Chapitre 10

Hortense ne doutait pas que son voyage serait facile. Et, pourtant, dès le premier soir, elle rencontra des difficultés. En effet, la seule auberge qu'elle trouva pour dormir ne lui inspirait pas confiance. Elle s'était arrêtée devant le bâtiment, mais n'était pas descendue de cheval, perturbée par les rires gras qu'elle entendait. Il faisait nuit, et seuls quelques flambeaux éclairaient les alentours. La rousse fronça le nez devant l'odeur rance de transpiration qui émanait de l'endroit, et failli crier quand la porte s'ouvrit brutalement. Mais ce n'était qu'un ivrogne qui, titubant, fit quelques pas avant de s'écrouler au sol. Il releva la tête, intrigué par la silhouette d'Hortense, perchée sur son cheval et enroulée dans sa cape, donc le capuchon était relevé. Aussitôt, l'homme se releva tant bien que mal, et s'approcha d'elle :

« - Eh, mais t'es belle toi ! Viens-là ma jolie ! »

Les yeux écarquillés, elle donna une secousse à l'animal, qui se retourna et partit au galop. Elle entendit l'ivrogne rire et l'injurier, et ferma les yeux de toutes ses forces.

Elle fit galoper le cheval longtemps, effrayée par la nuit sombre. Jamais elle n'était sortie du village en pleine nuit, et le silence qui régnait l'angoissait. Mais elle avait beau parcourir la route depuis un long moment, elle ne trouvait pas d'autres auberges. Le désespoir la submergea, et elle arrêta le cheval dans un champ. Cette nuit-là, la lune était pleine, ce qui éclairait d'une lumière fantomatique l'endroit où elle se trouvait. Elle descendit de sa monture, prit son baluchon, et s'écroula sur l'herbe en retenant ses larmes. Son cheval s'allongea à côté d'elle, et elle lui caressa lentement la crinière en soupirant. Certes, elle ne s'attendait pas à arriver à la capitale en quelques heures, ni à passer ses nuits dans des endroits excellents, mais... Elle ne pensait pas que la vie en dehors de son village était si différente. Déjà, sur sa route, plusieurs hommes l'avaient sifflées, et elle ne s'était pas retournée, mortifiée par ce comportement. Mais là, cet individu ivre l'avait vraiment tourneboulée, et elle resserra un peu sa cape autour d'elle, avant de prendre à manger dans son baluchon.

Elle se rapprocha du cheval pour profiter de sa chaleur, et mangea dans un silence complet. Elle n'entendait que le bruissement du vent, et, parfois, un cri d'animal qui la faisait sursauter. Alors, elle fermait les yeux, et comptait jusqu'à vingt avant de les rouvrir avec hésitation. Mais pas une bête ne vint la déranger, et, après avoir fini son maigre repas, elle se détendit légèrement. Elle s'emmitoufla soigneusement dans sa cape, et se coucha contre le cheval pour dormir, l'oreille tendue.

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Rendue méfiante par sa première expérience des auberges, Hortense se contentait maintenant de dormir dans des prairies, des champs ou des forêts. Elle choisissait de préférence des endroits avec de l'eau et de l'herbe, pour son cheval, et pour elle.

Le troisième jour de voyage, lorsqu'elle trouva une grande rivière au milieu d'un bois, elle ne put retenir un cri de joie. Jusqu'alors, elle s'était contenté de petites flaques de pluie, où elle recueillait le précieux liquide à même ses mains. Toute cette étendue d'eau la rendait donc heureuse. Elle descendit de cheval, ôta sa cape, et se précipita vers la rivière. Elle y trempa sa main, et vit toute la crasse qui la recouvrait s'en aller avec le courant. Un grand sourire aux lèvres, la rousse enleva tous ses vêtements, et, prudemment, elle rentra dans l'eau. Elle se contenta de la zone où elle touchait le fond avec ses pieds, et s'immergea un court instant toute entière dans l'eau en retenant sa respiration. Quand elle ressortit la tête, elle vit que le cheval était en train de boire dans la rivière, et elle lui caressa affectueusement les naseaux.

