21 | 'LA BEAUTÉ DE LA LUNE'
Tohma serra rapidement ses lacets et se redressa. Il attrapa son sac d'une main et ses clés de l'autre. La main sur la poignée, il tourna la tête vers le fond de sa maison.
« Je vais faire les courses ! s'exclama-t-il. »
Il savait que c'était assez inutile de prévenir sa mère, qui n'entendait probablement rien de là où elle était, mais il préférait quand même le dire, quitte à avoir l'impression de parler dans le vide. Il se retourna, décidé à partir assez vite pour revenir assez tard afin de ne pas avoir à subir la sortie d'un inconnu venant de la chambre de sa mère. Il fit donc volte-face et abaissa la poignée, prêt à se prendre une claque de vent froid et de neige qui allait le geler momentanément.
À la place, il fit brusquement face à Izana, qui avait l'air prêt à toquer à la porte.
Il sursauta vivement et poussa un petit cri de surprise, posant instinctivement une main sur son cœur, choqué. Il avait senti que son rythme cardiaque s'était brutalement accéléré, et c'était assez logique : il ne s'était vraiment pas attendu à voir Kurokawa devant lui.
« Ça va pas ?! s'étouffa-t-il avant de secouer doucement la tête pour reprendre ses esprits, T'aurais pu toquer, j'ai manqué l'attaque cardiaque !
— J'allais le faire mais tu as ouvert, le Philipin rétracta d'ailleurs ses mains pour les ranger dans ses poches. Il jeta un rapide regard de jugement sur la tenue du plus jeune et sourit très légèrement, Belles cuisses. »
Immédiatement, les joues de Tohma explosèrent de couleur, gêné. Il referma rapidement son long manteau et baissa un peu la tête.
« Je vais regretter de mettre des robes si c'est pour que tu me fasses ce genre de remarque.
— Non, c'est joli. T'as pas froid comme ça ?
Le garçon aux cheveux mauves secoua doucement la tête en se recouvrant un peu plus de son manteau.
— Non, ça va, il redressa la tête pour l'observer plus franchement, Tu voulais me voir pour quelque chose en particulier ?
— Oui, par rapport à hier, tout aussi inexpressif qu'à son habitude, il sortit sa main droite de sa poche pour se gratter la nuque d'une manière assez ennuyée, Qu'est-ce que tu voulais dire par « on est quoi » ?
— Je t'ai dit de laisser tomber, se plaignit Asanai, Si tu n'as toujours pas compris, tant pis, je n'ai pas envie de devoir te l'expliquer. C'est pas si important. »
Izana n'eut pas l'air vraiment convaincu, mais il finit quand même par lâchement hausser les épaules.
« Et donc, là, t'es libre pour passer la fin de l'après-midi avec moi ?
— Euh, j'allais faire mes courses, admit le jeune homme, assez déçu. Il commençait sérieusement à penser que le destin forçait pour que Kurokawa ne vienne chez lui que quand il devait s'absenter.
— Hm ? D'accord. Je viens avec toi, il tourna déjà les talons, prêt à l'accompagner.
— Hein ? Vraiment ?
— Bah oui, je ne vais pas te laisser seul, idiot. Tu l'as remarqué, je ne viens pas à Roppongi tous les jours non plus. »
Tohma ne répondit rien, la bouche entrouverte de surprise, mais finit par sourire grandement pour rejoindre le Philipin. C'était ce sourire rayonnant qu'Izana appréciait particulièrement, il avait l'impression qu'il avait fait fondre son cœur entièrement, et il ne lui en voulait même plus. Il soupira en silence, de manière presque indistincte et laissa le jeune homme lui attraper timidement la main.
Comme à son habitude, le plus jeune commença à lui parler de tout et de rien, sans attendre de réelle réponse. Il savait maintenant qu'Izana l'écoutait, et qu'il n'était pas forcément du genre à beaucoup parler. Il n'était pas dérangé par le silence ou les simples hochements de tête du garçon aux cheveux blancs. Il n'était par contre pas très sûr que ses longs discours ne l'ennuyaient pas, donc il restait toujours tout de même un peu sur ses réserves et évitait de s'exclamer trop fort quand il parlait de quelque chose qui le passionnait. Il racontait et s'étalait sur tous les sujets calmement, d'une manière assez posée, et ça apaisait drôlement Kurokawa qui n'avait pas non plus réellement l'habitude qu'on lui parle aussi doucement. Il ne le lui disait pas, mais il aimait bien ces moments, et en silence, il aurait pû rester l'écouter pendant des heures.
Ils arrivèrent au supermarché assez vite, et assez étonné, Izana se dit qu'il avait dû être vraiment distrait par Tohma et ses longs monologues, car même en y étant allés à pied, il avait l'impression que ça ne leur avait pris que quelques minutes.
« Bon, c'est pas amusant de faire les courses hein, lui rappela rapidement Tohma, Surtout ce genre de courses. Mais ma mère est tellement irresponsable qu'elle ne les fait jamais. En plus, comme je ne vais plus au lycée, elle me dit que je n'ai que ça à faire de mes journées.
— On dirait que tu t'occupes d'elle, fit remarquer le Philipin en scrutant les différents rayonnages qui s'offraient à eux.
— C'est un peu le cas, Asanai acquiesça assez amèrement.
— Elle a quel âge ?
— Trente-six ans et quelques mois. »
Izana n'avait peut-être pas vraiment été à l'école, mais il n'était pas non plus idiot. Il lui fallut seulement quelques secondes pour comprendre que Sukoku l'avait eu lorsqu'elle n'avait que dix-huit ans. Il ne fit aucune remarque, n'ayant pas envie de toucher à un sujet sensible, et de toute manière, parler de famille n'était pas quelque chose qu'il appréciait particulièrement.
