Chapitre 14

Je trottine dans les couloirs bondés jusqu'à atteindre les appartements des domestiques. Les femmes résident dans cette aile, il me semble. Pourvu que Tiny soit là pour qu'elle puisse me donner du maquillage.

Je bifurque à un rond-point intérieur, orné d'une cascade de bronze, et me lance dans l'appartement des servantes. Bon, on va pas se mentir, je croise pas mal d'hommes aussi. Mais eux ne stationnent pas là pour quémander quelques outils à en juger leur tenue auprès de certaines domestiques. Je rencontre à la fois des astres, des gnomes et quelques lumbars pour les tâches musclées.

Enfin, je toque chez Tiny.

— Ouiiii ?

Parfait, elle est là. Je pousse la porte et la trouve dans un bazar monstre.

— Binou ! Quelle joie de te voir ! Quel bon vent t'amène ?

Je ne lui réponds pas, absorbé par le désordre de vêtements, de draps et d'objets divers qui ont transformé sa chambre en capharnaüm.

— Ça te démange, c'est ça ?

Je hausse un sourcil d'incompréhension vers elle avant de saisir la portée de ses mots.

— Non... Je ne suis pas là pour ça... Je voulais juste te demander un petit service.

— Tu es sûr que ça ne te manque pas trop ?

Elle jette un regard entendu vers mon entre-jambe.

— Tiny, à défaut de te décevoir, je ne suis pas un animal.

— Ah... Tu es plutôt sérieux en fin de compte. Moi qui te plaçais dans la catégorie garçons faciles.

— Formidable... Et sinon, pourquoi ce bazar ?

— Je cherche une tenue pour ce soir. Tu préfères celle-ci ou celle-là ?

— Hum... Ni l'une ni l'autre. Mais que se passe-t-il, ce soir ?

Elle abandonne ses deux horreurs vestimentaires et sautille vers moi :

— Mais bien sûr, tu es nouveau ! Chaque mois, nous récupérons les restes des banquets et des autres festins et tous les domestiques organisent la Grande Tournée. C'est très drôle, on boit à s'en percer le bide et on baise toute la nuit jusqu'à ne plus pouvoir marcher le lendemain.

— Ah... C'est une orgie en soi.

— Oui, mais l'ambiance est unique ! Tu verras, la musique et les danses, c'est une occasion à ne pas manquer. Tu y seras, hein ?

— Eh bien, pourquoi pas.

Elle tape dans ses mains, toute excitée.

— D'ailleurs, Tiny. T'as pas du maquillage à me prêter ?

Elle hausse les sourcils :

— Tu veux te travestir ?

— Non ! C'est juste que j'ai quelques bleus que je voudrais camoufler.

— Entendu ! Tiens, prends ça.

Elle me tend une petite boite en nacre, équipée de pinceaux dont j'ignore totalement l'usage. Je lui souris pour la remercier et ajoute :

— Pourquoi es-tu partie, hier soir ? Tu semblais en colère contre moi...

Tiny se crispe mais fait mine de ne pas s'en souvenir. Elle enlace mon torse et dépose un baiser très bruyant sur ma joue, laissant probablement une marque de rouge à lèvres.

— Fais pas attention, mon gros, je suis un peu lunatique. En tous cas, compte sur moi pour venir t'habiller ce soir !

Je hoche la tête, sachant qu'il est inutile de la contredire et me retire avec mon butin. Je sens qu'elle me cache quelque chose. Bah, je le saurai bien assez tôt.




Direction les caves à vin ! Quel sympathique petite promenade en vue d'une si belle destination ! Ceci-dit, je n'ai pas oublié ma flasque de whisky. Je repense à la soirée de ce soir : je sens que je finirai rapidement sous la table avec mon alcoolisme empirant.

Après une longue descente dans les profondeurs du palais, je distingue Poulpinet, assis sur les dernières marches :

— Te voilà ! s'exclame-t-il en secouant sa petite queue de cheval, je t'attends depuis deux heures. Tu me pardonneras mais j'ai commencé le travail.

