Chapitre 23

De mon hublot, je distingue les côtes du Levant se rapprocher. Les immenses falaises de Calcaire se dressent comme une barrière infranchissable face à notre passage.

Je descends de ma couchette et trottine jusqu'à la salle des commandes : là, Nim et Jenar s'appliquent à diriger la navette devant un immense écran mobile. Je reste dubitatif quelques instants devant leur fauteuil en suspension. D'autres membres de l'équipage discutent dans la pièce de séjour qui jouxte celle des commandes.

— D'ici quelques minutes, assure l'épéiste de la reine, nous entrerons dans une zone anti-valique. Il faudra poser le vaisseau.

C'est pas trop tôt ! Autant dire que depuis une semaine, je me sens brinqueballé dans cette boite volante ! Impossible de fermer l'œil quand je sais que nous sommes à plusieurs centaines de mètres au-dessus d'une mer agitée. Bon... et j'avoue que la présence de Grundar à quelques pas de moi pendant les trois-quarts du temps ne me rassure pas non plus des masses.

— Eh le gnome ! hèle-t-il depuis son siège, apporte-moi de quoi boire !

— Va te faire foutre, gros lard !

Peu satisfait de ma réponse, il se lève d'un bond et fond sur moi, tel un rapace. Voir une telle masse de chair s'abattre sur ma petite personne me fige de terreur. Sa grosse main calleuse et putride se referme comme un étau sur mon cou et il ne lui en faut pas plus pour me soulever. Argh ! J'aurais encore dû éviter de le provoquer.

— Cette fois-ci, le microbe, je te pulvérise...

— Glurgh...

Aux commandes, Nim et Jenar soufflent de lassitude. Ce n'est pas la première fois que la situation dégénère, ces derniers jours. Et souvent, je suis au cœur du conflit.

— Repose mon gnome, ordonne Morgal encore dans l'embrasure de la porte.

Comme pour consolider cette demande, Silovan toise le Crapaud tout en croisant les bras sur ses pecs.

— Très bien, très bien, concède-t-il en me lâchant.

Je reprends une grande goulée d'air en atterrissant sur les fesses. Merci Momo ! Par contre, Grundar est remonté à son encontre. Il le rejoint d'un bon pas, bedaine en avant :

— J'aimerai juste mettre les choses au clair avec toi, l'elfe : t'as pas d'ordre à me donner. Surtout qu'ici t'es personne, compris. Sans l'intérêt que Luinil te porte, t'as plus aucune importance.

S'il s'avait qu'il s'adressait à l'Empereur...

— Du calme, gronde Nim en voyant la querelle poindre.

Ils ne veulent pas arrêter de se prendre le bec dans un endroit si étroit !? On est tous confiné dans ce vaisseau et avec les plafonds bas et les pièces exiguës, tout prend des proportions disproportionnées. Chacun n'en peut plus de supporter son voisin. Et si depuis le début du séjour, Morgal passe inaperçu, muré dans son silence, là, je crains qu'il ne pète les plombs.

— Tu ferais mieux de la fermer, pour une fois, murmure mon maître à l'égard de l'astre.

Silovan se pince les lèvres pour retenir un sourire : ce grand gamin est enchanté par l'arrivée d'un peu d'action dans ce voyage morne. S'il peut placer une droite dans l'affaire, il ne s'en sortira que mieux !

À part ça, tout le monde se tend dans la pièce à vivre du vaisseau. Djoïk met l'arme au poing, prêt à intervenir en cas de dérapage, le scientifique Laïdjha est resté assis à sa table et regarde la scène avec inertie alors que les deux pilotes secouent la tête de désespoir.

— Tu sais quoi, riposte Grundar, je ne comprends même pas pourquoi tu ne pends pas encore au bout d'une corde ! C'est ta faute si le prince risque de crever d'une minute à l'autre !

— Ce n'est pas toi qui prends les décisions, ricane Momo, et heureusement.

— Ouais, sinon tu serais déjà dans un fossé avec les tripes à l'air et ton gnome, je le ferai faire le tapin pour mes hommes, ça sera amusant tiens !

Merci mais non.

— Vaste programme...

— Merde ! s'emporte le garde royal, est-ce que je suis le seul ici à en avoir ma claque de cet elfe qui gangrène Arminassë depuis quinze ans ?!

— Ah bah ça... murmure Nim.

— On a tendance à oublier qu'il a empoisonné Luinil durant l'Ambassade ! Comme si on pouvait faire confiance à un Fëalocen !

— T'as un problème avec ma famille ? grince l'autre.

Grundar s'approche davantage de mon maître et lui impose sa face malodorante :

— Écoute, le farfadet, on va rire : comment veux-tu que je te respecte alors qu'on sait que toi et tes frères n'êtes là que parce que ton père a fourré ta putain de mère sans son consentement, haha.

Morgal ne riposte pas ; il se contente d'hausser les sourcils. Après tout, ce n'est pas la première fois que ce genre de ragots peu élogieux l'éclabousse. Mais quoiqu'il en soit, Grundar vient de signer son arrêt de mort. La famille en Calca, c'est sacré...

Un sourire effleure ses lèvres :

— Mais tu vas me respecter, mon cher Grundar. Si je suis toujours à la cour de Luinil malgré mon passif, c'est qu'il doit bien y avoir une raison, non ?

Grundar fronce les sourcils : il n'a pas compris et solliciter ainsi ses pauvres neurones le paralyse.

