Chapitre 19

Encore une fois, une communauté de nains s'est passée le mot pour confondre mon crâne avec une enclume. Je gémis de plus belle mais mes maux de ventre semblent apaisés. Je lève la tête pour inspecter mon entourage : une vieille cellule où croupit une eau nauséabonde. Divers ustensiles sont accrochés aux murs poussiéreux mais à part ça, aucun meuble. À même la terre battue, ma chaise s'enracine dans le sol. Mes chevilles sont attachées aux deux pieds avant alors que mes poignets s'immobilisent derrière le dossier. Je gigote sur mon siège mais en vain : je suis prisonnier. Mon imagination galopante me dévoile déjà des scénarios où ma peau cèderait sous la maladie et que mes tripes dégorgeraient en bouillies à mes pieds. Je tire une nouvelle fois sur mes chaines mais ne fait que provoquer des lésions sur ma peau. Me voilà piégé comme un rat.

Dans des grommellements d'irritation, je gesticule encore et encore, comme un beau diable. Épuisé, j'abandonne et me concentre un court instant.

Je suis détenu dans une cellule de torture... Un rire nait dans ma gorge face à l'ironie du sort. Moi, me faire torturer ? C'est le monde à l'envers !

Des pas légers raisonnent dans le couloir adjacent et je me fige, prêt à découvrir mon geôlier. Ou plutôt ma geôlière : juchée sur des talons aiguilles, une gnome passe le cadran moisi de la porte, sa courte jupe évasée dévoilant ses longues jambes fines. Et devinez quoi ? Allez, je vous la donne dans le mille, ses cheveux sont rouges !

Pfiou, quel hasard ! Ma vie en devient si prévisible...

Elle s'avance vers moi, et croise les bras sur sa poitrine :

— La santé ?

— Au beau fixe !

— Je vois ça.

— Le rouge te va merveilleusement bien, Püpe.

Elle sourit avant de retirer sa perruque :

— Désolée de te décevoir.

Ah, ses belles boucles blondes m'avaient manqué.

— Envisages-tu de me délivrer ou alors de me laisser croupir dans cet endroit nauséabond ?

Comme réponse, je reçois une formidable paire de gifle. Et une troisième car jamais deux sans trois :

— C'est pour m'avoir traitée de salope, la nuit dernière, explique-t-elle calmement.

— Comment voulais-tu que je te reconnaisse !? J'étais ivre.

— Plutôt, oui. Ça ne t'a pas empêché de prononcer mon nom.

Oui, bah ça, c'est l'habitude...

— Pour répondre à ta question, Binou, je ne ferais ni l'un ni l'autre. Je vais simplement te torturer comme tu sais si bien le faire.

— Hein ?! Mais ça va pas bien !

— Je vais très bien.

— Et... Et que penseraient les enfants s'ils savaient ce que tu projettes de faire ?

— Me parle pas d'eux, tu m'entends ! s'énerve-t-elle, tu n'as jamais rempli ton rôle de père. Je suis sûre que tu ne sais même pas combien tu en as !

Je me pince les lèvres : elle a bigrement raison.

— Dix ?

— Treize.

J'en apprends tous les jours, haha...

— Et sinon, dis-je pour changer de sujet, tu m'expliques pourquoi j'ai attrapé la lèpre noire en fricotant avec toi ?! J'ai un mal de chien !

Püpe éclate de rire. Moi, je ne trouve pas ça amusant.

— Ce n'est pas la lèpre noire, Binou. Je t'ai simplement empoisonné.

— Simplement. Et volé mes flacons d'huile en plus d'avoir dérobé ma bourse.

— Je dirai plutôt vidé...

— Ça ne me fait pas rire Püpe ! Je ne comprends rien de ce que tu manigances et je voudrais les flacons et mon argent !

— Il s'énerve, le petit monsieur...

Rhaaaa, je vais la réduire en charpie, celle-là.