— Quel travail ?

— Suis-moi.

Je lui emboite le pas, piqué par la curiosité. Nous longeons d'énormes fûts, sans doute capables de conserver des milliers de litres de liqueur. Poulpinet s'arrête devant la sature écrasante d'un d'entre eux, donne quelques coups sur le bois, hoche la tête, et le contourne vers l'arrière.

Une petite porte se présente alors à nous qu'il s'empresse d'ouvrir, dévoilant par la même occasion un petit escalier muni de torches flamboyantes.

— C'est une planque impériale, justifie-t-il de son air guilleret.

Il m'emmène dans un long couloir glacial où résonnent les échos de l'activité palatiale. Enfin, j'arrive dans une petite pièce circulaire bien humide et glauque. Une mousse nauséabonde marque les pierres usées, se joignant aux chaines qui tombent du plafond suintant.

Au centre de la salle, aux côtés d'une table à roulettes, un prisonnier ensanglanté gémit faiblement.

— Poulpinet ! Je t'avais interdit d'utiliser mon matériel !

— Je n'allais pas le torturer avec des armes de combat, tout de même ! Je ne suis pas un barbare !

Je me précipite vers mes instruments souillés et les inspecte attentivement. Y a intérêt à ce qu'il ne me les ait pas éraflés ! ça coûte une fortune, ces petits bijoux !

— Calme-toi, j'en ai pris bien soin.

Je hoche la tête, rassuré.

— C'est qui, cet astre ?

— Le meurtrier de l'opéra. Le général Nethar l'a attrapé dans une avenue et l'a ramené ici.

— Rien que ça... bon, et tu sais d'où il vient ?

— Trois options : soit il est mandaté par Arnil en simple assassin contre notre maître, soit il est envoyé par Carnil, ce qui risque d'être légèrement problématique, soit c'est un marginal un peu timbré qui désire rendre lui-même la justice.

— Bien ! A-t-il dit quelque chose ?

— Non, il est coriace. C'est pour cela, que je retire la troisième option : il est bien trop résistant.

Je souffle d'incrédulité : personne ne résiste à la torture à condition que cette dernière soit réussie. Je m'avance vers notre homme et le regarde droit dans les yeux. Il soutient mon regard. Parfait, c'est un espion qualifié, pas le moindre doute. Mais il couinera comme les autres.

Poulpinet tire un tabouret, continuant à jouer avec mon scalpel.

— Alors ! énoncé-je d'un claquement de doigts, pour le programme, mon petit ami... Non, je plaisante, c'est plus drôle si tu découvres par toi-même. Ceci-dit, si tu coopères, tu t'en sortiras peut-être avec tes bijoux de famille.

— Déjà retirés, précise Poulpinet.

— Hein ? Mais tu n'as vraiment aucun art de la torture toi. On ne les arrache jamais en début, surtout avec les astres.

— Bah, il m'énervait à m'insulter.

— Bon, passons. Tu as vraiment fait un travail de merde. Pourquoi, lui manque-t-il une oreille ?

— Elle est là. Tu veux que je la recolle ?

— Laisse tomber, je vais essayer de rattraper le massacre. Donne-moi le scalpel.

J'attrape l'instrument métallique et commence les incisions sur les tempes. J'adore me confronter avec des fortes têtes, elles ne crient jamais comme des porcs égorgés. Après, ça se complique toujours quand elles restent silencieuses ; la torture peut alors s'étirer sur plusieurs jours.

Voilàààà, j'ai découpé tout le pourtour du visage et je commence à tirer délicatement sur la peau avec une pincette pour la retirer. Ça ressemble un peu aux masques que Püpe faisait pour avoir un épiderme tout doux. Enfin, là, le résultat me parait plutôt contraire...

L'astre serre les dents malgré la douleur lancinante qui irradie son visage. En même temps, vu la suite, mieux vaut qu'il ne verse pas une larme pour ça.

