17 | 'PAS DE PÈRE'

« Tu connais ton père ?

— Non.

— Tu veux le connaître ?

— Non, pas vraiment.

— Pourquoi pas ?

— Parceque je n'ai pas de père. »

En sortant du cabinet de sa psychologue, Tohma enfonça ses mains dans les poches en polaire de son manteau long et enfouit son visage dans son écharpe, frileux. Un coup d'œil au ciel nuageux, blanc comme la neige qui menaçait de tomber à tout moment, lui suffit pour être un peu requinqué. Ça faisait dix jours qu'il n'avait pas eu de nouvelles d'Izana – il n'avait pas pris son numéro de téléphone quand il avait passé la nuit chez lui, et il ne s'était jamais senti aussi stupide au moment où il avait réalisé que c'était trop tard.

En même temps, il n'était pas grandement étonné. Kurokawa était un chef de gang, un délinquant, un vrai, voire un criminel. Il habitait loin de chez lui, et avait très clairement d'autres choses à faire que de prendre le train ou faire de longs trajets en moto juste pour le voir lui. Il le savait, mais ça ne l'empêchait pas d'être tout de même assez déçu.

« Hah ... soupira-t-il en se décidant finalement à avancer, Comme quoi être son prince, ça ne fait pas tout. »

Il se força un peu à sourire. Le regard rivé vers le sol, il était perturbé. Sa psychologue avait abordé le sujet de son père, et ça l'avait sérieusement décontenancé. Après tout, il n'avait jamais pensé à son père. Même sa mère ne le connaissait pas, donc à partir de ce moment-là, il n'avait pas cherché à en savoir plus. D'ailleurs, essayer de trouver un pervers inconnu qui ne savait pas correctement enfiler une capote quand il allait chez les putes ne le tentait pas vraiment, surtout si c'était pour se retrouver face à quelqu'un qui n'était même pas au courant de son existence. Il trouvait cela assez ridicule. Pourquoi se forcer à trouver son géniteur ? Pourquoi est-ce que le lien du sang importait tellement aux gens ? À ses yeux, son père n'était pas son père : il n'avait jamais été là, ne l'avait jamais vu et ne l'avait pas éduqué. Sa mère lui suffisait amplement, il n'avait besoin que d'elle. Elle jouait son rôle de mère, et un rôle de père.

« De toute façon, pour trouver un étranger, il faudrait forcer, critiqua-t-il ouvertement en shootant dans un caillou. »

C'était la seule chose qu'il savait de son père : il n'était pas Japonais. S'il le savait, c'était juste grâce à la couleur de ses yeux, qu'il tenait de lui : il n'y avait pas moyen qu'un Japonais ait des yeux aussi bleu profond que les siens, ça n'avait aucun sens.

« Aïe ! Sale gosse ! s'écria soudainement un homme en se mettant à sautiller. Il était vêtu d'un costard et était clairement en Facetime avec quelqu'un. Il n'hésita pas à foudroyer Tohma du regard, qui sursauta et eut un mouvement de recul, confus, Ouais Josh. Il vient de me frapper avec un caillou. C'est un délinquant, avec des cheveux violets.

Ahuri, Asanai resta silencieux. Il l'observa l'insulter sans rien dire. Les hommes d'affaires pouvaient être terrifiants, des fois. Et aussi très impolis, mais il ne releva pas vraiment ce détail assez agaçant.

Euh, désolé ? finit-il par balbutier en se grattant la nuque, déboussolé. Il s'approcha un peu pour mieux s'excuser, mais fut stoppé quand l'étranger continua de jurer.

Il s'excuse ce con. Il a une tête de débile, avec ses yeux bleus. On dirait un poisson.

Tohma allait finir par se vexer, à force.

Laisse tomber, il a quel âge ? Douze ans ? Treize ans ? à cette distance, le jeune homme pouvait vaguement entendre la voix de l'interlocuteur à l'autre bout du téléphone.

Nan, plutôt dix-sept ou dix-huit. C'est aberrant. Tous les mêmes ces japonais. »

Sur ces mots, il cracha par terre et tourna les talons.

Si seulement il avait été Izana, Tohma aurait pu lui balancer un coup de pied sans sortir les mains de ses poches, et il aurait fini par terre.

