Chapitre 31

C'est quoi tout ce bordel ?! Le couloir est rempli de cadavres sanguinolents, perforés de toute part. Avec les autres, nous nous extirpons de la cuisine et enjambons les corps jusqu'à la sortie.

Le hall d'entrée, totalement blanc d'origine, est repeint d'innombrables giclures de sang.

Les gardes de Lombal mettent leurs armes en joug et vident leur chargeur sur leurs opposants, à savoir une quinzaine d'hommes masqués et parés d'armures technologiques de pointe. Ho... nous nous pointons en plein conflit, on dirait.

Et qui sont ces hommes en noir ? Des résistants au royaume de Lombal ?

Les coups de feu s'intensifient et les cadavres s'accumulent. Il faut profiter de la diversion.

En prenant garde de ne pas se prendre des balles perdues, nous nous faufilons derrière les intrus qui tiennent fermement leur position contre les gardes.

Instinctivement, je ramasse une arme qui trainait : d'après ce que j'ai vu, il faut les recharger avec des balles et appuyer sur la gâchette pour lancer un tir mortel. J'en ai même vu liquéfier leur cible comme du beurre fondu. Bon, on verra bien le moment venu.

Nous gravissons les escaliers au son des cris de douleur et de rage. Des cadavres jonchent les marches et déversent leur sang sur le marbre glissant. Notre course s'intensifie et à chaque étage, un affrontement nous accueille avec son lot de morts et de tirs. Enfin, nous parvenons à l'avant dernier palier ; il ne reste plus qu'une volée de marches avant la salle des commandes.

Je m'élance, les trois autres gnomes sur les talons.

Mais brusquement, un homme se dresse sur le haut de l'escalier, son désintégrateur en main. Coiffé d'un grand chapeau à large bord d'où pend une longue plume noire, sa tenue sombre est un mélange étrange entre tissus technologiques et plastrons de cuir traditionnel. Son long manteau noir lui bat les mollets alors que la semelle cloutée de ses rangers garde des éclaboussures de sang. Sur les protections modernes, des piques d'argent accentuent le côté hostile de l'inconnu.

— Des gnomes ?! s'exclame-t-il dans un ricanement, cela fait des siècles que je n'en ai pas croisés !

Il relève la tête sous son chapeau et dévoile ainsi son visage d'un blanc maladif, encadré de cheveux blonds. Si un œil a été arraché, complètement remplacé par un dispositif technologique légèrement flippant, son deuxième œil est cerné d'un rouge intense, signe de drogue ingurgitée. Son sourire malsain, coupé par un cigare encore fumant me convainc sur le désordre mental présent chez cet homme. Homme qui est le portrait craché de mon maître.

Nom d'une calotte de grigou ! Mais serait-ce...

Je n'ai pas le temps de finir mes réflexions que les détonations éclatent à nos oreilles. Nous nous jetons sur les côtés pour éviter les balles de ce taré et rampons derrière des statues qui rythment l'escalier.

— Allez-y, crié-je à mes amis, je vous couvre.

Comment ça, je les couvre, je n'ai jamais utilisé une arme comme celle-là... Tant pis, je sors de ma planque et appuie sur la gâchette. Aussitôt, un torrent enflammé se déverse sur le palier, détruisant tout sur son passage. Une partie du plafond s'écroule avec fracas, emplissant l'endroit d'un nuage de poussière. Le ciel de la ville se découvre petit à petit par la trouée. Ahah, j'adore ce truc !

Comme le taré a disparu, les trois gnomes s'élancent vers la salle des machines pour saboter les appareils.

Je reste sur le pas de la porte, mon arme dans les bras. Un silence suspect s'élève dans le bâtiment, lourd de tension et de crainte.

— Baisse ton arme, le gnome.

Je fais volteface, et pointe la gueule encore fumante de mon désintégrateur face à mon adversaire. Rhaa, il n'aurait pas pu se faire écraser par le plafond, lui ?

— Ah oui ? ricané-je, il me semble que je suis tout autant armé que vous.

— Tu n'as plus de munition, imbécile d'esclave, glousse-t-il.

J'appuie sur la gâchette et en effet, aucune flamme ne sort. Oups.

Par contre, il est équipé comme il faut en face !

Aïe aïe aïe ! Il va me pulvériser... Bon, sortons la carte du gnome bavard, ça marche à tous les coups.

— Ne me tuez pas, je suis le gnome de Morgal, votre frère jumeau. Vous vous souvenez de lui, n'est-ce pas ?

Son visage cadavérique se crispe et ses dents se resserrent sur le pauvre cigare.

