23 | 'PREMIER SOLEIL'
Les mains jointes, laissant seulement apparaître le bout de ses doigts car son kimono était un peu grand, Tohma baissa la tête, les yeux clos. Dans le plus grand des silences, alors que les bruits de foule autour de lui continuaient de se faire entendre, il pria.
Quand il rouvrit les yeux, il tourna la tête à sa gauche pour voir sa mère rayonner après avoir tiré une prédiction.
« Grand bonheur ! son visage s'illumina, et elle se tourna vers son fils, heureuse, pour lui montrer le bout de papier.
Il sourit doucement.
— Tu ne pries pas ?
— Non, je n'y crois pas vraiment. Tu veux tirer une prédiction ?
— J'ai pas envie de stresser toute l'année si je tombe sur malheur, admit-il en riant faussement, mal à l'aise. »
Il tourna la tête autour, assez agacé par les regards dramatiques qui se portaient sur le kimono de sa mère, qui effectivement, était un peu trop court pour être considéré comme traditionnel. Il était rose à grosses fleurs orangées, comme un coucher de soleil plutôt printanier, lui arrivait mi-cuisse et présentait un large décolleté. Elle était jolie, avec son chignon bien fait et ses quelques mèches devant son visage, et son maquillage assez pétant. Malheureusement, cela ne correspondait pas vraiment aux codes japonais du nouvel an, et Tohma commençait à en avoir assez du jugement des gens. Il trouvait aussi que sa mère exagérait un peu, mais elle faisait ce qu'elle voulait en tant qu'adulte à peu près responsable et il n'y avait personne qui avait le droit de la blâmer pour ses choix vestimentaires.
Tohma n'avait pas vraiment fait l'effort de se coiffer différemment, ou de se faire un maquillage comme l'aurait souhaité sa mère. Il avait juste pris le seul kimono, un bleu, qu'il avait et il avait décidé qu'il était prêt. Il n'avait pas spécialement envie de se faire spécialement beau, il se trouvait suffisamment bien comme il était. Peut-être qu'il aurait dû faire quelques modifications, peut-être pas. En tout cas pour l'instant, il ne le regrettait pas. Le nouvel an était peut-être assez traditionnel, mais il ne voyait pas ça non plus comme un jour spécifiquement spécial.
Au loin, il crut entrapercevoir un blond courir dans la foule tout en criant qu'on lui rende son ema. Il décida de l'ignorer.
Le ciel était obscur, les étoiles indiscernables sous les nuages. Les lumières de la ville empêchaient de toute façon une quelconque observation des astres. Sa mère se tourna vers lui quand les gens autour d'eux commencèrent à décompter les secondes en partant de dix.
« T'as prié pour quoi ? demanda-t-elle, assez intriguée.
— Ça va peut-être paraître égoïste ... commença-t-il, embarrassé. Il se tourna vers le ciel, cherchant la Lune des yeux, sans réussir à la trouver. »
Il ne finit pas sa phrase. Minuit l'en empêcha. Alors que Sukoku lui sauta dans les bras en criant un « bonne année » enjoué, il manqua de tomber à la renverse et se mit à rire. C'était quand même agréable, de voir les gens se comporter de manière si conviviale avec des inconnus. Il avait envie de se dire que l'humain n'était alors pas un être abject, mais il savait aussi que dès le lendemain, il retrouverait sa situation sociale minable et le jugement des gens qu'ils avaient subi, lui et sa mère, quelques instants plus tôt.
Il avait donc juste prié pour que son année avec Izana se passe pour le mieux.
Après quelques embrassades et discussions polies avec certains inconnus qui avaient eux apprécié le kimono de Sukoku, la petite famille commença à repartir vers chez eux. Grommelant comme quoi ses geta lui faisaient mal à la plante du pied, Tohma marchait en regardant le sol, assez fatigué. Il ne se couchait jamais vraiment tard. À cause de Rindo il avait pris un rythme plus matinal. Et alors qu'il bâillait assez bruyamment, son téléphone se mit à vibrer vigoureusement dans sa sacoche. Étrangement surpris, il l'attrapa et ouvrit rapidement l'objet à clapet sans regarder qui l'appelait.
« Allô ? hésita-t-il simplement.
— Bonne année Super Julie, la voix grésillante d'Izana vint résonner contre son oreille, Avec Kakucho, on va aller à la plage pour pouvoir voir le premier lever de soleil de l'année, tu veux venir ?