— Figure-toi que mon patron ignore notre relation. Je ne fais qu'obéir aux ordres.

— Ton patron ? Ne me dis pas que c'est cet abruti de Nim ?!

— Gagné ! Il désire savoir où est passé notre agent. Tu sais, celui de l'opéra.

— Haha, il est mort.

— Bon, au moins c'est dit. Et pour la turbine, où est-elle ?

— Dans ton cul, très chère.

Une nouvelle gifle me ramène à la bienséance. J'avais pourtant ajouté le « très chère ».

Elle agrippe le dossier de ses mains et plonge ses prunelles bleues dans les miennes :

— Un tel dispositif prend des années à se construire et le temps pour éradiquer l'autre chtarbé presse. Alors, où est-elle ?

Je lève les sourcils me préoccupant plus de la rondeur de ses lèvres que des mots qui en sortent. Je doute que l'embrasser me vienne en aide dans cette situation précaire. Après, faut qu'elle arrête de se vêtir ainsi, je n'arrive plus à décrocher le regard de son corsage trop serré. Alala, à chaque fois que je la croise, je m'enflamme, ça doit cesser. En plus, là, je suis attaché et elle, sensée me torturer. Mais déjà, mon cerveau s'emballe et me renvoie d'agréables souvenirs de la nuit.

— Tu es irrécupérable, Binou, marmonne-t-elle en devinant mon trouble.

— Mais ce n'est qu'avec toi que ça m'arrive.

— Mmh, tu ne t'es pas gêné pour prendre Tiny.

— Tu la connais ? demandé-je surpris sans lâcher le décolleté de la gnome.

— Elle fait partie de l'escadron d'espionnage, je te signale.

Ma mâchoire tombe devant cette révélation : cette petite peste me mène en bateau depuis le début !

— Dès qu'elle m'a raconté qu'elle avait rencontré un gnome du nom de Binou, continue-t-elle, j'ai su que tu étais là. Mais rassure-toi, Tiny t'apprécie et ne t'a porté aucun préjudice... à part me brosser quelques comptes rendus à ton sujet, de temps en temps.

— Passionnant...

— Sûrement moins que ce que tu mates.

Je rougis légèrement. Compliqué de converser avec une femme qui me connait par cœur.

— Tiens ! conclut-elle soudain, je sais comment te faire parler.

Heu... Interdit de me couper les roubignoles, hein ? Mais apparemment, elle n'attrape aucunes cisailles ou pinces. Me voilà soulagé.

— Bien ! On va tenter cette manière.

Elle profite que la chaise ne dispose pas d'accoudoirs pour s'asseoir à califourchon sur moi. Bah, écoute, fais-toi plaise, Püpe, tu as tout mon consentement. C'est bizarre mes maux de tête ou de ventre sont nettement moins prononcés, maintenant. Je dirais plutôt qu'ils ont été remplacés par une toute autre fièvre.

— Tu es sûre que tu ne désires pas me libérer ? Je serais bien plus coopératif.

Elle ne prend pas la peine de me répondre trop occupée à butiner mon cou de délicieux baisers. Par contre, je ne suis pas du tout enclin à ce genre de délire, moi. Libère-moi, s'il te plait...

— Cet uniforme est horrible, murmure-t-elle.

— Tu peux l'enlever, si tu veux, ricané-je.

Elle caresse la boucle de ma ceinture avant de glisser sa main, plus bas, sur le tissu un peu trop tendu. Elle en profite d'ailleurs pour soupeser le contenu et le malaxer dans ses longs doigts fins.

— Continue, murmuré-je en fermant les paupières.

— Je le fais si tu me dis où tu as caché la turbine.

J'ouvre brusquement les yeux : elle se moque de moi, ou quoi ?! C'est quoi ce moyen bidon pour obtenir des informations ?! On dirait les méthodes douteuses de Luinil. C'est super, je pourrais parler de mon expérience avec Morgal, après ça.