— Si je me souviens de lui ?! Il n'est pas mon frère, seulement un enfoiré à abattre ! Il n'a cessé de m'abandonner tout au long de sa vie !

Bon, je n'ai pas tiré la bonne carte, je crois. L'elfe me rejoint en quelques enjambées et m'attrape par le col. Aussitôt, je dégaine ma petite épée mais elle ricoche inexplicablement sur son manteau et vole en l'air.

— Ne crois pas pouvoir me blesser, Binou, rit-il avec démence.

Au secours ! S'il n'a pas les canines tranchantes de son jumeau, tout son être inspire autant la crainte. La folie émane de son visage en même temps qu'une forte odeur d'herbes.

— Vous... Vous connaissez mon nom ?

— Si je le connais ?! Haha, mais je sais tout. En piratant les serveurs de tous les réseaux de Lombal, je suis devenu la Mémoire. Rien ne m'est désormais inconnu !

— Sauf ça.

J'envoie brusquement mon genou entre ses jambes. Il ne lui en faut pas plus pour me lâcher et se plier en deux, les mains sur ses parties. Protection ou non ça fait mal.

— Saleté de gnome, râle-t-il sans cesser son rire malsain.

Je ramasse mon épée et appelle mes compagnons : il faut partir au plus vite sinon, nous risquons de finir liquéfier par le désintégrateur de l'autre chtarbé.

Clark sort le premier, aussitôt suivi des deux filles. Malheureusement, les détonations reprennent sur le champ et en plus fort. Dans une explosion, l'escalier se détruit, coupant toute retraite. Meeeerde ! J'entends dehors les vaisseaux de Lombal encercler le bâtiment.

Sans paraitre plus embêté que ça, l'elfe se relève et se précipite vers la rambarde pour sauter dans le vide. Je me précipite pour voir sa chute mais il est intercepté en plein vol par un petit vaisseau de vitesse. Une dizaine d'engins semblables s'extraie du bâtiment et part se confronter aux navettes d'Arnil. Il m'adresse un dernier sourire, toujours son cigare au bec, avant de disparaitre à ma vue.

— On ne va pas rester mourir là ! gémit Tiny.

Non, en effet.

Mais dans la trouée, un vaisseau effilé s'arrête au-dessus de nos têtes. Sa carapace s'entrouvre sur Silovan et Morgal :

— Montez ! hurle mon maître en lançant une échelle.

Sans se faire prier, nous attrapons cette planche de salut qui ne tarde pas à s'élever dans les airs. Nous quittons le bâtiment et nous nous retrouvons à la merci des armes aériennes ennemies. Autour, c'est une véritable bataille en plein ciel : des machines volantes s'écrasent dans des explosions de flammes.

Je tire sur mes petits bras pour monter les échelons et rejoindre l'astre et l'elfe. Surtout, je n'accorde aucun regard vers le bas : des dizaines de mètres nous séparent désormais du réseau électrique. Et de toute façon, la vue est bien plus intéressante avec Püpe au-dessus de moi. Dommage qu'elle ne soit pas en jupe...

— Morgal ! crie Silovan, la gatling ! Détruisez-moi tout ça !

Sans se faire prier, le concerné attrape entre ses deux mains l'énorme mitrailleuse et commence à abattre les navettes ennemies dans un torrent de douilles. Je m'en reçois d'ailleurs plusieurs sur la tête : ça fait mal ! Heureusement, je ne tarde pas à monter à bord, essoufflé.

De l'ouverture, je contemple la bataille aérienne pendant que Clark et Tiny nous rejoignent indemnes. Les vaisseaux du frère de Morgal font un véritable carnage, aussi profitons-nous de l'occasion pour filer en douce. La carapace se referme et Silovan s'assoit aux commandes pour diriger la navette vers la prison.

— Il nous reste à intercepter les autres avec le prince Ambar, assure-t-il.

— Et Laïdjha ? demandé-je.

— Il est déjà au fond de la navette, assure Morgal en montrant le scientifique du doigt.

Dommage, je me serais bien passé de sa présence, lui. La tension redescend parmi nous et je me permets de souffler un bon coup. Nous voilà sortis d'affaire, pour l'instant.

— Heu... dîtes Majesté... Vous connaissez les propriétaires de ces vaisseaux ?

— Ceux qui s'attaquent à Lombal ?

— Oui. Je ne veux pas vous alarmer mais je viens de croiser votre frère.

Il hausse les sourcils sans paraitre étonné :

— Malgal ? Tu as fait connaissance avec mon jumeau ?

— Oui. Il est aussi fou que vous, d'ailleurs. Il a tenté de me tuer.

