Chapitre 9
Pendant les deux semaines qui suivirent, Hortense n'avait plus goût à rien. N'aimant pas énormément de base les activités paysannes, là, elle en était dégoûtée. Aller aux champs la rebutait, tout comme cuisiner, aller chercher de l'eau au puits et bien d'autres tâches. Tout ce qu'elle voulait, c'était rester seule pour pleurer tout son soûl. Car Lysandre lui manquait horriblement. Elle ressentait à chaque instant un profond sentiment d'abandon, qu'elle camouflait tant bien que mal.
Lorsqu'elle avait appris à sa mère que l'aristocrate était parti, Jeanne, qui n'aimait pas déjà beaucoup sa fille, la supporta encore moins. Sans savoir ce qui s'était passé, elle tenait la rousse responsable de ce départ, et s'était à peine calmée en voyant les quatre cents deniers ramenés. Depuis, elle houspillait sa fille sans répit pour que celle-ci daigne ramener de l'argent.
Mais, à la vérité, Hortense n'en pouvait plus de cette vie de paysanne. En côtoyant Lysandre, elle avait presque pu toucher la richesse et le bonheur du doigt. Mais elle avait tout gâché en s'arrêtant un instant pour admirer l'écriture du noble. Et elle s'en mordait encore les doigts, revivant sans cesse cette même scène dans ses songes, rêvant qu'elle changeait le cours des choses. Et, au réveil, quand elle se souvenait qu'il était parti, et qu'il ne reviendrait jamais, elle fondait en larmes.
Et, plus que tout, elle ne pouvait plus supporter Dakota. Ce dernier lui apparaissait encore plus rustre, malpoli, horripilant qu'avant. Il lui semblait tellement différent de Lysandre, et son mariage avec le blond se rapprochait. Cette pensée la rendait encore plus triste qu'elle ne l'était, et si elle avait pu, elle aurait voulu retourner en arrière, ou figer le cours du temps.
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Un jour où elle était devant le puits, perdue dans ses pensées, sa mère vint se poster devant elle, et l'examina un instant en silence. Gênée, Hortense se détourna, et, après avoir passé une bonne heure à réfléchir, elle se rappela qu'un seau plein d'eau l'attendait au fond du puits. Elle tirait sur la corde pour le remonter quand Jeanne lui saisit brutalement l'épaule pour la retourner vers elle :
« - C'est qui ? »
La rousse fronça les sourcils, et se dégagea :
« - Je ne vois pas de quoi tu parles. Laisse-moi.
- Me parles pas comme ça ! C'est qui le type dont t'es amoureuse ?! »
Sa fille écarquilla les yeux, et s'appuya au rebord de pierre :
« - De personne ! Pourquoi tu me parles de ça ?
- Tu crois que j'te vois pas ? Comment t'oses faire ça à Dakota ?!
- Mais, je...
- Tais-toi ! la coupa Jeanne. Dis-moi son nom ! »
Hortense se détourna, et remonta vivement le seau à la surface, avant de s'en emparer. Puis, elle se retourna vers sa mère :
« - Et puis, depuis quand tu t'intéresses à moi ? Retourne compter tes pièces et laisse-moi tranquille ! »
Sans attendre sa réponse, elle se dirigea vers l'écurie, et s'enferma dedans avant de verser l'eau dans les mangeoires. En faisant cela, elle laissa son esprit vagabonder. Pourquoi sa mère lui avait demandé de qui elle était amoureuse ? Elle ne l'était pas, et surtout pas de Dakota, alors pourquoi ? Elle s'assit en tailleur, et laissa le souvenir de Lysandre l'envahir, comme à chaque fois qu'elle avait une seconde à elle. Elle le revoyait dans ses riches habits, se perdait en souvenirs dans ses yeux magnifiques, et frissonnait de nouveau en se souvenant de sa voix chaude. Ça ne pouvait être cela l'amour... La rousse s'était toujours imaginé ce sentiment comme quelque chose qui la rendrait heureuse, mais surtout, comme quelque chose qu'elle saurait reconnaître, et aussitôt identifier comme étant l'amour. Mais là... Elle ressentait toute une foule de sentiments troubles, qui l'agitaient et jouaient avec ses émotions et ses nerfs. En effet, elle n'était jamais totalement heureuse ou totalement triste. Non, c'était bien plus compliqué. Elle pouvait être triste, mais aussi pleine de désespoir et de remords. Ou alors, par une étrange situation, amusée, mais troublée et, aussitôt, triste.
Et pourtant... Sa mère venait peut-être de lui fournir une réponse à la question qui l'effrayait le plus. Etait-elle amoureuse de Lysandre ? Elle s'était dit que non. Mais si l'amour était ce sentiment trouble qui la perturbait, et bien elle l'était. Et elle l'acceptait. En faisant cette constatation, elle sentit un profond et étrange soulagement l'envahir, et se prit le visage entre les mains. Maintenant qu'elle se savait éprise de l'aristocrate, elle comprenait mieux ses sautes d'humeurs, et sa tristesse infinie à son départ. Mais, aussitôt, les larmes lui montèrent aux yeux en songeant que si elle avait pris connaissance plus tôt de ses sentiments, il ne serait jamais parti. Elle s'effondra en sanglotant sur la paille, et pleura longtemps.