Alors que le regard de Tohma oscillait entre sa liste de courses et les produits dans les rayons, il reprit la parole :
« Parlant d'âge, t'es né quand toi ?
— Le 30 Août.
— Sérieux ? s'indigna le plus jeune en fronçant les sourcils, C'est dans longtemps du coup.
— Ouais, si on veut. J'aurais vingt ans.
Tohma se retourna pour lui sourire franchement.
— Faudra qu'on fête ensemble, quand même.
Izana sourit à son tour, même si c'était de manière beaucoup moins visible.
— Pourquoi pas. »
Assez satisfait par sa réponse, Tohma continua de vadrouiller à travers le magasin à la recherche de ce que sa mère lui avait demandé d'acheter. Assez nonchalant, il continuait de parler à Izana distraitement. Les traits de son visage étaient vraiment apaisés et il se sentait réellement en confiance avec lui.
« Tiens d'ailleurs, il s'arrêta au beau milieu du rayon fruits et légumes pour finalement regarder le délinquant, J'avais appris un poème en cours de littérature, en début d'année, je peux te le réciter ?
— Un poème ? répéta Kurokawa, incrédule.
Tohma hocha vivement la tête.
— Je l'avais bien aimé, je trouve ça joli la poésie.
— Soit, fais comme tu veux, l'autorisa-t-il. »
Le garçon aux cheveux lilas sourit un peu plus et attrapa un sachet de pommes rouges. Il ferma rapidement les yeux, comme pour se remémorer ce qu'il avait appris, comme s'il arrivait à visualiser le texte.
« Par les soirs bleus d'été, j'irais dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserais le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irais loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme. »
Izana plissa les yeux, assez concentré, et quand Tohma rouvrit les yeux, il se trouva face à son incompréhension, et il eut un peu envie de rire.
« J'ai pas tout suivi, mais si ça se te fait plaisir on va dire que ça va, il détourna le regard, assez hautain, pour plutôt se focaliser sur les quelques légumes de saison dans les rayons. »
Le plus jeune laissa cette fois-ci échapper un petit pouffement amusé, et il reprit sa routine.
« T'aimes vraiment la littérature, alors, marmonna le mat de peau en se retournant après quelques instants de réflexion.
— Oui, je trouve ça assez passionnant.
— Pourquoi tu te spécialises pas là dedans, si t'aimes bien ça ? hésita Izana en penchant lentement la tête sur le côté.
— J'ai abandonné le lycée, je n'ai pas passé mes examens de fin de cursus. C'est foutu, je peux pas vraiment continuer d'étudier ça.
— T'exagères. Si tu aimes quelque choses il y a toujours moyen de se débrouiller pour l'obtenir. Tu es juste faible.
— Oh, bah c'est pas nouveau ça ! Tohma rit un peu plus franchement et porta son attention sur sa liste de courses. »
Kurokawa resta silencieux, le dévisageant avec attention. Il était assez soucieux. Il ne le dit pourtant pas à voix haute, et laissa tomber. Au pire, ce genre de choses ne regardait que Tohma.
Après une autre dizaine de minutes qui parut assez longue, les deux garçons étaient enfin sortis du supermarché, et avec son sac plein de nourriture au bras, Asanai soupira bruyamment.
« Il est que dix-huit heures mais il fait déjà nuit ! se plaignit-il.
— Ça s'appelle l'hiver, couillon.
— Je sais, mais ça reste déprimant. »
Izana enfouit le bas de son visage dans son écharpe et leva le regard vers le ciel obscurci. Les astres brillaient déjà dans la pénombre.
« Tu sais, je ne suis pas très doué en littérature, avoua-t-il assez soudainement, et assez amèrement.
Alors qu'ils commençaient à marcher, Tohma lui jeta un regard assez surpris. Il ne s'attendait pas vraiment à ce qu'il lui admette ça. Il ne dit rien, tout de même assez intrigué.
— Mais c'est vrai que ça peut être intéressant, il tourna la tête à son tour pour plonger son regard dans celui du plus jeune. »
Dans le plus grand des silences, il prit une légère pause et sourit simplement, avant de reporter ses iris améthystes vers les lumières célestes, avec un air assez nostalgique et étrangement délicat qui ne lui ressemblait pas vraiment.
« La lune est belle, n'est-ce pas ? »
Tohma s'arrêta assez subitement. Ses yeux s'écarquillèrent, abasourdi, et sa bouche resta entrouverte. Pour une fois, ses joues n'avaient même pas pris une teinte incroyablement rouge : il était trop choqué pour ça. En le voyant planté comme un piquet, Izana s'arrêta à son tour et le fixa. Les reflets lumineux de la Lune brillaient dans ses pupilles, et sa peau paraissait comme vraiment blanche sous cet éclairage.
Le cœur battant, Asanai finit par recouvrer ses esprits, et il cligna bêtement des yeux. Son cœur battait effectivement la chamade, mais il préféra l'ignorer. Ce n'était pas grand chose comparé aux papillons dans le fond de son ventre, cette sensation étrange de joie euphorique qui le forçait à bien prendre le temps de respirer pour qu'il réalise bien ce qui lui arrivait. Finalement, un sourire incontrôlable finit par se coller à ses lèvres. Il répondit donc enfin, de manière automatique, comme si c'était la seule chose qu'il aurait pu lui déclarer :
« Elle l'a toujours été. »
NDA : the moon has meaning.
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