Soudain, elle entendit un bruit de feuilles que l'on piétine, et se raidit, cherchant l'origine de ce bruissement. Un des buissons qui entouraient la rivière frémit, et elle croisa d'instinct les bras sur sa poitrine. Puis, tranquillement, un petit lapin émergea des feuillages. La rousse resta un instant immobile, puis éclata de rire. Elle sentait tout le poids des jours passés dans l'incertitude de son amour s'envoler, et cela lui faisait du bien. De bonne humeur, elle sortit de l'eau, essora ses cheveux, et se rhabilla en chantonnant. Puis, elle remonta à cheval, et continua sa route.

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Son voyage dura deux longues semaines. A chaque ville traversée, Hortense pensait être enfin arrivée, mais lorsqu'elle demandait où elle se trouvait, elle n'entendait jamais le non tant espéré de Paris. Alors, l'âme maussade, elle reprenait sa route. Elle avait toujours l'argent qu'elle avait dérobé à sa mère, car elle n'était allée dans nul endroit où le dépenser. Elle se nourrissait de fruits, et d'eau. Cela lui importait peu, car, en cas de disette au village, c'était ce qu'elle faisait. Mais, peu à peu, l'espoir qu'elle avait d'atteindre la capitale diminuait. Elle craignait de ne pas être sur la bonne route, de s'être perdue, ou même de ne jamais la trouver. Seule l'envie poignante qu'elle avait de revoir Lysandre la motivait.

Et puis, un jour, elle vit, sur sa route, une très grande ville, bien plus étendue que toutes celles qu'elle avait vues auparavant. De la fumée sortait des très nombreuses cheminées qui ornaient le toit des habitations, et formait comme une sorte de nuage au-dessus de la ville. Même de loin, elle percevait les bruits et l'agitation qui y régnait, et eut, au fond d'elle, le sentiment qu'elle était arrivée. Alors, elle talonna son cheval, qui fila au galop sur la route. Arrivée devant les murailles qui fortifiaient la ville, elle ralentit, et dût s'arrêter devant une porte majestueuse à deux battants. Aussitôt, elle noua son opulente chevelure rousse avec un lien de son jupon, et lissa son corsage. Un garde qui veillait là, s'approcha d'elle :

« - C'est vingt deniers pour entrer. »

Hortense se félicita d'avoir pensé à prendre de l'argent, et, après avoir fouillé dans son jupon, laissa tomber deux pièces dans la main tendue de l'homme. Il lui ouvrit un des battants, et elle lui demanda avec empressement :

« - Savez-vous où je peux trouver Lysandre de Brienne ? »

Aussitôt soupçonneux, le garde se retourna vers elle :

« - Pourquoi ?

- Je... Pour rien. Ce n'est pas important. »

Elle avait bien vu le regard du soldat s'arrêter avec circonspection sur ses vêtements de paysanne, et sur son cheval poussiéreux. Jamais il ne lui aurait dit, car il l'avait sûrement prise pour une pauvresse. Alors elle s'empressa de faire avancer sa monture et de rentrer dans la cité.

Elle entendit la lourde porte se refermer derrière elle, et fut aussitôt éblouie par la vie qui y régnait. Elle voyait toutes sortes de gens se côtoyer, des mendiants, des ouvriers, des paysans venus vendre leurs marchandises... Elle tournait la tête dans tous les sens, n'ayant pas assez d'yeux pour tout voir. Ne pouvant aborder les personnes en étant perchée sur son cheval, elle descendit de la monture, et la tint par la crinière, regrettant de ne pas avoir emporté de bride. Elle était décidée à demander aux passants s'ils connaissaient Lysandre, mais constata qu'elle n'était pas dans la bonne partie de la ville. En effet, ici semblait être le côté des pauvres gens, car elle ne voyait aucun noble. Elle soupira de découragement, et décida de rentrer dans une échoppe. L'enseigne comportait une paire de ciseaux, et, à l'intérieur, elle vit qu'elle était chez un barbier. Ce dernier, en l'apercevant, s'empressa d'aller vers elle. Il se planta devant la rousse, la dominant de sa haute taille, et lui vociféra :

« - C'est un endroit pour les hommes, t'as rien à faire ici !

- Mais, monsieur, je...

- Dehors, j'ai dis ! »

Il la poussa rudement dehors, et elle trébucha avant de s'écrouler sur les pavés, sur de la boue. Aussitôt, elle eut une moue de dégoût et se releva, tout en jetant un regard peu amène à l'homme. Elle épousseta sa jupe, et haussa le menton :

« - Merci de votre politesse. Bonne journée. »

Elle tourna les talons, et fit signe à son cheval de la suivre, ignorant les injures du boutiquier.

