11 | 'PROBLÈMES MATINAUX'
Awaka déplia le futon au pied de son propre lit, gardant un œil sur son camarade de classe au passage.
La chambre de la jeune femme était assez sobre, murs gris et quelques posters, un nombre suffisant de placards et un grand bureau. Des photos accrochées un peu partout harmonisaient l'atmosphère de la pièce, pour la rendre un peu moins monochrome et minimaliste mais plus chaleureuse. C'était une chambre d'adolescent banal, de taille régulière.
« Et donc, maintenant que y'a plus mes parents ou mon petit frère pour t'embêter, tu peux m'expliquer ta situation ? le questionna-t-elle, intriguée, C'était qui avec toi ? Et il s'est passé quoi avec ta mère et– elle releva la tête vers Tohma, assez blasée, Et tu vas vraiment tenir ce pauvre manteau mouillé contre toi toute la nuit ? »
Le jeune homme n'avait pas lâché une seule fois l'uniforme d'Izana, justifiant qu'il était trop précieux pour qu'il puisse oser le laisser de côté.
« C'est compliqué. J'ai trouvé mon ami d'enfance au lit avec ma mère, alors ça m'a un peu retourné.
— Ça m'a pas l'air très compliqué, remarqua la lycéenne, grimaçant doucement, C'est juste difficile à vivre je pense. Ton père il a dit quoi ?
Il cligna des yeux, confus.
— Quel père ?
— ... Hein ?
— Awaka, ma mère est une pute, t'étais pas au courant ? »
Ses joues tournèrent alors au rouge pétant, comme si on venait de lui dire un secret honteux qu'elle n'était pas censée savoir, un secret trop embarrassant pour elle.
« Q-Q-QUOI ?!
— C'est pas grand chose, soupira le jeune homme sans faire attention à sa réaction, C'est juste chiant de rentrer des fois, mais j'ai l'habitude. Cette fois, faire ça avec mon ami d'enfance c'était juste ... Trop.
L'adolescente secoua vivement la tête pour se remettre les idées en place.
— J'étais pas du tout au courant, pardon.
— Pourquoi tu t'excuses ? C'est pas comme si t'y pouvais quelque chose. La seule personne qui y peut quelque chose c'est mon père pour pas avoir mis de capote quand il a payé ma mère.
— Ahah– euh– elle n'était définitivement pas à l'aise avec ce genre de sujet, ça se voyait sur son visage. Pour elle, tout serait mieux que continuer à parler de ce genre de choses, Et du coup, euh sinon ton mec il est peut-être super beau mais il a l'air vachement méchant et un peu fou !
Elle regretta immédiatement ses mots quand elle vit l'expression sur le visage de Tohma, et eut la forte envie de s'étouffer dans son oreiller. Ça, ce serait moins gênant.
— Pardon ! s'écria-t-elle avant même que son camarade puisse lui répondre, Si ça se trouve c'est ton demi-frère, je suis désolée !
— S'il était mon demi-frère je serais bon pour déménager en Alabama, grimaça Asanai, assez gêné, Il est pas mon mec, par contre. Je le connais pas encore beaucoup, et je pense qu'avant qu'il veuille bien m'accepter il va me falloir plus de temps que ça avec lui.
— On dirait que tu parles d'un animal sauvage. »
Il sourit un peu, amusé. Les deux lycéens continuèrent de parler jusqu'assez tard dans la nuit, Awaka assise sur son lit, à lui répéter que Tohma devait l'appeler par son prénom et pas son nom de famille, et le jeune homme allongé dans son futon, refusant catégoriquement. Ce n'est qu'aux alentours de minuit, après que le garçon aux cheveux mauves ait posé une question à son amie, qu'il remarqua qu'il n'eût aucune réponse. Étonné, il se redressa, pour remarquer qu'Awaka était déjà endormie.
« Bonne nuit Akane, murmura-t-il en souriant, sachant parfaitement bien qu'elle ne l'entendrait pas chuchoter son prénom. »
Il se laissa tomber sur le matelas une nouvelle fois, les yeux grands ouverts et rivés vers le plafond. Ses bras étaient croisés derrière sa tête : il ne pourrait pas dormir de si tôt. Les lèvres pincées, il déglutit doucement. Est-ce que sa mère s'inquiétait pour lui ? Très probablement. Et Rindo, il faisait quoi ? Il était sûrement avec Ran peut-être à raconter des conneries, comme d'habitude.
