Chapitre 16

Lorsque Lysandre se réveilla, il sentit immédiatement la pression sur ses doigts, emprisonnés dans une main qui n'était la sienne. Il fronça les sourcils, et tourna la tête. Quand il vit la chevelure rousse éparpillée sur l'oreiller et les draps, il eut un sourire attendri, et sentit son cœur se réchauffer. Elle était là, il n'en avait donc pas rêvé. Doucement, il libéra sa main de celle d'Hortense, qui eut un mouvement de résistance. Puis, elle se tourna vers lui, toujours endormie, et lâcha un souffle paisible. Le noble la contempla avec amour, puis s'interrogea. Pourquoi l'aimait-elle ? Il n'avait pas du tout son âge, et n'était sûrement pas le style d'hommes qui attiraient les jeunes femmes. Et pourtant, elle avait parcouru une distance énorme pour le retrouver. De plus, quand elle avait appris qu'il n'était pas si riche qu'il le paraissait, elle était restée, preuve qu'elle ne s'intéressait pas à lui pour son argent. Avec une main tremblante, il caressa doucement sa joue, et elle plissa le nez dans une moue adorable, avant de sourire dans son rêve.

Il eut soudain une idée, et se leva doucement en prenant garde de ne pas la réveiller. Il alla ouvrir une fenêtre, et laissa entrer un peu de lumière dans la pièce. Un rayon de soleil vint frapper le lit, et éclaira la chevelure de la rousse, lui donnant une apparence de flammes. Lysandre prit ensuite un feuillet, un fusain, et tira silencieusement une chaise vers la couche. Il s'assit avec douceur sur le siège, et après s'être bien positionné, il entreprit de croquer Hortense. Il lui trouvait une telle beauté dans son sommeil, qu'il avait l'impression de la redécouvrir. Elle semblait paisible, et ses traits étaient encore plus beaux que d'habitude. Il ne se préoccupait pas des défauts qu'elle pouvait avoir. Personne n'était parfait. Mais la jeune femme était celle qui se rapprochait plus de la perfection. Elle était tout le contraire de sa première femme. Charlotte était dure, froide, et médisante. Elle ne laissait jamais rien au hasard, et ne trahissait jamais ses émotions. Il n'était même pas sûr qu'elle l'ait aimé un jour, au contraire de lui. Alors que la rousse était vive et spontanée. Elle apportait de la joie dans cette habitation avec son sourire et ses rires. Elle semblait incapable de méchanceté, mais étourdie. Mais, surtout, Lysandre devinait qu'elle aspirait à être aimée passionnément. Et il était justement prêt à l'aimer de tout son être. L'innocence d'Hortense l'attendrissait, et elle le changeait de ces dames prêtes à tout pour réussir à le conquérir.

Perdu dans ses pensées, il en oublia son projet de dessin. Mais lorsqu'elle remua, le froissement des draps le ramena au présent. Elle avait à peine bougé, se contentant de légèrement lever un bras, et avait éparpillé ses cheveux sur le matelas. Aussitôt, il se remit à son ouvrage, dessinant avec application les contours de la jeune femme, avant d'ombrer la silhouette, et s'appliqua ensuite aux détails. Quand il se recula pour juger de son œuvre, il fronça les sourcils, et soupira. Il y avait quelque chose qu'avait la rousse, et qui manquait dans son dessin. Il ne savait pas quoi, mais abandonna l'idée de le trouver. Il se leva pour ranger le feuillet dans son secrétaire, et entendit une voix à moitié endormie :

« - Lysandre ? »

Il referma le battant du meuble, et se retourna avec un sourire sur les lèvres. Elle était encore allongée, et papillonnait des yeux, gênée par la lumière. Elle bailla, s'étira, et se redressa doucement. Puis, elle le chercha du regard, affolée à l'idée d'être seule. Lorsqu'elle le vit, elle sembla se détendre, et il se rapprocha d'elle pour s'asseoir au bord du lit, à côté d'elle. Il prit ses mains dans les siennes, et les embrassa, puis lui demanda :

« - Avez-vous bien dormi ?

- Oui, parce que vous étiez là. »

Il y avait tellement d'amour dans sa voix qu'il sentit son cœur et son ventre se tordre. Jamais Charlotte ne lui avait parlé comme cela. Elle dut remarquer son trouble, car elle lui offrit un tendre sourire, et déposa un léger baiser sur sa joue. Puis, elle se décala pour venir se blottir contre lui :

« - Et vous ?