— Bonne année Iza ! assez enjoué, il regarda autour de lui. Il ne savait pas comment répondre à sa proposition, mais dès l'instant où il aperçu sa mère flirter sans aucune honte avec un homme un peu trop seul, il hocha la tête instinctivement, D'accord. Vous êtes venus au temple ou pas ?
— Tu veux parler du quel ? T'es où là ?
— Sanctuaire Musashi, il regarda autour de lui vainement, comme si ça allait lui apporter quelque chose, comme si ça allait l'aider à trouver Izana qui n'était même pas encore là.
— On va partir de Yokohama. Tu vas devant la route, je passerai te prendre. On repartira vers la plage pas loin de Yokohama après, c'est bon ?
— Vous partez là, seulement maintenant ? s'étonna le jeune homme, assez dépité à l'idée de devoir attendre en pleine nuit.
— Ça va, tu peux attendre trente minutes. Au moins je te téléphone pas en conduisant.
— Ouais ... il n'osa pas non plus lui dire qu'il faisait froid et qu'il allait finir frigorifié, Je vais attendre ailleurs que devant la route, du coup.
— Je t'envoie un message quand on est là. À tout à l'heure mon prince. »
Sans rien rajouter et de manière assez sèche, il prononça ces derniers mots avant de raccrocher. Tohma n'eut même pas l'occasion de lui dire que c'était bon, ou de lui répondre, et il regarda amèrement l'écran de son téléphone. Le bout de ses doigts était déjà rougi, et ses ongles un peu violacés. Il fallait quand même avouer qu'il n'avait pas prévu d'attendre seul dans la nuit sans étoiles après avoir fêté le nouvel an avec sa mère.
« Maman ! clama-t-il à haute voix à travers l'allée, Je rentre pas, je vais à Yokohama !
Elle ne daigna même pas se retourner pour l'observer.
— Oui oui mon fils, tu vis ta vie, tu es majeur, ça m'arrange ! »
Il grimaça assez visiblement, effectivement assez certain que ça l'arrangeait bien, elle et le nouveau client qu'elle venait de se trouver. Il tourna les talons et s'éloigna plutôt rapidement et furtivement, n'ayant pas envie de rester plus longtemps aux alentours de sa mère. Tout en se frottant les mains dans un essai désespéré de les garder au chaud, il alla s'asseoir sur une des marches qui menaient au sanctuaire, et se décida à attendre : de toute façon, et dans tous les cas, il n'avait pas grand chose d'autre à faire.
Ses yeux scannaient les alentours, les branches dénudées qui dansaient avec le vent, froid et sec d'hiver, les mêlées de gens aux couleurs chaudes, éclairées par les quelques lumières des lampadaires, imitant tristement les astres cachés par la brume nuageuse. Il se mordillait la lèvre, impatient, et reniflait un peu. Ses mains vinrent se caler sous ses cuisses, pour les garder au chaud, et ses jambes commencèrent instinctivement à se balancer dans le vide. Il ferma alors instinctivement les yeux pour patienter ce qui lui paraissait comme une éternité. Les bruits de pas résonnaient dans sa tête, des gens qui venaient et s'en allaient, les mouvements de foule alors que certains allaient faire la fête, ou que d'autres rentraient dorénavant chez eux. Tohma, lui, avait l'impression d'être immuable, au milieu des groupes de personnes occupées. Ça bougeait dans tous les sens, forcément vu la date et l'endroit dans lequel il se trouvait, la chaleur humaine leur tenait au corps, pas conscients de la fraîcheur une fois que l'on était figé.
Un long soupir quitta ses lèvres et il finit par rouvrir les yeux. Ce n'est que quelques minutes plus tard que son téléphone vibra à nouveau, cette fois-ci de manière plus brève. Il le sortit avec assez d'impatience et lut le message qu'il venait de recevoir.
> J'suis là, t'es où
C'était assez concis et plutôt sec mais Tohma se leva brusquement pour finalement aller retrouver Izana. Quand il dévala les escaliers et qu'il arrive devant la route, il trouva son copain le nez rivé sur son téléphone, assis sur sa moto au bord du trottoir. À côté de lui, il y avait son ami Kakucho, qui regardait les alentours en silence. Quand il aperçut Tohma, ses yeux s'agrandirent un peu et il lui fit un léger signe de la main. Le jeune homme, assez douteux, se contenta d'hocher la tête dans le plus grand des silences.
Il n'avait pas envie de monter sur une moto.
« Salut, fit simplement remarquer Kurokawa quand il remarqua à son tour l'arrivée du garçon aux cheveux mauves. Il lui jeta un regard d'ensemble, Cool ta tenue. T'es beau.