Il était ennuyé. Toute cette situation l'ennuyait, et il n'arrivait pas à se dire que s'il en était là, ce n'était pas sa faute mais celle de sa mère et de Rindo.
« J'aurais jamais dû faire ça, admit-il avec amertume, se maudissant pour avoir réagi de cette manière là. »
Il se retourna rageusement sur son futon, se mordant la lèvre furieusement. Son regard tomba sur la veste d'Izana, qu'il avait pliée et rangée à un moment dans la soirée. Son visage se dérida un peu et ses yeux restèrent fixés sur l'uniforme, habitués à l'obscurité.
Il connaissait maintenant suffisamment Izana pour savoir ce qu'il lui aurait dit. Tohma le savait, il l'aurait probablement regardé comme s'il était un imbécile, pour changer, pour lui balancer que ce n'était pas sa faute et qu'il aurait dû arrêter de se blâmer pour un rien, comme un faible.
Alors que connaissant sa mère et Rindo, ils allaient probablement lui dire qu'il avait exagéré.
La frustration dans ses yeux se mit à briller, pour se demander à quel moment exactement il avait commencé à penser que tout était tout le temps sa faute. Marmonnant doucement qu'il en avait marre de lui-même, il se hissa un peu jusqu'à pouvoir attraper la veste rouge qu'il avait précieusement pliée à côté de lui. La serrant alors contre lui, il hésita un peu avant de la mettre sur ses épaules, ignorant la claire humidité du vêtement. Il s'en fichait, elle sentait comme Izana : l'avoir autour de lui lui donnait l'impression que c'était le Philipin qui le tenait contre lui. Il inspira longuement, un peu plus apaisé, et décida d'ignorer ses problèmes juste pour la nuit. Fermer les yeux les fit disparaître, juste le temps d'un sommeil.
Un sommeil qui ne dura pas longtemps, du moins, à ses yeux. Quand il se fit réveiller par le petit cri de surprise de sa camarade de classe, incapable de se souvenir de ce dont il avait rêvé, il crut réellement n'avoir dormi que quelques maigres heures. Ses paupières s'ouvrant doucement, comme les ailes d'un papillon s'ouvraient alors que l'insecte se défaisait de sa chrysalide, il tourna la tête pour dévisager l'adolescente aux airs plus qu'embarrassés, agacé par le boucan qu'elle faisait.
« Je veux bien qu'on ait cours aujourd'hui mais tu exagères– commença-t-il mollement, se rallongeant sur le dos, avant de se faire couper par une petite voix assez gênée.
— Euh, Tohma tu– euh, je te dis ça comment ? Mais euh– tu ... Tu bandes. »
Il suffit d'un regard vers son short de pyjama pour que le jeune homme se redresse brutalement, soudainement très bien réveillé. En un instant, le visage éclatant de rouge, il se recouvrit de sa couverture et se recroquevilla sur lui-même.
« AAAH ! C'est pas ce que tu penses ! Ce sont des choses qui arrivent ! se justifia-t-il, C'est pas à cause de toi ! Tu m'attires pas !
Réalisant que ça aurait pû être mal pris, il se reprit rapidement.
— Enfin, non ! Tu es belle hein, mais pas pour moi ! Enfin si, mais tu m'attires pas, t'es une amie, c'est tout ! C'est pas en rapport avec toi !
— C'est ton rêve ? essaya de décrypter Akane, un peu dégoûtée.
— Non ! J'en sais rien, je me souviens plus !
En la voyant jeter un regard un peu trop suspicieux à l'uniforme rouge qui était à côté de Tohma dans son lit, le garçon aux cheveux mauves la fusilla du regard.
— N'y pense même pas. »
Il avait envie de se jeter au fond d'un trou et de mourir. Awaka, elle, finit par sourire, presque amusée de le voir aussi paniqué, et elle pouffa de rire :
« La salle de bain est au fond du couloir, première porte à droite. »
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Sur le chemin en direction du lycée, Awaka ne pouvait s'empêcher d'observer avec intérêt Tohma qui paraissait au bord de l'épuisement.
