Chapitre 2

Je me réveille aux premiers rayons du soleil. Comme je n'ai pas été contacté pour un quelconque contrat, je suis en vacances. Haha, non, je suis au chômage.

Tant mieux ! Je vais pouvoir recevoir Ventre-sur-Pattes.

Je saute du lit, range rapidement la pièce et m'habille avec de nouveaux vêtements : il faut faire honneur aux invités. Hop, je pousse les cadavres de bouteilles sous le lit et regarde mon reflet dans le miroir fendu pour remettre en place mes mèches noires.

La porte vibre sous quelques coups. Parfait, il est en avance. Je m'approche et ouvre la porte avec entrain :

— Bonjour Cla...

Non d'un vampire hémophile ! Qu'est-ce qu'il lui est arrivé ?!

Non seulement il a dû perdre vingt-cinq kilos mais en plus sa peau est... grise ? Et ses cheveux blancs ?

Stop ! Ce n'est pas Clark...

— Salut ! lance-t-il en écartant les bras, content de te voir !

Je reste sur le pas de ma porte avec des yeux gros comme des soucoupes.

— Tu permets, je rentre : il pleut dehors.

Il s'aventure dans ma maison d'un pas sûr et pose son sac au sol. Après avoir effectué un petit tour sur lui-même, l'intrus déclare innocemment :

— C'est mignon...

Non mais ! De quoi il se mêle ? J'aime pas être dérangé le matin par des touristes en quête de curiosité déplacée.

— T'es qui ?

— Au oui, j'ai oublié de me présenter.

— C'est quand même la base, grommelé-je en croisant les bras d'impatience.

— Je m'appelle Poulpinet !

— Et que fais-tu chez moi, Poulpinet ?

— Et si tu me donnais de quoi boire avant que je te raconte tout ?

— Mmmh...

Je sors les restes de bouteilles et lui verse un verre. Il m'agace avec son air intempestif. Et en plus il tient à vider mes réserves ! Heureusement que je suis un gnome plein d'attention et de délicatesse...

— Au fait, il est arrivé quoi à ta peau et à tes cheveux ?

— Rien pourquoi ?

— Ta peau est délavée et tes cheveux n'ont plus de couleurs...

— Ah mais c'est normal ; je suis un gnome d'Onyx.

— Hein ?

Jamais entendu parler de cette race. Je le regarde attentivement et décèle un uniforme militaire noir ainsi qu'une épée adaptée à sa taille.

— Si je suis là, explique-t-il d'un air formel, c'est à cause de notre maître. Il veut que tu le rejoignes.

— Mais je n'ai pas de maître. Je suis un gnome libre...

Je n'ai pas le temps de finir qu'il me saisit le poignet. Aussitôt, une douleur lancinante se propage sur la peau. Je pousse un cri de panique et tire brusquement ma manche : un étrange tatouage apparaît, lourd de souvenirs.

— Non, non, c'est pas vrai !!

Je frotte mon bras mais rien n'y fait : je suis bel et bien marqué ! Le même tatouage orne mon poignet. Qu'est-ce que c'est que ces conneries ! J'attrape un chiffon, verse de l'alcool fort dessus et frotte énergiquement, comme pour retirer le dessin.

— Fait pas cette tête, j'ai le même.

— Mais non, tu ne comprends pas !

Un flot d'émotions contradictoires me submerge. Je suis perdu. Qui est ce foutu gnome et que me veut son maître ? Enfin, « notre maître » ? Je ne tiens pas à retomber dans l'esclavage, moi.

Surtout que le marque ressemble un peu trop à celle du prince Fëalocen. Mais ce dernier purge sa peine dans les prisons divines ou dans les limbes. Impossible que ce soit lui... Mais alors qui ?

— Tu fais une drôle de tête...

— Évidemment ! Je ne veux pas perdre ma liberté !

— Tant pis, tu n'as plus le choix. L'Empereur te demande.