- Oui. »

Il lui embrassa le front, et la serra contre lui. Puis, soudain, il eut une idée :

« - Hortense ? Que direz-vous de visiter la ville ? »

Elle releva la tête vers lui, et hocha la tête, les yeux brillants :

« - Oh oui ! »

Elle se dégagea de son étreinte, et se leva doucement pour ménager sa cheville. Lorsqu'elle vit qu'elle pouvait marcher sans souffrir, elle frappa dans ses mains, toute excitée :

« - On y va ? »

En la voyant ainsi, trépignant d'impatience et toujours en chemise, il eut un sourire attendri, et soupira en secouant la tête, amusé :

« - Il faudrait peut-être vous habiller...

- Oh... C'est vrai. »

Elle vint lui prendre les mains, et le leva du lit :

« - Vous n'avez qu'à appeler... Blanche, comme ça on pourra partir plus vite ! »

Il eut un léger rire, et lui pinça doucement la joue :

« - Calmez-vous, Hortense. Je vais faire le nécessaire. »

Pressée d'être vêtue et de sortir, elle le poussa en souriant vers la porte, et aussitôt hors de la pièce, il appela :

« - Blanche ? Pouvez-vous habiller Hortense, je vous prie ? »

Il l'entendit répondre du bas de l'habitation :

« - Oui, Monsieur. Avec... Avec les robes de Madame ?

- Oui. Essayez de faire en sorte qu'elles lui aillent.

- Bien Monsieur. »

Il n'éprouvait aucun regret. Il valait mieux que les anciennes robes de Charlotte servent à quelque chose. Elles étaient sans doute passées de mode, mais cela allait faire l'affaire, jusqu'à ce qu'il achète de nouvelles tenues qui aillent à la rousse. Il alla s'habiller à son tour, puis l'attendit au bas des escaliers.

Il l'entendit arriver avant de la voir. Elle apparut avec un éclat de rire qui lui réchauffa le cœur, et il fut subjugué en la voyant. Blanche lui avait fait mettre une vieille robe verte, qui rappelait la couleur des yeux de la jeune femme, et qui contrastait avec sa peau blanche et ses cheveux de feu. La coupe n'était pas la bonne, mais elle camouflait un peu la minceur de la rousse, qui ne correspondait pas aux canons de beauté actuels, avec un petit panier qui lui donnait des hanches larges. Un corset lui faisait une gorge magnifique, et la femme de chambre lui avait relevé les cheveux en un chignon très élégant. Elle ne l'avait cependant pas maquillée, et cela ne dérangeait pas Lysandre. Lorsqu'elle se posta devant lui, il resta un instant silencieux, l'admirant avec stupéfaction. Voyant qu'il ne réagissait pas, elle lui prit la main et s'exclama avec un grand sourire :

« - Blanche a vraiment fait du très beau travail, je ne me reconnais pas ! »

Il murmura, de façon à ce qu'elle seule puisse l'entendre :

« - Vous êtes magnifique, Hortense. »

Elle reçut le compliment avec une rougeur aux joues, et détourna brusquement la conversation :

« - On peut y aller maintenant ?

- C'est mieux de dire « nous ». Mais oui, nous y allons. »

Penaude de ses fautes de langage, elle baissa la tête, mais il lui caressa affectueusement le dessus de la main. Ils sortirent de l'habitation, et une calèche les attendait devant. Il la fit monter en premier, puis s'assit en face d'elle, et donna à son cocher l'adresse du jardin principal. L'habitacle s'ébranla, et aussitôt, elle lui demanda en triturant ses mains :

« - On... Non, nous allons où ?

- C'est une surprise. »

Elle eut un air ennuyé, et lui demanda avec un ton suppliant :

« - Je ne peux vraiment pas savoir ? »

Il secoua la tête, alors elle se renfrogna, et croisa les bras en se renfonçant dans son siège. Elle détourna le regard vers la fenêtre, et quitta aussitôt sa moue boudeuse, et ouvrit les yeux avec émerveillement. Lysandre ne la quittait pas du regard, observant avec un sourire chacune de ses expressions ravies. Il songea avec un soupir qu'elle ne devait jamais avoir vu de ville aussi grande et belle que la capitale. Cela le ramena à sa condition de paysanne, et il lui prit les mains. Surprise, elle reporta son attention sur lui, et, en voyant son air préoccupé, elle souffla :

« - Qu'y a-t-il ?

- Je... Je réfléchissais à ce que nous pourrions dire si jamais nous croisions des personnes de ma connaissance.

- Oh... J'imagine que la vérité n'est pas appropriée ? »

Il secoua la tête, et elle baissa la tête, avant de hausser les épaules :

« - Je peux être une amie ?

- Non, vous êtes trop jeune.

- Dans ce cas, je suis la cousine de Castiel, et vous me protégez des dangers de la ville, car mon cher cousin est occupé. »

Il fut surpris de cette proposition, mais acquiesça tout de suite :

« - Vous avez raison, c'est la situation la plus sûre.

