12 | 'UNE HUMEUR, UN CLIMAT'

La journée qui était censée être longue pour le jeune homme fut coupée court à dix heures pétantes quand la porte de sa salle de classe, pendant les révisions des polynômes du second degré, s'ouvrit brutalement et sans prévenir.

Bien évidemment, la porte elle-même n'allait pas prévenir qu'elle allait s'ouvrir, mais la personne derrière aurait pu.

Cette-dite personne qui après avoir donné un violent coup de pied dans l'entrée passa sa main dans ses cheveux, ennuyée.

« J'aurais dû me douter que tu serais allé en cours, connard ! »

Le silence émana de la salle de classe alors que Rindo fronçait les sourcils, visiblement agacé. Tohma avait détourné le regard, horrifié de le voir ici, et prétendait qu'il n'existait pas, ce qui était d'autant plus louche quand on voyait que tout le reste des élèves avaient le regard rivé vers le délinquant, qui lui fixait Asanai avec grande attention.

« Tohma, tu peux pas juste prétendre que j'existe pas, tu as perdu, tu sais.

Assez confus, le jeune homme finit par le regarder, affreusement embarrassé.

J'ai perdu quoi ? le stress faisait trembler sa voix, le stress de l'entendre dire qu'il avait perdu sa mère célibataire devant une trentaine de personnes toutes plus silencieuses les unes que les autres.

Ta dignité. »

Le garçon aux cheveux lilas se redressa brutalement, ses paumes venant s'écraser contre son bureau, indigné. Rindo se contenta de sourire de toutes ses dents, visiblement satisfait de l'effet de sa blague nulle.

« Tu viens ? Faut qu'on parle, ordonna-t-il.

Euh ... Tohma jeta un rapide coup d'œil à son professeur, et grimaça. Une veine frontale commença à se voir sur son visage tellement il paraissait rouge de colère, et la feuille qu'il tenait dans sa main était froissée tellement sa main se crispait. C'était quitte ou double : s'il quittait cette salle de classe, il vaudrait mieux pour lui qu'il ne revienne plus jamais dans ce lycée, Non tu vas–

— Non j'attends pas cassos. J'ai mis les pieds dans cet établissement de satan juste pour ta petite personne incongrue alors t'as intérêt à bouger ton cul parceque je refuse d'attendre plus longtemps.

— Mais t'avais pas qu'à pas niquer ma–

— Arrête Tohma, t'es chiant. Ramène-toi. »

Assez agacé qu'on lui donne des ordres alors qu'il n'était pas en tort, le lycéen se laissa retomber sur sa chaise brusquement, les bras croisés, le visage renfermé.

« ASANAI ! le mugissement de son professeur le fit bondir hors de son siège, effrayé. Rindo s'adossa à l'encadrement de la porte, sachant que ce n'était qu'une question de secondes avant que son voisin se décide à fuir les foudres de son professeur. »

Et effectivement, il en fallut très peu pour que Tohma prenne un pas de recul, et s'excuse rapidement auprès de sa camarade de classe avant de se carapater sans aucune honte.

« J'étais sûr que tu finiras par venir, fit remarquer le jeune homme aux lunettes, moqueur, en tournant les talons à son tour.

Asanai était déjà au fond du couloir quand il l'entendit prononcer ces mots, et s'arrêtant dans sa course pour l'observer, il serra les dents, assez angoissé.

Tais-toi et dépêche toi, je veux pas me faire attraper ! C'est mort, j'arrête le lycée ! Ce prof est terrifiant !