L'Empereur part dans un fou-rire. Ah non, ce n'est pas drôle, quand même !

— T'en fais pas, Binou, Malgal ne ferait jamais de mal à un gnome. Il déteste la violence.

— Bah ça n'avait pas l'air. Il m'a même dit qu'il voulait vous abattre.

— Oui, oui, il a aussi dit que je l'avais laissé aux mains des démons, hein ?

— Eh bien... oui...

Morgal ricane en secouant la tête et part rejoindre Silovan aux commandes :

— Ce Malgal...

Bon. Je crois ne pas avoir tout compris. Et Malgal a parlé de Mémoire. C'est quoi ce truc ? Je demanderai à mon maître plus tard. Pour le moment, cap vers la prison !

La pagode se rapproche à chaque seconde ; pourvu que les astres aient réussi à mettre la main sur le prince sans sacrifier Poulpinet.

Je m'assois sur un banc intégré au mur de la navette et soupire longuement. Il s'agit de rester calme. Püpe me rejoint, encore essoufflée par notre dernière aventure. Ses tâches de rousseurs ressortent davantage sur le rouge de ses joues alors que ses petites mèches blondes collent à ses tempes. Elle est vraiment adorable dans toutes les circonstances, celle-là. Adorable et désirable : y a qu'à voir le contenu de sa brassière.

Je me prends le coude de Clark dans les côtes.

— Arrête, Binou, t'es pas discret.

Je rougis comme une pivoine et me coupe de la vision idyllique que renvoie la gnome.

— Nan, mais je comprends, murmure Tiny, on a tous plus ou moins la dalle, ici.

Nan, toi tu l'as toujours, c'est différent. D'ailleurs elle doit sûrement stresser encore plus pour Poulpinet.

Silovan, toujours aux manettes, se retourne vers nous et lance :

— On ne sortira peut-être pas vivants de cette mission, assure-t-il gaiement, mais vous avez encore le temps de baiser une dernière fois.

Super, comme discours pour fortifier le courage des troupes !

— C'est un coup à rester coincé, ça, grogne Tiny.

— Tiny... Tais-toi, soupiré-je en sentant l'anxiété poindre.

Silovan ricane et appui sur l'accélérateur.

— J'imagine que je ne vous propose pas, Morgal, plaisante-t-il, ce ne sont pas des coutumes très encrées en Calca.

L'autre ne se donne pas la peine de répondre ; après tout, il est au courant de l'engouement qui sévit à propos des membres de sa race. Il l'a expérimenté assez récemment.

— Nous devrions les voir sur le toit de la pagode, assure-t-il en scrutant la prison.

— Ils ont sûrement eu un contre-temps.

— Leur contre-temps peut nous coûter la vie : nous sommes à la merci de leurs canons, je vous rappelle !

— Bien, je vais effectuer un tour pour voir s'ils ne sont pas autre part.

Il descend la navette vers la lanterne du dôme. Sur la partie fortifiée, Arquen apparait enfin, tirant le prince par le bras.

— Ambar est vivant, souffle Morgal avec soulagement.

C'est ça, fait croire que tu t'intéresses à son sort, c'est juste pour garder un ticket direction les draps de Luinil que t'es là. D'ailleurs, il n'est pas sensé avoir une malformation, le prince ?

Je colle de nouveau mon nez au hublot et aperçoit Jenar, Djoïk et Nim sur le chemin de ronde.

— C'est parfait ! lance Silovan, j'ouvre la porte du vaisseau et les laisse monter.

— Dépêchez, intervient l'elfe, je distingue des navettes de Lombal nous rejoindre.

Notre machine pique vers les sauveteurs et s'ouvre à eux.

— Embarquez ! hurle le conducteur dans son micro.

— Et Lanov ? demande Ambar, où est mon ami ?

— Plus le temps ! interrompt Morgal, ils seront sur nous d'une minute à l'autre !

— Je ne pars pas sans lui !

Brusquement, le prince se détache de la poigne de l'hybride et replonge à l'intérieur de la prison. Mais quel petit salopard !

— AMBAR ! s'emporte l'Empereur.

D'un bond, il se détache de son siège et saute sur le toit :

— Montez, dit-il aux trois astres et à Arquen, je le ramène.

Déjà, le feu s'ouvre sur nous, que ce soit des canons de la prison ou des vaisseaux qui nous gagnent.

Je réalise soudain que Poulpinet n'est pas parmi eux. Nim devine la question qui se dessine sur mes lèvres mais secoue la tête :

— Il y est encore.

