Chapitre 1

La Ritournelle Confite. Je crois que c'est comme ça que s'appelle la taverne. Comme vous pouvez le remarquer, on ne se donne plus la peine de chercher des noms cohérents pour les bonnes vieilles auberges.

Quoiqu'il en soit, mon point de rendez-vous a été fixé là-bas. Y a intérêt à ce que le gai luron qui m'a commandité s'y trouve sinon je me serais donné tout ce mal pour rien...

Juché sur Poney Obèse, ma fidèle monture que je déteste autant qu'elle m'aime, je poursuis ma route en quête de cette fameuse taverne.

Vivement qu'il me paie et que je reparte dormir ! C'est que je me fais vieux, moi !

Cela fait maintenant plus de cinq-cents ans que mon maître a été capturé, à moitié éviscéré par les Émissaires Divins. Il avait déjà réglé ses problèmes d'héritage mais pour ce qui est de la gestion de ses salariés... Nous avons été des centaines de gnomes au chômage. Mon rôle de domestique s'est autant avéré inutile que celui d'espion.

Et maintenant, je cherche continuellement le moyen de gagner des piécettes ici et là. Cette précarité me noue l'estomac et m'empêche d'avaler quoique ce soit. Par contre, je ne me suis pas restreint sur la bouteille, ces derniers temps.

Ah ! Voilà enfin la Ritournelle Confite ! Un parfait lieu de commerce illégal. En même temps, dans les royaumes elfiques de Calca, les restrictions en tout genre empêchent d'exercer librement des larcins.

Je descends donc de Poney Obèse et l'attache à une barrière qui semble aussi croulante que le bâtiment. À première vue, cette maison parait surgir du marais qui l'entoure. De la mousse malodorante et d'étranges algues vertes grimpent sur ses façades de bois moisis.

Enthousiasmant !

J'attrape le sac qui pendait au flanc de ma monture et entre dans l'intérieur insalubre. Immédiatement, une bouffée de chaleur humaine, mélangée à des effluves de transpiration et de victuailles, titillent mes narines sensibles.

Divers clients se retournent à mon arrivée et ricanent. C'est vrai qu'avec ma toute petite taille et mes yeux noisette, j'inspire rarement la peur. Peu importe, j'ai l'habitude.

Bon, il s'agit de trouver mon commanditaire maintenant. D'après son message, il s'agit d'un humain âgé d'une cinquantaine d'années avec un œil de verre. Mmh... Je parcours rapidement la salle puante du regard et décèle sa présence.

Je m'avance vers sa table et m'assois en face de lui.

— Qu'est-ce que tu veux, le gnome ?

Sympathique. Il ignore à quoi je ressemble et il risque d'être surpris.

— Vous m'avez engagé, il me semble.

— Hein ? J'ai engagé un gnome ?

— Et alors ?

Je balance bruyamment le sac sur la table et en extraie l'objet en question. À savoir la tête de la cible. L'homme grimace devant la face livide avec la langue qui sort pitoyablement de la bouche.

— J'exige désormais mon paiement.

Il fronce ses sourcils broussailleux et reste bouche bée. Il ne s'attendait vraiment pas à ce qu'un gnome exécute un tel homme. C'est vrai que la victime m'a donné du souci. J'ai dû torturer deux pauvres bougres avant de savoir où elle se trouvait. Et quand je l'ai rencontrée, j'ai découvert sur le tas qu'elle était un mage. Heureusement que mon poignard a sifflé plus vite que ses sorts...

— Vous...

— Essayez de m'escroquer et vous finissez comme ce malheureux, articulé-je vicieusement.

Il déglutit. Compréhensible : un gnome avide de sang, on n'en croise pas tous les jours et ça peut paraitre effrayant.

— Je... balbutie-t-il en cherchant à être convainquant, il se trouve que je n'ai pas l'argent sur moi.

Mon cul...

C'est toujours comme ça. Les commanditaires qui ne veulent jamais se mouiller et qui finissent par refuser de payer leurs mercenaires. Faut toujours les secouer un peu pour qu'ils changent d'avis...



Cet imbécile m'a fatigué... Après lui avoir enfoncé brusquement mes deux poignards dans les épaules, il a fini par trouver miraculeusement une bourse sur lui. Hasard !

Je suis donc sorti de la taverne et j'ai regagné la route qui mène à mon petit chez moi.

Le temps ne s'arrange pas. Pourtant, le printemps a éclos en Calca. Il ne reste plus que ces maudites pluies cessent.

Toutefois, j'ai été habitué à ce climat, aux Falaises Sanglantes. Je n'aurais jamais pensé dire ça mais cette cité me manque. Ce palais immense aux allures de caveau. Cette sorcellerie omniprésente...