Zut, encore oublié de porter des gants. Je me dirige vers la table basse et protège mes mains dans des gants fins. Un tablier de cuir doté de manches fera l'affaire pour ne pas ruiner mon horrible uniforme. Je prends le miroir et le présente dans un grand sourire à la victime.

— Tu penses quoi de ta nouvelle tête, mmh ? ça te donne des couleurs, tu ne trouves pas ? Pas de commentaires ? Tu souriras peut-être un peu plus après le passage de l'écraseur à vis.

Le supplicié ne cille pas. Pourtant, le sang dégouline de son visage écorché.

Comme Poulpinet l'a déjà déshabillé, je profite pour lui entailler directement le ventre d'un coup précis.

— Donne-moi l'appareil avec la manivelle, lui demandé-je, concentré sur la blessure que je viens d'infliger.

Mon compagnon apporte l'engin avec un intérêt morbide pour la chose. Sur sa chaise, l'astre nous toise de son regard vitreux.

— Bon, mon coco, ce serait bête de mourir de la main de pauvres gnomes, non ? Dis-nous un peu qui t'envoie. Ce serait dommage que je salisse mes manivelles intestinales, non ?

— Et pas de mensonges, ajoute le gnome d'Onyx, rappelle-toi que tu as bu un sérum de vérité qui te provoquerait de nouvelles douleurs à la moindre farce.

— Allez au diable, grogne-t-il en réprimant un cri de souffrance.

Poulpinet et moi nous regardons et dans un haussement d'épaules, continuons notre tâche. Je fixe l'embout dans le ventre et vous passe ce qui arrive lorsque je tourne la manivelle. Rhaaa, il commence à hurler. Hop, je lui enfonce ma poire d'angoisse dans la bouche en attendant, histoire d'avoir un peu le silence. Je me demande si je ne peux pas vendre les tripes après ça... L'astre tressaute sur sa chaise pendant que j'évacue ses intestins, mètre après mètre. Mais il ne s'agit pas qu'il se vide de son sang. Je pose une applique sur la blessure après avoir coupé ce qui dépassait et fixe, comme promis, l'écraseur à vis sur sa tête.

— Tu n'aurais pas quelques choses à nous dire ? interrogé-je en retirant la poire, mmh ? À ce stade, ton corps peut tenir encore cinq heures ! Mais si tu te montres coopératif, je t'achèverai proprement.

Je vois le doute luire dans son regard. La partie est gagnée.

— Tu l'auras voulu, conclus-je avec fatalité.

Je sangle le casque sur son crâne et sous son menton et resserre les vis.

— Non, crache-t-il, non... Je vais vous dire...

— Bien voilà ! ce n'est pas si dure !

— Je... Je ne devais pas tuer l'Empereur... On m'a simplement demandé de feinter un assassinat contre sa personne afin de provoquer une diversion... Le relais aurait dû s'enclencher et pulvériser tous les Valas dans Arminassë.

— Qui t'envoie ?

— J'appartiens à... à l'escadron d'espionnage de Nim.

Encore lui ! Il commence fortement à me courir sur le haricot, celui-là !

— Je ne sais rien de plus, murmure l'astre, je vous le jure...

— Bien ! conclut Poulpinet, il semble que nous ayons notre réponse !

J'acquiesce d'un mouvement de tête et part laver minutieusement mon attirail.

— Tue-le maintenant, lui demandé-je pendant que je retire mon tablier.

Un horrible craquement accompagné d'un hurlement strident me fracasse les tympans. Je me retourne pour voir mon compagnon resserrer les vices. Si les dents se sont faites la malle sous la pression, les yeux suivent en s'échappant des orbites dans des giclements de sang.

— Poulpinet ! On lui avait promis proprement !

— Ah ça va, je voulais voir ce que ça faisait en compressant...

— Tu as ta réponse maintenant. Regarde l'état de mon écraseur !

Comme s'il n'avait pas entendu, il continue son action jusqu'à en extraire la cervelle. Mais il en fout partout ! Je sens que la prochaine victime que je torturerai, ce sera lui !

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