Très bien. Je saute à mon tour et emboite le pas à mon maître. Je débarque dans un couloir obscur mais je n'ai pas le temps d'analyser les lieux ; mes jambes me portent toujours plus rapidement. Je descends des escaliers quatre à quatre et tombe enfin sur le long couloir circulaire où s'enchainent toutes les cellules. Le passage tourne sur lui-même vers le bas, suivant les lignes architecturales de la pagode. À ma gauche, les prisons individuelles, telles des clapiers, se collent dans une suite sans fin. Je reprends mon souffle et continue ma course : comment retrouver Poulpinet là-dedans ?

— Poulpinet !

Je l'appelle mais je sais que c'est vain. Où est-il ?

Il faudrait chercher dans les quartiers de la garnison. Je m'affale contre la balustrade et observe tous les étages qui se perdent dans le vide. Et puis, lorsque j'aperçois les vaisseaux de surveillance, pas plus gros qu'une monture normale, une idée me vient. Je n'ai pas tout mon temps, les autres endurent déjà les balles et les boulets adverses mais avec cette machine, je serais d'autant plus rapide. J'attends qu'une d'entre elle passe devant moi et sans crier gare, je saute et dégage le conducteur d'un coup de pied dans la mâchoire.

J'enfourche l'appareil et tire sur les manettes pour en reprendre le contrôle : ça n'a pas l'air compliqué, tout ça ! Je pique directement vers le cœur de la prison, vers les profondeurs de la tour. D'autres vaisseaux croisent ma route mais j'accélère tellement qu'ils n'ont pas le temps de m'arrêter.

Enfin, j'atteins le sous-sol et lance mon vaisseau dans un autre couloir horizontal. Quelque chose me dit que je touche au but. Au fond du passage, une porte close me barre le chemin. Je serre les dents et rentre la tête dans les épaules : ça va faire mal...

Le bois gicle en éclat et je freine brusquement ma machine volante. Oups... Je viens d'atterrir chez le corps de garde, on dirait. Une vingtaine de soldats est là, armés jusqu'aux dents, totalement sidérés.

— Bonjour.

Je n'ai pas réussi à dire autre chose, je vous l'assure.

— Binou !

Assis sur une chaise et ligoté, Poulpinet me regarde les yeux écarquillés. Sans plus attendre, il renverse son siège, me laissant ainsi l'opportunité d'ouvrir le feu sans le blesser.

Sans réfléchir, je presse les gâchettes qui me tombent sous la main et ne tarde pas à détruire l'habitacle. La lumière s'éteint, empêchant les astres de riposter. Je sens brusquement une présence dans mon dos :

— J'ai réussi à me libérer, décolle maintenant !

Je ne me fais pas prier deux fois, surtout que les balles fusent autour de moi et ricoche sur le vaisseau. Poulpinet appuie sur un des boutons et dresse soudain un bouclier magnétique qui bloque le passage mortel des projectiles.

Je fais immédiatement marche arrière et remonte vers le haut de la pagode dès le couloir passé.

Mon ami s'agrippe à ma veste et enfouit sa tête dans mon dos pour éviter de chuter. Quant à moi, la vitesse m'empêche d'ouvrir les yeux et de discerner mon entourage qui file à toute allure. Cependant, je sens que nous sommes suivis. J'appuie une nouvelle fois sur la pédale et dans un vrombissement plus grave, mon vaisseau atteint le sommet intérieur de la pagode.

— Descends ! hurlé-je à Poulpinet.

Nous abandonnons l'engin et courons à perdre haleine dans le couloir, pressés d'atteindre le chemin de ronde. Enfin, nous arrivons sur la terrasse, le souffle court.

Nulle trace de nos compagnons. Avec un peu de chance, mon maître n'aura pas quitté la pagode...

— Binou !

Je reconnais la voix de Morgal et je pivote immédiatement dans sa direction. Sur le point de décoller, il me fait signe de le rejoindre en vitesse. Momo, épouse-moi !

Sans hésiter, je monte derrière lui alors que Poulpinet rejoint Lanov. Au moins, l'Empereur a pu mettre la main sur les deux adolescents immatures ainsi que trois autres vaisseaux. Ceux-là, ils mériteraient qu'on leur grille la plante des pieds ; je me porte même volontaire pour cette tâche !

Alors que les astres nous rejoignent et canardent nos boucliers, nos trois engins s'envolent dans la fumée des réacteurs.

— Leur navette est déjà loin, me crie Morgal pour que j'entende, nous devons les rejoindre sinon, nous allons nous écraser.

Je hoche la tête en refermant le harnais qui m'empêche de tomber. Au loin, je distingue la navette en question, attaquée de toute part. Ce ne sera pas aisé de monter à bord.