— Le quoi ?

Je ne comprends plus rien. C'est vrai que ces dernières décennies, le cours des royaumes a été bouleversé par la réunification des dimensions mais je n'ai absolument pas suivi ces problèmes géopolitiques.

En face de moi, Poulpinet soupire. Décidant de ne pas y aller par quatre chemins, il étale une carte sur ma table et ajoute :

— Regarde Binou : nous, on est là, à l'Ouest. Au Nord, Eressë N'Dor et au Sud, Fanyarë. De l'autre côté de la mer d'Encre, les terres humaines du Levant, de Lercemen et d'Olorë. Et là, sur l'île, au centre de l'océan, c'est le Chœur.

— Le Chœur, sérieusement ?

Je n'ai pas vraiment envie d'écouter son exposé, mais si ça peut me retirer cette maudite marque.

— Oui. C'est le centre décisionnel de tous les royaumes soumis à l'Empereur et crois-moi, ça fait beaucoup de plates-bandes.

— D'accord. Et le reste des royaumes ?

— Sous l'influence de Lombal. Cette seconde puissance, astrale, se confronte continuellement à la première. Ceci-dit, c'est aussi des règlements de comptes personnels.

— Et ton maître dans tout ça ? Pourquoi il me demande ?

— Je sais pas, il m'a dit qu'il voulait te revoir.

— Me...

Je déglutis : il s'agit bien du psychopathe ! C'est un cauchemar ! Oui, c'est impossible. Je l'ai vu se faire ravager la face par un ange. Et je ne parle même pas de mon implication dans sa chute ! Il va me détruire... Je finirai dans son assiette à mariner entre trois patates et un bouquet de persil.

— Et c'est non négociable, bien sûr !

— Je m'en doute...

— Alors c'est parfait ! Tu fais tes bagages et on y va !

— Hein ?

— Il ne m'a pas prévenu que tu étais sourd, par contre.

— Non mais j'attends un ami !

C'est d'ailleurs à ce moment de crise que Clark se manifeste. Il nous regarde, les sourcils haussés, un sandwich à la main. Son manteau dégouline de pluie et ses cheveux roux trempés lui donne un air de chien battu.

— Explique à mon ami ce que tu viens de me dire...

Oui, j'ai le cerveau en vrac et je ne tiens pas à me perdre dans des explications interminables avec Ventre-sur-Pattes. Poulpinet hausse les épaules et commence sa tâche dans le plus grand calme. Clark est entré pour se sécher mais ne comprend pas grand-chose à ces mots.

Cependant, il écoute attentivement, arrachant de temps à autre un morceau de sa septième collation. À cette heure-là, c'est forcément la septième ou la huitième.

Perdant patience, j'interpelle mon ami :

— Franchement, Clark, qu'est-ce que je fais ?!

— T'as pas le choix, conclut-il simplement, t'es le gnome du prince Morgal. Tu dois lui obéir.

— Mais il va me tuer !

— Il l'aurait déjà fait avant.

— Peut-être qu'il tient d'abord à me torturer. Il en serait capable.

— À ce que je sache, intervient Poulpinet, je ne l'ai jamais vu maltraiter un de ses propres hommes. Par contre avec les astres de Lombal...

— Heureux de savoir qu'il est toujours aussi instable psychologiquement... Et attends, il est empereur ? Morgal est devenu une saloperie d'empereur ?! Mais...

Je commence à rire, ce n'est pas possible... Comment a-t-il pu en arriver à un tel stade de puissance ? Comment ce détraqué à la violence exacerbée a-t-il pu se sacrer au-dessus de toutes les institutions ?

Un mal de crâne terrible pointe sourdement entre mes tempes. Encore une fois ma vie bascule. Et Clark a raison : je n'ai pas le choix. De plus, je dois avouer que je n'ai pas de futur à l'Atari. Alors quitte à commencer une nouvelle aventure...

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