- Mais... »

Elle se mordilla la lèvre, et il remarqua qu'elle faisait souvent ce geste lorsqu'elle était hésitante ou contrariée. Il l'encouragea doucement :

« - Oui, Hortense ?

- Je me disais que... Si je suis la cousine de Castiel... Je ne pourrais plus vous donner la main devant les autres ?

- Non... Je suis navré. »

Elle soupira, puis se leva et vint s'asseoir à côté de lui. Elle le serra dans ses bras, et il répondit à son étreinte en inspirant profondément. Dès qu'il était près d'elle, il devait se contrôler pour ne pas sortir de la bienséance. Elle l'enivrait, et il avait toujours envie d'aller plus loin. Cependant, il ne voulait surtout pas la choquer, alors il respectait les distances conventionnelles, mais avec difficultés.

Puis, la calèche s'arrêta brusquement, alors elle se dépêcha de reprendre sa place précédente avant qu'un laquais n'ouvre la portière. Elle descendit la première, et il

la suivit. Il la vit ouvrir de grands yeux, puis elle se tourna vers lui avec un sourire extasié :

« - Un jardin ! C'est génial ! »

Elle fit un geste pour lui prendre les mains, puis se rappela qu'elle ne le pouvait plus, alors elle laissa retomber son bras avec tristesse. Il remarqua son expression, et essaya de la dérider. Il lui tendit le bras avec un sourire :

« - Venez. »

Elle attrapa son bras avec une moue attristée, et il soupira avant de la faire entrer dans les jardins. Malgré sa déception, elle eut bientôt un air émerveillé, et murmura avec ravissement :

« - C'est magnifique...

- Et vous n'avez pas encore vu le petit lac.

- Un lac ?! »

Elle se tourna vers lui, persuadée qu'il plaisantait. Mais en voyant son air sérieux, elle écarquilla les yeux, et pressa son bras :

« - C'est vrai ?

- Oui, Hortense. »

Elle eut un sourire extasié, et sautilla presque sur place :

« - On y va ? »

Lysandre décida de passer sur cette faute, ne voulant pas la contrarier, et hocha la tête. Il la guida à travers les jardins, craignant de tomber sur une personne de sa connaissance. Malgré son assurance affichée, il savait qu'il ne supporterait pas le moindre regard dépréciateur que pourrait subir la rousse. A ses yeux, elle ne méritait aucune critique. Il cacha son anxiété sous un sourire rassurant, et ils arrivèrent devant le lac artificiel. Elle ouvrit de grands yeux en voyant les cygnes qui y évoluaient, et il ne put s'empêcher de lui murmurer à l'oreille :

« - Vous êtes adorable. »

Il vit ses joues rosir avec attendrissement, et elle pointa un des oiseaux du doigt :

« - Qu'est-ce que c'est ? Je n'en avais jamais vu...

- C'est normal, ma chère. Il ne doit pas y en avoir en Bretagne. »

Ils se retournèrent tous deux en reconnaissant la voix de Nathaniel de Soubise. Comme il tenait son poignet entre ses doigts, Lysandre sentit le pouls de la jeune femme s'accélérer, et il répondit d'un ton égal :

« - Oh, Nathaniel. Je suis ravi de vous revoir. »

Il constata que le blond dévisageait Hortense d'un air stupéfait, et vit une moue appréciatrice passer sur ses traits. Aussitôt, il ressentit une vive pointe de jalousie, et il réprima avec difficultés l'envie d'envoyer paître le blond. Elle dut le sentir se tendre, car la rousse adressa un sourire resplendissant à l'autre noble :

« - Vous avez raison, Nathaniel. Il n'y a pas de ces oiseaux en Bretagne. »

Le blond resta un instant silencieux devant elle, puis lui sourit en retour, et demanda :

« - Votre cousin n'est pas avec vous ? »

Il avisa de l'œil son poignet dans la main de Lysandre, et elle haussa les épaules, faussement désolée :

« - Eh bien non, il avait des obligations. Mais Monsieur de Brienne a gentiment accepté de me faire visiter la ville.

- Je lui sers de chaperon, en quelque sorte. »

Il eut un sourire forcé, et souhaita de toute son âme que l'intrus s'en aille. Malheureusement, il s'adressa à Hortense :

« - Me permettez-vous de vous accompagner ?

