3 | 'PETITS DOIGTS ET YEUX CARRÉS'

Tohma frémit visiblement en sentant le stéthoscope glacé de son médecin passer contre sa poitrine dénudée. Il avait froid.

« Tu n'étais pas censé faire attention ? marmonna l'adulte en observant son corps et l'hématome aux couleurs de l'arc-en-ciel qui colorait son torse. Il rangea son stéthoscope et commença à noter quelques informations sur une feuille, Tu as eu un poumon perforé lors de ton accident, Asanai. C'est vraiment pas une bonne idée pour toi de commencer à te battre, tu es fragilisé.

— C'est pas de ma faute. Je me suis pas battu.

Je m'en doute, Asanai, soupira le soignant, Allez, viens, on va devoir te passer une radio. »

Tohma n'aimait pas les radios, mais il ne broncha pas et hocha la tête mollement. Il avait trop mal au poumon pour contester l'avis d'un professionnel.

La veille, en ayant craché du sang, il s'était bien douté que quelque chose n'allait pas bien – déjà que sa santé était loin d'être parfaite – et en se réveillant le matin, il s'était trouvé incapable de respirer sans ressentir une douleur aiguë, comme des coups de couteau, dans sa poitrine.

C'était littéral : Izana était à couper le souffle.

« Tu me fais du sur place ? fit remarquer son médecin en remarquant qu'il était resté sans bouger, Je sais que c'est dur mais plus vite on en aura fini, plus vite tu seras rentré chez toi. Dis toi que pour le temps où tu es absent, tes proches auront le temps de te préparer quelque chose pour ton anniversaire.  »

L'idée de fêter son dix-huitième anniversaire ne redonna pas le sourire au jeune, loin de là. Ça allait être comme tous les ans, un mot sur le comptoir avec de l'argent et un reste de gâteau. Pas de cadeaux, pas de surprises, ça n'avait jamais été comme ça. Il secoua la tête et ignora la remarque du docteur avant de le suivre en silence dans la salle d'attente.

Combien de temps il allait passer à l'hôpital, cette fois ?

{❦}

Deux jours. Deux jours, c'était le temps qu'il fallait pour les radios, les examens, vérifier qu'il n'était pas en danger et qu'il pouvait reprendre son quotidien sans pour autant craindre pour sa vie, tout ça parce qu'un délinquant l'avait plaqué au sol avec un coup de poing.

On était donc le premier novembre quand l'adolescent arriva chez lui après dix minutes de train et quinze minutes de marche. Tohma était épuisé. Il n'avait qu'une hâte : pouvoir se plonger dans son lit si douillet et si confortable qui lui avait tant manqué, même s'il était quinze heures. Le temps n'était qu'une illusion de toute façon.

Alors il ouvrit la porte d'entrée de chez lui et se figea immédiatement, la poignée encore en main.

Sa mère était en plein ébat sexuel sur le canapé qui se trouvait dans son champ de vision.

Désabusé, le garçon referma immédiatement la porte de chez lui et fit volte face. D'un pas mécanique, il s'éloigna de chez lui, silencieux, ne sachant plus quoi penser. Peut-être que c'était pour ça qu'il était toujours vierge à quasiment dix-huit ans : il n'avait juste vraiment pas envie de ressembler à sa mère. Et puis avoir des rapports ne lui donnait pas vraiment envie.

Inconsciemment, il se dirigea vers le Jardin Mohri, le parc le plus proche de chez lui, et à cette heure un lundi, probablement le moins occupé. Il aimait bien l'atmosphère ambiante, les lumières de Roppongi tout autour, les arbres aux gigantesques branches donnant comme l'impression d'être dans une bulle une fois que l'on était dedans. Quand il était petit, il appréciait particulièrement la sculpture en forme de cœur faite en lumières, il adorait venir le soir pour la regarder briller dans la nuit. Il avait toujours trouvé ça romantique, mais pourtant, il n'y était jamais allé une fois avec son ancienne petite amie.

Il se dit que peut-être, c'était pour le mieux. Comme ça, il pourrait partager cet endroit avec quelqu'un qu'il appréciait réellement. Oui, c'était mieux de partager ce genre de lieux chers à ses yeux avec une personne qui était parfaite pour lui, qui était elle aussi chère à ses yeux.

C'est sur cette pensée qu'il se décida à s'allonger dans l'herbe, en étoile de mer, le regard rivé vers le ciel grisâtre. Il allait probablement bientôt pleuvoir. Qu'à cela ne tienne, Tohma aimait bien la pluie, il resterait là dans tous les cas, et pourrait se sentir comme en harmonie avec le temps. Le bruit de la pluie recouvrant toute autre nuisance, moins de foule dans le parc, il trouvait que c'était apaisant.

Ses paupières se fermèrent lentement, dans le calme, relaxé par l'odeur de l'air qui prévenait d'une averse imminente. Il expira doucement, sentant comme les caresses de l'herbe sur sa main droite, douce et légère. C'était agréable, et sans réussir à le contrôler, il sourit doucement.

Tohma n'avait plus l'horrible image cauchemardesque de sa mère pliée en quatre sur le canapé, il avait juste l'impression qu'on s'attardait sur sa main, timidement.

Mais est-ce que ce n'était qu'une impression ?

L'adolescent eut soudainement comme un mauvais pressentiment, et ses yeux se rouvrirent instantanément, inquiet. Affreusement lentement, mais inexorablement, il tourna la tête vers sa main droite, pour remarquer que ce n'était pas l'herbe qui le chatouillait depuis déjà plusieurs minutes. Il trouva son petit doigt entrelacé avec un autre petit-doigt, de couleur plus foncée, qui ne lui appartenait certainement pas. Une boule se forma dans sa gorge, paniqué, alors que ses iris remontaient progressivement le bras inconnu pour découvrir qui au juste était en train de lui tenir le petit doigt.