A un moment, un cheval vint lui renifler les cheveux, puis se détourna, constatant qui ne s'agissait pas de nourriture. Aussitôt, Hortense releva la tête, et fixa le cheval. Une idée venait de germer dans son esprit.
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Lorsqu'elle sortit de l'écurie, sa mère l'attendait :
« - Tu sais le temps que t'as passé là ? Tu crois que l'argent se ramasse tout seul ? Espèce de...
- Je suis désolée mère. la coupa la rousse avant de tousser. »
Jeanne, surprise, ouvrit de grands yeux, tandis que sa fille continua :
« - Je me suis laissée aller, mais... Je n'aime que Dakota. Je te le jure. J'ai été sotte de croire autre chose. »
Ses mots lui brûlaient la bouche, mais elle s'efforça d'avoir l'air convaincue. Sa mère cligna plusieurs fois des yeux, puis hocha la tête :
« - Bien... D'accord. Va faire la cuisine, je vais voir la mère de Bastien. »
La rousse hocha la tête, puis rentra chez elle. Tout en pelant des pommes de terre, elle planifia tous les détails, et pria pour que tout réussisse.
Quand sa mère rentra, Hortense feignit de tousser à s'arracher la gorge. Aussitôt, la matrone s'exclama :
« - Eh ! Crache pas dans le repas ! Va te coucher, au lieu de tout gâcher !
- Je suis obligée de venir aux champs demain ? »
Jeanne l'examina d'un œil critique, puis secoua la tête :
« - Si c'est pour que tu gâches l'ouvrage, non. Tu restes là. »
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Le lendemain, la rousse attendit sagement que sa mère parte aux champs en toussant de temps en temps. Lorsque la porte claqua, elle se força patiemment à compter jusqu'à deux cents. Puis, elle se leva, et prépara son baluchon. Elle y fourra le reste de son repas d'hier, plus des ressources comme du pain ou des pommes. Puis, elle délogea une plaque de la cheminée, et tomba face à la réserve d'argent de sa mère. Elle y prit deux généreuses poignées, puis, sans remettre la plaque, elle mit les pièces dans sa jupe. Elle avait enfilé tous ses vêtements, prête à résister au froid si c'était nécessaire. Elle prit tout de même sa cape, et, après avoir vérifié que personne n'était resté au village, elle sortit de chez elle. Elle avait abandonné ses sabots, et avait reprisé tant bien que mal ses habits, dans le but de ne pas s'afficher comme étant une paysanne.
Hortense se dirigea en catimini à l'écurie, où elle trouva son cheval noir. Techniquement, il n'était pas le sien, mais elle était la seule à s'en occuper, alors elle le considérait tout comme. Sans perdre de temps, elle le sella, attacha son baluchon à la selle. Elle noua sa cape autour de son cou, et s'apprêtait à monter sur l'animal quand on lui attrapa le bras. Elle se retourna vivement, et écarquilla les yeux en reconnaissant Dakota. Ce dernier la fixait avec colère :
« - Je peux savoir ce que tu fais, Hortense ?!
- Lâche-moi ! »
Elle se dégagea vivement, et voulut monter sur le cheval, quand il l'attrapa par sa jupe et la tira vers lui. Elle chuta, et tomba dans la paille. Il l'attrapa à bras-le-corps, et l'empêcha de bouger :
« - Tu voulais partir ? Tu voulais t'enfuir ?
- Je t'ai dit de me lâcher espèce de hâbleur ! »
Elle lui enfonça son pied dans le genou, mais il tiqua à peine :
« - Ca te conviens pas de m'épouser ?
- Je pensais que tu t'en étais aperçu plus tôt ! Laisse-moi partir !
- Jamais ! Tu es ma femme ! »
Ils luttèrent un instant au corps à corps, puis Hortense réussit à le faire tomber en arrière. Sans perdre de temps, elle grimpa à califourchon sur l'animal, et le talonna pour qu'il galope. Dakota se releva et voulut l'empêcher de s'enfuir, mais il dût s'écarter pour ne pas se faire écraser.
Les portes de l'écurie s'ouvrirent en grand lorsque le cheval les franchit, et la rousse le mena à bride abattue jusqu'à la sortie du village. Le bruit qu'elle avait dû faire avait sûrement alerté les villageois, et elle n'aurait pas supporter d'échouer. Elle le fit galoper pendant une longue heure, puis, lorsqu'elle s'estima assez loin, elle le ralentit, et le fit marcher au pas. Le soleil la réchauffait agréablement, et une bonne odeur montait des champs qui encadraient la route. Elle se sentait libre, si libre que c'en était grisant. Alors, elle porta ses mains à son fichu, et le dénoua avant de le lâcher. Elle l'observa voler, porté par le vent, et sentit ses cheveux cascader sur son dos. Un sourire irrépressible fleurit sur son visage, et elle poussa un cri de joie. Elle avait réussi l'étape la plus difficile de son plan : s'enfuir. Maintenant, tout lui apparaissait plus simple. Il ne devait pas y avoir beaucoup de Lysandre de Brienne dans la capitale, et encore moins si ceux-ci étaient venus dans le château près de chez elle. Convaincue de sa facilité à le retrouver, elle soupira de bonheur, et s'étira. Elle n'allait sûrement pas gagner la ville en un jour, mais, avec de la persévérance et de l'espoir, tout allait marcher.
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