— T'auras tenu jusqu'à ta majorité à l'école, c'est remarquable, il était vrai qu'à côté, le plus jeune Haitani avait abandonné les cours au milieu de son année de sixième. Il jeta un rapide coup d'œil derrière lui, pour remarquer le professeur, fulminant comme un taureau enragé, s'avancer dans le couloir en braillant, Ah, je vais faire un petit effort. »

Il trottina alors à la suite du plus jeune, qui était lui déjà en train de dégringoler les escaliers quatre par quatre. Alors qu'ils fuyaient en courant, Tohma ne put s'empêcher de s'imaginer en train de s'enfuir loin d'un tyrannosaure mutant à la peau rouge et aux griffes de règles. Il serait Indiana Jones et Rindo serait son acolyte un peu benêt – quoique après réflexion, il serait plutôt le personnage secondaire, et son ami d'enfance serait le personnage principal. Devant ses pensées idiotes, tout en essayant de ne pas s'essouffler alors qu'ils sortaient rapidement du bâtiment, il éclata de rire, à gorge déployée. Il s'arrêta pour s'adosser au mur d'enceinte de l'établissement, incapable de calmer son fou rire.

« J-Je voulais reprendre une vie normale ! s'exclama-t-il, à bout de souffle : il ne savait pas si c'était parcequ'il rigolait ou si c'était parcequ'il avait couru, Et je me retrouve à m'enfuir du lycée ! Mais je peux plus y retourner, là, je vais dire quoi à ma mère ?! »

Il s'arrêta de rire presque instantanément en mentionnant sa mère.

Ah oui. Il était avec Rindo. Et Rindo et sa mère ...

Son regard vint se tourner vers le sol, mal à l'aise, et il se décala contre le mur afin sortir du lycée. Collé à la barrière de pierre, il se laissa glisser sur le sol pour se recroqueviller doucement, serrant contre lui l'uniforme rouge qu'il avait sur ses épaules.

Debout devant lui, Rindo eut l'air assez ennuyé. Il pencha la tête sur le côté et bouda un peu.

« Quoi ? Tu réalises ?

— Ta gueule, marmonna le jeune homme. Ses mains vinrent s'enfouir dans ses cheveux magenta, C'est dégueulasse. Pourquoi t'as fait ça ?

— Parceque ta mère est bonne. J'ai besoin d'une autre excuse ?

— C'est pas une excuse ! Quoi, tu l'as payée aussi ?!

— Ah non. Elle m'a dit qu'elle m'accordait ça parceque j'étais mignon.

Tohma releva la tête pour le foudroyer du regard.

Beurk ?!

— Oh ça va, t'es asexuel, tu peux pas comprendre.

— C'est ma mère, c'est différent !

— Bah écoute, ta mère est bonne pour la catégorie milf de Pornhub, j'y peux rien.

— Mais– Ça je sais, c'est pas nouveau que ma mère est sexy, elle est pute ! Ce qui me perturbe, c'est que toi, de toutes les personnes possibles, ait osé niquer ma mère, littéralement ! »

Rindo se tut, incapable de répondre. Il n'avait après tout, rien à lui répondre. Il n'avait pas spécialement envie de continuer à se disputer avec son voisin sur ce sujet. En soupirant d'ennui, il posa ses fesses à côté d'Asanai. Il avait l'impression qu'il allait avoir une migraine à cause de toute cette situation.

« C'est de la faute de ta mère hein.

— Je sais, c'est une aguicheuse. Quelle pute.

— Tu m'en veux ?

— Je peux te frapper ? Après on sera bon. »

Vu comment il frappait, le blond ne put s'empêcher de ricaner.

« Ouais, si tu veux. »

Tohma sourit doucement, les yeux plissés, fixant l'épaule du délinquant avec une grande concentration.

Mettre toute la force dans son poing. Provoquer un basculement du bras net pour avoir une plus grande puissance d'énergie. Pas de mouvement superflu. Se concentrer sur son poing, voire concentrer toute sa haine dans son poing.

Tohma avait appris des techniques pour améliorer sa force.

Pourtant, quand son poing entra en collision avec l'épaule de Rindo, après qu'il y ait mis toute sa force, ce dernier ne chancela même pas. Ses yeux s'écarquillèrent légèrement, et il tourna lentement la tête vers son ami.

« Tu m'as frappé là ?

— ... Oui.

— Attends, mais tu t'es concentré, t'as mis toute ta force, dans ça ? J'ai rien senti ! s'offusqua le plus âgé, presque outragé par sa faiblesse, T'es sûr que t'as dix-huit ans ? Et tu oses porter la veste de Kurokawa en étant aussi nul ? T'as pas honte ?

