Oulah, oui, en effet, elle me parait un peu perturbée. Mais ça lui donne un certain charme. Sur sa robe froissée, elle a enfilé le premier vêtement qu'il lui passait sous la main, à savoir un peignoir. Son maquillage a été fait à l'arrache, aucun doute là-dessus, et à l'instar des habits, ses bijoux ne s'harmonisent absolument pas.
De son côté, Arquen semble avoir une apparition. Depuis tout ce temps, il n'a pas croisé une seule fois l'amour de sa vie et maintenant que le moment se présente, la réalité s'estompe autour de lui pour ne laisser que la silhouette gracile de sa reine bien-aimée.
Heu... Attendez, elle est beaucoup moins gracile qu'avant. Elle est même complètement empâtée. Je commence à comprendre pourquoi...
— Peu importe, déclare-t-elle d'un geste de la main, tout est rentré dans l'ordre... Mais... Mais c'est mon Arquen chéri !
Elle se précipite vers l'hybride et se jette dans ses bras.
— Je ne pensais plus jamais te revoir, mon chou ! Tu es sûr de ne pas être blessé ? Tu as dû vivre de tels tourments, surtout à cause de notre elfe, hein, Morgal !
Le concerné hausse innocemment les sourcils. Luinil se détache du demi-dieu et le rejoint d'un pas lourd et menaçant :
— Toi, tu vas m'entendre, grince-t-elle, cette fois-ci, tu ne pourras pas t'échapper.
Morgal fronce le sourcil, pas très rassuré :
— Êtes-vous sûre de bien aller, Majesté ?
— Si je vais bien ?! J'irai bien lorsque ta tête ornera ma tête de lit, sale farfadet dégénéré !
Oulah mais elle parle à l'Empereur, là...
— Depuis le temps que je le dis, murmure Arquen.
Lui, c'est le seul à ne pas être inquiet de l'état de la Reine Vierge. Son hystérie commence vraiment à m'inquiéter. Aussi, lorsqu'Ambar nous rejoint, soutenu par son ami Lanov, tout le monde se retient de respirer.
— Mon bébé ! s'exclame-t-elle avant de le prendre dans ses bras, mais pourquoi es-tu parti ? Tu n'étais pas bien avec nous ?
— Je...
— Peu importe, tout est pardonné.
Le prince esquisse un sourire forcé en détaillant sa mère. Ouais, c'est plus vraiment la même. Instinctivement, il tire sur le bonnet gris qu'il n'a pas quitté depuis sa sortie de prison. En le détaillant, je remarque bien qu'il a maigri et que de grosses cernes tombent de ses yeux fatigués. Quant à ses mèches blanches, elles se perdent sous la laine épaisse. Mais ce n'est que le début de l'automne, il ne fait pas froid. Peut-être cache-t-il sa malformation ? Je souris en imaginant des tentacules sur son crâne.
Cependant, le retour du prince ne suscite pas la joie chez tout le monde : Morgal rejoint l'adolescent d'un pas vif, pousse sa mère et donne une gifle magistrale sur la joue du garçon.
Tout le monde est choqué à un point non descriptible. Je n'aurais pas été le seul à me prendre une beigne, au moins...
— Qu'est-ce qu'il t'a pris de retourner dans la prison !? s'écrie l'elfe, tu aurais pu y rester !
— Je ne... ne pouvais laisser Lanov...
Morgal transperce l'ami de ses yeux turquoise et reporte son regard froid sur le prince :
— La prochaine fois, évite de te jeter dans la gueule du loup, Arnil n'attend que ça !
Et une deuxième baffe pour la route. Bah bravo !
C'est Carnil qui réagit le premier :
— Mais vous êtes fou, Morgal ?! s'exclame-t-il en le brusquant, de quel droit osez-vous porter la main sur mon fils ?!
— Le prince Ambar a failli tous nous tuer par ses erreurs ! s'énerve mon maître, il serait temps qu'il le réalise !
Luinil fond en pleurs de son côté mais personne ne s'y attarde, trop occupé par la querelle qui pointe entre les deux souverains.
— Ses erreurs ?! C'est de votre faute s'il s'est fait prendre !
— Ma faute ?! Je ne l'ai jamais envoyé dans ce pays ! La faute retombe sur vous, vous qui passez votre temps à le surprotéger comme s'il était hémophile !
— Cessez, Morgal ! éclate Carnil, vous n'avez aucun avis à donner sur l'éducation que j'accorde à mon fils !
— Votre fils ?