Ce n'était pas le cas de Selnar, l'épouse de mon défunt maître. D'ailleurs, elle a « noyé son chagrin » dans les bras d'un duc avec qui elle semble s'être définitivement accrochée. Mais cette dernière ne me manque pas : c'est une pétasse qui cherchait à séduire le prince pour sa fortune. Elle est tombée des nues lorsqu'elle a vu sa part sur le testament. Ouai, il ne l'avait pas respectée sur ce coup-là.

Par contre, je regrette Arquen, le chef d'escadron d'espionnage et le meilleur ami du prince Morgal. Il était amusant avec ses plaisanteries salaces et son caractère jovial. Par contre ça s'est mal finit avec mon maître car il l'a dénoncé, d'où la disparition de ce dernier. Une sale histoire... Dont j'étais le premier impliqué !

Enfin, tout cela est du passé.

J'ai une autre vie, à présent. Accumuler les petites missions payées au lance pierre, éliminer quelques cibles, m'engager l'espace d'un mois dans un palais en tant que domestique avant de me faire virer...

Mouais... C'est pas terrible au quotidien.

À ce moment, je pénètre dans la forêt de l'Atari. C'est un espace magnifique à la végétation luxuriante et aux créatures enchantées. Ce territoire appartenait aux elfes sylvestres avant qu'Elaglar Fëalocen, le roi des elfes guerriers, ne se marie avec leur reine. Le peuple de la forêt s'est ensuite acculturé et a perdu en grande majorité ses racines.

Mais la forêt de l'Atari demeure un petit pôle de résistance identitaire. Le mieux dans tout ça, c'est que l'esclavage sur les gnomes n'existe pas donc je reste libre.

Bref, après quelques heures à arpenter les arbres millénaires, j'entre dans la ville par le porche principal. Une vaste clairière abrite un véritable monde parallèle où différents peuples forestiers cohabitent. Les maisons se greffent aux arbres au large tronc ou dans les ramures étendues. Avec le soir, des milliers de petites lanternes s'allument. C'est très poétique et ça me donne envie de dormir. J'emprunte un petit escalier en bois et gravis les marches jusqu'aux plus hautes branches après avoir laissé Poney Obèse à l'écurie. Là, une bicoque à l'allure de cocon m'attend. Je me précipite vers la porte ronde et pénètre dans mon foyer chaleureux. Je pose mes sacs sur la table et m'effondre dans mon fauteuil.

Une douce odeur fruitée embaume la pièce unique. J'adore mon chez-moi, même si je parviens difficilement à payer mes factures. Eh oui, l'arbre, doté de plusieurs habitations, appartient à une elfe revêche très pointilleuse sur les dates. Mmh, si je ne paye pas demain, je serai éjecté. Bah, j'ai la somme que l'autre gai luron m'a gentiment donnée.

Je pose mes jambes sur la table et suite à une contorsion de l'épaule, je parviens à attraper la bouteille dans le buffet. Je retire le bouchon avec les dents et commence à siffler la liqueur. En même temps, j'attrape le courrier et inspecte les différentes missives : alors... Une lettre de menace des voisins du dessous, un avertissement de la proprio, une lettre d'amour, tiens je n'étais pas au courant, et ho ! un message de Clark !

J'ouvre l'enveloppe de mon ami et déplie le papier. Chic ! Il vient me voir demain. Zut, je n'ai rien pour l'accueillir ; Clark mange comme quatre gnomes. Pas étonnant qu'il soit gras comme un loche avec ça.

De toute façon, il est trop tard pour faire des courses, ça attendra demain. Sans parler de mon état d'ébriété.

Il faudrait vraiment que j'arrête de boire ainsi... En fait, il faudrait que j'arrête beaucoup de choses. Comme égorger des pauvres pégus qui ne m'ont rien fait. Mais torturer et tuer fait désormais partie intégrante de moi depuis mon séjour aux Falaises Sanglantes. C'est comme si je compensais la violence de mon maître disparu.

Mais à cause de ça, j'ai perdu ma femme et mes enfants.

J'essaie de me rassurer en me répétant que la vie de célibataire garde de bons côtés mais là, je suis au bout du rouleau. Vivre n'importe comment de n'importe quoi ça fonctionne un temps mais après on s'en lasse.

J'ai tout enchainé ; la drogue, les filles, l'alcool... Mais à présent je suis fatigué de ça.

Peut-être qu'il me manque un point essentiel que je n'arrive pas à définir. Car jamais je ne retrouverai ma famille et jamais je ne redeviendrai un gnome normal.

Alala... Boire le soir comme ça, ça ne me réussit pas. À chaque fois je retombe dans ces idées moroses et déprimantes.

Qu'importe ! Demain est un autre jour !

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