Les joues rouges, Tohma bredouilla et buta sur ses mots.

TA GUEULE ! finit-il par s'écrier, gêné. »

Et le cadet Haitani se mit à rire, moqueur. Le lycéen souffla doucement, étrangement soulagé, et sourit plus paisiblement. Ses deux orbes bleues comme l'océan se portèrent vers le bleu clair du ciel parsemé de petites tâches de nuages.

Il n'avait pas réussi à ne pas pardonner Rindo. De toute façon, il était plus à l'aise en sachant qu'il était en bons termes avec lui. Ça faisait du bien de savoir qu'il n'était pas en froid avec ses seuls amis : parceque quoi qu'on aurait pu dire, Awaka Akane n'était pas une amie, mais plutôt une simple copine, une camarade.

Les quelques mèches retournées et plaquées en arrière de Rindo voletaient au gré du vent, ainsi que ses quelques bribes de cheveux turquoise. Posé tranquillement, il jeta un rapide coup d'œil à l'accoutrement de son voisin.

« D'ailleurs, pourquoi est-ce que t'as encore la veste de Kurokawa ? Ran m'a dit que t'avais passé la journée avec lui, mais de base il avait sa veste quand il vous a vu hier soir.

— Il me l'a donné parcequ'il n'avait pas envie que j'attrape froid.

Il y eut un léger silence, puis un nouveau ricanement nasal provenant du délinquant.

Ouais c'est ça, fous toi de ma gueule.

— C'est vrai ! protesta Tohma en se redressant brusquement, Il a dit que si je l'avais, je ne l'oublierai pas lui.

Le petit sourire mesquin du jeune homme se transforma en grimace.

Menteur. Izana est pas comme ça.

— Ta gueule, je mens pas. Il est comme ça avec moi, c'est tout.

— Non.

— Tu peux pas juste dire non ! Tohma crut s'offusquer pour la troisième ou quatrième fois de la journée. »

Et Rindo se remit à rire. Tohma sourit aussi, amusé. Il faisait frais, une température correcte pour une fin de novembre, et le ciel était dégagé, brillant, juste maculé de quelques voluptueux nuages aux airs de coton. La pluie et l'orage s'étaient déchaînés durant la nuit, laissant place au soleil et au beau temps. Tohma avait l'impression que son humeur était similaire au climat : pour le coup, c'était vraiment pour le mieux. S'expliquer avec Rindo – même si son explication se résumait à « ta mère est bonne, j'y peux rien » – lui avait fait plus de bien qu'il aurait pu imaginer.

« HAITANI ! SI TU CROIS QUE JE NE TE RECONNAÎTRAIS PAS, TU T'ES TROMPÉ ! ASANAI, REVIENS ICI IMMÉDIATEMENT ! »

Le cœur du plus jeune manqua de tomber droit dans ses chaussettes, pas parcequ'il était dépité mais parcequ'il venait de lâcher. Oh l'attaque cardiaque lui avait paru si proche, la mort venait de flasher devant ses yeux, et cette mort, elle avait un visage : celui du foutu conseiller scolaire. Une main sur le cœur, il se redressa et se précipita pour s'enfuir. À ses côtés, Rindo s'était relevé presque en faisant un salto, si c'était réellement possible : lui et ses foutues habitudes de gymnastique, Tohma avait envie de l'insulter pour sa souplesse et son agilité digne de celle d'un chat. Et alors qu'il partait à gauche, Rindo était parti dans la direction opposée, et avait décidé de s'enfuir vers la droite.

« ON SE RETROUVE PLUS TARD RIN ! s'écria rapidement le garçon aux cheveux teints en voyant son voisin s'éloigner rapidement en riant presque aux éclats, PROFITE PAS DE MON ABSENCE POUR T'APPROCHER DE MA DARONNE ! »

Il eut comme seule réponse un doigt d'honneur assez glorieux, et ça lui suffit pour qu'il se décide à tourner les talons et partir en courant, hilare. Il devait l'admettre, il aimait plutôt bien sa vie, aussi étrange qu'elle puisse être.