— Oui, mon fils !
— Eh bien, laissez -moi rire.
Morgal se tourne brusquement vers Ambar et retire d'un geste sec le bonnet de sa tête. Aussitôt, l'adolescent porte instinctivement les mains à ses oreilles pointues mais c'est trop tard ; tout le monde a remarqué. Le pauvre ne sait plus où se mettre et le rouge lui monte à la tête. Il tourne les talons et s'enfuit vers sa chambre.
— Ambar ! appelle Lanov, lancé derrière lui.
Les deux adolescents partis, je reporte mon attention sur Carnil qui se retient d'étrangler Morgal.
— Vous n'êtes qu'une ordure de la pire espèce, crache-t-il.
— La vérité vous gêne, Majesté ? sourit le fautif.
— Alors vous...
Le roi se jette sur l'Empereur mais Luinil s'interpose avec un air puant l'hypocrisie :
— On se calme, messieurs, lance-t-elle d'une voix chantante, ce n'est pas la peine de se disputer pour si peu, mmh ?
Si peu ? Bah un peu quand même ! Morgal vient de dévoiler à une dizaine de personnes que le prince n'est pas légitime. Mais à vrai dire ça ne m'étonne pas vraiment. Bien sûr, Carnil était au courant depuis le début mais il préférait cacher l'intervention de Momo dans tout ça.
À bout de nerf, le roi lâche :
— Sortez, seigneur Morgal, et que je ne vous recroise plus avant la fin de la journée. Vous en avez assez fait !
Le concerné plisse les yeux sans se départir de son sourire suffisant :
— Vous allez vous en mordre les doigts, Carnil, je peux vous l'assurer.
— C'est une menace ?
— C'en est une.
Sur ces mots, Morgal se retire, laissant un malaise palpable dans la pièce. Après tout, les doutes sur la paternité de Carnil étaient déjà fortement encrés à la cour. Mais qu'on découvre qu'un elfe rentre dans l'équation, ça risque de ne pas plaire beaucoup.
Comme si elle venait d'oublier la scène, Luinil s'écrie :
— Mais vous devez mourir de faim ! Venez donc, un repas vous est servi dans la salle attenante.
C'est ça, essaie de faire oublier à tes favoris que tu les as bien roulés.
Mais au moins, ça a le mérite de sortir chacun de ses pensées et de se tourner vers une perspective plus joyeuse ; celle de se remplir la panse.
Alors que le mouvement général gagne la salle à manger, je bifurque et rejoins les appartements de mon maître. C'est que je suis très vexé qu'il continue à se montrer cachotier avec moi !
Je pousse sa porte et l'attends, assis sur son grand lit rembourré. J'inspecte la pièce mais ne trouve aucun signe de personnalisation. De toute façon, il utilise plutôt celle de sa maîtresse.
— Binou, commence-t-il en apparaissant du boudoir avec un sac sous le bras, je suis sûr que tu es impatient de renfiler ton uniforme.
Ahah, je ne crois pas non.
— Dîtes, Majesté, vous venez de créer un beau scandale. Si la cour d'Arminassë apprend la vérité, ça risque de dégénérer pour vous, ici. D'ailleurs j'ignore toujours pourquoi vous trainez avec des astres que vous détestez.
— Tu n'as pas à le savoir. Et pour ce qui est du prince Ambar, personne dans la pièce ne dira rien. Et puis, je tiens à faire de Luinil l'Impératrice. Mes enfants sont donc destinés à être reconnus, le prince y compris.
— Quelle affaire !
Il hoche la tête et réajuste son manteau comme s'il s'apprêtait à partir.
— Majesté ?
— Quoi encore ?
— C'est quoi une Mémoire ?
Il souffle d'exaspération :
— C'est Malgal qui t'en a parlé ?
— Oui.
— Malgal a été vidé de sa magie comme moi il y a quinze ans. Mais lui ne l'a jamais retrouvée. Étant donc avec un Vala gelé, il a décidé de gagner le royaume de Lombal où il serait plus à sa place.
— Mais il y a bien un moyen pour lui de retrouver sa magie, non ?
— C'est plus compliqué pour lui : je te rappelle qu'il a été assassiné par des démons alors qu'il n'avait pas vingt ans. À cet âge, lui comme moi n'avions pas connu l'Éveil de notre Vala. Lorsque Carnil l'a ramené à la vie pour l'utiliser contre moi, il y a quinze ans, il n'a pas pris en compte ce détail et a débloqué les pouvoirs divins. Aujourd'hui, même si Malgal parvenait à dégeler son Vala, il n'aurait pas de magie à moins de provoquer un réveil artificiel.