Paris n'était pas comme elle l'avait imaginé. Elle pensait que les personnes seraient accueillantes, agréables et polies. Mais son premier contact avec un habitant de cette ville n'était pas du tout comme cela. Malgré tout, elle ne se découragea pas, et entra dans la boutique suivante. Elle constata qu'il s'agissait d'un vendeur de tissu, et pria pour que la chance lui sourît. Le commerçant, en la voyant entrer, flaira tout de suite qu'elle n'était pas une cliente. Il l'accueillit alors avec maussaderie :

« - C'est pour quoi ?

- Je voulais savoir si de riches personnes de cette ville cherchaient une... Femme de chambre. »

Il la jaugea du regard, et haussa les épaules :

« - Je sais pas. C'est pas ici que tu vas avoir ta réponse. Va au pied des grandes tours de garde, tu trouveras des riches maisons.

- Oh, merci monsieur ! »

Pour le remercier, elle lui tendit une pièce de dix deniers, qu'il accepta avec un sourire un peu plus chaleureux, et il lui souhaita d'avoir de la chance. Aussitôt sortie de la boutique, Hortense enfourcha son cheval, et se dirigea vers la partie indiquée par le vendeur. Et elle vit le changement. Du côté riche, les maisons étaient soigneusement décorées, et des laquais attendaient devant les porches des habitations. Il y avait bien quelques miséreux, mais uniquement devant les chapelles ou les églises. La rousse avait l'impression de détoner dans ce milieu, elle se sentait mal à l'aise. Les personnes qui flânaient dans la ville fronçaient le nez en la voyant, et lui tournait le dos avec des mines dégoûtées. Ainsi, elle ne pouvait interroger personne.

Après avoir rôdé deux heures là-bas, elle soupira de découragement, et descendit de cheval. Elle hésita devant une riche maison, puis laissa l'animal sur la route et toqua à la porte. Elle profita de l'attente pour lisser sa jupe et mettre de l'ordre dans ses cheveux. Puis, un valet vint lui ouvrir, et il eut une moue de dégoût devant sa pauvre apparence. Sans lui laisser le temps de parler, il soupira :

« - Si vous voulez de la soupe, adressez-vous à l'église.

- Non, je... Je cherche monsieur Lysandre de Brienne.

- Et pourquoi donc cherchez-vous mon ami ? »

Le laquais s'effaça, laissant la place à un homme richement vêtu, et aux cheveux rouges. Il portait un pourpoint, des chaussures et une culotte noire, qui s'ouvrait sur des bas blancs. Il avait également un jabot immaculé, et sa tenue était brodée de fils d'or. Son visage avait des traits fins, mais ses yeux gris étaient fixés sur Hortense. Elle se troubla, et cherchait une excuse quand il ouvrit de grands yeux :

« - Oh... C'est vous. »

La rousse releva la tête, surprise de sa certitude. Elle était pourtant sûre de ne l'avoir jamais vu. Elle balbutia :

« - Vous... Vous me connaissez ?

- Oui. Enfin, je le pense. Entrez. »

Elle eut un regard pour son cheval, et le noble fit un signe à son valet :

« - Emmenez le à l'écurie. »

Puis, il se décala pour la laisser entrer. Elle pénétra dans l'habitation en hésitant, et frissonna quand le marbre froid entra en contact avec ses pieds nus. L'individu avisa aussitôt sa tenue, et fronça les sourcils :

« - Cela fait combien de temps que vous voyagez ?

- Je... Je ne sais pas monsieur.

- Ah, je vois que Lysandre vous a appris la politesse. »

Le ton de cet homme l'ulcérait. Il semblait la prendre pour une paysanne mal dégrossie, mais elle se retint de répliquer, car il était le seul à pouvoir l'aider. Il la jaugea du regard, puis lui demanda :

« - Vous vous nommez bien Hortense ?

- Oui, mais... Comment le savez-vous ? »

Il éclata de rire, et lui répondit :

« - Pensiez-vous que Lysandre n'avait aucun moyen de communication lorsqu'il s'était retiré dans ce château ?

- Oh... »

La jeune femme évita de répondre, ne voulant pas se tourner en ridicule. Elle n'avait jamais pensé qu'il pouvait écrire à d'éventuels amis. L'aristocrate reprit :

« - Vous n'avez pas répondu à ma première question. Que voulez-vous à mon ami ?

