Chapitre 26
Me voilà enfin dans la salle de « vidéosurveillance ». Les trois astres sont ligotés dans un coin, assommés et bâillonnés. Ça aurait été préférable qu'ils m'expliquent tout ce boxon avant parce que je suis perdu... Alors... Je crois que si je mets la main là, ça va sélectionner ce que je cherche. Une petite décharge me fait sursauter et immédiatement, la taverne apparait sur les écrans. Incroyable : tout ce système est relié directement à mon cerveau.
Je regarde quelques instants le tableau de bord et enfile un engin bizarre sur ma tête et mes oreilles ; c'est ce que ces imbéciles portaient avant que je ne les attaque. Ça ressemble à un casque avec une visière transparente et plein de petits boutons accompagnés de fils.
Bien ! Je m'assois sur un siège confortable et regarde les écrans qui retranscrivent en direct l'activité de la taverne. Ils recouvrent tout un mur de la petite pièce carrée. Franchement, faut pas être claustrophobe. Seule une petite fenêtre dans le toit apporte une source de lumière. Après, c'est mieux pour le visionnage, probablement.
Je me concentre un court instant et clique par inadvertance sur un large bouton, situé sous mon coude. Zut ! À ce moment, tout s'efface autour de moi et je me retrouve plongé dans la taverne, parmi les soldats.
Nom d'une jarretière d'escalope ! Je me suis téléporté ?!
Je remarque rapidement qu'il m'est impossible de toucher mon nouvel environnement et que les astres me passent au travers sans même remarquer ma présence. D'accord, je suis devenu une sorte d'esprit technologique.
C'est plutôt pratique en fin de compte ! Alors, où est Momo, qu'on rigole un peu.
Ah, je l'aperçois, derrière le comptoir à nettoyer les surfaces. Finalement je suis plutôt fier de moi ; il passe vraiment inaperçu dans la taverne. Pour tout dire : ça ressemble à s'y méprendre à l'Île des Sirènes sauf que là, la plupart des domestiques sont des hommes en petite tenue.
Morgal reste muet, concentré sur son travail. Mais je remarque qu'il analyse avec minutie, les moindres recoins de la pièce, les entrées, les sorties, les hommes armés, les caméras et aussi l'attitude de ses nouveaux collègues, sans doute pour pouvoir les imiter par la suite. Parce que je suis prêt à parier qu'il n'a jamais tenu un tel rôle dans sa vie. J'imagine qu'il ne racontera pas cet épisode au reste du groupe et encore moins à Luinil. Bah ! Je m'en chargerai, héhé.
Tiens, voilà un gros astre baraqué qui le rejoint de l'autre côté du bar. Il échange quelques mots avec lui et le charge d'un plateau. Probablement le mac.
Mon maître se pince les lèvres et s'exécute. Il est si heureux, ça se voit sur son visage !
Pendant qu'il longe les tables, j'observe à mon tour l'habitacle : sans fenêtres, la pièce est éclairée au moyen de lanternes rouges qui renvoient une ambiance tamisée sur les buveurs et les joueurs. Je distingue plusieurs niveaux : le premier avec le bar, les tables à boire et de jeux. Ensuite, une mezzanine avec des petites pièces qui se suivent, toutes fermées par des rideaux. Je ne veux pas savoir ce qu'il se passe là-bas. Et entre les deux, un espace pour les fumeurs d'opium.
Le plafond peint est soutenu par une armada de poutres bien larges où figures diverses annonces.
J'avoue que toute cette atmosphère me met très mal à l'aise. Enfin, sûrement moins que Morgal. Ceci dit, je constate que contrairement aux autres serveurs, aucun soldat ou client ne le touche, même s'il récolte une bonne dose de regards insistants. Je pense savoir pourquoi : se payer un elfe, dans la plupart des bordels, c'est presqu'impossible. Ils sont toujours hors de prix. Alors, à moins d'être un ministre ou un prince, c'est compliqué de se permettre ce genre d'écart.
Et ce n'est pas Morgal qui va s'en plaindre ! Déjà, se faire draguer par des femmes, il n'aimait pas, alors par des hommes...