— Mmh ! s'interpose Jenar pour briser le malaise, nous arrivons dans une heure. Si vous pouvez préparer vos affaires.

Pfiou ! On a évité le massacre de peu. Je me dérobe subrepticement au regard haineux du Crapaud et rejoins ma cabine pour annoncer la nouvelle.

D'ici quelques instants, la totalité des astres sur le vaisseau perdra l'utilisation de son Vala. Mais celui qui en pâtira le plus sera Morgal. Luinil a totalement perdu l'esprit : envoyer l'Empereur au Levant sur un coup de tête ! S'il nous claque dans les mains, on va se retrouver bien ! Tout le Chœur s'effondrera et les races d'Onyx disparaitront par la même occasion. Arnil n'aura qu'à déployer ses armées et toute sa technologie pour anéantir les autres royaumes magiques de la Dimension.



Enfin, la lourde porte s'abaisse en office de passerelle. L'atterrissage fut plus aisé que prévu. Poulpinet m'a expliqué qu'à cause des radars – je n'ai pas la moindre idée de quoi il s'agit – la navette ne pouvait pas continuer plus loin sans se faire repérer. Heureusement, des montures nous seront fournies au détour d'un sympathique petit village humain.

Pour l'instant nous camouflons l'engin sous d'épaisses feuilles palmées qui jonchent le sol. Leur couleur vert tendre inspire une certaine atmosphère relaxante. Même les cris des oiseaux et des singes se font discrets.

La forêt dense s'étend ainsi sur des milliers d'hectares. Heureusement, nous en sommes déjà aux confins. Par contre, le dénivelé est plus que présent ! De ma petite taille, je distingue entre les feuillages les pics escarpées d'imposantes colonnes de quartz, recouvertes d'arbres et de buissons.

— Étranges montagnes ! fis-je remarquer à Clark alors que ce dernier achève sa sixième collation.

— C'est l'érosion après la réunification des dimensions qui a provoqué ça, assure Poulpinet.

Cette forêt de dents rocheuses me met en garde contre d'éventuelles embuscades.

— Où est Morgal ? grogne Nim en cherchant ce dernier du regard.

— Là, répond le concerné.

— Pas la peine de passer inaperçu aux yeux même de l'équipe !

— Je suis un elfe à moitié sylvestre ; je ne peux pas m'empêcher de disparaitre dans une forêt.

Nim soupire : il voudrait ligoter mon maître dans la navette le temps de finir la mission mais il sait que le psychopathe nous sera utile. De plus, séquestrer l'Empereur ne relève pas d'une grande intelligence.

— C'est ça, crache Grundar, va chasser les libellules dans les arbres plutôt que de nous emmerder.

— Grundar ! s'écrie Nim, cessez de parler !

Ouais, tout le monde en a sa claque de ses revendications puériles.

— En attendant, ajoute Silovan d'un ton calme, je sens ma magie se tarir.

— La mienne aussi, certifie Jenar.

Djoïk hoche la tête pour rejoindre leur affirmation.

— Si vous avez des soucis d'adaptation, intervient Laïdjha de sa voie de mollusque, venez me voir.

Je grimace toujours quand je jette un œil sur son apparence de limace transpirante. Il n'a rien pour lui, ce pauvre scientifique. Seul Silovan semble le supporter. Bon, Silovan aime tout le monde, même Morgal. Et je serai presque tenté de dire que Momo l'apprécie puisqu'il est le seul avec qui il parle.

— Moi je ne vois pas de changements, assure Tiny.

— Normal, assuré-je, nous n'avons pas de Vala, nous les gnomes.

Par contre, le sort de dissimulation s'estompe sur Poulpinet. Ses cheveux s'éclaircissent et sa peau se grise dangereusement.

Je crois que Nim n'est même pas étonné de découvrir qu'un gnome d'Onyx s'est infiltré dans la mission. Quelle différence avec moi qui suis le propre gnome de l'Empereur ? Après tout, le Chœur et Arminassë sont sensée marchés main dans la main.

J'allonge le pas pour rejoindre l'astre et lui demande :

— Pourquoi passer nécessairement par la Bastillon ?

Il me regarde d'abord la bouche pincée et la mâchoire serrée : je n'ai pas augmenté dans son estime apparemment...

— Parce que c'est là que nous trouverons le général responsable des prisons du royaume de Lombal, concède-t-il à répondre.

— Et ?

— Il est le seul à pouvoir nous laisser un passe-droit jusqu'à la cellule du prince.

— Mais il n'acceptera jamais !

— Pour ça, je compte bien sur la fourberie de ton maître pour trouver une solution.

Ah bah ! S'il n'y a même pas de plan de prévu...

Je quitte Nim et rejoins le groupe des gnomes. Nous continuons à descendre jusqu'à longer un torrent bruyant. Tiny et Püpe insistent pour se laver mais nous ne pouvons pas nous permettre de prendre du retard par rapport au reste du groupe.

Le pauvre Clark croule sous le poids de son sac et de ses casseroles mais flemme de lui proposer mon aide. Ma musette me pèse déjà bien assez : mine de rien, un kit de torture, ça vaut son poids. Et les bouteilles de whisky aussi d'ailleurs. J'imagine que Morgal a dû prévoir des pochettes de sang parce que sinon, on devra sacrifier des membres du groupe au cours de la mission.

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