« Enfoiré, marmonna-t-il en reprenant sa route, exacerbé par ce qu'il venait de lui arriver. »

Il entendit alors des bruits de pas assez rapides, comme le son de quelqu'un qui courait avec des talons – s'il le reconnaissait, c'est parcequ'il l'avait déjà lui-même fait. Il se retourna, assez surpris parcequ'il n'y avait vraiment personne dans la rue à part lui et ce connard d'homme d'affaires. Ses yeux s'écarquillèrent quand il vit un certain Philipin aux cheveux blancs s'approcher de l'étranger qui s'était subitement arrêté à cause de lui. Bouche bée, il l'observa balancer un coup de pied retourné à ce même étranger, en plein dans la mâchoire, tout en attrapant son téléphone portable avec sa main droite. Tohma grimaça visiblement. Se prendre un coup de talons en plein dans le menton, ça devait faire vraiment mal. Izana se réceptionna correctement et jeta un regard dédaigneux à l'homme tombé inconscient sur le sol.

Finalement, il n'avait pas besoin de devenir Kurokawa si le concerné venait à lui pour donner lui-même les coups de pieds à ceux qui l'agaçaient.

« Bande de vieux riches, vous dégoûtez, il porta son attention vers la personne au téléphone. Il eut un mouvement de recul et haussa les sourcils, Facetime ? Putain, plus riches que prévu.

— Qu'est-ce qu'il se passe ? Andrew ? paniqua l'inconnu en anglais à travers le téléphone. »

Tohma ne savait plus où donner de la tête. Il s'approcha en silence, bouche-bée, et regarda le visage du certain Josh – qui avait l'air terrifié – sur l'écran tactile.

« Qu'est-ce que tu fiches ici ? finit-il par demander à Izana en tournant le regard vers lui.

J'allais chez Kakucho, et j'ai entendu ce bouffon. Je m'attendais pas à te voir là.

— Tu comptais pas venir me voir non plus je suppose ? hésita le plus jeune. Il avait un peu envie de se frapper en demandant ça, sachant particulièrement bien que Kurokawa avait mieux à faire. »

Le Philipin allait répondre, mais il détourna d'abord la tête pour dévisager le blond à l'écran avec une aura assez supérieure. Il plissa les yeux, remarquant bien qu'il avait l'air obnubilé par Tohma.

« Ce con a tes yeux.

— Quoi ?! s'indigna le garçon aux cheveux mauves. Son attention se reporta sur l'homme d'affaires, qui paraissait trop abasourdi pour dire quoi que ce soit. Il l'observa, grimaça, puis fronça les sourcils, Je m'en contrebalance de ça ! »

D'un seul mouvement, il arrêta l'appel vidéo, attrapa le téléphone des mains d'Izana et le jeta par terre avant de l'écraser sous sa chaussure.

« Je me fous de ce connard. Il peut me ressembler autant qu'il veut, j'en ai rien à carrer, je ne le connais pas, déclara-t-il avec amertume. Kurokawa haussa les sourcils, assez surpris, puis sourit doucement.

J'aime vraiment bien ta façon de penser. »

Tohma ne répondit pas, le moral tout de même assez plombé. Se faire insulter et regarder de haut par des inconnus n'était pas quelque chose d'appréciable. En silence, il enfouit à nouveau le bas de son visage dans son écharpe et son regard se fit distant. Il commença à observer le sol givré, puis murmura :

« Si je peux pas te voir, tu peux au moins me passer ton numéro de téléphone ?

Izana eut l'air assez surpris. Il sourit gentiment, l'observant avec une certaine tendresse.

Pourquoi t'es aussi timide d'un coup ? il sortit son téléphone de la poche de son manteau, amusé, Je vois pas pourquoi je te le donnerai pas.

En voyant le plus jeune soupirer de soulagement, comme s'il venait de lui demander quelque chose d'insurmontable, son sourire s'étira un peu plus sur ses lèvres, et il ne put s'empêcher de rajouter :

Par contre, ne viens pas m'appeler n'importe quand, hein, il lui tendit son téléphone pour qu'il puisse entrer son contact.

— Bien sûr. Je peux me passer de toi, quand même, fit remarquer Tohma tout en levant les yeux au ciel d'un air assez narquois.

Mens doucement s'il-te-plaît, se moqua Izana en reprenant son téléphone dès qu'il eût terminé.

Il prit un pas de recul et rangea son portable.

Bon, je dois y aller. Je viendrai te voir plus tard, je te promets.

— Ok, répondit simplement Asanai en souriant un peu plus, À plus alors. »

Kurokawa lui fit un simple signe de la main en guise d'au revoir, et ils reprirent chacun leur chemin.

Tohma ne put s'empêcher de penser que ça faisait bizarre de lui dire au revoir de cette manière, sans rien faire. Il secoua la tête et leva les yeux au ciel une nouvelle fois quand une sensation de froid vint lui geler le bout du nez.

Il commençait déjà à neiger.

NDA : C'est quoi un daron même au fond

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top