Je vois brusquement son regard se figer dans un endroit précis de la pièce. Je le suis et tombe sur un homme au teint légèrement basané, à la carrure présente et à la tenue pour le moins caractéristique : ha ! voici notre général, jouant comme prévu aux jeux. De là où je suis, je distingue bien sa face : il est rasé sur les tempes, la clope au bec et adopte une attitude à la fois sereine et combattive. J'ignore qui se trouve en face, peut-être un adversaire en mauvaise posture car notre homme semble pour le moins être un ennemi de taille.
Bon, maintenant, quel va être le plan de Morgal ? Il scrute toujours sa cible, accoudé au bar, et le tracé noir autour de ses yeux l'assimile directement à un rapace, prêt à fondre sur sa proie. C'est sûr qu'on a à faire à un maître du mensonge et de la tromperie donc, je parierai sur lui mais dans la situation actuelle, il peut refuser d'aller jusqu'au bout de son personnage, chose qu'il ne faisait jamais par le passé.
Finalement, le général croise son regard, envouté par cette aura unique qui se dégage des iris turquoise. L'elfe esquisse un sourire provocateur avant de se redresser et rejoindre l'astre.
Je lui emboite le pas, à la fois curieux et tendu par la scène qui va se dérouler. Je ne sais pas si je dois rire ou me crisper de gêne, c'est terrible. Mais Momo semble au goût du général apparemment. Je suis scotché par son aisance à se déplacer ainsi : sérieusement, on dirait qu'il a fait gigolo tout sa vie. C'est très... Perturbant. Pas une seule once d'hésitation, direct, il rejoint la cible et s'assit sur la banquette, contre lui. Il prend même l'initiative de poser ses pieds sur la table de jeu et de passer un bras sur l'épaule du général. Ah bah... Ce dernier semble apprécier contrairement à son adversaire en face qui...
D'accords...
Je viens de retrouver Arquen, je crois. Et je crois aussi qu'il n'était pas prêt psychologiquement à saisir l'image que lui renvoie sa rétine. Deux options s'imposent à lui : ou bien son meilleur ami, désormais ennemi, a trouvé une reconversion pour le moins étonnante, ou bien il fomente un nouveau complot. Inutile de spéculer : Arquen n'a jamais été dupe. Sauf pour Luinil mais ça c'est une autre histoire.
— Alors l'ami, ajoute le général, tu ne suis pas ?
— Si bien sûr.
Morgal jette un regard glacial à l'hybride avant de reporter son attention sur l'astre. Il fait mine de s'intéresser au jeu et chuchote quelques conseils à sa cible. Pas de bol pour le demi-dieu, ils jouent aux dames de sang, un célèbre jeu de cartes dans la dimension pour la haute société. Et je peux être témoin que durant les parties, Morgal l'emportait toujours sur son ami.
— Tu ne vas pas te laisser influencer, Baral, insinue Arquen, toujours très perturbé, il a vu mon jeu en arrivant.
— C'est une pétasse, assure le chef militaire, il ne comprend pas vraiment les enjeux de la partie.
Tu parles ! Momo sait pertinemment comment couler l'hybride. Ses stratégies ont toujours été implacables ! Et il se permet même de rire devant l'échec certain de l'adversaire. D'ailleurs, il en profite pour vider le verre de son voisin.
De son côté, je sens Arquen bouillir. Les souvenirs de leur séparation reviennent par vagues dans sa mémoire et rouvrent probablement des blessures trop mal cicatrisées.
— Laissez-moi vous conseiller, murmure Morgal à l'oreille de Baral, ce serait dommage de perdre toute cette fortune alors que vous pourriez la dépenser de manière plus... plaisante.
Malaise bonjour. Le « feu » meilleur ami se retient d'égorger l'opportun mais se contient par miracle.
— Soit, accepte le général, mais ne te trompe pas : j'ai assez de pouvoir politique pour t'exécuter, le fait que tu sois une propriété du royaume ne change rien.
Morgal hoche la tête dans un sourire charmeur tout en glissant ses mains dans le cliquetis de ses chaines.
La partie continue donc dans l'ambiance la plus tendue. Le stress monte désagréablement en moi, surtout quand le dernier tour, décisif, survient.
Les deux participants retournent les cartes dans un calme qui traduit trop mal leur tourment intérieur. La dopamine est à son paroxysme, mes aïeux !