La première goutte de pluie tomba sur son nez, au moment où ses yeux s'écarquillaient, rivés vers le visage endormi d'un certain Izana.

Ah oui, l'apaisement. Il avait fui très vite et très loin.

Tohma déglutit, se redressa un peu tout en passant une main dans ses cheveux pour les remettre en place, par pur réflexe. C'était aussi un petit tic qu'il avait quand il était trop anxieux.

Dans cette situation, plusieurs possibilités s'offraient à lui :
    – 1 : faire comme si de rien n'était et prétendre d'être mort jusqu'à ce qu'Izana se réveille et s'en aille, en espérant qu'il ne remarque pas qu'il était pleinement conscient
    – 2 : prendre le risque de le réveiller pour lui dire qu'il commence à pleuvoir et qu'il devrait s'en aller
    – 3 : prendre le risque de le réveiller pour lui dire de lui lâcher le petit doigt s'il te plaît
    – 4 : se débrouiller pour récupérer l'usage de sa main et rouler sur quelques mètres pour pouvoir être en paix mais plus loin de lui pour ne pas subir les conséquences de sa présence une fois qu'Izana se réveillerait
    – 5 : se débrouiller pour récupérer l'usage de sa main et s'enfuir en courant jusque chez lui pour retrouver sa mère s'occuper de son client

Il aurait pu essayer toutes ces possibilités, même si les conséquences de chacune étaient assez risquées, mais étant l'idiot paniqué qu'il était, il resta en plan, à observer le visage endormi de Kurokawa.

Les joues rouges, il se dit qu'il était réellement angélique.

Dans cette situation, Tohma Asanai choisit l'option six, ou l'option de l'admirer en silence, le cœur battant à mille à l'heure. Rindo avait raison, il était glauque, et il avait honte de lui-même, mais en même temps, qui pouvait le blâmer ?

Il n'avait entendu que très rapidement des informations sur la soit-disant personnalité d'Izana, et il n'en avait vu que quelques bribes, mais la question « Comment tu réagirais si tu te réveillais, là maintenant ? » torturait Tohma. Il avait presque envie de le voir avec le même sourire sadique qu'il avait eu le soir où il lui avait ordonné de fouiller dans la poubelle.

« Ah– »

En se rendant compte de ce à quoi il venait de penser, il rougit encore plus et eut du mal à se retenir de ne pas se frapper pour se remettre les idées en place.

« Pervers. »

Tohma sursauta. Les yeux précédemment clos d'Izana étaient maintenant grands ouverts, ses pupilles violettes fixant avec grande attention le garçon assis à côté de lui.

« C'est toi qui m'a pris la main sans prévenir, fit remarquer l'adolescent, une moue évidente sur le visage.

J'étais pas conscient. Toi par contre, t'es glauque.

— Bien sûr c'est jamais de ta faute, se moqua Tohma en un murmure, espérant que le plus âgé ne l'entende pas.

Commence pas à faire chier, t'es personne. T'es une victime de la société, Izana reporta son attention sur le ciel, nonchalant. Il ignorait les gouttes d'eau qui tombaient sur son front et éclaboussaient son visage.

T'es méchant. »

Ils restèrent sous la pluie en silence, tandis que le parc se vidait petit à petit. Seuls, sous la pluie, Tohma ne savait pas que dire. Izana observait les nuages sans parler. Le garçon aux cheveux violets l'observa encore quelques instants, n'osant toujours pas lâcher le petit doigt de l'autre, et il finit par se rallonger sur le sol pour contempler le ciel. Un léger sourire amusé se dessina sur ses lèvres alors qu'il tournait doucement la tête vers Izana.

« T'as les yeux carrés. C'est parceque t'as trop regardé la télé quand tu étais petit ?

Kurokawa ne rigola pas du tout à sa remarque, et tourna la tête à son tour pour l'observer, les yeux perçants.

Quoi ?

— Ah– Asanai regrettait déjà ses mots. Embarrassé, il détourna le regard, Non, rien, c'est juste un truc que j'avais vu à la télé quand j'étais petit ...

En comprenant que le jeune homme ne lui répondrait pas, Tohma continua :

Ma mère ne s'est jamais vraiment occupée de moi à proprement parler. Elle m'a toujours mis devant la télé, et je regardais Sam-Sam, il sourit un peu plus, C'était drôle. Et un jour Sam-Sam avait trop regardé la télé alors il avait les yeux carrés. Comme je regardais la télé aussi, toute la journée, j'en ai fait des cauchemars pendant plusieurs semaines ! »

Il rit un peu. Les enfants étaient quand même vraiment cons.

« Je m'en fous de ta vie, j'ai juste pas envie d'être seul sous la pluie. Commence pas à parler, ça va être chiant sinon.

— Ah, oui, je vois. »

Tohma resta souriant silencieusement. Il jeta un dernier coup d'œil à Izana, les pommettes toujours légèrement rouges, puis replongea son attention vers le ciel et les nuages qui pleuraient. Il était déjà trempé, et ses vêtements allaient probablement être boueux quand il se déciderait à rentrer chez lui. Ses paupières se refermèrent lentement. Les gouttes étaient chaudes sur sa peau, et il était vraiment fatigué.

Étrangement, c'était comme rassurant de savoir que son petit doigt était entrelacé avec celui d'un délinquant qu'il ne connaissait presque pas. Il avait l'impression qu'il était protégé, alors que ce n'était pas le cas.

Bah, personne ne pouvait l'empêcher de rêver, de toute façon.

NDA : C'est une ref de qualité là, cette ref à Sam-Sam 🙄

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