Mais sans se décourager, Morgal pousse sur l'accélérateur et esquive les machines ennemies ainsi que les tirs incessants. Je manque de vomir à plusieurs reprises à cause des loopings et des piquées brutales de l'elfe mais je tiens bon. Lorsque nous atteignons enfin notre destination, je m'apprête à détacher mon harnais pour sauter dans la navette mais Morgal stoppe brusquement son engin. Si Lanov et Poulpinet sont derrière nous, le vaisseau d'Ambar est en chute libre, lui-même probablement blessé.

— Merde... murmure mon conducteur.

Faites des enfants, qu'ils disaient...

Après avoir pris sa respiration, Morgal fait plonger le vaisseau en direction de celui du prince. Heureusement que l'attache me retient à mon siège, sinon je me serais déjà envolé. Nous rejoignons notre cible alors que le sol se rapproche dangereusement.

— Ambar ! Attrape ma main !

Le jeune astre tend le bras sans parvenir à saisir les doigts de l'elfe. En attendant, la chute libre continue.

— Binou, prends les commandes, je saute !

Hein ?! J'attrape les manettes et les pédales après que mon maître se soit débarrassé d'une partie de son harnais. Seulement retenu par un élastique à la solidité discutable, il s'élance dans le vide.

C'est du suicide !

Mais contre toute-attente, il attrape le prince par le bras. Aussitôt, mon vaisseau prend immédiatement un virage non voulu, dû au poids des deux hommes. Avec peine, je le redresse et appui sur à peu près toutes les pédales et boutons pour reprendre de l'altitude.

Malheureusement, les deux acrobates ne sont plus protégés par le bouclier et aussi vulnérables qu'un insecte pris dans une toile.

Les astres de Lombal ne tardent pas à les repérer et en faire leur cible. Ça va saigner. Sauf si je parviens à éviter le carnage. Une idée me traverse l'esprit : je fonce droit vers les lignes ennemies : là au moins, ils ne pourront pas tirer sans se canarder eux-mêmes.

Je serre la mâchoire, misant tout sur la chance. Heureusement, la navette de nos alliés nous rejoint et maintient sa position sous nous. Le toit carapaçonné s'ouvre pour laisser un accès à Ambar et Morgal. Sans plus réfléchir, ils sautent après que mon maître ait sectionné l'élastique. À mon tour, j'abandonne mon harnais et quitte mon vaisseau, l'envoyant par la même occasion s'encastrer dans un engin adverse.

J'accuse violemment le coup en m'écrasant sur le sol lisse. Le toit se referme immédiatement alors que Silovan cherche à nous sortir de là : nous sommes encerclés et les murs de notre coquille ne vont plus tenir longtemps. Djoïk et Jenar, munis des gatlings, tentent d'infliger le plus de dégâts possibles mais ce n'est pas suffisant face au nombre toujours croissant d'opposants.

— Silovan ! crie Morgal, prenez de l'altitude ! Il faut sortir de la zone anti-magie !

Le redressement est trop brutal, je glisse et me prends le mur.

— Qu'est-ce que vous prévoyez ? demande Nim à mon maître.

— Une téléportation, souffle-t-il pour que personne n'entende, sans téléportation, nous n'avons aucune chance.

— Vous ne réussirez pas, Morgal : vous vous êtes fait tirer dessus !

Je regarde l'Empereur et remarque qu'une flaque de sang se répand toujours plus sous lui.

— Nous n'avons pas le choix, murmure-t-il, il faut essayer.

— Plus que cinquante secondes ! hurle Silovan depuis les commandes.

— C'est trop long...

Les secondes les plus longues de ma vie, probablement. Elles s'égrènent alors que notre navette explose de toute part.

Morgal se glisse vers un endroit reculé du vaisseau, de manière à ce qu'il ne soit pas remarqué, et commence à psalmodier ses incantations. Ses yeux virent au rouge et des larmes de sang dégoulinent sur ses joues. S'il échoue, nous mourrons tous.

— Dix secondes ! continue Silovan dans son décompte.

Allez, Momo, tu peux le faire, tu peux nous sortir de là.

— Trois secondes !

Cette fois-ci, mon maître se redresse malgré son état et écarte brusquement les bras ; sa voix emplit tout le vaisseau et tonne comme l'orage. Une fumée noire s'échappe de lui alors qu'un autre esprit semble le posséder. De ses doigts sortent des éclairs rouges qui nous foudroient tous sans exception.

L'obscurité emplit alors ma vision et tout son s'estompe à mes oreilles.

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