Dommage pour l'hybride, l'astre remporte, héhé. Et Morgal n'est pas étranger à cette victoire éphémère.
— Je vais lui péter les dents, grogne Arquen à l'égard de l'elfe.
Compréhensible : il vient de perdre cinquante mille écus, ce n'est pas rien. Parier, c'est dangereux, les enfants.
Satisfait, Baral se lève et invite mon maître à le suivre :
— Viens avec moi l'elfe, ton audace me plait.
— Ce n'est pas mon audace que vous retiendrez, général, du moins, pas si vous continuez la soirée à mes côtés.
L'astre glousse devant la témérité de l'elfe et accepte son invitation sans hésiter. Bah c'est clair qu'il n'a jamais fourré une paire d'oreilles pointues. Et ça m'étonnerait qu'il y parvienne ce soir, d'ailleurs.
Quant à Arquen, je le laisse à son humeur massacrante ; je suis curieux de connaitre la raison du pourquoi du comment il est là, mais la situation ne s'y prête pas. J'emboite donc le pas au couple qui apparemment crée des envieux sur leur passage. Je ne comprendrai jamais le fantasme qui consiste à forniquer avec un elfe... Le nombre de légendes urbaines qui courent sur le sujet...
Baral entraine son futur partenaire avec autorité, ce que Morgal accepte avec un sourire trompeur. Alala, je sens qu'au fond de lui il souffre, le Momo. Surtout qu'il s'est bien humilié comme il fallait devant Arquen. Bref.
Je pénètre alors dans une vaste salle où le vice est roi. Je connais bien les « bars de danse », j'en croisais sur l'Île des Sirènes. Le concept est assez marrant : en gros, il s'agit de danser sur de longues tables assez élevées et à chaque minute, on vide un shot et on recommence, le but étant de rester le plus longtemps debout, bien évidemment. En général, si on tombe, on se prend un gage ou alors on retire ses vêtements progressivement. Bref, bien souvent, ça part en orgie et les joueurs s'envoient en l'air sur les tables avant la fin de la partie. Je doute que Morgal accepte ce genre de challenge mais on verra bien.
Surtout que c'est déjà un vrai bordel au sol. Je suis content de ne pas être réellement présent : ça m'évite de marcher dans le vomi et dans d'autres substances douteuses.
Cependant, les tables sont pleines à craquer de danseurs. Ici, elles forment presque des véritables pistes. Jamais on ne verrait un général elfe dans ce genre d'endroits mais chez les astres, c'est chose courante.
Comme prévu, les deux autres rejoignent le groupe au rythme d'une musique très entrainante. Ah bah ça change des quadrilles !
Mais je suis sidéré par Morgal : il danse vachement bien, ma parole ! Où a-t-il appris ce genre de chorégraphies ultra complexes ? Honnêtement, tous ses mouvements sont coordonnés, rapides, harmonieux et cadencés. C'est même lui qui s'en sort le mieux, impossible de penser que c'est un prince elfe qui débarque. Ça me donne aussi envie de danser, tout cette émulation...
Par contre, Baral se rapproche davantage de mon maître et je vois ce dernier se mordre la joue, fatigué de devoir jouer un tel rôle.
Bah ouais, ce genre de pratiques, mon coco, tu les punissais par la corde en Calca. Je crois même n'avoir jamais croisé d'homophobe pire que toi, haha. La situation est cocasse.
À ce propos, l'astre commence à se montrer plutôt entreprenant par une gestuelle plus que suggérée. Morgal lutte pour ne pas se crisper et continuer à faire bonne figure. Je ne sais pas pourquoi mais je sens qu'il va m'en vouloir pendant un petit bout de temps avec cette histoire. Parce que c'est pas comme si le général se frottait le bassin contre ses fesses tout en lui murmurant des paroles sales à l'oreille. J'admets que je n'échangerai sa place pour rien au monde.
N'en pouvant plus, mon maître fait comprendre à Baral qu'il ne veut pas s'attarder ici. Le chef militaire accepte sans regret, sûrement pressé de conclure. Ils descendent des tables et partent dans une direction inconnue, probablement les appartements du général. C'est là que les choses vont se jouer.
Comment obtenir le passe-droit ? J'ai ma petite idée là-dessus.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top