— C'est pas super confortable, admit-il simplement, sans rien rajouter. Ses lèvres se scellèrent à nouveau et il resta figé sur le trottoir. »
Le Philipin comprit clairement la source du problème, et il soupira bruyamment, ennuyé.
« Tu me fais confiance, non ?
— Il est pas là le problème ... bredouilla Tohma en baissant la tête. Sa voix était penaude, il avait en fait assez honte d'être complètement incapable de faire un pas vers la moto d'Izana. »
Ce dernier se leva d'ailleurs, et se dirigea vers Asanai. Il avait un casque accroché à son bras, et il le retira pour le poser assez brusquement sur le crâne du garçon. Tohma n'eut pas le temps de réellement réagir que le délinquant retira aussi son écharpe pour la lui mettre autour du cou en silence.
« Tu fais pitié, t'es gelé, expliqua-t-il calmement en le regardant droit dans les yeux. Il prit ses mains dans les siennes : contrairement à celles du plus jeune qui étaient frigorifiées, les siennes étaient chaudes et plus chaleureuses, Tu t'accroches à moi, tout ira bien. Je te demanderai pas ça si je savais pas que t'en étais pas capable, parceque putain j'ai pas fait le trajet pour rien non plus. »
Tohma déglutit et finit par hocher la tête une nouvelle fois. Izana le tira alors derrière lui vers sa moto qui l'attendait sagement.
« C'est bon ? hésita Kakucho, assez fatigué. »
Kurokawa s'assit sur sa bécane et acquiesça sans un mot. Toujours assez réticent, Asanai se décida tout de même à monter sur le véhicule derrière le Philipin, et il passa immédiatement ses bras autour de sa taille par réflexe. C'était instinctif, et que ce soit avec lui ou avec Rindo quand il l'avait forcé à monter sur la sienne, il était forcé de s'accrocher au conducteur comme s'il s'accrochait à la vie. Savoir que c'était Izana qui conduisait l'incitait juste encore plus à se coller à lui, car c'était celui qu'il aimait, car ça le rassurait, mais aussi car il avait surtout besoin de chaleur humaine.
Il posa sa tête contre son dos et ferma les yeux, prêt à accepter son destin : il ne doutait pas des qualités de conducteur du délinquant, loin de là, mais c'était juste un automatisme chez lui. Il ferma fermement les yeux et préféra se concentrer sur l'odeur d'Izana tout autour de lui, qui l'enveloppait et qui lui tenait chaud, plutôt que sur le bruit vrombissant du véhicule qui redémarrait.
Il ne savait plus comment le temps s'écoulait, alors qu'il ne se fiait plus à rien et appréhendait juste chaque virage qu'ils prenaient. Des fois, il entendrait de manière très lointaine Kakucho et Izana discuter très brièvement et assez bruyamment, pour réussir à s'entendre malgré les pots d'échappement et les pétarades de leur motos.
« Dis Tohma, après une éternité insoutenable, la voix d'Izana se tourna vers lui, un peu plus douce, Tu peux ouvrir les yeux ou pas ? »
Le jeune homme n'osa même pas demander pourquoi, et se contenta de rouvrir ses paupières : très lentement, comme si elles étaient en plomb, il finit par se redresser un peu pour observer ce qu'il se passait autour de lui.
Le décor filait devant ses yeux, les routes d'une ville qu'il ne connaissait pas, un port inconnu qui se déroulait à l'infini, dans l'obscurité et la solitude.
« C'est Yokohama ? hésita-t-il.
Izana sourit. Il ne pouvait pas le voir, mais il eut l'impression de le ressentir au moment où il lui répondit :
— Ouais, c'est ma ville.
— On est bientôt arrivé, du coup ?
— Je dirai encore une dizaine de minutes. C'est pour ça que je voulais que t'ouvres les yeux. C'est beau la nuit. La dernière fois que j'ai fait un trajet en moto avec quelqu'un comme ça, je devais avoir treize ans, commença-t-il, C'était avec mon frère, Shin'ichiro. »
Il se tut quelques instants après ça. Tohma ne sut pas quoi lui dire, et préféra alors ne rien répondre. Kurokawa sentait parfaitement bien les bras de celui aux cheveux violacés autour de sa taille, et son corps contre son dos, sa chaleur, sa présence : c'était enivrant.
« C'est différent, avec toi. Je ressens plus de choses. J'ai l'impression de te montrer quelque chose de personnel.
Tohma cligna des yeux, surpris.