Elle hausse les sourcils devant mon silence et cette fois-ci introduit sa main dans mon caleçon pour m'exciter comme elle sait si bien le faire. Ma respiration s'accélère en même temps qu'un sourire jouissif se colle à mes lèvres. Ses seins s'écrasent à répétition contre mon torse et manquent de s'échapper de sa chemise trop ouverte. J'ai envie de la peloter, de réitérer mes prouesses de cette nuit mais à côté de ça, je reste attaché pendant que mon désir se décuple. Satisfaite de son numéro, Püpe retire son corsage pour mon plus grand plaisir : bah voilà, quand tu veux. Vêtue uniquement de ses escarpins, de ses bas et de sa culotte bien humide, elle me pousse à bout. Mais libère-moi, que diable ! Je déteste être dominé, ce n'est pas dans mon caractère d'ailleurs.

Brusquement, elle s'immobilise, un sourire en coin :

— La turbine.

— Petite diablesse...

— Évite de me provoquer à ce stade, Binou. Soit tu me renseignes, soit je te laisse en plan.

Je me pince les lèvres et lâche :

— Je m'en suis débarrassé.

— Oui ? Et où ?

— Retire moi mon caleçon et je te le dis, souris-je.

— Ce n'est pas comme ça que ça marche.

— Je doute que tu sois prête à me laisser, en fait.

— Je peux très bien calmer mon désir seule. Toi par contre, ça va être compliqué, attaché.

— C'est soit ça, soit je ne te dis rien.

— Bien.

Elle fait mine de se lever.

— Dans un des jardins, dis-je précipitamment.

— Mais encore...

— Je te jure que je te dis la suite après.

— Tu n'as qu'une parole, Binou...

Sur ce, elle m'embrasse langoureusement et baisse mon bas pour empoigner mon membre à pleine main et le caresser de plus en plus rapidement. J'aurais dû passer un accord avec elle pour qu'on se fasse ça tous les soirs... Sentir ses petits doigts pétrir mes bourses, c'est un vrai plaisir. Je bouge mon bassin pour l'encourager à me prendre, ce qu'elle fait en s'enfonçant jusqu'à la garde. Nos deux bassins remuent pendant quelques instants et nous jouissons à l'unisson.

— Libère-moi... haleté-je.

Ne pas empoigner sa charmante poitrine me frustre mais ne m'empêche pas de profiter pleinement du moment. Ce n'est que partie remise...

La cadence s'accélère et je cesse de me retenir. Ma tête bascule en arrière pendant mon orgasme et des râles s'échappent de mes lèvres teintées du rouge de Püpe.

Elle calme ses tressautements et redresse mon visage en face du sien pour obtenir une réponse. Elle ne perd pas le nord.

— Il se passe quoi ici ?

Nos deux têtes se tournent vers Gros-Crapaud, amusé de nous voir en plein ébat. Dites-moi qu'il n'a pas maté pendant tout le long, ça m'empêcherait de dormir pendant quelques nuits !

— Tu veux que je te donne un fouet, Püpe, ricane-t-il.

Gnégné, très drôle.

— J'obtiens des réponses, Grundar, assure Püpe, ma queue encore en elle.

— Tu t'amuses surtout vachement bien ! fait remarquer le batracien, tu me tortures quand tu veux, poulette.

Rien qu'imaginer ce vieux porc poser la main sur ma Püpe me dégoûte. Beurk. Lui, j'en ferais mon affaire.

La gnome se retire et me rafistole sommairement avant d'exiger des réponses.

— Bien ! assuré-je, la turbine est dans l'étang du jardin privé de la reine, autrement dit, rouillée à souhait avec le temps et hors d'état de fonctionnement ! Drôle n'est-ce pas ?

Mes deux geôliers blanchissent de rage :

— Il nous a baisés, grogne Grundar.

— Parle pour toi... murmure Püpe.

— Si madame veut bien me délivrer, je lui accorderai ma reconnaissance éternelle !