- Oh... »

Elle hésita, eut un bref regard pour Lysandre, et hocha la tête :

« - Bien sûr. »

Il sentit son cœur se déchirer, et eut toutes les peines du monde à ne pas hurler son désespoir. Il toussota pour cacher son trouble, et entendit à peine Nathaniel la remercier. La jalousie lui serrait le cœur, et il réagit à peine lorsque son amante proposa :

« - Nous pouvons nous promener ? »

Une légère pression sur ses doigts le fit revenir à lui, et il constata qu'ils attendaient une réponse. De mauvaise grâce, il hocha la tête, et la rousse lui sourit :

« - Bien. Allons-y mon ami. »

La formule pouvait paraître trop intime, mais le blond était si occupé à la dévorer des yeux qu'il ne s'en offusqua pas. Lysandre serra les poings, mais se détendit légèrement lorsqu'ils se mirent en route. En effet, la jeune femme n'avait pas l'intention de se détacher de lui, et il remarqua avec un léger sourire que cela ne plaisait pas du tout à Nathaniel. Leurs mains se perdaient dans ses jupes, et il sentit qu'elle lui caressait doucement la paume de la main. Il tourna la tête vers elle, et elle plissa le nez devant son expression. Elle lui souffla :

« - Souriez, je vous en prie... Vous me faîtes peur. »

Il écarquilla les yeux devant ces mots, et elle détourna le regard pour sourire à leur accompagnateur. Puis, elle lui murmura :

« - On dirait que vous vous apprêtez à lui sauter dessus, ou à vous jeter dans le lac... Je vous en supplie, faîtes quelque chose... »

De la tristesse pointait dans sa voix, et il s'empressa de lui sourire, avant de se tourner vers le blond pour entamer la conversation :

« - A propos, Nathaniel. Avez-vous vu la nouvelle pièce qui se joue au théâtre ?

- Oh, non, mais on en dit du bien. »

Il sembla hésiter, puis demanda à Hortense :

« - Puis-vous proposer de m'accompagner voir cette nouvelle pièce ?

- Oh... »

Elle ouvrit de grands yeux, et Lysandre se maudit aussitôt d'avoir lancé ce sujet. Il faillit répliquer par la négative quand la rousse le coupa dans son élan :

« - Je suis navrée, Monsieur, mais... Mon cousin n'apprécie pas que je sorte sans lui, et... Et j'ai cru comprendre que vous ne l'appréciez pas tellement. »

Elle prit une moue désolée, et la déception du noble était visible. Pour s'excuser, elle lui adressa un petit sourire, et tempéra :

« - Nous aurons sûrement d'autres occasions de nous revoir. »

Le blond eut un sourire forcé, et, soudain, une jeune femme les accosta :

« - Oh, Nathaniel ! »

Lysandre reconnut avec un soupir de soulagement Ambre de Soubise. Peut-être qu'elle allait partir avec son frère. Mais la blonde s'arrêta devant eux, et examina la tenue d'Hortense en plissant le nez. La rousse baissa la tête en rougissant, et la noble s'exclama :

« - Lysandre, ravie de vous revoir. Et... Mademoiselle ?

- Hortense de Turenne. »

Aussitôt, le comportement méprisant d'Ambre changea, et elle devint toute excitée :

« - Oh, c'est donc vous la fameuse cousine de Castiel ? Vous êtes ravissante. »

Ses compliments étaient forcés, mais si son aimée s'en aperçut, Lysandre remarqua qu'elle s'appliquait à n'en rien montrer :

« - Merci. »

Elle hocha la tête en souriant, puis soudain, au milieu des mondanités d'usage, un voile de souffrance traversa son visage, et elle s'appuya sur lui. Aussitôt, il s'inquiéta :

« - Hortense, qu'avez-vous ?

- Je... Ma cheville...

- Oh... »

Il sentit son cœur se serrer à l'idée qu'elle puisse souffrir, et reporta son attention sur les deux blonds :

« - Je suis navré, mais... Je vais la ramener chez son cousin.

- Je comprends. acquiesça Nathaniel, l'air déçu. »

Ambre se contenta de hocher la tête, et après avoir salué, ils partirent tous les deux. Il aida la jeune femme à s'asseoir sur un banc en pierre, mais lorsque les intrus furent assez loin, elle lui demanda :

« - C'est bon ? Ils sont partis ? »

Stupéfait, il constata qu'elle ne semblait plus souffrir. En voyant son air surpris, elle haussa les épaules, un air mutin sur le visage :

« - J'ai bien vu que leur présence vous dérangeait. Alors... »

Mais quand elle vit qu'il ne réagissait pas, elle lui prit les mains, soudainement angoissée :

« - Cela vous dérange ? Je suis désolée, si vous voulez, on peut...

- Hortense, la coupa-t-il. Je suis ravi qu'ils soient enfin partis. C'est juste que... Je ne vous savais pas si bonne actrice. »

Elle eut un rire silencieux, et il profita du fait que l'allée près du lac soit vide pour lui voler un baiser. Contre ses lèvres, il lui murmura :

« - Vous êtes diabolique, ma tendre. »


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