— T'es fatigué ?
— Un peu oui, pourquoi ?
— T'es vachement honnête. T'as l'air plus sensible.
Le plus âgé sourit un peu plus et un très léger rire quitta ses lèvres.
— T'es qu'un couillon Tohma. Mais j'aime bien partager ce moment avec toi. »
Tohma finit par hocher la tête. Il souriait lui aussi, finalement. Les yeux assez plissés, son regard était porté vers la mer, noircie par le manque de lumière. Le ciel était un peu plus dégagé sur la côte. Il avait l'impression de voir la Lune dans l'eau.
« Moi aussi. C'est assez agréable. »
Au final, la moto, si c'était avec Izana, il l'acceptait amplement.
Kakucho, à côté d'eux, ne se sentait pas trop à sa place, et il leva un peu les yeux au ciel.
Quand ils finirent par arriver sur place, il devait être aux alentours de une heure vingt. Tohma sauta allègrement de la moto, tout de même très heureux de retrouver la terre ferme en entier, et il retira rapidement le casque pour se remettre un peu les cheveux en place.
Sur la côte, le vent était glacial et beaucoup plus violent. Il s'emmitoufla un peu plus dans l'écharpe d'Izana, qui n'y prêtait plus vraiment attention.
« On en a pour cinq heures là, j'espère que vous avez de quoi s'occuper, fit remarquer Kakucho après avoir vérifié que sa moto était bien garée, assez inquiet.
— J'ai déjà attendu quarante minutes seul et dans le froid, cinq heures c'est rien, fit remarquer Tohma en secouant la tête.
— Faites pas vos tapettes, le temps n'est qu'une illusion de toute façon, grommela simplement Izana en s'étirant avant de se diriger vers le bord du quai. »
Kakucho grimaça presque indistinctement et le suivit sans rien dire.
Ils attendirent longtemps sur le quai, transis par le froid et les bourrasques marines. Ils avaient parlé, Tohma en avait appris plus sur Kakucho, et vice-versa. Ils avaient aussi lutté pour ne pas s'endormir, surtout aux alentours de trois heures du matin : ça avait commencé à devenir dur. Au final, la tête posée sur l'épaule d'Izana, Asanai s'était laissé border par le bruit répétitif des vagues qui s'échouaient et venaient frapper le bitume quelques mètres plus bas. Ses yeux étaient à moitié ouverts, à moitié clos : il ne savait plus vraiment. L'écharpe de Kurokawa était enroulée autour de lui, et le bras du délinquant le tenait d'ailleurs fermement contre lui. Tohma n'arrivait plus réellement à distinguer la fraîcheur de la chaleur, s'il avait froid aux jambes ou si son corps le brûlait au contact de la peau d'Izana.
Ce fut Kakucho, aux alentours de six heures trente, qui commença à se redresser de sa transe éveillée et endormie à la fois. Ses paupières se rouvrirent entièrement et il se redressa un peu.
« Il commence à faire jour.
— C'était un peu une idée de merde, d'aller attendre toute la nuit juste pour voir un lever de soleil, Izana bailla bruyamment et se frotta un peu les yeux, bien réveillé, En plus le soleil se lève très vite.
— C'était ton idée, railla le plus jeune des trois, sans pour autant arrêter de lui sourire, T'as dit que ça servait à rien de dormir à plus de minuit si c'était pour se réveiller à six heures.
— C'est symbolique, rétorqua Tohma sans vraiment prendre la peine de se redresser. »
Il était à moitié affalé sur le Philipin sans aucune gêne – voire à moitié allongé – et avait du mal, même maintenant, à garder les yeux ouverts. Les trois garçons finirent alors par se taire et regarder en silence le ciel se peindre de couleurs orangées, alors que le soleil commençait à pointer le bout de son nez.
« C'est beau, souffla Asanai, le regard rivé vers l'horizon. »
Izana hocha la tête mais porta son attention vers son petit ami. Face à la mer, il pouvait réellement remarquer que les yeux de Tohma avait les mêmes couleurs que le fond de l'océan.
« Ouais, soupira-t-il. Il tourna la tête vers le ciel sans pour autant réellement l'observer, C'est beau, ouais. »
NDA : EeEeUuH vOuS aVez Vu S'iL dIt c'EsT bEaU eN rEgArdAnT pAs VrAiMeNt lE CiEl c'EsT pArCeqU'iL pArLe dE tOhMa— j'arrête.
On approche du début de la fin, ça me fait mal un peu de bientôt devoir les quitter, les deux là.
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