— Pars pas si vite, le gnome, j'ai promis de marquer une certaine partie de ton anatomie au fer rouge.

Je déglutis, peu enclin à me faire signer comme une vache.

— Mauvaise idée, rétorque Püpe, le prince Morgal tient beaucoup trop à lui.

— J'avais oublié cette pétasse...

D'où il traite mon maître de pétasse ? Il aurait pu trouver un catalogue d'insultes bien plus à propos !

— Bon, tant pis, cette crevure nous est inutile, termine-t-il, relâchons-le.

— C'est moi la crevure ?! m'indigné-je alors que Püpe me détache.

— T'en fais pas, le gnome, je te tiens à l'œil.

Je répète sa phrase en grimaçant, comme l'aurait fait un adolescent en crise, puis passe devant lui sans lui adresser un regard.

— C'est où, la sortie ? grogné-je.

Püpe m'empoigne le bras et me tire dans ce labyrinthe de galeries. Jamais contente, celle-là. Je lui ai pourtant donné des réponses. À ce propos...

— Où sont mes flacons d'huile ? lui demandé-je fermement.

— En lieux sûrs, certifie-t-elle.

Je m'arrête brusquement, ce qui manque de la renverser.

— Comment as-tu atterri ici, Püpe ?

— Tu n'es pas le seul à chercher un métier à ta mesure, Binou.

Je fronce les sourcils sans comprendre.

— Tu me connais, continue-t-elle, je suis folle. J'ai besoin d'extérioriser ce qu'il se passe dans ma tête. Alors dès que Lotsy a reçu son affectation, je suis partie.

— Lotsy ?

— Ta dernière fille.

Mon regard se fait fuyant ; je cherche dans ma mémoire ce nom mais il m'est totalement inconnu.

— Pas la peine de te triturer les méninges, ajoute la blonde, elle est née quelques mois après notre séparation. J'ignorais que j'étais une nouvelle fois enceinte et comme j'étais remontée contre toi, je ne t'ai pas prévenu.

— Je le prends moyennement bien...

— De toutes façons, tu serais incapable de retenir le visage de ta propre progéniture.

— Hey ! À qui la faute ? Dès que je rentrais à la maison, je ne recevais que des reproches de ta part !

— Évidement ! Tu partais pendant des mois, tu revenais à l'improviste, me faisais un gosse et repartais le lendemain.

Je soupire ; elle a raison mais je n'avais pas le choix, je devais gagner notre croute et de ce fait, ne les voyais jamais.

— Écoute, on aura cette conversation plus tard, souffle-t-elle, tiens, reprends la fiole de Morgal, même si les effets de l'empoisonnement sont presque passés. Et voici ton argent...

— D'accord... On se donne rendez-vous demain soir ?

Elle sourit et m'ébouriffe les cheveux :

— Pourquoi t'es toujours aussi mignon, ricane-t-elle, avec tes yeux chocolat, t'es à croquer.

— Tu étais prête à me tabasser, toute à l'heure, argué-je.

— Oui. Et j'ai toujours envie de te faire payer, sois en sûr. Même si ma vengeance s'est bien rassasiée avec ton empoisonnement !

— Y a intérêt, grommelé-je.

— On peut dire qu'on est quitte ?

— Mouais... J'ai pas encore pesé le pour et le contre.

— Peu importe, je sais que tu es follement amoureux de moi.

C'était pas difficile à deviner, ça ! Rien qu'à voir mon peu de maîtrise lorsqu'elle passe sous mon nez...

— Nous sommes dans le camp adverse, Püpe. Et on ne peut pas dire que nous ne confondons pas notre vie professionnelle de notre vie personnelle !

Les pas de Gros-Crapaud se rapprochent : mieux vaut qu'il ignore notre relation. Je dois partir. Püpe me conduit jusqu'à la sortie et me quitte après un dernier salut. Si je m'attendais à ce que cette journée se déroule ainsi, je serais sans doute resté sous l'oreiller !

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