Dans sa course, un peu trop préoccupé à l'idée de voir le CPE surgir à chaque coin de rue, il ne fit pas attention à la vie quotidienne qui se passait devant lui, et il fonça directement non dans la personne qui marchait en face de lui, mais dans le poteau.

Le gigantesque lampadaire métallique vacilla entièrement, tremblant suite au choc, et Tohma, sonné, prit un pas de recul. Il louchait un peu et il sentait une humidité un peu trop chaude et visqueuse lui couler le long du nez. Il se lécha les lèvres et le goût métallique vint imprégner ses papilles gustatives. Il préférait ignorer sa tête qui tournait un peu. À sa droite, l'adolescent qui avait assisté à la scène était partagé entre la surprise et l'envie de se mettre à rire. Quand finalement, il se mit à pouffer de rire, Tohma cligna des yeux et lentement, tourna la tête vers lui pour l'observer.

Petit, des yeux noirs comme vides et sans vie, des cernes de trois kilomètres, donnant l'impression qu'on venait de le réveiller après une nuit si courte qu'il n'aurait pas dû tenir debout, et des cheveux blonds assez longs, dont la moitié était retenue hors de son front en une sorte de couette. Ce visage, il avait changé depuis ces quelques années, mais le plus âgé resta pétrifié. Parceque malgré le temps, il ne l'oublierait pas, et il ne l'oublierait probablement jamais. Oui, peut-être que lui était figé sur place, mais ce visage était figé dans sa mémoire.

« Oh Mikey, tu fiches quoi ? On va en cours abruti, une voix plus grave se fit entendre. »

Le visage, il était sûr de le connaître, pour des raisons plus que personnelles et plus que traumatiques.

Par contre, le nom, il ne lui était que familier. Mikey, il l'avait entendu où, déjà ?

Instinctivement, Tohma eut un mouvement de recul. Son visage blêmit, et sa bouche se referma en silence, les lèvres tremblantes. Le sang qui venait décorer et humidifier son visage n'était maintenant plus qu'un détail superficiel. Anxieux, ses sourcils se froncèrent et il se mit à triturer les manches de l'uniforme d'Izana.

Pour la deuxième fois en l'espace de quelques minutes, le jeune homme se figea de stupeur.

Mikey, c'était le nom de ce garçon qu'Izana détestait par dessus tout.

Et alors que le blond et son ami la perche humaine partaient en riant et se moquant ouvertement, Asanai resta de marbre, le regard perdu dans le vide. Il aurait souhaité ne jamais le revoir.

Son visage d'un blanc maladif, ses yeux ne sachant plus où regarder, l'hémoglobine venant tâcher sa bouche et son front, il finit par se plier en deux contre le bord de la route, et régurgita tout ce qu'il avait avalé durant les dernières vingt-quatre heures dans le caniveau. Il vomit, cracha, et continua de rejeter ce qui était dans le fond dans son estomac jusqu'à ce que sa gorge le brûle et que ses yeux viennent s'embrûmer de larmes. Il continua d'avoir des renvois sans plus avoir de quoi vomir. Il avait l'impression que s'il continuait instinctivement de forcer de cette manière, il finirait par régurgiter ses poumons. À genoux sur le sol, haletant devant sa bile et son vomi, une grossière larme vint rouler sur sa joue. Toussant, s'étouffant, hoquetant, il commença à essayer de reprendre son souffle entre les bruyants sanglots qui faisaient trembler son corps de faible. À chaque inspiration qu'il prenait, sa gorge le piquait et il avait la vague sensation de brûler de l'intérieur. Il prit une grande inspiration dans l'espoir de se calmer, pour finalement éclater en larmes, incapable de contrôler ce qu'il ressentait. Entre les souvenirs de la douleur qu'il avait ressenti ce jour-là à cause de ce Mikey-là et la douleur qu'il ressentait aujourd'hui, il n'arrivait plus à différencier le vrai du faux et le mental du physique. Il était incapable de se reprendre en mains.

Son humeur ne dépendait donc pas du climat, après tout.

NDA : Bonne année hein 🤠

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