« Dis moi, hésita-t-elle après quelques instants, croisant ses bras dans son dos pour pencher la tête devant lui, ses cheveux se balançant doucement à chacun de ses mouvements, Tu ne t'es pas branlé dans ma salle de bain, j'espère ?
— Qu– les dents serrées et les yeux écarquillés, le jeune homme dévisagea sa camarade, horrifié, Crie plus fort, surtout !
Elle sourit maladroitement mais continua de le fixer, signe qu'elle attendait une réponse.
— Bien sûr que non idiote, pesta-t-il, agacé, J'ai pris une douche froide. Je suis asexuel, ça ne m'intéresse pas, tout ce genre de trucs.
— Asexuel ? Toi ? s'étonna la brune, Mais ta mère est une pute, c'est surprenant !
— Justement, je pense qu'elle n'a pas aidé. Je n'ai jamais– je dis bien jamais, ressenti d'attirance sexuelle pour quelqu'un. Et avoir une mère comme pute n'a pas dû aider. La simple idée de me retrouver comme elle ça me– uagh ... il frissonna, une grimace de dégoût se faisant voir sur son visage.
— Et ben, pour une surprise ! finit par s'esclaffer l'adolescente, étrangement soulagée, Après tout ce qui s'est passé ce matin et la manière dont t'avais regardé ton amoureux hier, j'ai vraiment pensé que tu ne pensais qu'à ça !
— C'est pas mon amoureux, Awaka ! s'indigna Tohma en la pointant d'un doigt accusateur.
Elle le regarda avec un certain air victorieux. Le garçon aux cheveux mauves trouva ça assez louche, et elle sourit de toutes ses dents.
— Tu refuses de me dire son nom, alors je suis bien obligé de l'appeler comme je peux !
Il leva les yeux au ciel.
— J'hallucine, soupira-t-il, remarquant qu'ils s'approchaient enfin des grilles du lycée. Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas vu ces barreaux métalliques aux airs un peu rouillés qui servaient de portail à un établissement scolaire assez pitoyable, Il s'appelle I– Kurokawa. Tu peux l'appeler Kurokawa.
— Pourquoi t'as hésité ?
— Pour rien, marmonna-t-il en esquivant son regard perçant. »
Ses yeux étaient si grands et noirs, il avait l'impression qu'il aurait pu tout lui dire si elle le fixait trop longtemps, et ça le mettait mal à l'aise. Appeler Kurokawa par son prénom, il n'avait pas envie que ce soit une habitude pour les gens qui ne le connaissaient pas. C'était peut-être juste une action de pure possessivité nulle et étrange, mais il avait bien le droit d'agir de cette manière, au moins une fois, pas vrai ?
Peut-être que oui, mais Awaka continua de le regarder étrangement, pour une raison assez particulière.
« Eh, je suis au courant que tu ne veuilles pas retourner chez toi, mais tu débarques en touriste là. T'as ni ton uniforme, ni ton sac. Les gens te regardent. Déjà que les professeurs n'aimaient pas les cheveux violets, tu n'arranges pas ton cas.
— Quand je leur dirais que j'étais à l'hôpital, ils feront moins les malins, admit-il avec amertume, Tout passe, quand je leur dis que j'ai des problèmes vitaux. C'est toujours la même chose de toute façon. »
Akane n'était pas convaincue, mais ne laissa rien paraître. Après tout, elle savait qu'au fond, Tohma avait sûrement raison : la pitié, qu'on le veuille ou non, on pouvait la trouver dans le regard des adultes quand ils apprenaient qu'un lycéen avaient des problèmes de santé assez graves pour qu'il doive aller à l'hôpital.
Enfonçant les mains dans les poches de son pantalon, le jeune homme continua de marcher en silence, essayant de garder ses yeux bien ouverts à chaque pas qu'il prenait. Les trois grands blocs de béton gris, aux petites fenêtres, comme en prison, se dressaient devant lui. Vraiment, le lycée ne lui avait pas manqué, et voir les adolescents l'observer lui et Akane marcher ensemble, il réalisa que la journée allait être longue.
NDA : dormir comme un chien pouilleux avec un manteau mouillé contre soi, qui peut relate ? Definitely not me /srs 🕺
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