- Je... Cela me regarde, monsieur...

- Castiel de Turenne. »

Elle hocha la tête, et remarqua qu'il la fixait, un air joueur sur le visage :

« - Cela vous regarde... Donc ça n'a aucun rapport avec son comportement, ni avec sa bêtise ? »

Aussitôt, elle se rebiffa :

« - Ce n'était pas une bêtise ! »

Puis, en voyant qu'il souriait, elle rougit fortement, avant de bafouiller :

« - Non, pas du tout, c'est juste que... J'ai besoin de son adresse. »

Elle essaya d'adopter un ton ferme, et ce Castiel se rapprocha d'elle :

« - Je veux bien vous la donner... »

Un grand sourire illumina le visage d'Hortense, mais il continua, guettant ses réactions :

« - Mais j'exige quelque chose en échange.

- ... Quoi donc ? »

Ce marché ne lui disait rien qui vaille, mais elle ne voulait pas échouer, pas si près de son but. Cependant, quand le regard de l'homme s'attarda sur sa gorge, elle comprit, et protesta aussitôt :

« - Jamais ! Je refuse ! Je trouverai bien son adresse moi-même ! Comment... Comment osez-vous, espèce de malotru ! »

Elle se retint à grande peine de le gifler, et tourna les talons. Il la mettait hors d'elle, et préférait encore passer des jours à toquer à chaque porte plutôt que de se livrer à ce Castiel. Mais ce dernier l'attrapa par le bras, et la retourna vers lui :

« - Eh, calmez-vous demoiselle impétueuse. Je plaisantais.

- Ce n'était pas drôle.

- C'est que vous avez du répondant... »

Il haussa un sourcil, et elle se mâchouilla la langue pour ne pas l'injurier. Il finit par murmurer :

« - Vous êtes bien courageuse de vous aventurer ainsi dans une grande ville, sans repères et sans connaissances...

- Je connaissais Lysandre. »

Il éclata de rire, puis reprit son sérieux :

« - Vous êtes donc ici pour voir mon ami.

- Oui, monsieur.

- Intéressant tout ça...

- Savez-vous où le trouver ? »

Il étira un léger sourire, et lui demanda tout à coup :

« - Et pourquoi vous aiderais-je, Hortense ? »

Quand cet homme prononçait son prénom, elle ne se sentait pas protégée comme lorsque Lysandre le faisait. Elle se sentait plus comme une biche aux abois. Il lui paraissait menaçant. Mais sa question l'énerva. Il semblait prendre un malin plaisir à la faire tourner en bourrique, et elle répliqua :

« - Parce que je vous l'ai demandé poliment. J'ai de l'argent si vous voulez.

- Vous avez de l'argent... Intéressant. Mais je n'en veux pas.

- Et bien... Vous pourrez rendre votre ami heureux ? »

Ses prunelles grises devinrent intenses, et Hortense détourna le regard, gênée. Il finit par murmurer :

« - Rendre Lysandre heureux ? Mmmh... Oui, je pense que c'est une raison suffisante.

- Donc, vous acceptez ? »

Il hocha la tête silencieusement, et, transportée de joie et de bonheur, la rousse lui saisit les mains pour les porter à son cœur :

« - Oh, merci infiniment monsieur ! Si vous saviez à quel point vous me rendez heureuse !

- Assurez-vous alors de ne plus attrister mon ami à ce point. »

Son ton était tranchant, et elle lui lâcha les mains pour reculer instinctivement de quelques pas. Elle répéta :

« - Je... Je l'ai attristé ?

- Oui. Quand il est rentré... C'est comme s'il avait laissé une partie de lui là-bas. »

Cet aveu indirect ému la jeune femme aux larmes. Elle aussi avait eu ce sentiment, et elle hocha solennellement la tête :

« - Je vous jure que... Cela ne se reproduira plus.

- Bien. J'espère pouvoir vous faire confiance. »

Le silence s'installa, et elle ne put s'empêcher de demander :

« - Nous n'allons pas le trouver ?

- Je n'ai jamais dit cela ma chère.

- Mais...

- Il n'y a pas de mais. Le seul endroit où je peux vous emmener le trouver est un bal.

- Un... Bal ? »

Elle écarquilla les yeux, tandis qu'il l'examinait :

« - Mais, monsieur, je ne suis jamais allée à un bal, et...

- Il y a un début à tout. »


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