— Ah... Et pour la Mémoire ?
— J'y viens. Connaissant sa condition, mon frère a donc quitté l'Empire mais il n'était pas pour autant en sécurité sur les terres d'Arnil. Pour se protéger, il a fait en sorte de devenir un élément indispensable à la démocratie de Lombal. En fait, il est devenu une sorte de Réceptacle technologique. Le supprimer provoquerait l'annihilation totale du système informatique mis en place.
— Il y est parvenu juste en piratant les réseaux ?
— Au bout d'une dizaine d'années, oui. Il est très, très doué avec la technologie.
— Il n'en est pas moins complètement taré !
— En réalité, Malgal est sain d'esprit ; tu as juste dû le croiser drogué.
— C'était le cas. Il vous manque ?
— Plus que tu ne le penses... Nous avons toujours été liés tous les deux... Et si durant les longues années de sa mort j'ai sombré dans la folie, j'ose désormais espérer qu'avec son retour je pourrais redevenir... Enfin, ça ne te regarde pas.
Morgal secoue la tête pour chasser ses pensées et boucle son sac.
— Vous partez ?
— Évidemment que je pars ! Tu as cru que j'allais rester ?!
— Vous obéissez ainsi à Carnil, maintenant ?
— À Carnil ? Bien sûr que non ! Je m'en vais de ce château avant que ça ne dégénère plus !
— Comment ça ?
Je ne comprends pas où il veut en venir. Aussi le regardé-je avec les sourcils froncés.
— Si tu veux mon avis, le gnome, évite de croiser la reine. Il n'y a rien de pire dans ce monde que Luinil enceinte. Les Entités de l'Ancien Monde fuient à son passage !
— Mais vous déguerpissez comme ça ?
— Oui. Aucune envie de me prendre la tête avec elle. Luinil perd totalement la raison dans ces conditions et la compagnie de la peste noire elle-même est plus agréable.
Je hoche la tête, le regard dans le vide.
— Tu n'as qu'à lui dire que je serai de retour dans une dizaine de jours, ça pourrait la calmer lorsqu'elle découvrira mon départ.
Ah bah c'est du joli, ça. Quitter ainsi le champ de bataille... Lorsque je recentre mon regard, Morgal a disparu. Il exagère un peu quand même. Mais faut croire que c'était moins une puisque la reine débarque, toujours échevelée. Honnêtement, on dirait que des oiseaux ont installé leur nid dans ses cheveux. Sur ses talons, Arquen et Carnil apparaissent à leur tour. Oui, en fait, je crois que Morgal a bien fait de partir.
— Où est-il ? me demande Luinil avec un faux sourire.
— Sais pas. Il s'est téléporté il y a cinq secondes, sûrement pour rejoindre le Chœur.
Je vois le visage de la reine se durcir de rage. Elle va lui préparer un accueil festif à son retour, haha.
— Je n'en reviens pas qu'il ait fait ça, avec Ambar, souffle Carnil encore hors de lui.
— Il comptait le faire un jour ou l'autre, déclare-t-elle, il tient à le reconnaitre.
— Sauf que ce n'est pas possible, Luinil, nous avons signé un contrat ! Ambar est mon fils !
— Sans vouloir te vexer, mon chéri, ton contrat n'est pas vraiment valide. J'étais sur mon lit de mort, lorsque je l'ai signé.
— Signé, c'est signé.
Arquen intervient dans la conversation :
— Majesté, quoiqu'il en soit, vous devez vous séparer de cet homme. Il vous fera souffrir encore et encore.
Ouais et il la nommera peut-être Impératrice, aussi, c'est pas rien.
— Merci Arquen, mais je sais ce que je veux.
— Avez-vous oublié ce qu'il vous a fait subir, Majesté ?! Il recommencera.
Elle secoue la tête :
— Tu ne sais pas de quoi tu parles. Jamais plus Morgal ne lèvera la main sur moi.
Carnil fronce les sourcils, apparemment pas au courant. Je décide d'intervenir pour clore le débat.
— Si vous avez des revendications à lui faire, il sera de retour dans dix jours.
Sur ce, je quitte tout ce beau monde et sautille en direction des appartements gnomiques. Je sens que voir tous ces imbéciles se prendre le bec sera fort amusant ! Je pousse la porte du dortoir et retire mes bottes en vitesse. Mon lit ne m'a jamais autant manqué, je crois !
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